Syrie
Entretien avec
Ammar Bagdash,
secrétaire du Parti communiste syrien
Mardi 13 août 2013
Lors d'une rencontre publique à Rome
avec le secrétaire du Parti communiste
syrien, Ammar Bagdash et une interview
collective pour connaître les causes, le
déroulement et les conséquences de la
guerre civile en Syrie. Ou autrement dit
de la tentative de déstabilisation d'un
pays qui ne correspond pas aux plans
pour le contrôle impérialiste du
Moyen-orient.
Entretien réalisé par Sergio Cararo,
Marinella Correggia, Maurizio Musolino
Traduction AC pour
http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net
Pourquoi cette attaque contre la
Syrie ?
La Syrie constitue une digue contre
l'expansionnisme nord-américain au
Moyen-orient, surtout après l'occupation
de l'Irak. Mais le véritable
protagoniste de ce projet se trouve être
en réalité le président israélien Peres,
qui poursuit cet objectif depuis les
années 1980. Les communistes syriens ont
donné un nom à ce projet : la grande
Sion. La Syrie a refusé tous les diktats
des Etats-unis et d'Israel au
Moyen-orient, a soutenu la résistance
irakienne, celle libanaise et le droit
national du peuple palestinien.
Mais comment est née la révolte,
la crise et la guerre civile en Syrie ?
Dans l'analyse des communistes syriens,
les conditions ont été posées également
par les mesures libérales adoptées en
2005. Cette politique a eu trois effets
négatifs : une augmentation des
inégalités sociales ; l'exclusion
sociale de plus en plus diffuse dans les
banlieues de Damas ; la dégradation des
conditions de vie de la population. Cela
a favorisé les forces réactionnaires,
comme les Frères musulmans, qui se sont
appuyées sur le sous-prolétariat,
surtout rural. Quand nous avons dénoncé
tout cela jusqu'au Parlement, on nous a
accusé d'adopter une posture idéologique
et d'être des idiots.
En Syrie, ils veulent refaire ce qui
s'est passé en Égypte et en Tunisie.
Mais là il s'agissait de deux pays
philo-impérialistes. Dans le cas de la
Syrie, c'était différent. Ils ont
commencé par des manifestations
populaires dans les régions rurales de
Daraa et d'Idleb. Mais dans les villes,
il y eut immédiatement de grandes
manifestations populaires de soutien à
Assad. Par ailleurs, au début, la police
ne tirait pas, ce sont certains éléments
parmi les manifestants qui ont commencé
les actions violentes. Dans les sept
premiers mois, il y eut plus de morts du
côté de la police et de l'armée que dans
l'autre camp. Quand la méthode des
manifestations ne marchait plus, ils
sont passés au terrorisme avec des
assassinats ciblés de personnes en vue
(dirigeants, hauts fonctionnaires,
journalistes), attentats et sabotages
d'infrastructures civiles. Le
gouvernement a réagi en adoptant
certaines réformes comme celle sur le
multi-partisme et sur la liberté de la
presse, réformes que nous avons soutenu.
Mais les forces réactionnaires ont
rejeté ces réformes. Communistes, nous
avons réalisé cette équation : les
discours et les actes doivent être
confrontés aux discours et aux actes.
Mais le terrorisme doit être confronté
par la souveraineté de la loi, en
rétablissant l'ordre.
Ensuite, on est passé à la troisième
phase. La véritable révolte armée.
Attentats et assassinats ciblés étaient
le signal pour commencer l'attaque
contre Damas. Puis les attaques se sont
concentrées contre Alep, qui par sa
position géographique rend plus facile
le trafic et le ravitaillement depuis
l'étranger. Le gouvernement a réagi en
imposant l'hégémonie de la loi. Il
convient de dire que l'intervention de
l'armée et les bombardements aériens se
sont produits dans une zone où
l'essentiel des civils avaient déjà fui.
