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Oumma.com
Ostensible
hommage du CFCM, de l’UOIF et de la Mosquée de Paris à Nicolas
Sarkozy
Le sado-masochisme serait-il
devenu une pratique licite dans l’islam de France ?
Vincent
Geisser
Lundi 14 mai 2007
Le 14 avril 2007, à la traditionnelle
Rencontre annuelle des musulmans de France (RAMF), Fouad Alaoui,
secrétaire général de l’UOIF déclarait devant un auditoire
de plus de 10 000 personnes : « J’espère que
M. Nicolas Sarkozy prend conscience du mal qu’il a causé
à des millions de Français musulmans ; M. Sarkozy, vous
nous avez fait mal ! »[1].
Le faiseur de mal d’hier devenu
rassembleur d’avenir
Le 6 mai, quelques heures à peine après
le triomphe ostensible du leader tout puissant de l’UMP, l’UOIF
était aussi l’une des toutes premières organisations de France
(laïques et religieuses confondues) à s’empresser de lui
adresser un message de félicitations dans un style plus qu’élogieux,
digne des monarchies et des régimes autoritaires de là-bas :
« Les Français viennent d’élire Monsieur
Nicolas Sarkozy à la fonction suprême de Président de la République.
L’UOIF lui présente ses félicitations, et lui souhaite toute
la réussite dans ses nouvelles hautes responsabilités. Nous
sommes confiants en l’esprit de clairvoyance, de discernement et
de rassemblement dont fait preuve M. Sarkozy […] »
(extrait du communiqué sur le site officiel de l’UOIF : http://www.uoif-online.com)[3].
Clairvoyance, sens du discernement,
esprit de rassemblement… ? L’homme qui « faisait du
mal », il y a encore quelques jours, est devenu soudainement
« l’homme qui fait du bien ». En deux mots, pour
traduire la psychologie des dirigeants actuels de l’UOIF :
« fais nous du mal, ça nous fait du bien ! ».
Un sado-masochisme, dont il faut bien
avouer, qu’il est malheureusement partagé aujourd’hui par la
plupart des organisations et personnalités islamiques de France,
au premier rang desquelles le Recteur de la Grande Mosquée de
Paris (GMP), Dalil Boubakeur, surenchérissant sur l’UOIF dans
son éloge au nouveau Prince, se disant « réjoui de
la brillante élection » (sic) de Nicolas Sarkozy,
parce que « les musulmans de France
ont pu apprécier (son) action lorsqu’il était ministre de l’Intérieur
en faveur de l’organisation du culte musulman et de sa représentation
au sein de la République aux côtés des autres cultes »[4]
(AFP).
Mais dans le genre ralliement
ostensible ou ostentatoire au Prince, c’est peut-être le CFCM,
censé pourtant représenter l’ensemble des musulmans de France
(du moins sa composante cultuelle), qui est allé encore plus loin
dans l’éloge princier, en publiant un communiqué officiel qui,
jusqu’à ce jour, n’a été démenti par aucune des parties
prenantes de l’institution représentative. En effet, dès le
mardi 8 mai, le CFCM a salué la victoire de Nicolas Sarkozy
« l’homme d’Etat qui a su rassembler toutes les
tendances de l’Islam de France. […] Les musulmans de France se
remémoreront toujours cet acte fondateur d’invitation de l’Islam
à la table de la République »[5],
conclut le communiqué du CFCM.
De la Khotba du vendredi à la
Khobza du dimanche
Surprenants ces éloges musulmans célébrant
le sacre sarkozyen, non ? Quand on sait que, d’après
certaines enquêtes (sondage CSA-CISCO), seulement 1 % des électeurs
français se déclarant « musulmans » auraient
effectivement voté pour Nicolas Sarkozy, le reste choisissant très
massivement, au premier tour, Ségolène Royal (64 %), François
Bayrou (19 %) ou les petits candidats (Bové, Besancenot, ect.)[6] ?
1 % des « musulmans » votent Sarkozy ; 99,9
% des dirigeants nationaux musulmans suivent Sarkozy, une
situation quasiment « à la tunisienne » diraient
certains qui souligne ô combien est grand le fossé entre la
« base musulmane » et leurs soi-disant « porte
parole ». Dans certains pays, on appelle ça le suivisme
ou, pire, le khobzisme (l’art de manger du pain, kobz,
dans la main des puissants et des dominants).
