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Dossier
Les voix dissidentes en Israël


Les voix silencieuses
Jonathan Cook



Ce samedi, un convoi d'activistes de la paix israéliens et palestiniens va s'aventurer dans une oliveraie d'Anin, un village palestinien au nord de la Cisjordanie près de la frontière avec Israël d'avant 1967. Ils y vont pour aider les fermiers d'Anin à se préparer pour les récoltes d'automne et espèrent qu'avec leur citoyenneté israélienne ils réussiront à braver les restrictions militaires et à atteindre les plus de 1.000 hectares de champs qui sont devenus hors limites pour les villageois depuis qu'Israël a érigé le Mur de l'Apartheid.

Ce voyage n'est pas sans risque: deux semaines auparavant, des soldats et la police israélienne ont tiré sur des manifestants internationaux qui s'étaient joints aux villageois pour protester contre le Mur. Cinq activistes étrangers ont été blessés, dont un Américain qui a eu la cuisse transpercée.

Mais le fait de se confronter avec (et de mettre en rage) les autorités est un des buts de Ta'ayush («Partenariat» en arabe). Créé quelques semaines après le début de l'Intifada Al-Aqsa en septembre 2000, ce groupe est l'un des plus récents et des plus vigoureux du camp israélien de paix.

Depuis trois ans, ce groupe collectif juif et arabe s'est engagé dans des actions directes afin d'amener de l'aide humanitaire et de montrer une solidarité envers les Palestiniens. Il a été au centre de beaucoup d'affrontements avec les autorités militaires israéliennes, affrontements qui ont fait les premières pages des journaux.

Ses activistes étaient en première ligne en organisant de l'aide pour les récoltes d'olives face à l'intimidation des colons l'automne dernier. Ils ont protégé le petit village de Yanoun près de Naplouse, contre les colons, ses voisins violents. Ils se sont aussi battus afin d'empêcher le nettoyage ethnique d'En Nu'man, un village de Cisjordanie dont la propriété a été volée par Israël de manière kafkaïenne, en annexant ses maisons et ses terres - mais pas ses habitants - à la municipalité de Jérusalem.

Mais alors que Ta'ayush représente le mouvement israélien de la paix le plus agressif, il dévoile aussi sa faiblesse principale: il n'y a sans doute pas plus de 1.000 activistes dans ce groupe. Samedi, ses dirigeants seront contents s'ils réussissent à rassembler 150 personnes pour aider les fermiers d'Anin - et la plupart viendront sans doute de la minorité arabe du pays et pas de la population juive. Le mouvement de la paix en Israël, disent les critiques, s'est en fait «évaporé» depuis l'échec des pourparlers de Camp David en 2000. Sa plus grande manifestation à Tel Aviv n'a réussi à réunir que quelques milliers de manifestants.

Même maintenant, alors qu'Israël bouge avec réticence à l'ombre de la feuille de route, la voix du courant principal du camp de la paix est pratiquement inaudible. Quand la gauche pouvait faire pression sur le Premier Ministre israélien, Ariel Sharon, pour qu'il s'engage plus avant dans le seul processus de paix disponible, ou qu'elle démontre tous les points faibles de la feuille de route, elle est restée, de façon perverse, silencieuse. La question qui déconcerte les dirigeants des petits mouvements radicaux de la paix en Israël est: pourquoi? Neve Gordon, maître de conférences à l'Université de Beer Sheva dans le Néguev et membre principal de Ta'ayush, fait remarquer que les sondages d'opinion montrent régulièrement qu'une grande majorité de la population israélienne - et même les colons - est résignée à quitter les Territoires. «Mais arriver à faire participer les gens, à les faire sortir dans la rue pour appuyer cela, c'est une autre affaire», dit-il.

On est loin des jours impétueux du début des années 80, peu après la création du bloc de la paix israélien le plus important, Peace Now (La Paix Maintenant). Il avait organisé d'énormes manifestations à Tel Aviv et à Jérusalem pour protester contre l'invasion israélienne du Liban. En 1982, Peace Now avait rallié plus de 400.000 manifestants qui protestaient contre le rôle joué par Israël dans le massacre des Palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila au Liban, forçant le gouvernement à nommer la commission d'enquête Kahan. Sharon, qui était à ce moment-là Ministre de la Défense, a été reconnu partiellement coupable du massacre de centaines de Palestiniens.