A la contre-offensive de l'armée
syrienne, les rebelles ont réagi de
façon barbare, y compris dans les zones
où il n'y avait pas de combattants. Et
puis ils ont assiégé Alep.
Pourquoi la Syrie résiste, que
cela signifie-t-il ?
Ces dix dernières années au
Moyen-orient, l'Irak a été occupé, la
Libye a dû capituler, la Syrie au
contraire non. Par sa plus grande
cohésion interne, ses forces armées plus
puissantes, des alliances
internationales plus solides ou parce
qu'il n'y a pas encore eu d'intervention
militaire directe des puissances
impérialistes ?
En Syrie, à la différence de l'Irak et
de la Libye, il y a toujours eu une
forte alliance nationale. Les
communistes travaillent avec le
gouvernement depuis 1966, sans
interruption. La Syrie n'aurait pas pu
résister en comptant seulement sur
l'armée. Elle a résisté parce qu'elle a
pu compter sur une base populaire. En
outre, elle a pu compter sur l'alliance
avec l'Iran, la Chine, la Russie. Et si
la Syrie reste debout, des trônes vont
tomber parce qu'il deviendra clair qu'il
existe d'autres voies. Notre lutte est
internationaliste. Un expert russe m'a
dit : « Le rôle de la Syrie ressemble à
celui de l'Espagne contre le fascisme ».
Quels effets peuvent avoir les
événements en Égypte sur la situation
actuelle en Syrie ?
Il y a un rapport dialectique entre ce
qui s'est passé en Égypte et ce qui se
passe en Syrie. La base commune, c'est
le mécontentement populaire, mais la
résistance syrienne a accéléré la chute
du régime des Frères musulmans en Égypte
et cela aidera beaucoup la Syrie car
cela montre que les Frères musulmans ont
été rejetés par le peuple.
Dans un entretien récent, la
président syrien Assad a affirmé : « En
Syrie, nous avons mis en échec
l'offensive de l'islamisme politique ».
Qu'en pensez-vous ?
Nous, communistes syriens, n'utilisons
pas la catégorie d'Islam politique.
L'Islam connaît une certaine diversité
en son sein. Il y a des réactionnaires
pro-impérialistes comme les Frères
musulmans et des progressistes comme le
Hezbollah et même l'Iran. Je ne suis pas
un admirateur du modèle iranien mais ce
sont nos alliés dans la lutte contre
l'impérialisme. Depuis notre V ème
Congrès, nous avons jugé l'Iran sur la
base de sa position sur l'impérialisme.
Notre mot d'ordre est : pour un Front
international contre l'impérialisme.
En Italie, une grande partie de
la gauche pense que les rebelles
combattent un régime fasciste, celui d'Assad.
Que pouvez-vous répondre à cette
position ?
Si nous partons de la définition du
fascisme – un mouvement réactionnaire
qui use de moyens violents dans les
intérêts du capitalisme monopoliste – en
Syrie, ce n'est pas le capitalisme
monopoliste qui domine. Ce sont plutôt
les rebelles qui représentent les
intérêts du grand capital. Les révoltes,
comme nous l'enseigne l'histoire, ne
sont pas toujours des révolutions.
Pensons aux Contra au Nicaragua, aux
franquistes en Espagne et il y en a
d'autres.
Mais l'opposition à Assad
est-elle toute réactionnaire ? Ou, comme
le démontrent les affrontements internes
entre Armée libre syrienne et militants
djihadistes, ou ces derniers jours entre
kurdes et djihadistes, existent-ils des
éléments progressistes avec qui on peut
entamer un dialogue ?
Parmi les opposants, certains ont passé
plusieurs années dans les prisons
syriennes et nous avons réclamé et nous
sommes battus pour leur libération. Ces
opposants à Assad sont toutefois contre
toute ingérence, intervention étrangère.