Un suivisme des dirigeants musulmans de
France qui contraste d’ailleurs avec les communiqués critiques
mais réalistes de nombreuses organisations françaises des droits
de l’homme et de défense des libertés qui ont accueilli avec
inquiétude l’élection du leader de l’UMP à la présidence
de la République, comme le MRAP qui lance un appel à « la
poursuite d’une résistance citoyenne et républicaine contre
une politique du tout sécuritaire »[7],
l’association Act-Up qui rappelle dans un communiqué émouvant
que « Nicolas Sarkozy a été élu, malgré sa politique
xénophobe, sa haine des minorités, sa volonté de démanteler le
système de santé »[8]
et même le syndicat autonome UNSA-Education qui estime que
« certains engagements de Nicolas Sarkozy, s’ils ne
sont pas atténués, risque de porter atteinte au service public
d’éducation »[9]
ou encore la prestigieuse Ligue des droits de l’Homme (la fille
de l’affaire Dreyfus) pour qui « l’élection
de Nicolas Sarkozy, dont chacun doit prendre acte et tirer les leçons,
est lourde de conséquences mais ne clôture pas la séquence démocratique
de ce printemps. Car ce n’est pas un homme seul, fût-il Président
de la République, qui peut décider de tout en démocratie »[10].
Sans parler de l’hebdomadaire Témoignage
chrétien, héritier de la résistance et du combat
anticolonialiste qui très lucidement nous dresse un portait de la
future France sarkozyenne : « Plus
rapidement encore, devraient arriver la création du ministère de
l’Identité nationale, les peines planchers pour les mineurs délinquants,
les quotas d’immigrés au kilo, et le ‘traité simplifié’,
ratifié par le Parlement, bien plus professionnel que le peuple.
Bien entendu, toutes ces mesures promises se feront en
concertation, et on le craint, surtout en concertation avec lui-même »[11].
Où sont passées les « Lumières
musulmanes » ?
Heureusement, il existe encore en
France des consciences citoyennes et républicaines éclairées (LDH,
MRAP, Act-Up, Ligue de l’enseignement, GISTI, CIMADE…) mais
force est de constater que ce n’est pas dans la communauté
musulmane institutionnalisée qu’on peut les trouver aujourd’hui.
Au contraire, cette dernière préfère se cantonner dans une
attitude de flatterie à l’égard d’un pouvoir qui ne cesse
pourtant de la mépriser. Certains dirigeants musulmans
ressemblent à ces « poètes » ou ces « bouffons »
de Cour qui rivalisent dans l’art de chanter les louanges du
Prince Nicolas et qu’il suffit pourtant qu’un seul couplet ne
lui plaise pas pour les faire jeter cruellement dans les
oubliettes du château.
Amnésie volontaire pour
dirigeants solitaires
En plus d’un complexe sadomaso inquiétant,
les dirigeants de l’islam de France semblent souffrir également
d’amnésie chronique, oubliant, un peu vite, au passage, que
c’est d’abord Jean-Pierre Chevènement et ses conseillers au
ministère de l’Intérieur qui avaient jeté les bases du futur
Conseil français du culte musulman (Accord cadre du 22 mai 2001
signé par tous les protagonistes)[12].
A son arrivée à la place Beauvau, Nicolas Sarkozy s’est
contenté de capter l’héritage chevènementiste, en se réappropriant
abusivement la paternité du CFCM, et surtout en le transformant
en une instance communautaire toute entière au service de sa
politique sécuritaire, marginalisant dans un même élan les
personnalités et les mosquées indépendantes, trop turbulentes
à ses yeux.
En somme, le clientélisme sarkozyste
semble avoir pleinement porté ses fruits : clients
musulmans d’hier, clients musulmans d’aujourd’hui et, très
probablement, clients musulmans de demain, le nouveau Président
de la République peut compter sur sa fidèle « garde
islamique » rapprochée pour relancer un CFCM agonisant mais
sûrement plus allégeant que le précédent, et appliquant à
lettre sa nouvelle politique musulmane, qu’ils ne manqueront pas
de louer à coups de communiqués. Gageons même que les
organisations islamiques de France se disputeront entre elles le
trophée de la représentativité, non pas celle de la Communauté
mais celle de l’Autorité, terme si cher au nouveau Chef de l’Etat.
Oubliées les déclarations
islamophobes durant la campagne présidentielle, à longueur de
discours, de meetings enflammés, à Marseille, Toulon, Lille et
ailleurs…, pour flatter un électorat UMP radicalisé par des thématiques
nationalistes et xénophobes dignes des années trente et du Front
national.
Oubliés « le mouton dans la
baignoire », « les mariages forcés », « la
loi des grands frères dans les cités », « l’excision »…,
autant de formules qui ont contribué à attiser la haine
identitaire pendant des semaines et qui produiront sans doute des
effets pervers dans un avenir proche.
Oubliées l’apologie de la
colonisation, la réhabilitation de l’œuvre civilisatrice des
« petits colons » au Maghreb et en Afrique noire et la
critique systématique de la repentance comme si celle-ci était
synonyme de « honte nationale ».
Oubliée l’humiliation du CFCM lors
du procès des caricatures du Prophète, où l’on a pu voir les
membres plaignants de l’UOIF et de la Grande Mosquée de Paris
se faire ridiculiser en public par le patron de l’UMP devant les
caméras de télévision.
