Ne vous inquiétez
pas,
c’est seulement une autre mort d’enfant palestinien
Leigh Brady
Depuis septembre 2000, plus de 800 enfants
palestiniens ont été tués. Qui prendra la responsabilité
de leur mort ? Qui doit être condamné ?
Le 18 mars 2006, j’ai rendu visite à une
famille dans la peine à Al Yamoun, une ville dans le nord
de la Cisjordanie. Leur fillette de 7 ans avait été tuée
la nuit précédente par la police des frontières israéliennes
qui avait pénétré dans la ville pour arrêter des
militants palestiniens « recherchés » lors
d’un raid des forces de défense israéliennes (IDF). Son
nom était Akaber Abdelrahman Zaid, elle allait voir un
docteur pour se faire enlever des points de suture au
menton. Au lieu de cela, elle a reçu une rafale de balles
dans la tête, une unité de la police des frontières a
ouvert le feu sur la voiture qui l’emmenait avec son
oncle.
Un porte-parole des IDF a dit que la police
avait cru que les militants qu’ils recherchaient
essayaient de s’échapper dans la voiture, elle a donc tiré
sur les roues pour les en empêcher. L’oncle d’Akaber
dit qu’il était visible que les seuls passagers dans la
voiture étaient lui-même et la petite fille, précisant
que les policiers avaient tiré presque à bout portant. Un
journaliste d’Ha’aretz a inspecté la voiture par la
suite et constaté que les quatre pneus étaient intacts.
Pour des tireurs d’élite d’une unité spécialement
entraînée, tirer sur des pneus de voiture à une courte
distance et les manquer parait vraiment étonnant, pour le
moins.
Akaber a rejoint les rangs de ces 700 autres
enfants palestiniens et plus, tués par les forces de sécurité
israélienne depuis septembre 2000. Qui va prendre la
responsabilité de leur mort ? Qui doit être condamné ?
Les militaires israéliens ont reconnu qu’en tirant sur la
voiture, les policiers impliqués ont violé les consignes
de tir.
J’ai hâte de savoir quelle sanction sera
prise pour une violation des consignes de tir. J’ai hâte
aussi de savoir quelle sanction il y aura pour le meurtre
d’Akaber ; et s’il y en aura une. La réponse de
l’armée jusqu’ici a été cet euphémisme : « Les
forces de défense israélienne regrettent d’avoir fait du
mal à une fille palestinienne et conduisent un examen
complet sur les circonstances de l’évènement ».
Nous verrons.
Malheureusement, des cas comme ceux d’Akaber,
on en trouve à la pelle. On sait parfaitement que les
forces israéliennes violent souvent les procédures de tir
lors des incursions dans les Territoires occupés et bénéficient
d’une totale impunité pour presque toutes les violations
commises en service, notamment les meurtres d’enfants.
Cette impunité étouffe les deux moyens juridiques
possibles pour obtenir réparation pour les victimes, car
non seulement Israël, systématiquement, ne procède pas
aux enquêtes criminelles sur les méfaits des officiers des
IDF, mais il se protège aussi, institutionnellement, de
toute responsabilité en tant qu’Etat dans les actions
civiles, en utilisant la Civil Torts Law (responsabilité de
l’Etat) 5712-1952, une loi soigneusement formulée.
Un récent amendement a modifié cette loi
la rendant pratiquement inapplicable pour les Palestiniens,
en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, qui ont subi des
dommages de la part d’un agent de l’Etat (par exemple,
les forces de sécurité israéliennes) et qui voudraient
demander réparation. L’amendement s’applique rétroactivement
pour les dommages causés après le 29 septembre 2000, et même
aux réclamations déjà déposées devant les tribunaux et
non encore jugées. Ces dispositions violent les engagements
d’Israël à respecter les lois internationales relatives
aux droits humains et qui permettent une indemnisation
effective des victimes.
****
Mardi 5 octobre 2004. Les parents d’une
fillette de 13 ans, Iman Al Hams, pleurent sur son corps
dans la maison familiale lors de ses funérailles, dans le
camp de réfugiés de Rafah, dans le sud de la Bande de
Gaza. La fillette a été visé, et tuée, par les soldats
israéliens, selon des sources militaires locales, elle s’était
écartée du chemin habituel de son école.
