Syrie
Témoignage sur les
combats autour de Sayyda Zaynab (Damas)
Mercredi 15 août
2012 Un de nos contacts nous a fait
parvenir le témoignage d'un habitant
de la banlieue de Damas. L'auteur y
décrit les combats, la fuite des
habitants et de manière générale la
récente situation dans le quartier
abritant le sanctuaire de Sayyda
Zaynab près de Damas. En voici la
traduction ainsi qu'une vidéo
illustrant ses propos.
L'auteur a souhaité garder
l'anonymat pour des raisons de
sécurité. Nous le remercions
profondément ainsi que la personne
qui nous a fait parvenir son
témoignage. Dans ce rapport, je vais énoncer ce
qui a été vu et publiquement reconnu
dans la zone de Sayyda
Zaynab (Banlieue de Damas). Cette zone abrite le sanctuaire de
Sayyda
Zaynab à 15 km au sud-est de
Damas. La région est composée de
communautés multiethniques et
multiconfessionnelles. La majorité
des personnes qui habitent les
quartiers environnants viennent à la
base du Golan syrien alors que la
zone qui accueille le sanctuaire est
habitée par environ 60% de chiites.
Ces derniers sont souvent
propriétaires d’hôtels et viennent
principalement de Syrie, d'Irak, et
d’Afghanistan. On y trouve des
centres d'enseignement et des
séminaires islamiques et les
diverses confessions pratiquent
leurs activités religieuses très
librement. Les institutions
religieuses et éducatives chiites et
séminaires (principalement gérés par
des non-syriens) sont ouverts à de
nombreux étudiants de tous les coins
du monde et parrainent également des
étudiants locaux. Tous les fonds
viennent de l'étranger par
l'intermédiaire d'organismes de
bienfaisance, les centres éducatifs
et de grands clercs. Etant donné les
prix attractifs de l’immobilier,
d’autres chiites, pauvres pour
l’essentiel qu’ils soient Syriens,
Afghans ou alors réfugiés irakiens
vivent en tant que minorité dans des
zones voisines avec une majorité
sunnite originaire du Golan (des
régions appelées Hijjirah, Ghurbah,
Thiyabiyyah, Speanah, Bibbilah, etc).
Ses habitants sont essentiellement
des familles pauvres ayant un faible
niveau d'éducation scolaire. Durant environ un an, de petites
manifestations quotidiennes contre les
autorités syriennes avaient lieu dans
ces zones environnantes. Mais ce n’était
pas le cas pas du côté du sanctuaire
autour duquel ni les chiites ni les
sunnites n’ont participé à ce genre de
protestations. Les sunnites vivant aux
abords du saint sanctuaire ont compris
que tout renversement politique en
faveur de l’opposition islamiste sunnite
éliminerait le tourisme religieux et ses
pèlerins chiites. Cela signifierait la
faillite de leurs commerces, tout comme
celui des chiites si un tel changement
de pouvoir avait lieu. S’ils ne seraient
pas forcément abattus, cela aurait au
minimum pour conséquence une restriction
de leurs libertés et droits religieux.
C’est pourquoi les sunnites ont toujours
pratiqué leur religion dans le calme, au
sein des nombreuses mosquées sunnites
qui entourent le sanctuaire de Sayyda
Zaynab jusqu'à ces derniers jours
(3 août 2012). Cependant ce n’était pas le cas dans les
zones voisines. Des gens jalousaient des
habitants de la zone du sanctuaire, à
qui le tourisme religieux offre plus
d’opportunités commerciales. Les groupes
d'opposition sunnite reprochent
sévèrement aux minorités religieuses en
Syrie (en particulier aux chiites) de ne
pas soutenir leurs revendications. Ils
voient dans ce silence une manière de
soutenir le « régime syrien ». Ainsi,
certaines personnes, et en particulier
les extrémistes sunnites "wahhabites" et
"salafistes" utilisent ce genre de
critique politique pour agiter une haine
sectaire. Par conséquent, une nouvelle étape du
conflit a commencé à partir d’avril
2012.
Des personnes liées à des groupes
d'opposition ont commencé à assassiner
certains chercheurs ou enseignants des
établissements religieux chiites et en
particulier ceux qui vivaient parmi eux
près des points chauds. Cependant la
communauté chiite s’est efforcée de
rester inébranlable et de terminer
l'année scolaire pour les étudiants
parmi les quelques cas de violence. Le lundi 17 Juillet 2012, les tensions
ont atteint leur point culminant.
