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La rencontre Kouchner-Aoun marque
la rupture avec la politique chiraquienne
Nadim Freiha
Général Michel Aoun
26
mai 2007 Avec l’arrivée du Général Aoun en
France, Nadim Freiha, membre de la commission politique du RPL, répond
aux questions de tayyar.org
Comment évaluez-vous les relations
franco-libanaises sous la présidence Mr. Jacques Chirac ?
La présidence de Mr. Jacques Chirac s’est caractérisée par
une approche très personnelle et souvent très humaine du
Moyen-Orient. A son actif, le grand courage qu’il a eu dans sa
prise de position concernant le Guerre de l’Iraq ainsi que son
intervention au Liban, en 1996, qui aboutit à l’«Entente d’Avril »,
parrainée par les américains et acceptée par le Hezbollah et
les Israéliens. Cet accord avait limité les zones de combats aux
régions libanaises occupées par Israël, et épargné autant que
possible les populations civiles des deux côtés de la frontière.
Il avait reconnu le droit à la résistance du Hezbollah !
La résolution 1559, préparée dans le plus grand secret par
les Etats-Unis et la France, était aussi un véritable succès
pour la diplomatie chiraquienne.
Sur un autre plan, l’action humanitaire entreprise par la
France lors de la guerre de Juillet 2006 avait été remarquable,
et très appréciée de tous les libanais.
Vous parlez de son actif. Y a-t- il un passif ?
Certainement ! Tout d’abord, sa perception de la politique
libanaise à travers le prisme Hariri lui a donné, tout au long
de son mandat, une vision déformée de la réalité libanaise. Il
a été entrainé dans des actions et des prises de positions en
inadéquation avec les valeurs même de la France.
Pour exemple Mr Chirac avait déclaré, durant l’occupation,
que la fin de la présence syrienne du Liban ne pourra
s’effectuer qu’après la résolution du conflit du Moyen
orient. Aussi étonnant que cela puisse le paraître, il
s’aligna net avec la déclaration du Caire de Hafez el
Assad !
Le Général Aoun lui a donné tort puisque sa résistance sur
le terrain ainsi que son action pour faire aboutir la Syrian
Accountability Act ont réussi à faire enlever la couverture américaine
à l’occupation Syrienne et à obliger la Syrie à se retirer du
pays. Si ce n’est cet acte, nous pouvons légitimement penser
que les Etats-Unis n’auraient jamais approuvé la Résolution en
question.
Une autre erreur fut la demande faite, en 1996, par Mr Chirac
aux chrétiens du Liban de participer aux élections législatives,
alors que le pays était sous occupation ! Cela avait choqué
cette communauté qui a toujours en mémoire les grandes valeurs
gaullistes.
Par ailleurs avoir qualifié le feu Rafic Hariri de « De
Gaule du Liban» alors que Mr Hariri était le premier
ministre d’un gouvernement de collaboration et qu’il ne s’était
jamais prononcé de son vivant pour le retrait des troupes
syriennes, avait faussé l’histoire et déboussolé une majorité
de libanais et de français.
Chirac fît le
meilleur comme il fît le pire
Les Libanais garderont en mémoire cette image d’un président
français, s’inclinant devant la dépouille d’un dictateur,
Hafez el Assad, alors que non loin de là les résistants libanais
croupissaient dans les geôles syriennes, et que le leader
libanais de la résistance exilé de force à Paris, se voyait
« assigné à résidence » et interdit de se rendre
dans l’enceinte de la communauté européenne pour s’exprimer.
Mr Chirac fît le meilleur, comme il fît le pire. Au final, il
appartient aux historiens de juger sa présidence, et de
l’impacte que sa relation avec la famille Hariri a eu sur le
Liban. Certains livres tels que « Chirac d’Arabie »
et « Le Grand retournement : Bagdad-Beyrouth »
sont intéressants à lire tant ils dévoilent un certain visage
caché de l’action politique de Mr Chirac.
Le Président
Sarkozy représente un véritable
Espoir Pour le Liban
Est-ce que Monsieur Sarkozy s’inscrit dans la
continuité de la politique de Mr Chirac ?
