Ce mercredi midi, la rédaction d'I>télé était invitée
à manger place Beauvau avec le ministre de l'Intérieur. Un déjeuner
off dans la plus pure tradition, bien entendu.
R.V. 13 heures... 13h15, arrivée du Ministre de l'Intérieur,
souriant, costume gris élégant, chemise bleue ciel, cravate
bleue soutenue. Jolie montre au poignet. Le portable est posé
sur la table à sa droite. Un bouton-pressoir noir à coté du
verre pour sonner les serveurs.
Entrée en matière simple et de bon aloi :
"Ah, vous êtes plus sympas là que lorsque je vous écoute
parler de moi à la télé. Vous m'épargnez pas... La petite
là (Valentine Lopez du service politique, assise à sa
gauche, ndlr) : visage d'ange, mais elle jamais un mot gentil.
Que des méchancetés. Elle me loupe jamais.
Le tout, bonhomme, sans cesser de plaisanter, en fixant la
directrice Générale de la chaine et le directeur de la rédaction
assis en face de lui.
Suit le refrain désormais bien connu (Charles Pasqua,
l'avais étrenné en 1986 lors des manifs étudiantes) :
"les journalistes de toute façon, vous pouvez pas vous
en empécher. La campagne de Ségolène Royal c'est
formidable, mon entrée en campagne, c'est nul. C'est
sociologique, chez vous : vous êtes 2/3 de gauche, pour 1/3
de droite."
L'entrée vient d'arriver : Coquilles Saint Jacques poëlées.
Salade mélangée et volaille émincée pour le Ministre.
Itélé, ce n'est donc pas sa tasse de thé ? Regard vers son
conseiller en communication Franck Louvrier :
"Ah! Franck m'a dit de ne pas y aller trop fort, alors...
(sourire) Je ne dis pas tout ce que je pense de vous. Je ne
veux pas qu'on se fâche. Mais Cécilia, en revanche, elle
aime bien I>télé, elle dit que c'est la chaine la plus
ouverte, la plus variée. Enfin, il faut reconnaitre que vous
avez beaucoup progressé"".
L'entrée en matière épuisée, le rapport de force installé,
on passe aux questions politiques. Arrivée du plat de résistance
: un filet de bar sur un risotto aux champignons et légumes
verts pour nous, une deuxième assiette de crudités et son émincé
pour Nicolas Sarkozy (régime, régime...).
Ségolène Royal ? Elle ne l'inquiète pas, même si il
s'agace des grâces que lui font les medias.
"Non, elle ne va pas s'effondrer, c'est macho de dire ça.
Elle est intelligente, solide, courageuse. Non, elle ne
s'effondrera pas. Mais il faut lui opposer les idées. Moi, je
serais sur le terrain des idées. Poli, courtois, mais
intraitable sur le fond. C'est une femme, mais c'est surtout
une responsable politique. Ca fait 20 ans qu'elle est là. Et
puis Ségolène Royal, c'est moi qui lui ai ouvert la voie. Si
je n'avais pas pris l'UMP comme ça, contre Chirac, vous
croyez qu'elle aurait pu bousculer les élephants du PS.
Jamais... Maintenant, les français attendent le match. Le
match des nouveaux. Ils ne vont pas être décus. Je la sens
bien cette campagne. Vous allez voir le sondage IPSOS qui sort
cet après midi. Je repasse en tête, j'ai 51% au second
tour."
En attendant, il y a débats à l'UMP à partir de samedi. Ca
compte ? Il balaie l'affaire d'un revers de main.
"Le moins possible. De toute façon les jeux sont faits.
Alliot Marie a perdu 9 points dans le dernier sondageMoi je
serais sur une chaise, peut-être même sans cravate. J'écouterais,
je répondrais. De ma chaise. Ne pas en faire trop. Et si MAM
me reprend sur la discrimination positive, cette fois je répondrais
calmement. La première fois (lors de la convention du projet
en novembre) j'ai été surpris. C'était une erreur".
Bayrou. "Je n'en parle pas, je ne critique pas. Ses électeurs
voteront pour moi au second tour, je ne l'attaquerai pas. Je dis
juste qu'il se trompe de chemin".
Le Pen. Il l'aura, un jour il l'aura...
"Mais on ne fait pas reculer Le Pen en étant Ministre de
l'Intérieur. Il faut pouvoir agir sur tous les terrains.
Redonner espoir dans l'avenir. Redonner espoir. Dans les années
50/60 l'avenir était un espoir. Au creux des années 80/90,
il est devenu une peur. Il faut redonner espoir. Le Pen il est
là depuis 1983, avec les magouilles de Mitterand... On ne le
chasssera pas comme ça... "
Et Jacques Chirac ? Il parait qu'il regarde LCI, lui.
"Oui. Il regarde toute la journée mais on ne parle plus
beaucoup de lui. Franchement, je ne voudrais pas être à sa
place".
Il revient sur sa gestion de medias. Pas trop, "ca
use"... Depuis la rentrée il n'a fait que PPDA, Chabot
("Trois heures, six millions de télespectateurs, vous avez
vu ca ? Je suis le seul à faire ça."), Inter une fois,
RTL une fois et deux fois Europe 1. "Elkabbach c'est le
meilleur. Lui, il travaille. Ca me rassure".