Sur le plan pénal, il y a eu quelques
tentatives dans le passé pour assigner les officiers devant
les tribunaux, non seulement la plupart ont échoué, mais
les verdicts donnent habituellement une nouvelle gifle au
visage des victimes. Cinq jours seulement après le meurtre
d’Akaber, Ha’aretz publiait qu’un certain capitaine
« R », de la brigade Givati des IDF, s’était
vu attribuer 80 000 shekels (NIS) d’indemnités par l’Etat
d’Israël, après avoir été innocenté des cinq chefs
d’accusation portés contre lui, liés au meurtre de Iman
Al Hems, une écolière de 13 ans de Gaza. Iman avait été
abattue par les forces israéliennes en octobre 2004, alors
qu’elle passait à proximité de leur avant-poste. Le
capitaine « R » s’était alors approché d’Iman,
qui était déjà allongée par terre, blessée, et l’a
tirée à bout portant. La transcription des échanges radio
entre les soldats durant les faits révèlent que le
capitaine « R » a simplement déclaré avoir
« confirmé la mort ».
Se contredisant devant le tribunal, le
capitaine « R » a dit avoir ouvert le feu sans
viser directement Iman, comme dissuasion, et qu’il a cru
que la jeune fille constituait une menace sérieuse. A quel
point faut-il qu’un capitaine israélien soit lâche ou dérangé
mentalement, pour se sentir effrayé par une écolière de
13 ans, désarmée, qui était déjà étendue sur le sol,
blessée et sans force ?
De façon grotesque, les juges ont retenu sa
version des faits. C’est ainsi que cela fonctionne ici,
messieurs-dames : le capitaine « R » a été
acquitté, récompensé par une indemnité et promu
commandant, pendant que la famille d’Iman, elle, était récompensée
par une autre lourde injustice qui s’ajoutait à la première
avec la perte de leur enfant.
Selon le bureau de l’avocat général israélien,
seules, 131 enquêtes criminelles à propos de Palestiniens
tués et blessés illégalement par les forces de sécurité
israéliennes ont été ouvertes de septembre 2000 à juin
2005, ce qui représente 28 actes d’accusation et
seulement 7 condamnations.
Cependant, pendant la même période,
l’organisation B’Tselem pour les droits de l’homme, a
enquêté sur le meurtre d’au moins 1 722 Palestiniens, tués
en dehors de toute action de combat par des soldats israéliens.
Selon la section palestinienne de « Defence for
Children International », plus du tiers de ces tués
sont des enfants.
Ces chiffres révèlent des pratiques péremptoires
par Israël pour son impunité, qui me plongent de plus en
plus dans une incrédulité absolue. C’est ce genre
d’incrédulité qui vous jette dans un état de choc. Le
fait même que l’armée israélienne s’en tire pour le
meurtre de centaines et de centaines d’enfants sans la
moindre conséquence est si indigne, si incroyable, ça vous
paralyse. Vous vous sentez impuissant, incapable de réagir,
incapable de vous concentrer sur les actions qu’il
faudrait engager pour remédier à la situation. En
ressassant cela chaque jour, je cours le risque de devenir
complètement insensible, et par conséquent, de plus en
plus déphasée à chaque nouvel incident, comme tant
d’autres observateurs « invités ». De l’extérieur,
cela peut apparaître comme une démission. Et c’est
souvent le cas. Et Israël compte là-dessus. Même le monde
extérieur devient immunisé ; vous, lectrice ou
lecteur, vous devenez immunnisé-e - car votre seuil
d’acceptation passive de l’atrocité remonte. Il faut
s’y attendre, nous avons tous besoin de nous protéger de
tant d’horreurs de la vie quotidienne, afin de survivre.
La peau devient plus dure. Mais ne nous leurrons pas nous-mêmes
en pensant que nous ne pouvons rien faire pour changer la
situation.
Notre indifférence déjà influence cette
situation. Notre indifférence est un élément essentiel de
l’équation qui maintient l’impunité en place :
c’est une indifférence qui permet aux meurtres
d’enfants de se poursuivre sans entrave. C’est cette même
indifférence qui permet au terrorisme d’Etat de se générer,
et par voie de conséquence, à d’autres formes de
terrorisme.
Je suis horrifiée, de même que beaucoup
d’autres, que ceci puisse se poursuivre sans être contesté.
Naturellement, il y a des organisations de la société
civile qui se consacrent à s’opposer à l’impunité
d’Israël. Elles emploient toutes les procédures qui
leurs sont disponibles pour dénoncer les pratiques d’Israël
et exiger de l’en rendre responsable avec réparation pour
les victimes.
****
Le sang de Raghda al-Assar, 10 ans, tache
son cahier dans la classe. Elle a été tuée par des balles
israéliennes le 7 septembre 2004 (Wafa).
Des manifestations de profonde inquiétude
et des appels urgents à agir sont publiés presque tous les
jours. Des recherches s’opèrent, des rapports sont publiés
et des ressources sont disponibles, pourtant, tous ces
efforts restent symboliques face à l’inertie de la
communauté internationale.
