A l'occasion de la tenue du congrès pour le droit
au retour, à Nazareth, organisé pour la deuxième fois à
l'intérieur du pays,
le Centre d'Information sur la Résistance en
Palestine présente une série de trois articles
sur les réfugiés de l'intérieur, ou les déplacés
internes, ceux qui vivent dans leur pays, mais qui ont été déplacés
de leurs lieux d'origine. Catégorie à part du fait de leur
présence à l'intérieur de l'Etat d'Israël, cet Etat
colonial ayant refusé qu'ils soient considérés réfugiés
et de ce fait, pris en charge par l'UNRWA, alors que le sort
subi est semblable à tous les réfugiés : expulsion, dépossession,
négation du droit au retour et aux compensations.
Deuxième congrès après celui de Haïfa, en mars 2004, ce
congrès tient à affirmer le droit au retour à leurs
villages et villes, à leurs maisons et terres de tous les
Palestiniens expulsés en 48 et après, y compris ceux qui
vivent à l'intérieur de l'Etat d'Israël. Ce congrès est
aussi l'occasion d'amplifier la voix des associations des réfugiés
de l'intérieur qui luttent depuis des décennies en se
mobilisant, en organisant des marches du lieu de leur
"exil" vers le lieu d'origine, en suscitant leur
cause dans toutes les instances, locales, nationales et
internationales.
1) Qui sont les réfugiés de l'intérieur, ou les déplacés
internes ?
Dans son introduction au livre collectif "Catastrophe
Remembered" (2005, ed. Zed Books, édité par Nur Masalha)(*)
Nur Masalha écrit, en vue de classifier les déplacés
internes palestiniens : "La classification et la définition
des réfugiés internes/déplacés internes palestiniens, à
l'intérieur de la ligne verte(**), doivent être comprises
sur la base de trois entités politiques et trois périodes
historiques différentes : la Palestine mandataire, l'Etat
d'Israël et les territoires occupés en 1967. Distinguer
entre "réfugiés" et "déplacés
internes" est encore plus compliqué, d'abord à cause de
l'absence de reconnaissance internationale des frontières
entre Israël et la Palestine et ensuite, par le fait que le législateur
israélien n'a pas reconnu le terme de réfugié (lâji', en
arabe) pour les Arabes palestiniens à l'intérieur de l'Etat
d'Israël. On peut toutefois distinguer quatre catégories de
déplacés internes palestiniens à l'intérieur de la ligne
verte, la première et la seconde catégories étant
souvent désignés par les "présents
absents".
1 - Les Déplacés internes palestiniens en 1948 : Il s'agit
de la plus vaste des catégories des déplacés internes. Ils
vivent à l'intérieur de l'Etat d'Israël. Ce sont les
Palestiniens déplacés et dépossédés de leurs maisons et
de leurs terres au cours ou immédiatement après la guerre de
1948.
2 - Les Déplacés internes palestiniens après 1948 : Un
autre groupe, plus restreint, regroupe les Palestiniens vivant
dans l'Etat d'Israël qui ont été déplacés après 1948 par
le transfert interne et l'éviction, l'expropriation des
terres et la destruction de leurs maisons. Une grande partie
de cette catégorie est constituée des Bédouins
palestiniens.
3 - Les Déplacés internes palestiniens de 1967 : Cette catégorie
comprend les déplacés internes palestiniens qui furent déplacés
au cours de la guerre de 1967, que ce soit en Cisjordanie, à
Jérusalem Est ou dans la bande de Gaza, sans inclure ceux qui
ont été appelés les réfugiés palestiniens de 1967 souvent
appelés "les déplacés en 1967" car au temps de
leur déplacement, la Cisjordanie était sous administration
jordanienne, les réfugiés n'ayant pas "traversé une
frontière internationale" pour trouver refuge en
Jordanie.
4 - Les Déplacés internes palestiniens après 1967 : ce sont
les Palestiniens déplacés à l'intérieur de la Cisjordanie,
Jérusalem Est et la bande de Gaza, après 1967, par le biais
des expropriations de terres, des démolitions de maisons, de
la révocation des droits de résidence à Jérusalem et
d'autres moyens de transfert interne incluant, plus récemment,
les séparations forcées selon ds critères ethniques,
religieuses et nationales. Ce groupe inclut un grand nombre de
Bédouins palestiniens.
