Syrie
Infosyrie
& Alain Soral :
Ce que nous avons vu à Damas et Hama
Coucher de
soleil sur Damas et Alain Soral
Jeudi 25 août 2011
Comme promis,
voici le récit, sous forme d’entretien,
du séjour que notre collaborateur Guy
Delorme et Alain Soral, contempteur bien
connu du Nouvel ordre mondial et auteur
du best-seller géopolitique
»Comprendre l’Empire », ont effectué,
dimanche 21 août et lundi 22, avec
quelque 200 journalistes et
personnalités de 18 nations en Syrie, à
Damas d’abord puis à Hama, naguère point
très chaud de l’agitation. Pas de langue
de bois pro-Bachar, comme on le verra en
lisant ce récit, dans la bouche de ces
deux Français, mais pas non plus,
évidemment, de ces lieux-communs et
mensongers diffusés depuis plus de 5
mois, à présent, par les médias sous
influence – de leurs préjugés comme de
leurs gouvernements.
Certains nous
objecteront que deux journées et demie,
c’est court pour prendre la vraie mesure
d’une situation complexe. Nous répondons
que c’est assez pour que des esprits
aiguisés, dotés malgré leurs sympathies
politiques d’esprit critique et
connaissant leur « dossier » syrien, se
fassent une idée assez exacte de
l’atmosphère prévalant en Syrie, au
moins en ce qui concerne ces deux cités
essentielles que sont Damas et Hama. Et
l’on verra que l’atmosphère en question
est assez détendue, même à Hama, et donc
à mille lieues du tableau mélodramatique
et manichéen que dressent invariablement
les commentateurs d’Occident.
Bon voyage
« alter-journalistique » en Syrie
« opprimée » !
Première partie
Dimanche 21 août : Damas, à
des années-lumière de toute révolution
-Infosyrie : Pour commencer,
avez-vous eu des problèmes pour vous
rendre en Syrie, qu’il s’agisse de visas
ou d’éventuelles « pressions »
policières ?
-Alain Soral : Non, aucun problème !
Moi même je n’avais pas de visa au
moment de partir, il m’attendait sur
place, et ça n’a causé aucun problème.
-IS : Et dans l’avion, que
trouvait-on ? des Syriens de France
revenant au pays ? Des hommes d’affaires
? Des participants au voyage de presse ?
-AS : Là, il m’est difficile de
répondre avec précision, puisqu’on a
transité par Istanbul où descendent pas
mal de touristes français. Et dans
l’avion qui nous menait à Damas, on
comptait beaucoup de Turcs, apparemment
pas gênés par les tensions diplomatiques
entre les deux pays. Bref, les deux
avions étaient pleins, et notamment de
journalistes invités par les autorités
syriennes. Parmi lesquels, côté
français, une journaliste de
FR3 et son
équipe et le reporter du
Figaro Georges
Malbrunot dont vous avez déjà parlé sur
votre site, et dont on va d’ailleurs
reparler dans le cours de cet entretien.
Sinon, d’assez gros contingents de
journalistes russes, indiens, plus
quelques personnalités pro-syriennes
venue de différents pays.
-IS : Et lorsque vous arrivez
à Damas, vendredi soir, que se
passe-t-il ? Vous êtes pris en charge
par une sorte de « comité des fêtes »,
des représentants du gouvernement ?
-AS : Je dirai que l’arrivée à
l’aéroport de Damas est un peu décevante
pour notre ego, car il n’y a personne
pour nous accueillir ! On nous demande
notre passeport et on veut même nous
faire payer notre visa… Finalement,
après discussion, c’est gratuit, mais
tout montre que les responsables de
l’aéroport ne sont pas trop au courant
du caractère particulier de notre
visite. C’est à l’extérieur des
bâtiments que nous sommes enfin
réceptionnés par de jeunes garçons, dans
les 18 ans, semble-t-il membres d’un
mouvement de jeunesse, entre scoutisme
et politique. Et d’ailleurs assez peu
politisés et peu au fait des exigences,
même minimum, de la communication
politique. Tout ça témoignait
d’un aspect un peu « amateur » de cette
opération, qui, j’aurai l’occasion de le
repréciser, n’était d’ailleurs pas de la
responsabilité directe du gouvernement.
-IS : Etape suivante ?
