Opinion - Anis B
“Dorénavant, on n’a plus peur” !!!!! لا خوف بعد اليوم
Mardi 4 janvier 2011
Cette phrase, aperçue sur une pancarte lors d’une manifestation
des avocats Tunisiens devant la Cour de Justice de Tunis, résume
parfaitement le sentiment de beaucoup de Tunisiens aujourd’hui.
Nous vivons une période historique pour les Tunisiens, qui
habitués au silence, à la peur et au conformisme depuis des
décennies prennent enfin leur destin en main. La résistance face
à l’occupant français et les promesses de construction d’un état
souverain et démocratique a laissé place à un président à vie,
un parti unique et à une élite dépendante du pouvoir centrale.
Un schéma comparable à la vie d’un palais, avec un roi, une
cour, une reine et puis une autre…
La promesse de changement survenue le 07 Novembre 1987 s’est
rapidement transformée en une autre vie de cour. On a pris les
mêmes (ou presque) et on a recommencé. On a changé le nom du
parti, son orientation politique (de gauche vers la droite) mais
on a gardé la même poigne de fer pour dompter la population et
écarter toute menace politique qui viendrait déranger le cours
tranquille du fleuve rouge devenu mauve en cours de route.
Ceci nous ramène à la personnalité du Tunisien type
construite sur des décennies. Le Tunisien ne veut pas déranger,
il veut se construire une petite place, garantir son salaire,
acheter une maison, et idéalement une voiture. Et voilà, tout ce
qui se passe en dehors de ce cercle, ne le concerne pas
directement.
Ceux qui s’aventurent en dehors de ce cadre de vie idéal, il
y a le ministère de l’intérieur pour s’occuper d’eux. La police
régulière et surtout la police politique sont au taquet pour
dissuader quiconque ose se hasarder en dehors de la tanière. Un
schéma Orwellien parfait !
Le peu de journalistes étrangers qui se sont penchés sur les
évènements des deux dernières semaines se sont accordés à dire
que ce qu’on voit en Tunisie aujourd’hui est exceptionnel. La
Tunisie, un état policier reconnu internationalement et bien
fière de l’être n’a pas l’habitude de vivre des émeutes
similaires.
La dernière fois que le peuple s’est soulevé massivement et
spontanément sans être motivé par des raisons religieuses ou
pour soutenir les Palestiniens ou les Irakiens… c’était sous
Bourguiba, les bien fameuses révoltes du pain.
Qu’a fait Bourguiba face à cette situation ? Il s’est adressé
au peuple, s’est excusé publiquement et a promis des changements
concrets.
Je ne fais en aucun cas les éloges de Bourguiba, car il a une
trop grande responsabilité à assumer dans la situation actuelle
de la Tunisie. Ceci dit, la comparaison entre son approche et
celle du président actuel, Zine El Abidine Ben Ali est très
intéressante.
Ben Ali, s’est adressé hier au peuple tunisien en direct,
chose exceptionnelle. Ses apparitions sont généralement bien
préparées avec un discours bien léché et une horde
d’applaudisseurs dans la salle. Tous ses discours sont
généralement très visionnaires et jouissent du support de toute
la salle qui l’interrompt à chaque phrase pour scander des
« Vive Ben Ali » interminables…
Le discours a duré 7 minutes et 7 secondes. Une pathétique
allusion au célèbre 7 symbole du pouvoir en place pour
nous rappeler la date « du changement béni » du 07 Novembre
1987. Si ce n’est pas le cas alors c’est une géniale
coïncidence…
Ben Ali s’adresse à la population en un arabe littéraire
inaccessible, contrairement à Bourguiba qui s’est toujours
exprimé en tunisien parlé. Le Tunisien lambda en quête
d’explications, curieux de savoir comment le président de la
république va réagir à des émeutes qui menacent la stabilité du
pays, doit se farcir des tournures de phrases ambigües et un
discours fidèle à l’orientation du parti et à sa liste de mots
clefs « pertinents ».
Cela reflète clairement la déconnexion du pouvoir en place de
la réalité même en des temps aussi sensibles.
Le seul mot bien clair a été « بحزم» qu’on peut traduire par
« avec fermeté ». Ben Ali a promis que ses forces de l’ordre
seront fermes avec la minorité de fauteurs de troubles sortis
dans les rues pour déstabiliser le pays.
Ceci est fortement représentatif de l’orientation sécuritaire
et politique du gouvernement Tunisien. Ben Ali est incapable de
reconnaître la dimension spontanée de la révolte des chômeurs.
Il ne veut pas admettre que ce sont des femmes et des hommes
ordinaires qui en ont ras le bol, qui en ont marre.
Il a d’ailleurs précisé que les suicides et immolations par
le feu étaient des cas isolés d’individus faibles
psychologiquement face au désarroi du chômage, bien qu’il
sympathise avec leurs familles et avec tous les chômeurs
tunisiens… Quelle cruauté en direct live !
La deuxième dimension importante est la répression qu’il a
promise et que ses sbires ont commencé à appliquer le soir même,
clef du message télévisé présidentiel. Qu’espérer de mieux d’un
état policier aussi rigide que celui de Téhéran ? Il l’a dit
clairement : We’re coming at you wherever you are young bastards
!
La décrédibilisation des événements de rue et les promesses
de répression ne vont pas sans la troisième composante
omniprésente dans les communications officielles : le
dénigrement de toute source d’information critiquant la Tunisie.
Questa volta tocca a al Jazeera, coupable d’avoir mentionné les
troubles en Tunisie et d’avoir donné une tribune aux
journalistes indépendants ou autres opposants politiques pour
s’exprimer.
Et ce n’est pas fini… Suite au discours, on a du se farcir un
JT digne des heures de gloire de la propagande soviétique. Les
mots clefs ont été bien compris et bien distribués sur la
population interviewée spontanément dans les rues. Les
parlementaires et autres représentants du RCD (Rassemblement
Constitutionnel Démocratique) se sont eux intéressés en long et
en large au cas d’Al Jazeera coupable de tous les maux qui
touchent la Tunisie
La rapidité de mise en place de ce plan de communication
d’urgence est quand même impressionnante, ils ont juste attendu
12 jours pour nous illuminer.
Demander de l’aide à Gaddafi, autre dictateur notoire qui de
plus est couvert de ridicule à chaque apparition, n’y changera
rien. Cette assistance respiratoire à une économie criblée par
la corruption et le clientélisme n’est pas la solution. Envoyer
les Tunisiens à l’étranger n’est pas la solution, ils sont déjà
bien dispersés en diaspora un peu partout dans le monde,
légalement et illégalement…
Monsieur le Président, les Tunisiens ne sont pas dupes. Mêmes
s’ils sont silencieux, dociles et malléables, ils ne sont pas
dupes. Et aujourd’hui ils vous le disent haut et fort, on n’a
plus peur. Les avocats sont sortis dans les rues pour vous le
dire, les syndicalistes, les jeunes chômeurs, leurs familles,
les bloggeurs, les twitteurs, les facebookeurs, tous vous disent
on n’a plus peur et on ne veut plus être pris pour des cons…
Quoi qu’il se passe, on a atteint un palier de conscience et
d’éveil du peuple tunisien, et il y aura certainement un avant
et un après Sidi Bouzid …
Aujourd’hui, on est tous témoin d’un face à face historique
entre la répression et la volonté spontanée d’un peuple de se
libérer, de s’exprimer et de se prendre en main… qui le
remportera ? Time will tell !
A.
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