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CIRPES
Démocide à Gaza
Alain Joxe
Alain Joxe
Lundi 16 février 2009 Bilan
stratégique :
La destruction de Gaza ne pouvait être qu’un
succès vu l’asymétrie totale des forces mais ce n’est pas plus
une victoire que la guerre du Liban. Par son excès, va-t-elle
conduire à un retour au droit ? On essaye, avant toute
prévision, de répondre à deux questions distinctes : I. comment
désigner le but stratégique de l’expédition punitive
disproportionnée d’Israël contre Gaza et définir ainsi le crime
de guerre éventuel . Quelle est la source politique et militaire
profonde de l’extrémisme israélien, qui s’isole actuellement du
consensus mondial
I. Y a t il crime de
guerre ? le démocide.
L’ONU mais aussi un collectif d’avocats
palestiniens, se proposent de déposer plainte pour crime de
guerre auprès de la Cour Pénale Internationale (International
Criminal Court) contre le commandement militaire israélien sur
un certain nombre de faits avérés, dont il reste à prouver
qu’ils sont liés à la stratégie du gouvernement, à la mission
confiée à chacune des trois armes, à la doctrine d’emploi des
forces au contact de l’ennemi et aux instructions tactiques
occasionnelles du commandement au cours de l’opération. Seule
une analyse stratégique et tactique complète, qui admettra la
traçabilité clausewitzienne des critères politique jusqu’à sa
transcription en critères militaires opérationnels, permettra la
mise en forme de cette procédure. Le dossier est assez bien
rempli au départ, car le double discours tenu par le
gouvernement pendant la phase de préparation affichait, avec une
certaine complaisance électorale, à la fois des objectifs
militaires limités (mettre fin au tir des fusées Qassam sur les
bourgades israéliennes proches) et des objectifs bien plus
généraux, supposant l’existence d’un plan de destruction
soigneusement mis au point, cette fois, pour restaurer
stratégiquement l’image militaire de Tsahal et effacer l’échec
de la guerre du Liban contre le Hezbollah. Le bombardement puis
l’invasion ont touché inévitablement la population civile qui ne
pouvait jamais fuir bien loin pour chercher abri, les zones
d’impact ayant été réparties sur toutes les zones habitées de la
bande de Gaza et le feu continu, jour et nuit, les obligeant à
rester chez soi. Les « bavures » massives étaient donc
inévitables ce qui pose la question de la finalité de
l’opération L ‘abandon de l’objectif affiché « fin des tirs de
Qassam » lors de l’accord de « trêve unilatérale » négocié en
Égypte, montre que l’objectif militaire réel était la
destruction sociétale globale. Dans quel but ? 1. Militairement
parlant, le rapport des forces était à ce point asymétrique
qu’on peut dire qu’il s’est agi d’un bombardement à distance,
comme à l’exercice et nullement d’un combat. Rien de sérieux
n’est venu troubler l’exercice, car (on l’a compris lors de
l’assaut final) le Hamas, sans armes antitanks modernes, est
pratiquement désarmé (contrairement au Hezbollah au Liban sud ou
aux milices sunnites de Falloudja en Iraq). Dans la phase n°1 il
n’y avait pas de « foyers de résistance » car pas de contact
direct ; dans la phase n°2, tout avait été déjà détruit y
compris les zones refuges de l’ONU (hôpitaux école) et les
combats sporadiques se déroulaient en pleine zones habitées,
dont la population n’avait jamais pu être évacuée. En installant
des postes de tir dans des appartements privés, ce sont les
Israéliens qui prenaient en otage la population civile et non
l’inverse. Le recueil de témoignages sur les détails
opérationnels montrent qu’ il s’agit de tactiques précises
planifiées qui n’ont pas été créées par la dialectique du
combat, mais par des consignes fixées pour une progression sans
risques
Malgré l’interdiction faite aux journalistes de
couvrir l’opération à Gaza même, les témoignages permettent
d’élucider rapidement, par la description des effets de
destruction, quels sont les critères de feu et les modes
tactiques de déploiement qui ont régulé l’action de l’armée
israélienne - qui est loin d’être une bande indisciplinée de
guerriers déchaînés. ce déchiffrage versé au dossier influencera
sans doute une définition des responsabilités qui remontera
jusqu’au commandement. 2. Politiquement, l’opération était bien
orientée vers la destructions (sociale et économique) du pouvoir
du Hamas mais aussi par des bavures symboliques il y a eu mise
en cause les prérogatives de l’ONU qui doit protection aux
réfugiés dans la zone, depuis 1948. La destruction programmée
visait tous les édifices localisables du pouvoir politique
social et religieux du Hamas mais aussi de l’Autorité
palestinienne (ministères, services techniques, commissariats,
mosquées) La cible Hamas recouvre un parti politique
majoritaire, une organisation sociale et caritative, et un
pouvoir d’état coordinateur au niveau de tous les services
publics et des ONG de la zone assiégée depuis plus d’un an. b)
Des opérations destructives spécifiques ont visé les industries,
la production d’électricité, l’eau, et des zones agricoles
entières ravagées c) Les destructions d’hôpitaux et d’écoles
créées par l’ONU et servant de refuges sont des opérations
explicites de « non-reconnaissance » de l’ONU, une expulsion
symbolique du droit international onusien de l’enclave. Ce
triple plan de destructions n’est nullement centré sur les
stocks de fusées Qassam ou leurs postes de tirs elle cherche à
détruire la fonction politique de protection de la société
civile elle même : l’économie de base, la société politique, la
politique sociale, d’une population déjà très affaiblie par le
siège. En conclusion, si on ne peut pas définir l’opération
comme un génocide c’est surtout parce qu’elle s’attaqua à un
peuple politiquement organisé plutôt qu’à un groupe ethnique.