-AS : On nous fait monter dans un
minibus qui nous conduit à l’hôtel Cham,
un palace d’Etat où nous sommes très
bien logés. C’est là qu’on nous remet
notre « emploi du temps » pour les
journées de dimanche et lundi. Je
précise que nous sommes arrivés dans la
nuit de samedi à dimanche, vers 3 heures
du matin, à l’hôtel : nous n’avons donc
pas pu prendre le pouls du « saturday
night » damascène… »
-IS : Et donc dimanche…
Alain Soral à la Grande Mosquée des
Omeyyades
-AS : Après le (gros) petit-déjeuner,
on nous emmène visiter la plus grande
église – grecque orthodoxe – du monde
arabe, baptisée « Marie-Mariam » : c’est
justement celle dont l’évêque, Mgr Louqa
al-Khoury, a expulsé sans ménagement
l’ambassadeur américain Robert Ford,
venu faire son agit-prop’ (voir
notre article « Le
Figaro : la révolte introuvable à Damas
!« , mis en ligne le 22 août).
C’est dans doute lui qui nous adresse
une allocution dont nous ne comprendrons
hélas que des bribes. Mais le sens de la
démonstration est claire : la Syrie est
une mosaïque, jusqu’à présent
harmonieuse, de communautés religieuses
dont l’Etat laïc et baasiste assure la
coexistence harmonieuse. C’est du reste,
au-delà des figures de rhétorique et de
propagande, la rigoureuse vérité. Alors
que les ennemis extérieurs du régime –
ce que j’appelle moi l’ »Empire »
mondialiste – aimeraient utiliser les
rivalités religieuses pour créer en
Syrie une situation à la libanaise ou à
l’irakienne.
Pour compléter la démonstration, on
est ensuite allé visiter la grande
mosquée des Omeyyades, un bel et
impressionnant ensemble qui abrite –
étonnant raccourci symbolique et
religieux – le tombeau de saint
Jean-Baptiste. Et on a jeté un coup d’oeil
au quartier juif qui vit sa vie sans
aucun problème. C’est du reste là qu’on
comprend vraiment la nuance qui doit
exister – et qu’on voudrait nous dénier
en France – entre les termes « juif » et
« sioniste ». Car juifs, musulmans et
chrétiens, de l’empire ottoman à la
Syrie sous mandat français et même dans
les premiers temps de l’indépendance,
ont cohabité sans heurts majeurs,
coopérant principalement dans la sphère
du commerce. La création d’Israël a
évidemment bouleversé cette donne, et du
reste provoqué un exode de la communauté
juive syrienne.
-IS : C’était donc
l’occasion, cette fois, de prendre la
température de Damas. Alors, voit-on
beaucoup de policiers, a-t-on le
sentiment d’un « état de siège » ?
-AS : Réponse : aucune différence
avec ma première visite, voici cinq ans,
quand tout était calme ; il n’y
a aucune présence militaire ou même
policière visible à Damas et dans ses
environs.
-Guy Delorme : A ce propos, je
voudrais dire que j’étais quant à moi
entré en Syrie en juin dernier, par le
Liban. Je m’étais dit que, compte tenu
des événements en cours, et aussi de ma
nationalité française, le franchissement
de la frontière allait être un véritable
cauchemar d’attente et de formalités. Eh
bien ça ne m’a pris que dix minutes, et
sur la route de Damas, je n’ai pas vu un
seul militaire, alors qu’on était en
plein mouvement de contestation et que
nos médias nous décrivaient la Syrie
comme un Etat policier tirant à vue sur
tout ce qui bouge ! J’avais beau être
conscient de l’ampleur de la
désinformation, j’étais quand même
surpris.
-AS : Et pour en revenir à Damas et à
notre week-end prolongé, on ne voit dans
la capitale syrienne aucun bombage
politique, de tags sur les murs. Tout ça
donne une impression de calme civil
général, une atmosphère urbaine au moins
aussi respirable que celle de Paris.
-IS : Et pendant ces
déplacements, et ces déjeuners copieux
et orientaux dont on vous régalait,
avez-vous des contacts avec les quelques
journalistes français ayant fait le
déplacement ?
-AS : En fait, et dût ma modestie en
souffrir, c’est eux qui ont cherché le
contact avec moi, m’ayant reconnu tout
de suite ; la fille de
FR3 était très
sympathique et sans idées préconçues sur
la Syrie, et sensible à nos arguments ;
en revanche l’homme du
Figaro, Georges
Malbrunot, faisait autant qu’il le
pouvait du mauvais esprit, affichant en
permanence le sourire supérieur de
celui-à-qui-on-ne-la-fait-pas, et
assiégeait en quelque sorte sa collègue
pour lui « vendre » sa version, très
dévorable à Bachar al-Assad comme on
s’en doute.
-IS : Moyennant quoi, le
reportage qu’elle a réalisé pour FR3
était assez fielleux, même s’il montrait
– enfin – les vidéos des hommes armés et
des cadavres jetés dans l’Oronte à Hama,
quitte à recourir à un conditionnel
décrédibilisant…
-AS : Je voudrais dire aussi que les
élites bourgeoises, et la classe moyenne
du pays, ainsi que la part adulte des
milieux modestes sont très conscientes
du danger qu’il y aurait à chasser
Bachar du pouvoir, car ce serait ouvrir
– inévitablement – la porte à
l’extrémisme religieux, et donc mette
fin à ce qu’il faut bien appeler, dans
cette région travaillées par les
tensions religieuses, le « miracle
syrien ».