Mais Jeff Halper, dirigeant du Comité Israélien contre les Démolitions de Maisons (ICAHD: Israel Committee Against House Demolition) parle à contrecœur de l'âge d'or du mouvement de la paix. «Peace Now a eu énormément de succès au début des années 80, mais son message était très limité. Il parlait très peu de l'expérience des Palestiniens sous l'occupation et il s'est pratiquement «endormi» pendant Oslo, comme si tous les problèmes avaient été résolus.»

Néanmoins, la première Intifada a été responsable de la naissance de la campagne la plus visible de Peace Now, «Surveillance des Colonies», en 1988, qui contrait la désinformation du gouvernement en dénichant les colonies et en établissant des cartes montrant leur expansion. L'Intifada a aussi été à l'origine d'organisations de droits humains et d'aide juridique de très haut niveau qui travaillent pour empêcher les abus sur la population palestinienne: PCATI (Le Comité Public contre la Torture en Israël), B'Tselem, et les Rabbis for Human Rights (Rabbins pour les Droits Humains).

Mais les mouvements de paix radicaux, dit Halper, ont vraiment fleuri après Oslo et en particulier suite à l'élection de Benyamin Netanyahou en 1996. «L'idée de la solution de deux États avait déjà commencé à prendre racine, et la gauche a eu peur que Netanyahou essaye de miner la voie vers la paix», dit Halper. «Des groupes ont commencé à se confronter plus directement avec les autorités.»

Halper a aidé à fonder l'ICAHD, qui essaye d'arrêter les démolitions de maisons. Gush Shalom, fondé en 1993 en tant que groupe de pression politique, a développé une approche plus de «transmission» fin 90, et une série d'organisations radicales de femmes sont apparues comme Bat Shalom et la The Fifth Mother (voir Coalition of Women for Peace).

Pendant la présente Intifada, d'autres groupes d'activistes encore plus provocateurs sont apparus comme Ta'ayush, les femmes de Machsom Watch qui surveillent les abus des soldats aux check-point, et les branches israéliennes d'Indymedia (sites web) qui compensent le silence général des médias israéliens sur la nature de l'occupation. «Ces groupes ont réussi à faire entrer les Israéliens dans les Territoires occupés pour voir ce qui s'y passait réellement et quelle y était la vie des Palestiniens», dit Halper.

Des groupes parallèles ont aussi commencé à se concentrer sur les défauts internes de la société israélienne. Des organisations comme Sikkuy, Givat Haviva et Alternative Voice in the Galilee (Voix alternatives en Galilée), inquiètes par la courte Intifada de la population arabe en Israël en octobre 2000, ont soulevé les problèmes sérieux de la discrimination envers la minorité arabe.

Cependant, d'autres groupes ont commencé à examiner des points encore plus litigieux, et cherché à comprendre l'âme même de l'État juif. New Family a critiqué les notions de famille israéliennes, et New Profile a commencé une campagne pour la démilitarisation de la société.

Mais malgré toute cette activité, beaucoup de vétérans de la campagne pour la paix se plaignent qu'ils sont gênés par les attitudes changeantes de la population israélienne, à cause du manque d'intérêt des médias surtout en ce qui concerne la présente Intifada.

Khuloud Bedawi, une dirigeante arabe étudiante et membre de Ta'ayush, rejette en particulier cette analyse. «Peace Now se plaint d'un manque de publicité tout en maintenant qu'ils ne doivent pas se mettre à dos la société israélienne par des confrontations directes avec les autorités», dit-elle.

«Mais regardez Ta'ayush, qui a une la plus grande couverture de presse, même si ce n'est pas souvent positif. La campagne de Ta'ayush à Yanoun a fait connaître le sort du village à la nation et a choqué l'opinion publique. Vous devez façonner l'opinion publique et non la suivre.»

Paradoxalement, dit l'un des principaux avocats juifs des droits humains qui souhaite rester anonyme, le mouvement de la paix aujourd'hui est victime de son propre succès limité. Le message au cœur du camp de la paix, à savoir que l'occupation fait du tort à Israël et que de toutes façons, beaucoup de colonies devront être éventuellement démantelées, est passé lentement dans le courant principal de la société israélienne», dit-elle.

«Depuis l'échec de Camp David, et la campagne réussie pour calomnier la direction palestinienne, le choix des Israéliens semble beaucoup plus extrême, beaucoup plus existentiel. Les Israéliens pensent que nous devons nous concentrer et nous battre pour la survie de notre État.»

