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Sarkozy stigmatise les
immigrés et glorifie la nation française
Antoine Lerougetel
Vendredi 16 mars 2007
Lors d’une interview télévisée jeudi
dernier et d’un meeting à Caen en Normandie réunissant 10 000
partisans le vendredi suivant, Nicolas Sarkozy, candidat de l’UMP
(Union pour un mouvement populaire) gaulliste à l’élection présidentielle,
a annoncé son intention, s’il est élu, de mettre en place un
nouveau ministère de l’immigration et de l’identité
nationale et de renforcer plus encore les restrictions sur
l’immigration.
Sarkozy veut créer une base sociale et idéologique
où toute action des travailleurs pour défendre leurs droits et
leur niveau de vie serait considérée comme antipatriotique,
voire même comme une trahison.
Il fait des immigrés des boucs émissaires et
nie leurs droits humains : « Celui qui entre
clandestinement en France, celui qui ne fait aucun effort pour
s’intégrer, celui-là ne doit pas s’attendre à se voir
reconnaître les mêmes droits qu’un Français... Je souhaite
que les étrangers en situation irrégulière soient exclus du
droit au logement opposable. Je souhaite que l’immigré en
situation régulière ne puisse faire venir sa famille que
dans la mesure où celle-ci a appris, avant de pénétrer sur
notre territoire, à parler le français et après que nous nous
soyons assurés que les revenus de son travail lui permettent de
la faire vivre et de la loger décemment » (italiques ajoutées).
Il justifie ceci par la déclaration suivante : « Je
veux protéger la France et ses valeurs. »
Ce message – que les immigrés représentent
un danger pour la culture et le mode de vie français, et
qu’intensifier la chasse aux immigrés est justifié – a été
accueilli avec enthousiasme par le candidat néo-fasciste à la présidentielle,
Jean-Marie Le Pen. Il a dit que Sarkozy « racole sur le
terrain du Front national », mais a pris sa défense face à
ses détracteurs, en disant que refuser d’« associer
immigration et identité nationale », c’est nier que
« l’immigration puisse porter atteinte à l’identité
nationale ».
L’organisation antiraciste MRAP (Mouvement
contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) a dit que
Sarkozy « n’a évidemment pas utilisé ces termes par
hasard, mais en associant ces termes, il libère la parole et
l’idéologie raciste, menace gravement la cohésion nationale,
il fait ainsi un choix de société, celui du rejet de l’autre,
dans une logique de division incendiaire. »
Après une phase, notamment à l’occasion de
son discours d’intronisation le 14 janvier comme candidat du
parti à l’élection présidentielle, où il cherchait à
humaniser son image caustique et provocante afin de contrebalancer
sa rivale du Parti socialiste (PS) Ségolène Royal qui le
talonnait dans les sondages, Sarkozy a maintenant pris un brusque
virage à droite pour différentes raisons.
Bruno Jeudy a écrit dans le quotidien
conservateur Le Figaro : « Convaincu que la présidentielle
se jouera à droite, Nicolas Sarkozy préempte le thème de
« l'identité nationale ». Il ajoute, « mais
Sarkozy entend aussi bétonner son flanc droit au moment où
Bayrou commence à mordre dans l'électorat modéré de l'UMP. »
François Bayrou, candidat à la présidentielle
pour l’UDF (Union pour la démocratie française), parti du
centre-droit de l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing,
dans une situation où il n’existe pas d’alternative claire au
programme de droite des candidats du PS et de l’UMP, a fait une
percée dans les sondages où Bayrou, Sarkozy et Royal se
retrouvent tous trois à présent autour de 25 pour cent. Il y a
seulement quelques semaines, Bayrou dépassait à peine les 6 pour
cent. Certains sondages indiquent que dans une course contre Royal
ou Sarkozy, Bayrou sortirait gagnant. Bayrou promet, s’il est élu,
de former une espèce d’harmonieux gouvernement national de
coalition entre la gauche et la droite.
Sarkozy rejette cette proposition pour un
programme clairement de droite : « La campagne électorale
et l’élection doivent servir à quelque chose. Pourquoi je
prends des engagements précis pour les Français ? Parce que
je veux que les Français tranchent. » Il affiche par là sa
détermination à poursuivre ses attaques sur les droits démocratiques
et les réductions draconiennes des services sociaux.
Le camp de Sarkozy, d’après Bruno Jeudy,
n’exclut pas non plus la menace Le Pen – que leur candidat
soit battu au premier tour par Le Pen, comme cela s’était
produit en 2002 pour le candidat du Parti socialiste Lionel
Jospin. Le Figaro fait remarquer que le célèbre sondeur
Laurent Solly considère que bien que Le Pen reste depuis quelque
temps autour de 14 pour cent des intentions de vote, « Le
Pen est à 31 pour cent de popularité (en hausse de 6
points) dans le baromètre Paris Match et le taux de sûreté de
ses électeurs frôle les 80 pour cent. » On estime que
son score réel serait de trois à quatre points supérieur à
celui mis en avant dans les sondages, comme ce fut le cas le 21
avril 2002.