Oubliée l’indifférence totale de
Nicolas Sarkozy, ces six derniers mois, à l’égard d’un CFCM
moribond, qui semblait avoir été définitivement sacrifié sur
l’autel de la « raison électorale », laissant même
planer l’idée, qu’une fois élu à la magistrature suprême,
il allait peut-être le supprimer purement et simplement.
Mais, il est vrai qu’en France, cela
fait bien longtemps qu’islamité organisée ne rime plus
avec dignité désintéressée et que la volonté de
reconnaissance du Prince paraît désormais plus forte que
l’exercice d’une citoyenneté libre, indépendante et
responsable.
Le mouton n’est donc pas prêt de
sortir de la baignoire.
Affaire à suivre.
*
Vincent GEISSER est co-auteur avec Aziz ZEMOURI de l’ouvrage Marianne
& Allah. Les politiques français face à la question
musulmane, éditions La Découverte, 15 mars 2007.
Document 1 : Texte intégral du
communiqué de l’UOIF du 6 mai 2007
Communiqué :
Élections Présidentielles
Les français viennent d’élire
Monsieur Nicolas Sarkozy à la fonction suprême de Président de
la République. L’UOIF lui présente ses félicitations, et lui
souhaite toute la réussite dans ses nouvelles hautes
responsabilités.
Nous sommes confiants en l’esprit de
clairvoyance, de discernement et de rassemblement dont fait preuve
M. Sarkozy, et nous espérons que sous sa présidence, tous
les citoyens de ce pays, notamment ceux de confession musulmane,régulièrement
dénigrés, puissent être traités sur le même pied d’égalité
quelles que soient leurs spécificités.
Paris, le 6 Mai 2007
Union des Organisations Islamiques de
France – UOIF
Document 2 : Extrait du discours
de « clairvoyance », de « discernement »
et de « rassemblement » de Nicolas Sarkozy, Toulon,
meeting UMP, le 7 février 2007
Je souhaite qu’on ne puisse pas
vivre en France sans respecter sa culture et ses valeurs. Je
souhaite qu’on ne puisse pas s’installer durablement en France
sans se donner la peine d’écrire et de parler le Français. Et
à ceux qui veulent soumettre leur femme, à ceux qui veulent
pratiquer la polygamie, l’excision ou le mariage forcé, à ceux
qui veulent imposer à leurs sœurs la loi des grands frères, à
ceux qui ne veulent pas que leur femme s’habille comme elle le
souhaite je dis qu’ils ne sont pas les bienvenus sur le
territoire de la République française. A ceux qui haïssent la
France et son histoire, à ceux qui n’éprouvent envers elle que
de la rancœur et du mépris, je dis aussi qu’ils ne sont pas
les bienvenus.
[1]
Fouad ALAOUI, « Les musulmans et les élections présidentielles.
Quel(s) choix ? », discours au 24ème
RAMF, Le Bourget, 14 avril 2007 : http://ramf-uoif.fr/Conference_F.Alaoui.html.
[2]
UOIF, Communiqué : « Elections présidentielles »,
La Courneuve, 6 mai 2007 : http://www.uoif-online.com.
[3]
UOIF, Communiqué : « Elections présidentielles »,
La Courneuve, 6 mai 2007 : http://www.uoif-online.com.
[4]
ASSOCIATED PRESS, « Dalil Boubakeur se réjouit de ‘la
brillante élection’ de Nicolas Sarkozy », 6 mai 2007.
[5]
AGENCE FRANCE PRESSE, « Islam : le Conseil français
du culte musulman salue en Sarkozy un ‘rassembleur’ »,
8 mai 2007.
[6]
« Seulement 1 % des musulmans ont voté Sarkozy »,
http://tempsreel.nouvelobs.com, 26 avril 2007.
[7]
MRAP, Déclaration de la présidence du Mrap, Paris, 6 mai
2007 : http://www.mrap.fr/communiques/sarko.
[8]
ACT-UP PARIS, « Nicolas Sarkozy 2007-2012 : nous
n’y survivrons pas », Paris, 4 avril 2007 :
http://www.actupparis.org/article2953.html.
[9]
PATRICK GONTHIER (secrétaire général de l’UNSA-Education),
Edito : « Demain l’éducation », mai 2007 :
http://www.fen.fr.
[10]
LIGUE DES DROITS DE L’HOMME, Communiqué : « Election
présidentielle : l’avenir reste entre les mains des
citoyens », Paris, 7 mai 2007 : http://www.ldh-france.org/actu_derniereheure.cfm ?idactu=1448.
[11]
EMMANUEL LEMIEUX, Editorial, Témoignage chrétien, 10
mai 2007.
[12]
Vincent GEISSER et Aziz ZEMOURI, « Jean-Pierre Chevènement :
un jacobin arabophile », cité dans Marianne &
Allah, Paris, La Découverte, 2007, p. 64-66
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