Le dessert arrive. Un flan au pomme, très fin avec sa boule
de vanille couronnée d'une chips de pomme. Pour nous... Nicolas
Sarkozy se contente d'un bol de fromage blanc avec son coulis de
fraise (sans sucre?) et enchaine sur sa vision de l'ecole.
Spectaculaire mémoire. Il connait par coeur, mot après mot
le discours prononcé quelques semaines plus tôt sur l'Education.
"entre l'uniforme et le jean qui laisse beaucoup trop voir,
il y a une marge", dit-il (mais il ne dit pas
"string", parce Ségolène Royal l'a déjà fait). Je
veux une école sans casquettes vissées sur la tête, sans
portables, ou les élèves se lèvent lorsque le prof entre dans
la pièce".
Nostalgie ? Non, retour à quelques bonne vieilles valeurs
dans un monde qui "change si vite". Les parents attablés
acquiessent. Nathalie (Ianetta) demande dans un éclat de rire
si il ne veut pas venir chez elle donner quelques leçons à son
fils Oscar. Nicolas Sarkozy rigole à son tour.
A cet instant, les assiettes ont disparu. On sert le café
avec de joli truffes carrées et du sucre de canne. Sarkozy le
guerrier, l'homme dont la jambe droite n'a pas cessé de
s'agiter depuis une heure, se laisse - apparemment - aller à l'évocation
de quelques souvenirs.
Il raconte les plaisirs simples de son enfance. Les escapades
au café avec "son grand père qui l'a élevé", le
trajet en métro, le jus d'orange presque rituel de ces sorties
magiques, la main dans celle du Docteur Malah. Sarkozy enfant se
damnait, dit-il, pour ces moment là. Pour aller au spectacle on
reservait quatre mois à l'avance. Ma mère nous achetait des vètements
neufs, pour y aller... Des vètement neufs, c'était quelque
chose. Attention, hein... On n'était pas pauvres. On était des
bourgeois. Ca allait. Mais c'était tout de même quelquechose".
Il parle de sa première emotion de cinéma. "Ben hur".
"Avec Charlton Eston, celui de 59, hein, pas l'autre...
quand je l'ai vu au Kino, ça faisait quatre ans qu'il était à
l'affiche. Quatre ans, aujourd'hui un film ca rester quoi ?
Trois semaines à l'affiche?".
Aujourd'hui, il adore les bronzés 3 : "14 millions
d'entrées. Il faut pas cracher sur un film parce qu'il a
rencontré le public. C'est comme Jonathan Littel et ses
"Bienveillantes" (qu'il a lu et apprécié même si
certains passages l'ont mis mal à l'aise) : "250.000
exemplaires vendus sans un seul article de presse. Il s'est bien
passé quelque chose, non ? On ne peut pas le nier". Et il
affirme : "moi j'ai vendu plus de 400.000 exemplaires de
"Témoignages". Ca c'est quelquechose, non ?".
Retour à la littérature. Il dit que son livre préféré
c'est le "voyage au bout de la nuit" de Celine. Qu'il
adore Albert Cohen, et ces quarante pages ou Ariane attend Solal
dans "Belle du seigneur". Que l'écrivain ait su se
glisser avec une telle précision dans la tête d'une femme l'épate.
Il est très sensible à ces quarante pages; C'est "son coté
femme", dit-il.
Et le voilà érudit : "C'est un livre que Cohen a écrit
en 68, sur les bords du lac de Genèves. en 68... Il devait
s'emmerder comme un rat". Il redevient sérieux :
"Mais mon préféré de Cohen c'est le "livre à ma mère".
Celui là, il l'a écrit en en 59. Et la preface, vous savez :
"aux insensés qui pensent que leur mère est
immortelle". Ca c'est fort, très fort.
Il est 14.35, retour à la politique. Nicolas Sarkozy confie
qu'il ne se voit pas faire ça toute sa vie.
Surprise générale.
"Deux mandats et c'est tout ?", glisse une
journaliste. "Et encore, répond le candidat, si ca ne
tenait qu'à moi je n'en ferais qu'un. Mais je ne peux pas. Tant
d'espoirs reposent sur moi. Des millions de gens comptent sur
moi. Je ne peux pas faire ça."
Et après ? "Après j'irai dans le privé, gagner de
l'argent. Je suis avocat, je peux réussir là. Mais j'ai aussi
des amis qui me confieraient bien la tête d'une grande
entreprise privée. L'argent, ça compte. Je n'ai pas de fortune
personnelle. Ce qui compte dans la vie, c'est l'amour. De
l'argent, c'est pour les siens, pour acheter une maison, un bel
appartement. Offrir un appartement à ses enfants... Je ne veux
pas être comme Giscard et Raffarin, un ancien le reste de ma
vie à me trainer là, à me lamenter sur ce que je ne suis
plus".
14.45. Le ministre-président-candidat est reparti avec une
franche poignée de main et un petit mot pour chacun. "C'était
très sympa", me dit-il en me serrant chaleureusement le
coude.
Bien entendu, cher Zbiegnew c'était off. Et oui, Charles,
les cuisiners de la Place Beauvau ont le tour de main... Mais on
sait maintenant à quoi servent ces rencontrent off... Alors
pourquoi se priver de vous le raconter. A moins que vous ne
vouliez pas savoir ?