Sarah Lahyani est israélienne, Rawda Odeh
palestinienne. Ces deux femmes, qui ne se connaissaient pas il y a
quelques mois, sont arrivées ensemble à Paris mardi, invitées
par cinq ONG françaises [1]
qui ont décidé de soutenir le combat qu’elles ont jusqumené,
chacune de son côté, et qu’elles vont continuer en commun. Un
combat de mères et de citoyennes : ces deux femmes sont les
mères de prisonniers politiques tenus au secret depuis de longs
mois dans les prisons israéliennes.
La fille de Sarah, Tahi Fahima, est en prison
depuis août 2004 et accusée de « haute trahison et
intelligence avec l’ennemi » pour avoir osé, seule, aller
voir ce qui se passait à Jénine après la destruction d’une
partie de la ville par l’armée israélienne en avril 2003 et
s’être liée d’amitié avec des Palestiniens, et notamment
avec un des chefs des Brigades des martyrs d’Al Aqsa, Zaccharia
Zoudeibi, considéré comme « terroriste » par Israël.
Deux des fils de Rawda Odeh, Loai (vingt-huit ans)
et Ubaï (dix-neuf ans), sont en prison depuis deux ans. Le
premier a été condamné à vingt-huit ans de prison pour avoir
participé à l’organisation d’un attentat à Jérusalem, le
plus jeune à quatre ans dsans charge précise.
Au cours de leur périple d’une semaine, ces
deux mères seront reçues par le Parlement français et le
Parlement européen et s’adresseront au public dans plusieurs
villes de France [2].
Elles ont accepté, à la veille de leur voyage, de répondre aux
questions de l’Humanité.
Entretiens
Rawda Odeh :
Aucun accord de paix durable ne peut se faire sans
la libération des prisonniers politiques.
VF : Deux de vos fils sont en
prison en Israël, de quoi sont-ils accusés ?
Rawda Odeh :
Le plus jeune est accusé d’avoir voulu préparer
une attaque et a été condamné une première fois à deux ans et
deux mois puis à quatre ans lors d’un autre jugement final. Mon
autre fils, plus âgé, est accusé d’avoir commandité un
attentat suicide. Il a été condamné à vingt-huit ans
d’incarcération. Je n’ai pas eu le droit de leur rendre
visite depuis trois mois et n’ai de leurs nouvelles que par
l’intermédiaire des avocats et de la Croix-Rouge. Les
associations de la gauche israélienne font aussi tout ce
qu’elles peuvent pour nos prisonniers. En tant que mère, la
seule chose que je souhaite, c’est voir mes fils vivre de manière
normale dans la dignité et la sérénité, ce qui est rendu
impossible par l’occupation qui marque la vie de mes enfants
depuis leur plus jeune âge comme elle a marqué la mienne et
celle de mon mari.
Moi-même, en tant que membre du Parti populaire
palestinien, j’ai été en prison plusieurs fois par le passé
notamment de 1969 à 1973. On ne doit pas collaborer avec une
occupation mais résister, c’est un droit et pour moi un devoir.
VF : La lutte diplomatique et
politique n’est-elle pas préférable ?
Rawda Odeh :
Elle est bien évidemment primordiale pour aboutir
à un accord de paix juste et durable. Malheureusement nous vivons
dans un monde où la loi du plus fort s’impose. Celui qui veut réclamer
ses droits doit pouvoir protéger ses objectifs et se faire
entendre. Aucune personne sensée ne jette les armes avant que
l’heure ne soit venue.
VF : Qu’attendez-vous de ce
voyage qui vous amènera à vous exprimer devant les Parlements
français puis belge ?
Rawda Odeh :
Je vais mettre toute mon énergie à convaincre
les élus de l’importance de faire pression sur Israël pour que
nos prisonniers soient relâchés.
Car aucune négociation ou accord de paix durable
ne peut se faire sans la libération des prisonniers politiques.
Je récuse le terme de « terroristes »
dont Israël les qualifie. Où est-il écrit qu’il faut
embrasser son agresseur ? C’est naturel de le combattre et
c’est ce qu’ils ont fait d’une manière ou d’une autre. Et
nous, Palestiniens de la partie occupée de Jérusalem, faisons
partie de ce combat national, avec le reste de notre peuple.
VF : Dans votre périple,
vous êtes accompagnée d’une Israélienne, est-ce important
pour vous ?
Rawda Odeh :
On ne se connaît pas encore très bien, mais
c’est dans ce genre de rencontre que réside pour moi un espoir.
Si cette femme, qui était de la droite israélienne, qui ne se
posait jamais de question, a changé son regard sur nous,
Palestiniens, grâce à son expérience personnelle, alors cela
m’aide à garder mon énergie pour continuer cette lutte et voir
un jour notre État indépendant avec Jérusalem-Est pour capitale
établi aux côtés d’Israël.
Entretien réalisé par Valérie Féron
Article paru dans l’édition du 2 novembre 2005
Sarah Lahyani :
Ma fille n’a qu’un tort : avoir voulu
comprendre les Palestiniens.
FG-R : Où en est le procès
de votre fille ?
Sarah Lahyani :
Il continue à Tel-Aviv et on n’a aucune idée
du temps que cela va durer. Cela me semble interminable,
d’autant plus que c’est un procès à huis clos. Je ne peux
pas y assister, on ne me laisse pas entrer au tribunal. Ni ma
soeur ni personne de la famille. Seuls sont admis les avocats et
les témoins.
Et jusqu’à maintenant, tous les témoins qui
ont été appelés ont parlé contre elle. C’étaient les
membres des services secrets, le Shin Bet, les militaires. Ceux
qui l’accusent d’avoir conspiré contre Israël alors
qu’elle n’a rien fait de cela.
Elle est seulement devenue amie avec des
Palestiniens de Jénine et a voulu faire quelque chose pour les
enfants du camp qui ont tout perdu, comme l’avait fait Arna [3]
avant elle.
F G-R : Pourquoi avez-vous décidé
d’aller en France et à Bruxelles ?
Sarah Lahyani :
Pour continuer à me battre pour ma fille. Parce
que je suis une mère et que je ferai tout ce qui est en mon
pouvoir pour la sauver.
Il faut que tout le monde sache que les
accusations qui sont proférées contre elle sont fausses, mensongères.
Ma fille n’a rien fait de mal. Au contraire. En essayant de
comprendre les Palestiniens, de mieux les connaître, elle n’a
fait que se comporter de façon humanitaire. C’est pour cela que
la Ligue des droits humains nous a invitées à faire ce voyage en
Europe.
F G-R : Vous partez en effet
avec une Palestinienne. La connaissiez-vous déjà ?
Sarah Lahyani :
Non, et je ne l’ai rencontrée qu’une fois
avant ce voyage. Mais c’est une mère comme moi, une « femme
courage » qui se bat pour ses enfants comme je le fais moi-même.
Elle a deux fils en prison qui sont, comme ma fille, les victimes
de cette situation. Pour moi, c’est cela l’important.
J’espère que ce voyage va permettre de réveiller
un peu l’opinion publique en Israël et de faire en sorte que
l’on parle davantage du sort de Tali, qui est terrible. Elle est
à l’isolement complet depuis plus de dix jours et n’a même
plus le droit de téléphoner. La raison officielle est qu’elle
aurait, un jour, refusé de se lever à 5 heures du matin. En
fait, ils veulent essayer de la démoraliser. Et le pire, c’est
qu’en Israël les journaux n’en parlent même pas ! Rien
n’est pire que ce silence. J’espère que ce voyage permettra
de le briser.
Entretien réalisé par F.
Germain-Robin