The Independent, le 28 octobre 2006
article original : "Mystery
of Israel's secret uranium bomb"
Israël a-t-il utilisé une nouvelle arme
secrète à base d'uranium dans le Sud-Liban cet été, lors de
l'assaut de 34 jours qui a coûté la vie à plus de 1.300
Libanais, pour la plupart des civils ?
Nous savons que les Israéliens ont utilisé des
bombes américaines anti-bunkers contre le quartier général du
Hezbollah à Beyrouth. Nous savons qu'ils ont aspergé le
Sud-Liban de bombes à fragmentation dans les dernières 72
heures de la guerre, laissant des dizaines de milliers de
mini-bombes qui tuent toujours des civils libanais chaque
semaine. Et nous savons maintenant — après qu'elle a d'abord
nié catégoriquement avoir utilisé de telles munitions — que
l'armée israélienne a aussi utilisé des bombes au phosphore,
des armes qui sont censées être réglementées en vertu du
troisième protocole des Conventions de Genève, que ni Israël,
ni les Etats-Unis n'ont signé.
Mais des preuves scientifiques collectées à
partir d'au moins deux cratères de bombes, à Khiam et à
At-Tiri, théâtre de combats féroces entre les combattants du
Hezbollah et les soldats israéliens en juillet et août
derniers, suggère que des munitions à base d'uranium puissent
être aussi incluses dans l'inventaire des armes d'Israël —
et qui ont été utilisées contre des cibles au Liban. Selon le
Dr Chris Busby, le Secrétaire Scientifique britannique du Comité
Européen sur les Risques de Radiations, deux échantillons de
sol, projetés par les bombes massives ou guidées, ont montré
des "signatures radioactives élevées". Ces deux échantillons
ont été transmis au laboratoire Harwell dans l'Oxfordshire
pour de plus amples examens par spectrométrie de masse —
utilisée par le Ministère de la Défense — qui ont confirmé,
dans ces échantillons, la concentration d'isotopes d'uranium.
Le rapport initial du Dr Busby établit qu'il y
a deux raisons possibles pour cette contamination. "La
première est que l'arme était un petit équipement original
expérimental de fission nucléaire (c'est à dire, une arme
thermobarique[1]) basée sur la
température élevée de l'éclair causé par l'oxydation
d'uranium... La seconde est que cette arme était une arme
conventionnelle de pénétration anti-bunker à l'uranium
utilisant de l'uranium enrichi plutôt que de l'uranium
appauvri". Une photographie de l'explosion de la première
bombe montre de grands nuages de fumée noire qui pourraient résulter
de la combustion de l'uranium.
L'uranium enrichi est produit à partir du
minerai naturel d'uranium et est utilisé comme combustible pour
les réacteurs nucléaires. Les déchets produits par le
processus d'enrichissement constituent l'uranium appauvri. C'est
un métal extrêmement dur, utilisé dans les missiles antichars
pour percer les blindages. L'uranium appauvri est moins
radioactif que l'uranium naturel, qui est lui-même moins
radioactif que l'uranium enrichi.
Israël a la mauvaise réputation de ne pas
avoir dit la vérité à propos de l'usage qu'il a fait des
armes au Liban. En 1982, Israël a nié avoir utilisé des
munitions au phosphore sur des zones habitées par des civils
— jusqu'à ce que des journalistes découvrent des civils
morts ou en train de mourir dont les blessures s'enflammaient
lorsqu'elles étaient exposées à l'air.
J'ai vu deux bébés morts qui, lorsqu'ils
furent sortis du tiroir de la morgue à Beyrouth-Ouest, lors du
siège de la ville, ont soudain repris feu. Israël a
officiellement nié avoir utilisé à nouveau le phosphore au
Liban cet été — sauf pour "marquer" des cibles —
même après que des civils furent photographiés dans les hôpitaux
libanais avec des brûlures correspondant aux munitions au
phosphore.
Et puis, dimanche dernier, Israël a
soudainement admis qu'il n'avait pas dit la vérité. Jacob
Edery, le ministre israélien en charge des relations avec le
parlement, a confirmé que des obus au phosphore ont été
utilisés dans des attaques directes contre le Hezbollah,
ajoutant que "selon la loi internationale, l'usage de
munitions au phosphore est autorisé et l'armée (israélienne)
respecte les règles des normes internationales".[2]
Interrogée par The Independent pour
savoir si l'armée israélienne avait utilisé, au Liban cet été,
des munitions à base d'uranium, Mark Regev, le porte-parole du
Ministère des Affaires Etrangères israélien a déclaré :
"Israël n'utilise aucun armement qui n'est pas autorisé
par la loi internationale ou les conventions
internationales". Ce qui soulève toutefois plus de
questions que cela n'apporte de réponses. En effet, une grande
partie de la loi internationale ne couvre pas les armes modernes
à l'uranium parce que ces dernières n'étaient pas inventées
lorsque les règlements humanitaires, tels que les Conventions
de Genève, furent établis et parce que les gouvernements
occidentaux refusent toujours de croire que leur utilisation
peut causer des dommages à long-terme sur la santé de milliers
de civils vivant dans les zones touchées par ces explosions.
Les forces américaines et britanniques ont fait
usage de tonnes d'obus à l'uranium appauvri (UA) en Irak en
1991 — leurs têtes à pénétration renforcée étant fabriquées
à partir des produits des déchets de l'industrie nucléaire
— et cinq années plus tard, une épidémie de cancers est
apparue au sud de l'Irak.