Dans la matinée, des groupes armés (de
pistolets, fusils, épées ou haches)
constitués d’étrangers ont été remarqués
par les habitants de ces zones,
accompagnés par quelques personnes
locales liées à des groupes
d'opposition. Ils sont apparus armés
publiquement pour la première fois
et erraient dans les rues. À 12 heures,
des haut-parleurs dans les mosquées
sunnites et dans les rues ont été
entendus appelant au "jihad islamique"
et ordonnant aux chiites de quitter
immédiatement l’endroit sous peine
d’être tous tués. Après quelques
minutes, d'autres appels ont commandé à
toutes les personnes sunnites qui ne
soutenaient pas l'opposition de quitter
également l’endroit sans quoi ils
rencontreraient le même sort que les
chiites. Les gens étaient terrifiés et
déconcertés. Ils se précipitèrent dans
toutes les directions sans ne rien
prendre avec eux. La plupart des chiites et certains
sunnites non liés à l’opposition ont
cherché refuge dans le quartier du
sanctuaire de Sayyda
Zaynab. Cette zone semblait plus
sûre en raison des bâtiments modernes
donc solides, des hôtels et des rues
très étroites, plus faciles à protéger.
Le mardi 17 juillet 2012, une attaque a
eu lieu sur le poste de police dans la
rue principale jouxtant le sanctuaire.
Les tirs ont duré au moins deux heures,
puis les assaillants se sont retirés
après l’arrivée d’un groupe de
policiers. Dans la soirée, on entendait
des tirs à l’artillerie lourde et des
bruits de bombes. Des hommes armés qui
prétendaient être de l'armée libre
(d’opposition) ont déclaré que leurs
zones (Hijjira, Mashtal, thiyabiyya, etc)
étaient sous leur contrôle et qu’ils
étaient maintenant prêts à entrer dans
celle du sanctuaire de Sayyda
Zaynab, abritant principalement
des chiites de différents pays.
La majorité des gens avec qui je vis
dans cette zone étaient des civils
politiquement neutres. En dehors d’un
poste de police local, ni l’armée
syrienne ni milices ne se trouvaient sur
place. A minuit, une bataille acharnée
éclata entre l'opposition armée et les
résidents du quartier, qui ont
immédiatement formé une milice locale
pour défendre la zone. Après avoir à
plusieurs reprises tenté de pénétrer la
zone, ils ont finalement attaqué une
mosquée iranienne au nord ainsi que le
bureau de l'Imam Khamenei avec des
roquettes et des bombes.
De l'autre côté du quartier, des jeunes
hommes armés ont attaqué l'hôpital
caritatif Imam Khomeyni et volé tout son
contenu. Deux membres du personnel
(essentiellement composé de chiites) ne
sont jamais réapparus les jours
suivants.
Le lendemain, à partir du toit de notre
immeuble, j'ai pu voir des hélicoptères
venant bombarder l'hôpital après qu'il
ait été pris comme bastion pour les
activités de « l'armée libre »
(d’opposition) dans la région de
Thyabiya. Il semblait y avoir deux camps
distincts : les résidents syriens
chiites à proximité du sanctuaire saint
face à des sunnites de l'autre côté de
la zone. Ce que nous avons vu était une
véritable bataille entre les jeunes de
ces deux régions voisines. La bataille a
été considérablement marquée par son
caractère sectaire. Il y eut de nombreux
morts, blessés et kidnappés des deux
côtés, en plus du saccage des maisons et
des meurtres de leurs habitants. Jusque
là, l’armée n’était pas intervenue.
Le mercredi 18 juillet 2012, les
hélicoptères sont venus et ont ouvert le
feu sur toute la zone aux mains des
groupes d'opposition. La plupart de ces
mosquées sunnites appelaient au Jihad et
criaient « Allahu Akbar »
continuellement pendant l'attaque. Les
groupes armés ont tiré contre les
hélicoptères utilisant des missiles et
autres armes, mais sans succès. Les
bâtiments, les portes et les fenêtres
tremblaient à cause de cette bataille
féroce qui a finalement quasiment cessé
l'après-midi.
