Cette étude vise à suivre et analyser les positions des
dirigeants et penseurs du mouvement sioniste, depuis Herzl
jusqu'à Sharon, à propos de ce qu'ils nomment "le
problème démographique".
Le transfert après la guerre de juin 1967
L'euphorie de la victoire et le délire de la société israélienne
et de ses divers partis se sont généralisés après la guerre
de juin 1967, du fait de la défaite des armées arabes et de
l'occupation de larges territoires arabes. Ce qui a contribué
à répandre ce délire mêlé à la folie de grandeur est
la chute de la Cisjordanie, de la bande de Gaza, et de régions
arabes sous occupation israélienne, que le mouvement sioniste
et l'Etat d'Israël ont toujours considérés comme faisant
partie de la "terre occidentale d'Israël", ouvrant
ainsi les appétits de l'expansion, la judaïsation et
l'annexion. Dans ce climat, deux semaines après la fin de la
guerre, le gouvernement israélien a tenu une réunion spéciale
pour définir sa politique selon les nouvelles données.
Jusqu'à aujourd'hui, rien n'a été découvert, officiellement,
de ce qui a été convenu lors de cette séance. Mais le
chercheur israélien, Meir Avidan a publié une partie de cette
séance du gouvernement, après avoir lu les journaux
particuliers de Jacob Hertzog, qui était à l'époque directeur
général du premier ministre israélien. Les renseignements
indiquent que le gouvernement israélien a discuté, en détail,
la "question démographique", ou le "problème"
de la présence des Palestiniens dans les territoires occupés,
ce qui constituait des entraves à l'annexion par Israël de ces
régions. Au cours de la discussion et de l'étude de ce
"problème", plusieurs propositions et solutions pour
se débarrasser de ce qu'ils ont appelé "le danger démographique"
ont été avancées, dans le but de surmonter ces entraves qui
empêchent l'annexion des régions palestiniennes occupées.
Pinhas Sapir, soutenu par Abba Eban, et tous les deux sont les
colombes à l'intérieur du parti travailliste, ont proposé de
chasser les réfugiés palestiniens de la Cisjordanie et de la
bande de Gaza, et de les "réinstaller" dans les pays
arabes, et notamment en Syrie et en Irak. Quant à Menahim
Begin, il a réclamé, dans cette séance, de commencer par détruire
les camps palestiniens dans les régions occupées, et
"transférer" leurs habitants vers le désert du Sinaï.
Des sources israéliennes affirment que l'esprit de la séance
était en parfaite harmonie avec les idées du vice premier
ministre israélien, Ygal Allon, qui a appelé à transférer
les réfugiés palestiniens vers le Sinaï et les Etats arabes.
Un organisme spécial pour expulser les
Palestiniens
Les sources israéliennes ne mentionnent pas si le gouvernement
israélien a informé les Etats Unis et les autres Etats de leur
volonté d'expulser les Palestiniens, mais il semble que la
crainte des réactions internationales, et arabes, ainsi que les
coûts de transport et de réinstallation dans le Sinaï ont empêché
l'exécution de ce plan d'expulsion collective des Palestiniens,
plan qui a été mis en attente, pour être remplacé par un
autre, secret, visant à chasser, progressivement les
Palestiniens des régions occupées.
Suite à la guerre de 1967, le gouvernement israélien a mis en
place un organisme spécial, avec la participation de
plusieurs ministères, chargé d'expulser les Palestiniens des régions
occupées vers l'Amérique du Sud et la Libye. Il est présidé
par le ministre de la guerre, Moshe Dayan (la participation
active de Dayan à ce plan a été dévoilée dans une conférence
de Raanan Weiss, au centre International pour la paix au
Moyen-Orient, Tel Aviv, 2/6/1985).
Les sources israéliennes rapportent que cet organisme
a acheté des terres au Brésil, au Paraguay et en Lybie au
cours des deux années qui ont suivi la guerre, préparant
l'expulsion des Palestiniens. Ces sources ajoutent que cet
organisme, avec ses multiples moyens, utilisant "la carotte
et le bâton", forçant 1000 Palestiniens de la bande de
Gaza à se diriger vers le Paraguay, offrant à chaque
famille un passeport pour une seule direction, la somme de 4000
dollars et de nombreuses promesses, comme l'obtention de
nouveaux passeports et la possibilité de travailler. Mais il
semble cet organisme n'ait pas honoré ses promesses aux
victimes, ce qui a contraint certains à riposter. En mai 1970,
un "inconnu" entre au consulat israélien au
Paraguay et réclame une rencontre avec le consul israélien,
Moshe Veron.