Les déclarations initiales de l'armée des
Etats-Unis ont prévenu des conséquences graves pour la santé
publique si de telles armes étaient utilisées contre des véhicules
blindés. Mais les gouvernements américain et britannique ont
tout fait pour minimiser ces affirmations. Pourtant, les cancers
continuent de se répandre. Des rapports confirment que les
civils en Bosnie — où l'UA était aussi utilisé par les
avions de l'Otan — souffrent de nouvelles formes de cancer.
Les Obus à l'UA ont été à nouveau utilisés lors de
l'invasion anglo-américaine de l'Irak en 2003, mais il est trop
tôt pour enregistrer leurs effets sur la santé.
"Lorsqu'un obus-flèche à l'uranium touche
une cible dure, les particules de l'explosion ont une durée de
vie très longue dans l'environnement", a déclaré hier le
Dr Busby. "Elles se répandent sur de longues distances.
Elles peuvent être inhalées par les poumons. L'armée semble réellement
croire que ce truc n'est pas aussi dangereux qu'il n'est [en réalité]".
Alors, pourquoi Israël utiliserait-il une telle arme lorsque
ses cibles — dans le cas de Khiam, par exemple — ne se
trouvent qu'à trois kilomètres de la frontière israélienne ?
La poussière soulevée par les munitions à l'UA peut être
soufflée de l'autre côté des frontières internationales,
exactement comme le chlore, utilisé dans les attaques par les
deux camps lors de la Première Guerre Mondiale, s'est souvent
rabattu sur leurs auteurs.
Chris Bellamy, le professeur de sciences et de
doctrine militaires à l'Université de Cranfield, qui a passé
en revue le rapport de Busby, a déclaré : "Au pire, il
s'agit d'une sorte d'arme expérimentale avec un composant à
l'uranium enrichi, dont nous ne connaissons pas encore
l'objectif. Au mieux — s'il est possible de dire une telle
chose — cela montre une attitude remarquablement cavalière
pour l'utilisation des produits des déchets nucléaires".
L'échantillon de sol provenant de Khiam —
site d'une prison tristement célèbre pour sa pratique de la
torture lorsque Israël occupait le Sud-Liban entre 1978 et 2000
et ligne de front et bastion du Hezbollah lors de la guerre de
cet été — était un échantillon de terre rouge percutée
par une explosion ; le taux d'isotopes était de 108, indiquant
la présence d'uranium enrichi. "Les effets sanitaires sur
les populations civiles locales, à la suite de l'utilisation de
gros obus-flèches à l'uranium, et la grande quantité de
particules d'oxyde d'uranium pouvant être respirées dans
l'atmosphère", dit le rapport de Busby, "ont toutes
les chances d'être significatives... nous recommandons que la
zone soit examinée pour rechercher d'autres traces de ces
armes, avec pour objectif de la nettoyer".
La guerre du Liban de cet été a commencé après
que les combattants du Hezbollah ont traversé la frontière
libanaise pour pénétrer en Israël, capturer deux soldats israéliens
et en tuer trois autres, provoquant Israël à déchaîner un
bombardement massif sur les villages, villes, ponts libanais et
autres infrastructures civiles. [NdT : les cinq autres soldats
qui sont tombés durant le raid du Hezbollah, et dont la mort
est attribuée par Israël — et les Occidentaux en général
— au Hezbollah, ont sauté sur des mines antipersonnel posées
par les Israéliens eux-mêmes]. Des associations des droits de
l'homme ont dit qu'Israël avait commis des crimes de guerre en
attaquant les civils. Toutefois, le Hezbollah s'est aussi rendu
coupable de tels crimes, parce qu'il a tiré vers Israël des
missiles remplis de billes de roulement, transformant leurs
roquettes en bombe à fragmentation primitives à explosion
unique.
Cependant, de nombreux Libanais ont conclu
depuis longtemps que la dernière guerre du Liban a été un
terrain de test d'armes pour les Américains et les Iraniens,
qui les ont fournies respectivement à Israël et au Hezbollah.
De la même manière qu'Israël a utilisé dans ses attaques des
missiles étasuniens (non-prouvé jusqu'à présent), les
Iraniens ont pu tester une roquette qui a touché une corvette
israélienne au large de la côte libanaise, tuant quatre marins
israéliens et faisant presque sombrer le vaisseau après un feu
à bord qui a duré 15 heures.
Ce que les fabricants d'armes ont fait des dernières
découvertes scientifiques de l'usage potentiel d'armes à
l'uranium au Sud-Liban n'est pas encore connu. Ni leurs effets
sur les civils.
© 2006 Independent News and Media Limited / Traduction [JFG-QuestionsCritiques]
Notes :
[1] arme thermobarique :
Arme de type conventionnel, explosive, qui combine des effets
thermiques, d'onde de choc et de dépression. On appelle aussi
ce type d'arme : armes à surpression thermobarique, fuel-air
explosives (FAE or FAX), bombes aérosols ou bombes à vide
ou encore bombes à charge creuse. On lira avec intérêt le
communiqué du député français Jacques Myard, rapportant
l'utilisation de telles armes : "Israël
a-t-il perdu la raison ?".
[2] Lire l'article "Israël
admet avoir utilisé des bombes au phosphore au Liban",
The Independent, 23 octobre 2006