Comme de plus la circonscription électorale de Gaza avait voté à
la majorité absolue pour le Hamas, l’opération visait à punir le
peuple pour son vote. Si cet objectif stratégique mérite un nom
on pourrait l’appeler démocide : tentative de destruction d’un
peuple et d’une démocratie. Le sort particulier de Gaza y
compris l’encerclement et le blocus n’est pas essentiellement
différent de celui de toute la Cisjordanie. Le démocide
palestinien balisé par des massacres ponctuels, est un processus
lent dans le temps long.
II. les sources
idéologiques de l’action de démocide : L’école stratégique de
l’Irgoun.
Une question stratégique, profondément politique
demeure posée, quelle est la source constante de l’extrémisme
israélien ce qui l’empêche toujours d’aboutir à la Paix ?.
Comment expliquer que l’État d’Israël se soit engagé dans cette
opération, dont l’utilité politique est complètement négative
pour l’avenir du peuple israélien, qui se voit une fois de plus
entraîné vers des représentations militarisées extrémistes de sa
sécurité et s’oppose à toute solution pacifique ? Il est très
important de comprendre que la stratégie mise en œuvre par
Israël et légitimée par Tsahal n’est ni cachée ni hypocrite et
que sa description n’est pas du tout une diffamation. C’est le
simple exposé d’un système de croyance et d’une vision autiste
de la légitimité des actions militaires offensives devant
contribuer à l’élargissement du territoire contrôlé par Israël.
D’où vient cette démesure ? comment s’est elle fixée dans une
représentation du monde qui domine l’inquiétude sécuritaire et
le colonialisme archaïque d’une partie dominante du sionisme
israélien ? . Le paradigme stratégique unilatéraliste offensif
reproduit bien la vision première du parti sioniste
« révisionnistes » c’est à dire du parti organisé entre 1925 et
1948 d’abord contre la cession par la Grande Bretagne de la
Transjordanie au roi Abdallah, et qui lutta pour la révision du
contrat avec la Grande Bretagne donc la création, hors
protectorat d’un état national juif conquérant autonome. Cette
stratégie est intégrée profondément dans la culture militaire de
Tsahal car ce code date de ce qu’on peut appeler le collage ou
l’hybridation stratégique fondatrice qui réunifia la Haganah et
l’Irgoun autour de l’opération d’élargissement du territoire
israélien au delà des limites du plan de partage de l’ONU. Cela
se fit par massacres terroristes déterminant la fuite des
populations de 400 villages en 1947-48. La Haganah, armée
social-démocrate des Kibboutzim, l’Irgoun, commandos terroristes
fascisants, auteurs de la tuerie de Deir Yassine, sont deux
branches du sionisme très opposées politiquement, mais qui ont
néanmoins unifié leurs traditions au sein de la continuité
militaire institutionnelle israélienne. L’Irgoun dissoute par
Bengourion s’est réincarnée dans le parti Hérout fondé en 1948
par Menahem Begin, qui réclamait encore la conquête de toute la
Palestine et de la Jordanie pour Israël. Le parti Hérout fut la
base du parti Likoud actuel. L’armée est demeurée depuis lors le
lieu d’une hybridation légitime entre des stratégies militaires
qui auraient du rester incompatibles en raison de leurs fins
politiques divergentes. Les justifications, et même le
panégyrique de l’opération de Gaza, s’inspire de la tradition
violente de l’Irgoun mais ils viennent de tous les partis
politiques du centre gauche à l’extrême droite. L’éloge de
l’opération prononcé par le travailliste Shimon Peres (à
l’indignation du premier ministre turc) à Davos n’a rien de
marginal. Les discours électoraux du Likoud et ceux des franges
plus extrémistes encore sont ouvertement en train de préconiser
la répétition des expéditions punitives et pensent toujours à
l’expulsion de tous les Palestiniens de l’espace de la Palestine
du mandat , et absolument pas à la liquidation des colonies
illégales de Cisjordanie et aux deux États. En fait après Gaza,
c’est la Cisjordanie et ses vingt bantoustans encerclés par les
routes militaires et les chapelets de colonies qui risque d’être
la cible d’un nouvel épisode de démocide si la pression sur
Israël ne se fait pas plus claire de la part de l’Europe et des
Etats Unis Dans le non-dit qui est autorisé, ou même imposé aux
institutions militaires, le schéma du sionisme
« révisionniste », c’est à dire la conquête territoriale
complète d’Eretz Israel, persiste comme une représentation
légitime. Il y a toujours une petite formation politique plus
extrémiste, que le Likoud, indispensable à la formation d’une
majorité parlementaire, pour afficher cette conviction et peser
sourdement sur le maintien de cette légitimité. Mais le lieu
réel de reproduction de cet imaginaire c’est bien l’institution
militaire. Cette question stratégique est maintenant visiblement
portée sur la place publique en Israël même. L’état
d’irresponsabilité globale, revendiquée par Israël, met en effet
en cause, en pleine crise économique globale, les efforts
fournis, y compris aux Etats-Unis, pour éloigner la « guerre
mondiale » préemptive et unilatérale souhaitée naguère par le
Président G.W.Bush jr.
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