Lorsque le consul accepte de le rencontrer, cet inconnu tire des
coups de feu, et dans des conditions obscures, tue une personne
et touche une autre, avant de s'enfuir. Il ne fut pas retrouvé.
Des sources israéliennes informent que cet inconnu n'est autre
que Talal Dimassi, un des citoyens de Gaza que l'organisme a
fait voyager au Paraguay. Elles ajoutent que lorsque Tatal et
ses confrères se sont aperçus que l'organisme n'a pas
l'intention d'exécuter ses promesses, lui et d'autres collègues
ont décidé d'attaquer le consulat, ce qui a mis fin au plan téméraire
de l'organisme.
"le problème démographique"
Depuis son occupation du reste de la terre palestinienne, en
1967, Israël fait face à un problème essentiel qu'il n'a pu résoudre,
ou surmonter, jusqu'à présent. Le gouvernement israélien et
le mouvement sioniste, avec tous ses partis, considèrent que la
Cisjordanie et la bande de Gaza font partie de "la terre
occidentale d'Israël" et de ce fait, la doctrine sioniste
revendique l'annexion de toutes les régions à l'Etat d'Israël.
Le problème rencontré, et qui continue à faire face, est le
fait qu'Israël, s'il annexe ces régions, à partir et en
harmonie avec les principes et les bases sionistes, fonde un
Etat binational, où les Arabes palestiniens représentent la
moitié de la population, ce qui met fin au projet sioniste
visant à fonder un Etat uni-national. D'autre part, le retrait
d'Israël des territoires occupés en 1967 représente une
contradiction avec les bases sionistes considérant que ces
terres font partie de "la terre occidentale d'Israël".
Le problème devient plus aïgu avec la croissance naturelle des
Palestiniens, qui est trois fois supérieure aux Juifs israéliens.
Sur la base de ce problème, appelé "problème démographique",
deux courants israéliens principaux se dégagent pour essayer
de résoudre la "question démographique" et lui
trouver une solution correspondant aux buts sionistes. Le
premier courant est représentant par le parti travailliste israélien
et ses alliés, les petits partis sionistes de gauche, et le
courant représentant par le Likoud et ses alliés, de la droite
sioniste religion ou de la droite sioniste extrémiste.
Comme dans toutes les situations, lorsque les difficultés
s'amoncellent, le parti travailliste, dans sa recherche d'une
solution à ce problème, a eu recours au régime jordanien que
le parti travailliste considère comme son allié historique,
avec lequel il partage des intérêts communs et fixes, représentés
par leur refus de reconnaître les droits nationaux du peuple
palestinien, et notamment le droit à l'autodétermination et à
la création d'un Etat palestinien indépendant. En juillet
1967, Ygal Allon propose un projet pour tenter de sauver Israël
du danger démographique. Ce projet fut modifié en juin et décembre
1968, puis en décembre 1969 et septembre 1970. Le plan Allon
propose de parvenir à un accord régional entre Israël et la
Jordanie, Israël annexant les zones relativement peu peuplées
en Cisjordanie et la bande de Gaza, et le roi de Jordanie
installant de nouveau sa domination sur les régions
palestiniennes peuplées, et les annexant à son royaume. Le
plan Allon, appelé parfois l'alternative jordanienne, qui
constitua, en fait, pour plusieurs décennies, la base du
programme du parti travailliste, est une tentative de parvenir
à une solution moyenne entre l'orientation de l'extension et
l'appétit de l'annexion, d'une part et se débarrasser du problème
démographique, de l'autre. Pour ce faire, le gouvernement israélien,
dominé pendant cette période, jusqu'en 1977, par le parti
travailliste, a évité de manière générale à installer des
colonies sionistes dans les régions très peuplées tout en les
installant plutôt dans les régions relativement peu peuplées,
qu'il envisageait d'annexer.
