Je suis maintenant confiant, même si cela va
prendre du temps. Le poids de l’opinion et la vague montante de
boycott et d’isolement d’Israël vont tôt ou tard remettre en
cause la capacité du régime israélien à poursuivre sa
politique raciste, si cet Etat veut rester acceptable pour le
monde.
Ceci prendra du temps par la faute des Etats-Unis
et de leur politique constante de censure, mais je n’ai aucun
doute qu’à la fin la justice prévaudra et que les Palestiniens
recouvreront leurs droits.
Aljazeera.net : Dans le
discours préenregistré lors du jour de commémoration de la
Nakba, le président palestinien Mahmud Abbas a dit au peuple
palestinien : « La Paix, la sécurité et la stabilité
au Moyen-Orient sont conditionnées par une solution acceptée des
deux côtés au problème des réfugiés et basée sur la résolution
194 ». Il a aussi rejeté la naturalisation comme option.
Pensez-vous que ceci représente de la part d’Abbas
une position nouvelle et ferme concernant les réfugiés, ou
est-ce une façon diplomatique de dire « nous ne pouvons
promettre le plein exercice du Droit au retour ? »
Abu-Sitta : Aucun dirigeant palestinien ne
resterait en place s’il évacuait les droits des Palestiniens,
en tête duquel se trouve le Droit au retour. S’il est le président
des Palestiniens, alors il doit faire connaître et défendre
leurs droits, et pour les Palestiniens le Droit au retour domine
tous les autres. Je ne peux pas plus imaginer un responsable
palestinien abandonnant ce droit que Sharon rejoignant le Hamas.
Ceci dit, je dois souligner le fait que le
vocabulaire de l’initiative de paix présentée lors du Sommet
arabe [de 2002] est quelque chose de confus - il propose « de
trouver une solution juste et négociée au problème des réfugiés
palestiniens en conformité avec la résolution 194 des Nations
Unies ». Parler d’une « une solution juste »
comme d’une solution négociée est contradictoire dans les
termes, car il n’est nul besoin de trouver une solution juste -
elle est toujours présente.
La résolution 194 a aussi déterminé quelle était
la solution, et la communauté internationale a confirmé
l’interprétation de cette solution, à savoir le retour des réfugiés,
d’où l’inutilité de rechercher « une solution juste ».
Lorsque nous disons « solution juste »,
ceci signifie que nous allons nous asseoir et négocier sur le
sens de « solution juste » et penser à toutes les
alternatives possibles pour décrire cette solution. Et bien évidemment,
connaissant la capacité des Israéliens à déformer les faits
depuis des années, nous n’arriverons jamais au moindre résultat.
Mais le pire est atteint avec le terme « acceptée ».
Acceptée par qui ? Probablement par Israël. Or depuis 1948
la politique israélienne a été : nous n’autoriserons
jamais les réfugiés palestiniens à revenir chez eux, car nous
voulons leurs maisons pour y placer nos immigrants [les colons].
Donc si nous attendons une acceptation israélienne
du droit au retour des réfugiés, nous ne ferons que donner une
fausse impression au peuple arabe.
La déclaration [d’Abbas] devrait être limpide :
il a été répété 135 fois par le communauté internationale :
les réfugiés palestiniens doivent rentrer chez eux. Un point
c’est tout.
Il n’est pas besoin d’inventer des formules
alambiquées qui sont bien tournées mais sans signification.
Aljazeera.net : Et si Israël
n’accepte pas cette solution ?
Abu-Sitta : La réponse devrait être la même
que celle qui a été faite au Kosovo et en Bosnie. Dans tous ces
cas, les Nations-Unies ont mis en œuvre leurs résolutions y
compris plusieurs fois par la force, utilisant pour ce faire les
soldats de l’OTAN sous la bannière des Nations Unies.
Mais je ne suis pas un rêveur - ceci n’est pas
possible vu la position des Etats-Unis. Mais je suis certain que
maintenir et développer une pression de l’opinion mondiale et
de quelques gouvernements fera d’Israël en Etat paria comme
cela a été fait pour le régime de l’Apartheid sud-africain.