Cela semble paradoxal : les Etats-Unis
et l’Union européenne fournissent les procédures et les
outils par lesquels et avec lesquels la société civile
peut censément exploiter le poids politique et économique
des organisations intergouvernementales, pour remédier à
ces violations des droits de l’homme commises par un Etat.
Pourtant, les USA et l’UE, systématiquement,
refusent d’intervenir avec toute leur puissance politique
pour arrêter la politique barbare d’Israël et ses
pratiques contre les Palestiniens. N’est-ce pas l’un des
rôles principaux des organisations intergouvernementales de
protéger les civils contre ces quantités de violations des
droits humains perpétrées par un Etat ? La Charte des
Nations unies déclarent explicitement que « les
Nations unies doivent promouvoir le respect et
l’observance universels des droits humains et des libertés
fondamentales » et que « tous ses membres
s’engagent à agir, en commun et séparément, en coopération
avec l’Organisation dans ce but ».
Si Israël, en tant qu’Etat membre, ne
respecte pas la Charte, pourquoi alors n’y a-t-il aucune
pression efficiente de l’ONU pour lui faire respecter les
principes de son adhésion ? L’accord d’association
Union européenne/Israël qui prévoit une coopération économique
et politique entre les deux parties, stipule que le respect
des droits humains et des principes démocratiques est un
point essentiel de l’accord.
Israël à l’évidence ne respecte pas les
droits humains et la démocratie dans sa façon de traiter
une nation qu’il occupe illégalement, alors pourquoi l’Union
européenne n’examine-t-elle pas cette anormalité ?
L’inaction de l’Union européenne et des Etats-Unis,
alors qu’ils ont les moyens d’imputer à Israël toute
la responsabilité de ses actes, équivaut à une
participation active à la pérennisation de l’impunité
de fait d’Israël.
Cette réalité déprimante me conduit à
rechercher les raisons de leur inaction. Est-ce la peur ?
Peut-être que les Etats-Unis et l’Union européenne se
sentent menacés par Israël, comme le capitaine « R »
se sentait menacé par Iman al-Hems, ou comme les 30 agents
secrets israéliens se sentaient menacés par Akaber, âgée
de 7 ans. Ont-ils peur qu’en critiquant ouvertement Israël,
l’équilibre géopolitique tout entier s’écroule ?
Ont-ils peur que les USA soient vraiment en position de
bannir tous ceux qui voudraient satisfaire aux demandes de
la société civile pour une intervention politique au nom
des civils palestiniens ? Ont-ils si peur d’être
catalogués comme antisémites qu’ils ne peuvent se décider
à aller plus loin que leurs dénonciations, tout en
douceur, des violations flagrantes des droits humains ?
Comment leur peur peut-elle l’emporter sur leur humanité ?
D’où se trouvent les enfants
palestiniens, il apparaît que même le plus sanglant et le
plus horrifiant des massacres n’est pas suffisant pour
mettre ces puissances supranationales en action.
Après des centaines de morts d’enfants
palestiniens, et des centaines d’appels pressants à la
communauté internationale qui tombent dans des oreilles de
sourds, il est facile de prendre cette attitude dangereuse :
« à quoi bon essayer ? ».
L’occupation conduit des millions de
personnes, dans les Territoires palestiniens occupés, en
Israël, en Europe, en Amérique, et dans le reste du monde,
à se dire, à eux-mêmes ou aux autres : « Oui,
c’est mal et injuste, manifestement, mais à quoi bon
essayer de faire quelque chose pour arrêter cela si des
masses d’efforts n’ont pas été capables jusqu’ici
d’y mettre fin ? » Alors que cela peut être
considéré comme une réaction normale, il est aussi
normal, et nécessaire, pour les êtres humains, de trouver
de nouvelles motivations pour continuer les tentatives.
Je fais appel aux responsables politiques
pour qu’ils reconsidèrent ce qui se cache derrière leur
inaction, et aux observateurs partout dans le monde pour
combattre leur engourdissement et la banalité, à force de
voir ou d’entendre qu’un enfant a été tué. Nous
devons continuer à essayer d’obtenir justice pour les
Palestiniens.
Comme la militante américaine pour les
droits de l’homme, Rachel Corrie, l’écrivait dans son
journal intime, quelques mois avant qu’elle ne trouve la
mort, écrasée par un bulldozer de l’armée israélienne
en mars 2003 :« Ceci doit s’arrêter.
Je pense que c’est une bonne idée pour nous tous, de tout
laisser tomber et de consacrer nos vies pour que cela
s’arrête ».
Leigh Brady, d’Irlande,
vit en Cisjordanie depuis mai 2005. Elle travaille à la
section palestinienne de l’organisation internationale
pour les droits des enfants, « Defence for Children
International ».
Leigh Brady
Source : CCIPPP
http://www.protection-palestine.org/article.php3?id_article=2437