En fin d'après midi, un grand nombre
d’hommes armés étrangers sont arrivés
sur la rue « irakienne » et la place «
irakienne » (à seulement 500 mètres du
sanctuaire), soit la porte nord de la
zone. C’est là que se trouvaient la
plupart des réfugiés chiites, ainsi que
des réfugiés en provenance de Homs. La
majorité de ses habitants sont des
irakiens sunnites et chiites, mais aussi
des hommes d'affaires irakiens. Ils ont
ordonné à tous les Irakiens de partir
sur le champ après avoir tué
quelques-uns d'entre eux au cours des
derniers jours. Il n'y avait pas assez
de moyens de transport pour évacuer les
milliers de familles. Dans la soirée, de
grosses batailles ont eu lieu entre les
assaillants armés et des jeunes chiites
de la région ainsi que plusieurs
tentatives de pénétrer la zone,
s’étendant sur moins d’un km2. De
nombreux appels venant des résidents
étaient lancés à la police et aux forces
armées par les résidents, mais il n'y
eut aucune réponse directe. Certaines
personnes ont été tuées et blessées par
les deux côtés.
Jeudi 19 juillet 2012, un hélicoptère a
lancé un missile sur un enterrement
ayant lieu dans la zone de Hijjirah à 3
km du sanctuaire de Sayyida Zaynab. Un
porte-parole de l'opposition a affirmé
que près de 100 personnes ont été tuées
et blessées, dont certains étaient
inconnus. Plusieurs hélicoptères
également sont venus et ont ouvert le
feu sur des bâtiments abritant les
rebelles armés. De nombreux civils se
sont échappés decette zone pour se
rendre dans la zone du sanctuaire.
Les gens de ce quartier accueillent au
sein de leurs maisons et parfois même
des gens qu’ils ne connaissent pas. Plus
de 3000 familles vivent désormais dans
ce quartier gratuitement sous la
bienveillance de ses habitants, les
familles d'orphelins sont nourries et
les pauvres soutenus financièrement.
Contrairement à ce qui avait été
annoncé, je n'ai pas remarqué de milices
irakiennes, ni libanaises du côté
chiite.
Jeudi après-midi, les groupes
d'opposition appelaient via les
haut-parleurs des mosquées à tuer tous
les chiites et en criant «Allahu Akbar».
Ils ont bloqué toutes les routes vers
Damas et ailleurs. Des chiites ont été
capturés et parfois tués, ce qui a agité
de l'autre camp.
Dans la soirée, de violents combats ont
éclaté entre les groupes armés et les
jeunes chiites armés dans la zone de
Sayyida Zainab. Au matin, les cadavres
étaient retrouvés dans les rues semant
la confusion parmi la population et un
niveau de panique inégalée. La peur et
l'anxiété étaient palpables pour tout le
monde, y compris moi-même et ma famille.
Au petit matin, un grand nombre d'hommes
armés se préparaient dans la région
Hijjirah pour une attaque en
représailles sur la zone du sanctuaire
en réponse aux événements de la veille.
Beaucoup étaient morts ou blessés suite
à des bombardements venant
d’hélicoptères. Les gens du côté du
sanctuaire commençaient à craindre des
massacres de masse, surtout quand les
rebelles ont déclaré leur volonté de
détruire la région. Armés de fusils, les
habitants ont clairement affiché leur
volonté de défendre leur quartier
jusqu’à la mort. Il n’y avait jusqu’à
lors aucune forces gouvernementales
excepté quelques vols d'hélicoptères de
temps à autre.
Vendredi 20 juillet 2012 a été un
tournant décisif contre les rebelles.
Les troupes de l'armée de terre
couvertes par des hélicoptères sont
arrivés dans la zone. D’énormes
bombardements nous obligèrent à nous
précipiter dans un humble abri de notre
immeuble. Nous ne savions pas ce qui se
passait pendant la journée. Aucun
magasin n’était ouvert, aucun soin
n’était dispensé et notre rue était
déserte (à environ 400 mètres du
sanctuaire). La quasi totalité de mes
voisins se sont échappé sans prévenir.
Il n'y a plus de nourriture, pas d'eau
potable et pas de moyens de transport à
l'extérieur. L'après-midi, mon ami, un
Irakien professeur d'arabe et sa famille
ont insisté pour quitter le pays quoi
qu’il arrive. J'ai pu l'aider à porter
leurs bagages sur un fauteuil roulant.