Elle suggère que la fragilité du camp de la paix peut s'expliquer par les désaccords fondamentaux de la gauche politique au sujet du sionisme. L'échec vient de l'incapacité à développer une stratégie cohérente pour façonner une opinion publique plus large ou qui soit attrayante pour le public palestinien. Elle pense qu'il y a trois attitudes de base des camps de la paix pour en finir avec l'occupation, et chacune est formée par son propre regard sur le sionisme. Elle les met dans trois catégories: la gauche sioniste traditionnelle, la gauche sioniste morale et la gauche antisioniste.

«Les premiers sont ceux qui disent «les Palestiniens et les Israéliens devraient vivre séparément parce que cela protège mieux les Israéliens. Ils veulent une séparation unilatérale et ne se préoccupent pas trop de savoir si les conditions sont bonnes ou non pour les Palestiniens. Secrètement, beaucoup aimeraient qu'il y ait une cassure franche avec les citoyens arabes du pays et qu'on les encourage à quitter leurs maisons en Israël et qu'ils déménagent dans l'État palestinien», explique-t-elle.

«Puis, il y a ceux qui pensent de manière intransigeante qu'une paix sûre ne peut être obtenue qu'en donnant un État viable aux Palestiniens à côté de l'État d'Israël, en les aidant à développer leurs propres institutions démocratiques et en intégrant la minorité arabe dans la société israélienne en tant que citoyens à part entière.»

Finalement, dit-elle, il y a un tout petit élément radical antisioniste qui accepte ce que les deux autres ne peuvent pas: que le futur dépend d'un État binational comprenant des droits égaux pour les deux peuples. «Seul ce groupe ne s'inquiète pas du droit au retour des réfugiés palestiniens, du moins pas sur le principe.»

Ces trois catégories se reflètent clairement dans la dissension entre les mouvements de la paix. Le camp radical et isolé comprend quelques membres de la Coalition of Women for Peace (Coalition de Femmes pour la Paix), Ta'ayush et ICAHD, et le parti politique extraparlementaire arabe, Ibn Al-Balad, qui comprend une poignée de membres juifs.

Au milieu, peut-être quelques milliers, se trouvent les groupes plus établis et plus anciens comme celui d'Uri Avnery, Gush Shalom, et Yesh Gvul, le mouvement vétéran qui refuse de servir dans les Territoires, ainsi que beaucoup de nouveaux «refuzniks» qui ont fait la une au début de 2002 avec leur pétition contre le service militaire. Dernièrement par exemple, Avnery a essayé presque seul de «ressusciter» la réputation de Yasser Arafat, croyant que seul le président palestinien peut amener son peuple vers une solution acceptable de deux États.

Et, dans la première catégorie, Peace Now, la gauche sioniste traditionnelle qui est le plus grand et le plus influent bloc de la paix, représente potentiellement des dizaines sinon des centaines de milliers d'Israéliens. Et ça, disent les activistes les plus radicaux, c'est exactement le problème pour le mouvement de la paix.

«La prudence des dirigeants de Peace Now, leur peur de s'aliéner la pensée majoritaire, a tué le mouvement de la paix», dit Neve Gordon. Il blâme directement Peace Now pour le déclin du camp de la paix pendant cette dernière Intifada. «Beaucoup de jeunes de Peace Now, y compris beaucoup de refuzniks, avaient un but beaucoup plus radical que celui de la vieille garde et auraient pu capter l'imagination du public, mais on les a fait taire.»

En fait, au début de l'Intifada, une bataille amère s'est engagée parmi les dirigeants de Peace Now, pour savoir s'il fallait ou non soutenir les refuzniks. Mais finalement, la «vieille garde», représentée par les vaillants partis Travailliste sioniste et Meretz - ont eu le dernier mot.

Gordon soutient que Peace Now n'a pas réussi à évoluer et à devenir un mouvement efficace de la paix pendant l'Intifada en cours et ce pour plusieurs raisons. D'abord, dit-il, le bloc a été dirigé par des figures des partis Travailliste et Meretz, comme Yossi Sarid et Tzali Reshef, qui avaient des intérêts politiques personnels à Oslo. Suite à l'échec du processus, ils se sont sentis obligés de se joindre au premier ministre Ehoud Barak en blâmant les Palestiniens pour la crise, au lieu d'adopter une position plus critique. Ils ont mis dans une impasse les jeunes leaders potentiels qui auraient pu revigorer le camp de la paix.