"Compliquant ces définitions, les Palestiniens déplacés
internes de l'ouest vers l'est de Jérusalem, en 1948, sont
considérés comme des réfugiés à cause de la création
d'une "frontière", la ligne d'armistice de 1949,
coupant la ville en deux.
Selon le centre Badil pour les droits des réfugiés
palestiniens, situé à Bethléhem, il y a
approximativement 260.000 Palestiniens déplacés internes en
1948 (catégorie 1), représentant le quart de la population
palestinienne à l'intérieur de la ligne verte.
Ce chiffre n'inclut pas les déplacés après 1948, les Bédouins
palestiniens du Naqab déplacés après 1948 ni les
Palestiniens citadins des villes comme Haïfa ou Akka, qui ont
été autorisés à retourner à leur ville d'origine,
sans toutefois pouvoir retrouver leurs maisons et leurs biens.
S'il faut prendre en compte toutes ces catégories et d'autres
encore de déplacés locaux, le nombre des déplacés internes
à l'intérieur de l'Etat d'Israël se situerait entre 300.000
et 350.000 Palestiniens.
Dans les années 50, les déplacés internes palestiniens
furent considérés, à l'intérieur de l'Etat d'Israël,
comme des présents absents, avec l'application de la
loi sioniste des Propriétés des Absents de 1950. Ils étaient
présents physiquement mais absents légalement dans leurs
relations avec leurs maisons et leurs terres d'origine. Cette
appelation paradoxale signifie qu'ils vivent dans leur pays,
mais l'Etat les a expropriés de leurs terres et maisons,
faisant d'eux des exilés et des réfugiés dans leur propre
pays. La plupart d'entre eux furent forcés de quitter leurs
villages au cours de la guerre de 48-49 ; ils ont fermé leurs
maisons, pris leurs clefs et les titres de propriété de
leurs terres, tout en envisageant d'y retourner dès
que l'armée d'occupation le leur permettrait.
Le déplacement des Palestiniens ne s'est pas achevé après
la guerre de 1948. Les autorités sionistes ont continué à déplacer
et à transférer les Palestiniens tout au long des années
50. Au même moment, les forces militaires israéliennes détruisaient
la plupart des villages palestiniens dépeuplés, et déclaraient
ces villages "zones militaires fermées" pour empêcher
le retour des déplacés palestiniens à leurs villages. De
plus, les autorités israéliennes ont planté des forêts
dans ces villages dépeuplés pour cacher la présence
palestinienne. Dans la plupart des cas, elles ont implanté
des colonies sur les terres de ces villages, certaines prenant
le nom même des villages palestiniens d'origine, comme par
exemple, la colonie juive de Beit Dagan a pris la place et les
terres du village palestinien de Bayt Dajan, le kibboutz Sa'sa'
est bâti sur le village palestinien Sa'sa'. Le moshav Amka
est implanté sur les terres du village palestinien 'Amqa, et
le moshav Elonit (arbre en hébreu) sur les terres d'al-Shajara
(arbre, en arabe).
Sur les 162 villages dépeuplés du nord de la Palestine, au
cours de la guerre de 48, 44 villages représentent les lieux
d'origine des déplacés internes palestiniens. Parmi ces 44
villages, 10 avaient une population de plus de 500 personnes,
17 étaient peuplés de 100 à 500 personnes, et 17 avaient
moins de 100 personnes.
Avançant des prétextes de sécurité, l'armée d'occupation
a continué, pendant les années 50 à expulser la population
palestinienne des agglomérations arabes. Il s'agissait de
briser toute continuité démographique palestinienne, en vue
de faciliter la judaïsation de la Palestine, en y implantant
des colonies, et notamment les fermes collectives (kibboutz),
modèles de la colonisation de peuplement conçues par le
sionisme comme vitrine de ses réalisations mensongères.
Bien que devenus citoyens israéliens en 1952, les déplacés
internes n'ont pu réintégrer leurs villages ni leurs biens.