Nous avons marché 1200 mètres jusqu’à
station de bus « irakienne, des tirs
lourds au dessus de nos têtes. Je l'ai
salué à mi-chemin puis suis rapidement
retourné à ma famille.
Samedi 21 Jul.2012. Les bombardements
étaient de partout. J'ai réussi à
réserver des places de bus pour ma
famille à un prix très élevé. Les rues
étaient vides, sauf de quelques jeunes
gens armés qui bloquaient les routes de
la zone aux inconnus. J'ai transporté
les bagages lourds de ma famille sur une
distance de plus de 1200 mètres et
réussi à les évacuer. C'était un chemin
très risqué. Dans la soirée, j'ai
entendu que les troupes de l'armée
gouvernementales se dirigeaient vers «
Thyabiya » et quelques autres zones.
Cette nuit a été la pire de toutes.
Beaucoup d'hommes armés ont réussi à
s'échapper du champ de bataille et
vinrent dans notre bloc se cacher sur
les toits des bâtiments vacants. Ils ont
alors commencé à ouvrir le feu contre le
point de contrôle de la porte sud de la
zone du sanctuaire. Des tireurs d'élite
occupaient des endroits appropriés sur
les toits.
Une bataille acharnée a pris place dans
la nuit sombre lorsqu’ il n'y avait pas
d'électricité, pas de cliniques, pas de
pharmacies, etc ... Les fenêtres
explsaient et les bris de glasses
étaient omniprésents le lendemain matin.
Je remercie Dieu de m’avoir permis
d’évacuer ma famille à temps.
Dimanche 22 juillet 2012, la matinée
était très calme puis la situation a
explosé l’après-midi. Des troupes de
l'armée accompagnées d’hélicoptères ont
commencé à attaquer les zones chaudes et
ceci également aux alentours du
sanctuaire où des milliers de familles
déplacées et les réfugiés étaient
hébergées. Les hôpitaux de la région ont
d’abord été occupés par les rebelles
armés pour y installer leur base, puis
par la suite ont été repris par les
forces gouvernementales. Les mosquées
également prises comme bases pour les
rebelles armés ont aussi été bombardées
et endommagées. Cette situation a duré
les 2 jours suivants.
Le mardi 24, la situation s'est
améliorée grâce à certaines personnes
qui ont commencé à aller chercher de la
nourriture, de l'eau et d’autres
produits de première nécessité. J'ai été
en mesure de trouver un ami qui a un
taxi pour me rendre à Damas afin de
réserver des billets en cas d'urgence.
Le chemin de Damas était vide et
absolument terrifiant. Si des hommes
armés barraient la route et vanaient à
savoir que moi et mon compagnons sommes
chiites, ils nous auraient capturés.
Mais nous avons été en mesure de passer
et de revenir à nouveau. À notre retour,
il m’a semblé que les combattants
avaient été abattus ou bien qu’ils se
reposaient. Dans la soirée, nous avons
de nouveau entendu les combats mais
cette fois-ci plus loin qu'auparavant.
Le lendemain se déroula de la même
manière sauf que les organisations de
bienfaisance, l'équipe du
Croissant-Rouge et les sauveteurs ont
commencé à arriver et à aider les
personnes en difficulté.
Les jours suivants se sont beaucoup
améliorés jusqu’à maintenant mais la
situation n’est pas stable. De temps à
autres, des rebelles peuvent saisir une
opportunité d'attaquer un point de
contrôle ou un poste de police.
Cependant, certains magasins ont
commencé à ouvrir de nouveau et nous
pouvons apercevoir quelques taxis dans
les rues. Je suis allé à Damas le
mercredi 1er août 2012 pour recevoir des
aides destinées aux pauvres et aux
personnes déplacées. La route était
sécurisée. Les habitants des zones
chaudes ont alors pu commencer à
retourner dans leur maison. Certaines
personnes ont les ont trouvé
endommagées. En outre, certains chiites
sont retournés à leurs écoles pour
constater les vols, les incendies causés
par les rebelles ou bien la destruction
des bombardements. En outre, certains
chiites syriens ou afghans que je
connais ont été attendus sur ces lieux
par des snipers pour les abattre.
Actuellement, il n’y a plus de troupes
dans la zone, mais la police occupe
principalement les rues.
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