Deuxièmement, l'esprit sioniste fort parmi les dirigeants de Peace Now signifie que le mouvement a des difficultés pour accepter dans ses rangs des membres arabes venant de la minorité (qui représente un million de personnes). Le premier membre arabe a pu entrer au bureau en 2001. L'exclusion d'un cinquième de la population a affaibli le mouvement et a faussé sa vision de ce qui pourrait être la paix.

Troisièmement, Peace Now a refusé de protester contre la culture de la peur encouragée par le gouvernement et les médias à travers les images de recyclage sans fin d'attaques suicides. Cela a un effet nocif psychologique sur la population, déforme sa perception de la réalité et la rend sourde aux messages de paix, dit Gordon.

Et quatrièmement, Peace Now a échoué à faire la connexion entre l'occupation et les problèmes économiques internes d'Israël. «Pourquoi ne fait-il pas ressortir que les énormes coupes dans le budget infligées aux plus pauvres en ce moment sont directement liées aux grandes sommes d'argent qui sont versées aux colonies, dans les routes de contournement et maintenant dans le Mur?», dit Gordon.

Il craint que le cynisme grandissant des Israéliens par rapport à leurs dirigeants politiques - poussé par les scandales dus à la corruption montante qui atteint Sharon lui-même - a laissé les Israéliens ordinaires sans illusions et résignés avec le sentiment de leur propre impuissance.

Halper, d'un autre côté, pense qu'il est prématuré de faire son deuil du camp de la paix. «D'une certaine façon, le mouvement de la paix est plus fort qu'il ne l'a jamais été en Israël. On entend plus de voix dissidentes, et plus d'Israéliens voient par eux-mêmes ce qu'est en pratique l'occupation. Les chiffres sont peut être faibles, mais c'est un début.»

Un développement inattendu est la déclaration d'anciens activistes de la paix qui expriment l'idée que la solution de deux États - le saint graal de la gauche - pourrait être une chimère. Halper fait référence à un article dans le journal Ha'aretz de la semaine dernière, dans lequel deux protagonistes de longue date de «deux États pour deux peuples», l'ancien maire de Jérusalem, Meron Benvenisti, et un ancien leader de Gush Shalom, Haïm Hanegbi, ont admis avoir des doutes.

«Le Mur est la grande solution désespérante de la société juive sioniste», dit Hanegbi. «C'est le dernier acte désespéré de ceux qui ne peuvent pas se confronter au problème palestinien. C'est l'acte de ceux qui sont obligés de pousser le problème palestinien hors de leurs vies et hors de leur conscience. Je dis le contraire face à cela.»

Halper fait remarquer que Benvenisti et Hanegbi ont seulement admis leur conversion à un État binational pour les Palestiniens et les Israéliens ces derniers mois. «Je crois que beaucoup d'entre nous dans le camp de la paix sont en train de passer par une phase de transition en ce moment, et rejettent le vieux dogmes»,dit-il. «Nous voyons ce qui se passe dans les Territoires occupés et la plupart d'entre nous arrivent à la conclusion qu'un État palestinien n'est plus possible.»

Savoir si un tel verdict va galvaniser à nouveau le mouvement de la paix en Israël ou au contraire l'affaiblir, et savoir s'il réussira à trouver une audience dans la population palestinienne qui est toujours engagée dans l'idée de deux États, cela reste à voir.

Traduit de l'anglais par Ana Cleja

Liens :

B'Tselem : http://www.btselem.org
Coalition of Women for Peace : http://coalitionofwomen4peace.org
Givat Haviva : http://dialogate.org.il/peace/about.asp
Gush Shalom : http://www.gush-shalom.org/english/index.php3
ICAHD : http://www.icahd.org/eng/
Machsom Watch : http://www.ambosite.com/mWatch/eng/aboutUsEng.asp?link=aboutUsEng&lang=eng
New Profile : http://www.newprofile.org
PCATI : http://www.geocities.com/STOP_TORTURE/index.php3
Peace Now : http://www.peacenow.org.il/English.asp
Rabbis for Human Rights : http://www.rhr.israel.net/overview.shtml
Sikkuy : http://www.sikkuy.org.il/profile.htm
Ta'ayush : http://taayush.tripod.com/new/index.php3
Yesh Gvul :
http://www.yesh-gvul.org

Reproduction interdite © Solidarité-Palestine


 Source : Al-Ahram Weekly
14-20 août 2003 - N° 651
 http://weekly.ahram.org.eg/2003/651/re4.htm


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