-IS : Alors d’où viennent les
« gros bataillons » de l’opposition, des
banlieues défavorisées, comme en France
?
Alain Soral dans l'église Marie-Mariam
-AS : Pas uniquement : il y a la
jeunesse plus ou moins dorée et
occidentalisée, les bobos locaux qui,
comme d’ailleurs à Téhéran naguère,
rêvent d’une société plus « ouverte » ou
« cool ». Du coup ils développent une
action de contestation qui fait pas mal
penser à nos étudiants soixanthuitards,
eux aussi issus de milieux privilégiés,
qui jugeaient la société du général De
Gaulle démodée et étouffante, et ont
fini par mettre au pouvoir des élites
complètement américanisées. Et,
parallèlement, je serais très tenté de
trouver une correspondance historique
entre la France de De Gaulle,
provinciale mais indépendante et fière,
et la Syrie de Bachar, elle aussi
nationaliste et modernisatrice, mais
marquée par une certaine rigidité
sociale et culturelle héritée du modèle
soviétique, certainement un rien
étouffante pour une jeunesse branchée addict de
Facebook. Mais comme on le voit
en France avec le recul de quarante ans,
cette société « gaulliste » était encore
un moindre mal par rapport à tout ce qui
a suivi. Et je pense que la même chose
arriverait aux Syriens, si on leur
imposait un régime aligné sur
l’Occident. Beaucoup des contestataires
d’aujourd’hui regretteraient, j’en suis
sûr, Bachar, comme un certain nombre
d’intellos français ex-gauchistes
clament à présent leur nostalgie de la
grandeur et de l’intégrité gaulliennes.
-IS : Sans doute, mais il
doit y avoir aussi dans la rue des
jeunes chômeurs, ou des « sauvageons »
locaux, sans grandes perspectives
immédiates, prêts à l’émeute par ennui
ou désespoir ?
-AS : Certainement, et ils
constituent un « lumpen-prolétariat »
exploitable par tous les experts en
manipulations et provocations. Mais la
grande différence avec ce qui a pu
exister en France, c’est qu’il y a
vraiment à l’oeuvre en Syrie des groupes
actifs de « snipers », d’assassins, à
l’évidence financés et armés de
l’extérieur, disposant par exemple de
téléphones satellitaires de haut niveau
et d’armes de guerre modernes,
s’appuyant sur une base sociale
islamiste radicale indéniable, et donc
capable de commettre des provocations
très graves, causant la mort de nombreux
policiers comme à Jisr al-Choughour et,
plus récemment, à Hama, on y viendra
bientôt.
-IS : Le dimanche soir à
Damas, on imagine que vous avez
« quartier libre ». Qu’en faites-vous ?
-AS : Eh bien, contrairement à nos
collègues de la grande presse, on a fait
un vrai travail de journalistes,
c’est-à-dire qu’on a quitté le groupe et
la visite organisée. On s’est promené,
pour voir par nous-même, on a discuté,
autant qu’il était possible et en
anglais, avec le plus de gens possible…
-IS : On parle encore
français, en Syrie ?
-GD : Malheureusement, de moins en
moins, surtout les personnes âgées. On a
notamment échangé des impressions avec
un chauffeur de taxi qui nous disait
qu’il n’avait pas vu de touristes
occidentaux à Damas depuis plus de trois
mois. Et c’est un grand problème pour un
pays qui tirait 14% de son P.I.B. de
l’activité de ce secteur. Les Américains
et leurs seconds européens ont au moins
réussi ça !
Dames Damascènes dans le quartier
Chaalane
-IS : Est-il indiscret de
vous demander des détails sur votre
dimanche soir ?
-GD : Non, bien sûr. On est allé
prendre un verre dans une sorte de bar
branché. Car il y a une vie nocturne « à
l’occidentale » à Damas, la société est
laïque et assez moderne, et même en
période de ramadan, on peut s’amuser et
boire de l’alcool. Et puis, c’est une
constante surprenante compte tenu de
tout ce qu’on nous raconte, aucune
présence policière : le Paris de Sarkozy
est à l’évidence plus « fliqué » que le
Damas de Bachar al-Assad.
-AS : Et puis, il a bien fallu
rentrer nous coucher dans notre palace.
Dans la perspective de notre « sortie
éducative » à Hama le lendemain…
Propos recueillis
par Louis Denghien.
Prochain épisode :
Lundi 22 août : dans Hama après l’orage
Publié le 28 août
2011 avec l'aimable autorisation d'Info
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