Au-delà de tactiques électorales immédiates,
il y a des raisons plus fondamentales au virage à droite de
Sarkozy. Dans une situation de frictions croissantes entre les
Etats de l’Union européenne (UE) et des différends sérieux
entre l’Europe et les Etats-Unis sur l’accès aux ressources
énergétiques et sur les interventions militaires au
Moyen-Orient, Sarkozy veut rassembler les forces politiques et
sociales pour mettre en oeuvre la politique étrangère de l’impérialisme
français de façon plus agressive.
Lors de sa conférence de presse du 28 février,
il avait tracé les grandes lignes d’une politique étrangère
agressive, impliquant le renforcement de la présence militaire de
la France dans le monde. Ceci requiert un lavage de cerveau
chauvin pour servir « l’intérêt national.» D’où cet
appel, à grand renfort de nationalisme fervent, aux éléments
les plus arriérés de la société française, dont bon nombre a
des attaches avec les forces armées et les anciennes colonies.
Il déclare sur un ton aux sinistres relents
totalitaires : « Lorsqu’il s’agit de la France, il
n’y a pas de camps. »
Sur la question du plan de restructuration Power
8 d’Airbus, il affirme dans l’interview télévisée,
« Je sais comment les Allemands défendent leurs intérêts. »
Airbus doit être « géré comme une entreprise et une
industrie. » Il accuse de boulimie irresponsable la
compagnie allemande Daimler-Benz qui est un actionnaire privé
majeur d’Airbus: elle « demande des dividendes pour rémunérer
son capital dans une entreprise qui fait 10 000 licenciements ;
ça, je ne peux pas l’accepter. »
La restructuration d’Airbus fait partie
d’une restructuration générale de l’économie française
touchant des entreprises comme Michelin, Renault et PSA Citroën-Peugeot.
Les syndicats d’Airbus, notamment FO (Force
ouvrière) suivent la ligne nationaliste de Sarkozy. Ils refusent
de mobiliser les travailleurs d’Airbus à échelle européenne
contre le plan de la direction et présentent le conflit comme un
conflit entre la France et l’Allemagne. Ils ont ainsi annulé
une manifestation contre Power 8 de travailleurs de tous
les sites européens prévue pour le 16 mars.
Le discours de Sarkozy à Caen vendredi dernier
a pris la forme d’une incantation ponctuée de salves
d’applaudissements où les mots « France » et
« français » ont été répétés 200 fois ou plus
dans un texte de neuf pages.
A l’aide de figures de rhétorique creuses et
d’une histoire de France factice, il a cherché à faire
l’amalgame entre la lutte des classes historique et le mythe
d’une « France une et indivisible ». Il a cherché
à obscurcir les divisions de classes aiguës de la société française
en utilisant des expressions assommantes invoquant une « identité
nationale » abstraite : « La France est un
miracle… C’est le miracle de la France de conjuguer une
identité si forte avec une aspiration si grande à
l’universalisme… une trame mystérieuse… un lien mystérieux…
La République a accompli le vieux rêve des rois. Elle nous a
fait une nation une et indivisible. »
Sarkozy a dit avec insistance que la France
souffre non pas d’une crise sociale, mais plutôt d’une
« crise morale » et que « le dénigrement de la
nation est au cœur de cette crise ». Défendant son projet
de créer un ministère de l’immigration et de l’identité
nationale, il a dit dans Le Figaro du 11 mars, « C’est
parce que la politique d’immigration, c’est l’identité de
la France dans 30 ans. »
Il a réservé pour les immigrés des
qualificatifs de lyncheurs ; « Celui qui ne veut pas
reconnaître que la femme est l’égale de l’homme, celui qui
veut cloîtrer sa femme, obliger sa fille à porter le voile, à
se faire exciser ou se marier de force, celui-là n’a rien à
faire en France. » En même temps, il a prétendu être
l’héritier de ceux qui en France ont lutté pour le progrès,
des Lumières jusqu’à la Résistance contre les nazis.
Cette invocation du nationalisme par Sarkozy va
de pair avec ses efforts pour créer une massue contre les
jeunes et les travailleurs qui résistent contre son programme libéral
anti-Etat providence.
Avec le renforcement considérable des pouvoirs
de la police par une série de lois mises en place par Sarkozy et
le gouvernement UMP depuis 2002, avec l’affaiblissement de la
protection du Code du travail et des droits civils, qui ont
provoqué peu, voire aucune opposition des syndicats et des partis
de gauche, malgré des protestations massives sporadiques, les
intentions déclarées de Sarkozy représentent une menace très sérieuse
pour la population dans son ensemble. Elles ouvrent la voie à la
suppression des acquis sociaux et des droits démocratiques
obtenus sur plus de deux siècles de lutte.
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