Ils continuent à être, ainsi que leurs descendants, les présents
absents. Ils sont systématiquement empêchés de retourner
chez eux et de reprendre leurs biens, par une série de
mesures et de lois adoptées par l'Etat, qui vise à assurer
la domination d'une majorité juive sur le pays.
Les présents absents se sont retrouvés dans une situation
unique. En dépit de leurs liens historique, géographique,
culturel et national avec le peuple palestinien, ils sont des
réfugiés à l'intérieur de leur propre pays, tout en
partageant le sort des Palestiniens à l'intérieur de l'Etat
d'Israël. Ils portent la citoyenneté israélienne, ce qui
les distingue de l'ensemble des autres réfugiés
palestiniens, mais ils n'ont pu être considérés réfugiés
par les programmes de l'ONU ni aidés à ce titre. Les opérations
de l'UNRWA dans l'Etat d'Israël furent stoppés en 1952. Ils
forment une catégorie distincte parmi les Palestiniens de l'Etat
d'Israël. En majorité musulmans (environ 90%), les autres réfugiés
internes sont chrétiens. Ils se distinguent des réfugiés
"externes" par le fait qu'ils sont originaires
exclusivement des zones rurales alors que les réfugiés
"externes" étaient à la fois des ruraux et
des citadins.
La majorité des déplacés internes sont originaires et
vivent actuellement dans la région nord, les provinces de
Safad, Akka, Haïfa, Baysan et Tabaraya de la Palestine
mandataire. Bien que certains déplacés internes vivent dans
des villes comme Nazareth ou Shefa'Amr, ou dans les
"villes mixtes" comme Haïfa, Akka, Lid, Ramleh et
Yafa, la majeure partie des déplacés internes vit dans les
villages palestiniens proches de leurs villages d'origine.
Selon l'étude menée par le sociologue palestinien, Majid
al-Haj en 1994, dans les villages hôtes de Galilée, plus de
la moitié des Déplacés internes interviewés ont affirmé
s'être installés dans leur village actuel après avoir été
déplacés dans d'autres villages auparavant. Seul le tiers
des Déplacés internes a été directement déplacé du
village d'origine au village ou ville hôte. Les autorités
israéliennes ont non seulement joué un rôle majeur dans les
déplacements, mais également dans les mouvements de ces Déplacés
en direction des villages hôtes. Elles avaient en vue les
plans de repeuplement et d'annexion des terres. C'est selon un
schéma préétabli que les autorités sionistes ont procédé
au transfert et à l'installation des habitants des villages
de Iqrit, Kfar Bir'im, al-Ghabisiyya, Krad al-Baqqara et Krad
al-Ghannama, entre 1948 et 1950. Une partie des villageois fut
expulsée vers le Liban et la Syrie. D'autres furent transférés
dans d'autres localités en Galilée.
Dans quelques cas, les autorités sionistes ont "aidé"
les Déplacés internes à se loger dans des villages ou des
maisons, mais les déplacés devaient en contrepartie, céder
leurs propres droits sur leurs terres et propriétés dans
leurs village d'origine, aux autorités de l'occupation. Les
terres sur lesquelles furent construites ces maisons pour
loger les déplacés internes furent confisquées aux
villageois palestiniens des villages hôtes. Avec une telle
pratique, les autorités sionistes semaient la discorde entre les
déplacés internes et les villageois hôtes.
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Dans la suite :
2) Les déplacés internes du Naqab et les villages
non-reconnus
3) La lutte des déplacés internes pour le retour et la défense
de leurs droits
(*) Catastrophe Remembered, edited by Nur Masalha, Zed Books,
London and New York. Nous nous sommes particulièrement appuyés
sur les articles de Nur Masalha, Nihad Boqa'i, Isma'el Abu
Sa'ad, pour la rédaction de ces articles.
(**) ligne verte : la ligne d'armistice fixée en 1949, séparant
l'Etat d'Israël fondé sur les parties occupées de la
Palestine en 1948 des autres terres palestiniennes en
Cisjordanie.
Centre d'Information
sur la Résistance en Palestine