Begin se moque du parti travailliste
Quant au Likoud et ses alliés, qui furent nombreux après
l'occupation de la Cisjordanie et la bande de Gaza, à intégrer
les partis religieux dont les positions se rapprochaient
progressivement de ceux du parti Likoud, et qui faisaient même
de la surenchère à ce dernier, alors qu'ils étaient
historiquement proches du parti travailliste, ils n'ont pas porté
une grande attention à la question démographique, s'attachant
à la doctrine sioniste appelant à imposer la souveraineté
israélienne sur "la terre occidentale d'Israël" et réclamant
l'annexion des régions palestiniennes occupées.
Ce qui a aidé le camp du Likoud à gagner plusieurs points, et
notamment au cours des premières années de l'occupation (67),
lors des discussions sur la question démographique, fut que le
courant de l'annexion et de l'extension dans le parti
travailliste prit le dessus sur celui qui essayait de se débarrasser
de la question démographique.
Répondant en 1968 aux prétentions du parti travailliste,
affirmant que son programme apportait une solution à la
question démographique, Begin se moque des travaillistes qui
"nous disent que plus d'un million d'Arabes vont s'ajouter
aux 320.000 Arabes et druzes, qui se trouvent dans Israël divisée,
si nous refusons de partager la terre occidentale d'Israël...
Mais lorsqu'on parle de la bande de Gaza, dont la population s'élève
à 340.000 Arabes, ils nous disent tous aujourd'hui : C'était
à nous et il nous fut pris, mais nous y resterons à tout
jamais... Lorsque nous parlons du Golan, ils nous disent : il
sera à nous, et nous ne le lâcherons pas. Lorsque nous parlons
de Jérusalem unifiée, où vivent 70.000 Arabes, ils disent,
tous, elle a été unifiée et ne sera plus jamais divisée.
Lorsque nous parlons d'al-Khalil, du mont al-Khalil et de ses
habitants, qui sont supérieurs à 80.000 Arabes, ils disent, il
est à nous. Quand nous parlons de Qalqylia et ses 9000
habitants arabes, ils nous disent : c'est à nous. Tel Aviv a été
bombardé à partir de cette ville". Ensuite, Begin exécute
un calcul très simple, pour conclure que la carte du parti
travailliste comprend près d'un million d'Arabes, mais exclut
seulement 440.000 Arabes qui "à cause d'eux, ils nous font
craindre le danger démographique". Il ajoute "Si
cette supposition est juste, celle de dire qu'avec le chiffre
d'un million, nous aurons une égalité entre le nombre d'Arabes
et de Juifs, après 20 ans, sans les 440.000, nous y arriverons,
disons, dans 27 ans. Est-ce cela, le problème démographique ?
Un peuple qui vit sur 7 ans ?" (6 décembre 1968)
A partir des bases et principes du sionisme qui considère les régions
palestiniennes et syriennes occupées comme faisant partie de
"la terre occidentale d'Israël", et refusant
d'accorder une grande place à la question démographique, le
Likoud et ses alliés, constitués des petits partis, a appelé
à "réaliser le droit historique, en imposant la
souveraineté juive sur toutes les régions occupées pour les
annexer à l'Etat des Juifs".
Il semble clair que les tentatives du Likoud de minimiser
l'importance du problème démographique, pour faire croire
qu'il n'a aucune influence sur sa politique envers les terres
palestiniennes occupées, n'étaient pas justifiées sur le
terrain.
Depuis son arrivée au pouvoir en 1977, le Likoud n'a pas
appliqué la loi ni la souveraineté israéliennes dans les
territoires occupés palestiniens, comme il avait appelé à le
faire, et n'a pas osé les annexer à Israël, non pas par
crainte des armées, des dirigeants ou des rois des Etats
arabes, mais parce qu'il savait qu'un tel pas va le mener, tôt
ou tard, à briser le projet sioniste et à mettre un terme à
Israël, en tant qu'Etat Juif, pour le transformer en Etat
arabo-juif. Sous la direction du Likoud, le gouvernement israélien
a annexé le Golan syrien en 1981, sans tenir compte des
ripostes syrienne et arabe, non par parce qu'il considère qu'il
a des droits historiques sur le Golan syrien occupé, plus que
sur les terres palestiniennes occupées, mais fondamentalement,
parce qu'il n'y a pas de forte densité de population dans le
Golan, ce qui n'est pas le cas des régions palestiniennes occupées
en 1967.
(à suivre...)
Traduction : Centre d'Information
sur la Résistance en Palestine