La politique de Mr Sarkozy semble s’inscrire dans la
continuité de la politique historique de la France au Liban, axée
sur le soutient de la liberté, de l’indépendance et de la
souveraineté du pays. Elle semble aussi s’inscrire dans une
rupture franche dans la manière d’exercer cette approche.
Mr. Nicolas Sarkozy est ferme quant à son soutient au peuple
libanais à ses institutions et au gouvernement dans la mesure où
ce dernier symbolise les institutions. Il reste en même temps
ouvert à tous les partis politiques dans le but d’aider les
libanais à trouver une solution à leur conflits.
Deux constantes encadrent ce soutient, la première est la non
ingérence du régime Syrien dans les affaires libanaises, et la
seconde c’est l’intransigeance sur la nécessité de sécuriser
la frontière nord d’Israël.
Ainsi, le ministre des Affaires étrangères, Mr Kouchner, a dû
surprendre plus d’une personne au Liban en déclarant vouloir écouter
tout le monde et en affirmant que la paix se fait aussi avec les
ennemis que les amis ! C’est pourtant là une vérité évidente
que beaucoup avaient oublié ces derniers temps. D’ailleurs
Bernard Kouchner n’a pas tardé à joindre l’acte à la parole
en décidant de rencontrer le Général Aoun.
Comment pensez-vous qu’un homme qui se qualifie
comme étant l’ami d’Israël, qui a désigné le Hezbollah
comme étant l’agresseur lors de la guerre de juillet dernier
alors que les israéliens bombardaient la population libanaise et
détruisaient l’infrastructure du pays, peut-il aider le Liban ?
Le président Sarkozy est certainement l’ami d’Israël, et
il n’hésite pas à le déclarer, même devant les Libanais.
Cela ne l’empêche pas pour autant d’être l’ami du Liban.
Tout au contraire, cette double amitié peu influencer
favorablement le rôle que la France peut jouer au Liban car
Nicolas Sarkozy pourrait être une force de proposition bénéficiant
de la confiance des uns et des autres.
Dans un tel cas, sa position amicale envers les Etats-Unis
pourra même aider les américains à envisager des solutions
pragmatiques qui garantissent les intérêts de ces derniers tout
en instaurant la paix et la stabilité au Liban.
La condamnation du Hezbollah qui est relative à l’attaque du
12 juillet est argumentée et compréhensible par rapport à ce
fait précis. Mr. Nicolas Sarkozy a aussi qualifié la réaction
israélienne de disproportionnée, et cela on oublie souvent de le
dire. C’est exactement ce que le Général Aoun avait déclaré
lors des premiers jours du conflit.
« Dans
cet orient compliqué, on condamne toujours les effets mais on
oublie souvent de condamner les causes »
D’ailleurs la désignation par Mr Sarkozy du Hezbollah en
tant qu’agresseur, et contrairement à ce que souhaite véhiculer
comme idée la coalition Hariri-Joumblatt, ne va pas à
l’encontre des positions du CPL qui n’a jamais appuyé
l’initiative militaire unilatérale du Hezbollah. Par contre là
ou il faudrait que l’opposition libanaise déploie de grands
efforts de communication, c’est dans l’explication globale des
causes qui ont abouti à cet affrontement, car dans cet Orient
compliqué, on condamne toujours les effets, mais on oublie
souvent de condamner les causes.
Comment Monsieur Sarkozy pourrai-il aider le Liban ?
Ce n’est pas à nous de le dire. Mais il est certain que la
volonté affichée de Mr Kouchner d’écouter tous les libanais,
et d’encourager la voix de la paix avec les ennemis, notamment
avec le Hezbollah, apporte un nouveau vent d’espoir pour la
politique française au Liban.
Dans une approche de dialogue, le document de paix élaboré
entre le CPL et le Hezbollah, connu sous le nom du « Document
d’Entente », reste ouvert à l’ensemble des partis
libanais. Il pourra vite revenir sur la sellette pour servir de
base à un nouveau dialogue dont le but est de pacifier la
situation intérieure et de sécuriser toutes les frontières du
Liban et ce pour son propre bien autant que pour le bien de
l’ensemble de ses voisins.
Mais pour cela, il faudrait bien que tout le monde puisse évoluer
dans une même logique, celle de la paix !
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