Aljazeera.net : Le conseiller
juridique de l’OLP, Michael Tarazi , nous a une fois déclaré :
« Nous ne négocions pas à propos des droits des réfugiés ;
nous négocions simplement les conditions de la réalisation de
ces droits. Nous n’insistons pas sur le fait que tous doivent
rentrer ; nous insistons sur le fait que tous doivent avoir
le choix ». Est-ce que des compensations ou des relogements
sont acceptables comme alternatives au droit au retour ?
Abu-Sitta : Lorsque les gens discutent au
sujet de ces options, et spécialement du côté palestinien, je
ne pense pas qu’ils veulent faire du troc avec des droits qui
sont inaliénables. Les droits humains ne peuvent être mis aux
enchères, et lorsque vous avez un droit, vous êtes autorisé à
vous en servir. Que vous vous en serviez ou non, ce choix est le vôtre.
Mais vous ne pouvez pas dire « Vous avez cette possibilité-là
ou celle-là » et demander en même temps tout de suite
laquelle nous choisissons.
Un droit humain est quelque chose d’inhérent à
la dignité humaine et à l’être humain. Par exemple, un
adolescent peut avoir le choix d’aller dans une école supérieure
ou non. S’il n’exerce pas ce droit, cela ne signifie pas que
ce droit disparaît.
Il y a des millions de résidents turcs en
Allemagne, et chacun d’entre eux peut décider à tout moment de
rentrer chez lui. Il en est de même avec les millions de Grecs
aux Etats-Unis, et les millions de Libanais au Brésil. Ils
peuvent tous décider de rentrer chez eux à tout instant.
Retourner chez soi n’est pas un billet à la
validité limitée dans le temps. C’est un droit qui peut être
exercé au moment que je veux. Il ne peut pas être proposé pour
une durée déterminée ou remplacé par d’autres choix, comme
des compensations. Il n’y a aucune équivalence entre le Droit
au retour et les compensations.
Les lois habituelles sur les compensations sont
claires : si vous causez du mal à qui que ce soit, vous
devez lui donner des compensations proportionnelles au dommage
subi, les Palestiniens insistent sur ce fait. En plus de tout
ceci, des réparations suite aux crimes de guerre devront être
payées. De ces trois éléments le droit au retour est le
premier.
Ce que les Palestiniens sont prêts à faire après
que leur Droit au retour et des compensations aient été
garantis, c’est la préparation d’un plan sur la façon de
rentrer et sur les destinations retenues. J’ai mis en avant
plusieurs propositions dans mon livre « From Refugees to
Citizens at Home » [Des réfugiés aux citoyens dans leur
patrie].
Aljazeera.net : Vous avez
aussi récemment publié un atlas qui a demandé plus de 10 ans de
travail. Pourquoi l’avez-vous écrit, et pourquoi est-il si
significatif ?
Abu-Sitta : En 1949, immédiatement après
les hostilités et la Nakba, le premier ministre israélien Ben
Gourion a mis en place un comité chargé de faire disparaître
tous les noms palestiniens, arabes, et historiques, et de les
remplacer par des noms hébraïques.
Je dis même anéantir les noms palestiniens et
arabes et les autres noms historiques pour signifier que toutes
les appellations utilisées par les Palestiniens pendant 5000 ans
ont disparu... Cela faisait partie de la tentative de réduire au
silence l’histoire des Palestiniens après que leur terre ait été
volée puis vidée de sa population.
L’objectif de l’atlas est de réaffirmer ce
droit et d’enregistrer et documenter 40 000 noms qui étaient en
usage en Palestine en 1948 et auparavant. Nous montrons dans cet
atlas les noms et emplacements de 1 300 villes et villages, de 10
000 sites religieux, culturels et historiques et de 20 000 noms de
lieux. Ces noms sont le vocabulaire de la vie en Palestine.
Vous pouvez y voir les noms des puits, des rivières,
des vallées avant 1948, ainsi que les lieux où des évènements
historiques se sont déroulés. L’atlas est si détaillé que même
le jardin d’un individu peut y être identifié. C’est donc un
de ses objectifs.
L’autre objectif de cet atlas est de regarder
aussi en avant. Cet atlas peut être le plan de la Palestine de
demain, lorsque les Palestiniens rentreront chez eux et que la
jeune génération qui n’a pas connu sa patrie mais qui en a
entendu parler, pourra la parcourir et trouver où sont leurs
villages et leurs terres ; ils pourront ainsi reconstruire la
Palestine.
