RIA Novosti
Le casse-tête de Nicolas Sarkozy
Marianna Belenkaïa
Photo RIA Novosti
15 mai 2007
Le 16 mai, le président élu de la République française
Nicolas Sarkozy entre dans l'exercice de ses fonctions. Il devra
venir à bout de tâches très ardues dans les sphères les plus
variées. Deux problèmes sont sans doute à classer parmi les
plus difficiles à résoudre: la politique des migrations et la
politique au Proche-Orient (dans le sens le plus large du terme, y
compris dans l'ensemble du monde arabe, en Iran, en Turquie et en
Israël).
Quoi qu'il en soit, les Français ne sont pas les seuls à s'en
préoccuper. Ceux qui observent à distance, depuis l'étranger,
les événements en France s'y intéressent également. Et tout
particulièrement en Russie, car les problèmes qui se posent dans
ces deux pays sont pour beaucoup similaires.
Quand on parle des liens traditionnels avec le monde arabe,
d'un écheveau de relations historiquement embrouillées avec Israël,
de l'islamophobie et de l'antisémitisme, ainsi que des ambitions
de jouer un rôle particulier dans le règlement au Proche-Orient,
de la recherche de sa propre place dans l'arène internationale,
de sa propre identité, de l'influence de la situation politique
intérieure et de la situation démographique et sociale sur la
politique extérieure, on ne comprend pas tout de suite de quel
pays exactement il s'agit - de la Russie ou de la France.
La politologue russe Irina Mokhova faisait remarquer dans son
article intitulé "Les problèmes des migrations en France à
la veille des élections présidentielles" (publié sur le
site de l'Institut du Proche-Orient) que la société française
est en train de revoir aujourd'hui des notions telles que la
nation et l'identité nationale. La France s'en tient toujours au
principe de "l'Etat-nation" selon lequel tout individu
qui partage les principes républicains en est le citoyen, alors
que son origine ethnique et sa croyance religieuse ne sont pas
prises en compte. Du moins, il en a été ainsi jusqu'à présent.
Formellement, la France reste fidèle à ce principe, mais la réalité
montre autre chose. Une bonne partie des immigrés gardant leur
identité ethnique et religieuse (différente de l'identité européenne
"traditionnelle") ne s'intègrent tout simplement pas
dans la société française. Et Nicolas Sarkozy qui sort lui-même
d'une famille d'immigrés (des Hongrois et des Juifs grecs) soulève
la question de savoir qui peut prétendre vivre en France.
Irina Mokhova rappelle dans son article qu'en juin 2006 le Sénat
français a approuvé un projet de loi sur l'immigration et l'intégration
durcissant les critères concernant les migrants économiques. Ce
projet de loi avait été présenté par M. Sarkozy alors ministre
de l'Intérieur. La loi en question prévoit toute une série de
nouvelles exigences auxquelles les immigrés doivent se conformer,
y compris la conclusion avec l'Etat d'un contrat d'accueil et
d'intégration, ainsi que la maîtrise obligatoire du français.
Cette même loi interdit la légalisation automatique des étrangers
à l'issue de dix années de résidence sur le territoire français.
Désormais toute nouvelle demande de légalisation sera examinée
à part et à partir de critères particuliers, dont l'un des
principaux est le degré d'intégration des enfants des immigrés
clandestins dans la culture française.
Les opposants politiques de Nicolas Sarkozy ont voté contre ce
projet de loi, car ils estimaient qu'une telle loi léserait les
droits des immigrés, tout en aggravant la xénophobie en France.
Les contradicteurs de M. Sarkozy prônaient l'augmentation des dépenses
nationales et européennes pour l'entretien des centres
d'assistance et d'adaptation des immigrés, ainsi que le rétablissement
du droit à une légalisation automatique après dix années de séjour
clandestin sur le territoire français.
Les efforts déployés en France pour venir à bout du problème
des migrations clandestines sont aussi très instructifs pour la
Russie, où l'afflux d'immigrés ne cesse de croître. Néanmoins,
il n'y a toujours pas en Russie de politique d'Etat en matière
d'intégration des immigrés. On le croyait tout simplement
inutile autrefois car la plupart de ceux qui arrivaient en Russie
avaient grandi dans le même milieu soviétique que les Russes
eux-mêmes. Pourtant, l'expérience montre bien que les quinze années
qui se sont écoulées depuis la disparition de l'URSS ont bien
suffi pour anéantir ce que ses citoyens avaient eu en commun, y
compris la connaissance de la langue russe. Et il n'est plus rare,
en effet, que les enfants d'immigrés ne parlent pas russe et même
s'ils sont capables de s'exprimer, ils ne savent souvent ni lire
ni écrire en russe, ce qui crée inévitablement des problèmes
pour leur scolarisation. Et ce n'est que le sommet de l'iceberg.
Ainsi, tout comme pour l'Europe, le problème de l'adaptation
des immigrés est très sérieux pour la Russie. Et tout comme les
Français, les Russes se demandent de plus en plus souvent sur
quels principes justement on doit intégrer les nouveaux-venus. Et
est-ce que l'aggravation des problèmes d'identité nationale est
liée exclusivement à l'afflux d'immigrés?
On ne doit pas non plus oublier que le "thème de
l'immigration" est étroitement lié non seulement aux problèmes
de la sécurité intérieure, mais aussi aux questions relatives
à la politique extérieure.
C'est en grande partie aux médias (tant français qu'étrangers)
que Nicolas Sarkozy doit sa réputation "d'islamophobe".
Son attitude à l'égard des immigrés, ainsi que son opposition
formelle à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne n'y
ont pas été pour rien non plus. A propos, le "problème
turc" s'inscrit absolument dans le même cadre que le problème
"de l'immigration". C'est effectivement la même
question de l'identité à cette différence près qu'il ne s'agit
plus là uniquement des Français mais de tous les Européens. Et
c'est toujours le même problème de l'intégration.
L'image "d'islamophobe" n'a certes pas manqué d'éveiller
une certaine méfiance à l'égard de Nicolas Sarkozy dans
certains pays musulmans et ce, d'autant plus qu'il a des origines
juives et a un jour déclaré être "ami d'Israël".
Beaucoup craignent aussi le rapprochement entre Paris et
Washington, ce qui se répercutera incontestablement sur la
situation au Proche-Orient. Mais, d'autre part, est-ce que sous la
présidence de Jacques Chirac l'alliance américano-française était
réellement inexistante? Paris intervenait contre la guerre en
Irak et faisait preuve de plus de retenue sur la question
iranienne, mais cela ne l'empêchait pas de faire front uni avec
Washington face à l'évolution de la situation autour du Liban et
de la Syrie.
La France de Chirac agissait dans telle ou telle situation
concrète à partir de ses propres intérêts nationaux et rien
n'indique que ce principe change radicalement sous la présidence
de Sarkozy.
Quoi qu'il en soit, le président élu se trouve en face d'un
vrai casse-tête: que faire pour résoudre le problème de
l'identité des Français, relever les défis de l'intégration
européenne et trouver l'équilibre entre le monde islamique,
d'une part, et Israël, de l'autre, tout en tenant dûment compte
des intérêts des communautés musulmane et juive en France.
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la
stricte responsabilité de l'auteur.
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