Pakistan
Benazir
peut-elle sauver la démocratie ?
Fatima Bhutto
Benazir Bhutto - Photo AP
Jeudi 15 novembre 2007
Fatima Bhutto, écrivaine
pakistanaise, est la nièce de l’ancien Premier ministre. Elle
ne partage pourtant pas la foi que beaucoup de ses compatriotes
ont en sa tante, qui aimerait passer pour le dernier espoir de
sortir son pays du régime militaire de Pervez Musharraf.
L’état d’urgence d’être imposé pour la
treizième fois dans le pays en tout juste soixante ans
d’histoire. Des milliers d’avocats ont été arrêtés,
certains ont été accusés de sédition et de trahison, le président
de la Cour suprême a été limogé et une loi draconienne sur les
médias – qui ordonne la fermeture de toutes les chaînes
d’information privées – a été mise en place.
Mais le plus bizarre dans tout ce cirque est le détournement
de la cause démocratique par ma tante, Benazir Bhutto,
l’ex-Premier ministre déchu à deux reprises. Le mois dernier,
pendant qu’elle négociait un accord sur un partage du pouvoir
avec le général Pervez Musharraf, elle a affirmé une nouvelle
fois que, sans elle, la démocratie au Pakistan serait une cause
perdue. Maintenant que la situation a changé, elle réclame la démission
du président Musharraf et manifeste son désir de s’allier aux
opposants, tout en continuant à se présenter comme le sauveur de
la démocratie. Pourtant, nul n’est mieux placé qu’elle pour
tirer profit de l’état d’urgence. D’autant que, comme les
dirigeants des grands partis islamistes, elle a été épargnée
par la violente répression qui l’a accompagné.
Il est généralement admis que Mme Bhutto a
été démise de ses fonctions de chef de gouvernement pour
corruption. Elle et son époux, surnommé "monsieur 10 %"
au Pakistan [pour la part qu’il s’octroyait sur les contrats nécessitant
son accord], ont été accusés d’avoir puisé plus de 1
milliard de dollars dans les caisses de l’Etat. La justice
suisse l’a également condamnée pour avoir blanchi 1 million de
dollars, verdict contre lequel elle s’est pourvue en appel.
D’autres affaires de corruption la concernant sont en cours en
Grande-Bretagne et en Espagne. Il était particulièrement déplacé,
de la part de Mme Bhutto, de demander au président Musharraf
de court-circuiter l’appareil judiciaire et d’abandonner les
nombreuses charges de corruption qui pèsent encore sur elle au
Pakistan. Il a toutefois accepté en signant la bien mal nommée
"ordonnance de réconciliation nationale". Sa
collaboration avec le général a été si peu discrète que les
gens surnomment désormais son parti – le Parti du peuple
pakistanais – le "Parti du peuple Pervez". Même si
aujourd’hui elle souhaite prendre ses distances, il est trop
tard.
Les promesses répétées de Mme Bhutto de
mettre fin au fondamentalisme et au terrorisme au Pakistan sont
difficilement crédibles, car, sous son propre gouvernement, le régime
taliban qui gouvernait l’Afghanistan a été reconnu par le
Pakistan – l’un des trois seuls pays au monde à l’avoir
fait.
Je doute également de son engagement à maintenir
la paix. Mon père, Mir Murtaza Bhutto, était parlementaire et
critiquait vivement la politique de sa sœur. Il a été abattu
devant notre maison en 1996 dans une opération soigneusement montée
par la police alors que Benazir était Premier ministre. Il y
avait entre 70 et 100 policiers sur les lieux, tous les réverbères
avaient été éteints et les routes coupées. Six hommes ont été
abattus avec mon père. On leur a tiré dessus à bout portant et
leurs corps ont été abandonnés dans la rue.
Mon père était le petit frère de Benazir. Le rôle
de cette dernière dans son assassinat n’a toujours pas été
clairement établi, même si le tribunal réuni après sa mort
sous l’autorité de trois juges très respectés a conclu
qu’elle ne pouvait avoir eu lieu sans l’approbation des
"plus hautes" instances politiques.
Si l’on soutient Mme Bhutto, qui parle de démocratie
tout en demandant à un dictateur militaire de la porter au
pouvoir, on ne fera que provoquer la mort du mouvement démocratique
naissant de notre pays. La démocratisation sera à jamais déligitimée,
et nos progrès dans l’adoption de véritables réformes seront
réduits à néant. Les Pakistanais peuvent être certains de cela.
|