Aljazeera.net : Le
commentateur d’Haaretz, Ari Shavit, dans un article daté du 19
mai, disait : « Il n’y a qu’une seule voie pour
parvenir à la paix entre Israéliens et Palestiniens : 1948
en échange de 1967. Le droit à l’autodétermination en échange
du droit au retour. Les Etats-Unis doivent mettre Abu Mazen face
au choix suivant : un Etat ou un rêve ; la paix ou le
retour ». Quelle est votre réponse ?
Abu-Sitta : C’est comme si la personne qui
vous a fait du tort vous disait : « Je vais prendre vos
enfants mais en même temps je vous rendrai votre maison »,
ou « Je vais prendre votre maison et en échange je
laisserai vos enfants ».
Il ne peut y avoir de troc si les droits humains
vous sont enlevés. Vous ne pouvez pas dire « Vous êtes
autorisés à respirer mais vous n’avez pas le droit de manger ».
Ce genre d’argument est selon moi raciste, car quelqu’un vous
dépouille de l’essentiel de vos droits puis vous dit :
« Si je vous en restitue un ou deux, vous faites une croix définitive
sur les autres ».
Il n’y a pas de comparaison ou d’équivalence
entre un Etat palestinien et le Droit au retour. L’Etat de
Palestine a été créé en 1917 par la Ligue des Nations sous le
mandat britannique de la Classe 4, lequel reconnaît l’indépendance
de la Palestine après une période d’assistance administrative.
Cet Etat n’a pu voir le jour à cause de la déclaration
de Balfour et de l’invasion sioniste de la Palestine en 1948. A
présent ce droit reste pour les Palestiniens en attente. Le droit
à disposer d’un Etat est un droit politique exercé par une
autorité sur le peuple sur un espace délimité, tandis que le
Droit au retour est un droit de base et inaliénable qui ne peut
ni être négocié ni mis aux enchères.
Il s’applique à tout Palestinien qui a été
expulsé ou a été forcé de quitter sa maison en 1948 ; ce
palestinien a le droit de retourner à la place qui est la sienne
sans tenir compte de la souveraineté qui s’y applique,
qu’elle soit israélienne, palestinienne, française ou
britannique.
Par conséquent la légalité du Droit au retour
s’applique sans égard à la composition politique du pays
concerné - qu’il s’agisse d’un ou de deux états. Cela a été
clairement spécifié dans la résolution sur la partition.
C’est une idée tout à fait fausse de vouloir troquer les deux ;
c’est moralement répréhensible, invalide du point de vue du
droit et politiquement mauvais.
Aljazeera.net : Après toutes
ces années, qu’est-ce qui a changé pour les réfugiés
Palestiniens ? Le droit au retour est-il plus ou moins réalisable
aujourd’hui, en 2005, et a-t-il encore de l’importance ?
Abu-Sitta : Après 57 années, il apparaît
clairement que les Israéliens sont militairement trop puissants
et ne sont pas prêts de céder sur le Droit au retour, et que les
Etats-Unis vont les soutenir dans cette attitude dans le futur immédiat.
De l’autre côté, les Palestiniens n’ont pas
fait que se souvenir du Droit au retour, et à présent le
mouvement dans le monde autour de ce droit est plus fort que
jamais. Il est repris par la troisième génération de réfugiés,
lesquels sont confiants, avec un haut niveau d’éducation et
tout à fait efficaces dans leurs actions comparés à leurs
compagnons d’il y a 50 ans.
Aussi, le monde s’est maintenant réveillé, et
spécialement le monde occidental qui n’accorde plus guère de
crédit à la propagande sioniste selon laquelle « la
Palestine est une terre sans peuple pour un peuple sans terre »,
ou encore qu’ « il n’y a pas de Palestiniens ».
Si vous comparez ces deux situations vous
trouverez qu’il y a une impasse : les Palestiniens ne
peuvent défaire Israël militairement, et Israël ne peut faire
disparaître les Palestiniens. Que va donc devenir cette impasse
dans le futur ?
La force derrière Israël est limitée dans le
temps, alors que l’esprit et la détermination des Palestiniens
et de ceux qui les soutiennent sont une force montante et non pas
descendante. C’est pourquoi je n’ai aucun doute sur le fait
qu’un jour, c’est la justice qui va prévaloir.