Certains vivent à Damas et nous
travaillons ensemble pour le dialogue
national. Même Haytham Menaa de la
Coordination démocratique condamne
l'usage de la violence de la part de
l'opposition armée ainsi que les
ingérences extérieures. D'autres comme
Michel Kilo viennent de la gauche, mais
ont trahi ces idées mais ils ne peuvent
de toute façon pas changer la nature
réactionnaire de la rébellion.
Comment expliquez-vous
l'intensification des divergences entre
Arabie saoudite et Qatar, et qui se
répercute également dans les divisions
au sein des milices rebelles ?
C'est vrai, l'influence et le rôle du
Qatar diminuent, ceux de l'Arabie
saoudite augmentent. L'affaire des
affrontements avec les kurdes, c'est une
autre histoire. Il y a eu des
affrontements entre kurdes de l'Union
démocratique kurde et les militants
djihadistes d'Al Nusra, mais il y a eu
également des affrontements entre divers
groupes kurdes.
Que se passe-t-il pour les
Palestiniens qui vivent dans les camps
de réfugiés en Syrie ?
J'ai rencontre récemment le responsable
de l'OLP et il m'a dit : « Si la Syrie
tombe, adieu la Palestine ». Le Hamas a
agi parfois dans la précipitation, il a
fait beaucoup d'erreurs et a causé des
problèmes. Nous pouvons dire que
l'organisation, qui appartient au monde
des Frères musulmans, est revenue à ses
origines et elle est désormais sous
l'aile du Qatar. Mais c'est dangereux
également pour eux. Maintenant, après ce
qui s'est passé en Egypte, que se
passera-t-il à Gaza ? La majorité des
militants qui sont entrés dans les camps
de réfugiés palestiniens en Syrie
n'étaient pas palestiniens. La majorité
des Palestiniens est totalement contre
toute ingérence dans les affaires
syriennes.
A Yarmouk, 70% des habitants sont
syriens car les camps de réfugiés en
Syrie ne sont pas des ghettos comme dans
les autres pays. Il y a encore des
combats à Yarmouk mais la population
syrienne est partie. Le Comité exécutif
de l'OLP s'est rendu deux fois en Syrie
pour poser la question de la protection
des camps de réfugiés. Yarmouk a été
assiégé par Al Nusra avec l'aide du
Hamas qui a cherché à provoquer l'armée,
laquelle a reçu l'ordre de ne pas
réagir.
On en parle peu, mais quel rôle
joue la Jordanie dans la crise et la
guerre civile en Syrie ?
La monarchie jordanienne a toujours
collaboré avec l'impérialisme et il y a
une intense activité des Frères
musulmans. La Jordanie a accepté la
présence de militaires états-uniens sur
son territoire et la quatrième attaque
contre Damas est partie justement du
territoire jordanien.
Et quel jeu joue Israel en
Syrie ?
Israel soutient les rebelles armés, mais
quand ils n'arrivent pas à toucher leurs
objectifs, ce sont les avions de combat
israéliens qui prennent le relais. Cela
s'est passé à Damas mais aussi il y a
quelques jours à Latakia.
Comment sortir de la tragédie ?
On ne peut réaliser aucun progrès
social, ou la démocratie, si on est
soumis à des forces extérieures. Le mot
d'ordre est de défendre la souveraineté
nationale et les conditions de vie de
notre peuple. Comme je l'ai déclaré à
l'ANSA, le principal moyen de sortir du
massacre syrien passe d'abord par un
arrêt des aides à l'opposition armée de
la part des pays réactionnaires et
impérialistes. Une fois que les aides
extérieures seront arrêtées, on pourra
mettre un terme à toutes les opérations
militaires, y compris de la part du
gouvernement syrien. Et relancer un
processus démocratique avec des
élections législatives et des réformes
politiques, ce qui n'est évidemment pas
possible dans cette phase de la lutte
armée. L'avenir politique de la Syrie se
décidera par les élections, notamment
celles présidentielles de 2014.
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