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RPL France
Général Aoun : « Pourquoi je dialogue avec le Hezbollah et la
Syrie »
Le général Michel Aoun
Jeudi 15 octobre 2009
Lorsqu'en février 2006, le général chrétien Michel Aoun
entreprend de dialoguer avec le Hezbollah, beaucoup de chrétiens
ne comprennent pas. Comment cette figure symbolique d’un Liban
libre, qui entre 1982 et 1990, avait combattu les armes à la
main ce parti religieux musulman chiite soutenu pas l’Iran,
pouvait-il se compromettre avec « ces extrémistes fous de Dieu »
?
De même quand le bouillant général, l’un des seuls dirigeants
libanais à résister aux troupes d’occupation syriennes jusqu’à
leur départ du Liban en 2005, effectue un voyage à Damas en
2008, pour donner l’accolade de paix au président Bachar El
Assad, son initiative est fraîchement accueillie par une partie
de ses concitoyens. Se réconcilier avec la Syrie ? Quelle
trahison ! Michel Aoun avait-il perdu la raison, pour pactiser
ainsi avec l’ennemi ? Tant de libanais avaient péri sous le feu
de ces Syriens, qui avaient occupé le pays de manière brutale
durant 29 ans.
Dans sa résidence de Rabiah, sur les hauteurs de Beyrouth, et
alors qu’il sort d’une longue réunion avec Saad Hariri, Premier
ministre désigné du Liban, qui tente de former un gouvernement
depuis plus de 4 mois, Michel Aoun a accepté de recevoir «
Pèlerin », pour expliquer les raisons de ces inattendus
rapprochements. A 74 ans, l’homme reste vif et lucide. Le ton
est parfois autoritaire, mais les mots sont pesés, réfléchis.
Ils sont ceux d’un homme pragmatique, qui sait pourquoi il a
tourné la page.
Luc Balbont : Beaucoup de Français, chrétiens ou non, ne
comprennent toujours pas votre rapprochement avec le Hezbollah
libanais, parti religieux chiite pro-iranien, qu’ils considèrent
comme dangereux, voire terroriste. Pourquoi ce dialogue qui en a
étonné plus d’un ?
Général Aoun : On ne peut pas éternellement vivre dans le rejet
et le refus. La guerre est finie. Et le Liban est à construire
avec les Libanais, tous les Libanais. La communauté chiite
représente 1/3 de la population libanaise. Peut-on bâtir une
nation en se passant de plus de 30% de ses citoyens ? Si tous
les chiites ne militent pas au Hezbollah, et s’il existe
diverses sensibilités en leur sein (laïcs, progressistes, pro
syriens du mouvement Amal etc) tous reconnaissent le courage de
ce parti qui a lutté pour libérer le pays.
Le Hezbollah fait peur en France, en Europe et d’une manière
générale à une grande majorité d’Occidentaux ….
La France, l’Europe, les Etats-Unis sont loin du Liban. Nous,
chrétiens libanais vivons avec les chiites, sympathisants ou non
du Hezbollah, depuis toujours. Nous avons des racines, une
nationalité et des traditions en commun. Nous devons travailler
ensemble. Je suis laïc et chrétien, je ne partage donc pas
toutes les convictions du Hezbollah, mais la démocratie consiste
à reconnaître nos différences, et à nous accepter pour fonder
ensemble une communauté. De toutes les façons, ceux qui ont
essayé de combattre le Hezbollah par les armes ne sont jamais
parvenus à l’éradiquer, le dialogue est l’arme la plus efficace.
J’ai combattu le Hezbollah. Aujourd’hui j’ai tourné la page.
Nous avons besoin d’un climat de confiance pour construire la
paix. Nous avons trop versé de sang au Liban. Toute guerre doit
finir un jour. Contrairement à ce que croient généralement les
Occidentaux, les militants ou les sympathisants du Hezbollah
sont des citoyens libanais, qui n’ont rien à voir avec Al Qaïda.
Leurs combattants ne sont-ils pas en train d’édifier un état
dans l’Etat comme beaucoup le pensent au Liban ou ailleurs ?
Je ne suis pas naïf et les dirigeants du Hezbollah ne sont pas
des irresponsables. Comme tous les hommes de ce pays, ils
veulent travailler en paix, s’occuper de leur famille, avoir un
avenir pour leurs enfants. M. Nasrallah, leur chef, est un homme
honnête, pragmatique et réfléchi. Il sait qu’il n’y aura jamais
d’Etat musulman au Liban. Notre pays est religieusement multiple
et nos traditions sont faites de tolérance et d’ouverture. La
réconciliation est la seule voie possible pour la coexistence.
Vous vous êtes réconcilié avec le Hezbollah, pourquoi n’y
arrivez-vous pas avec M. Hariri ou M. Geagea ?
Avec M. Hariri, on discute et on progresse. Il sort de chez moi,
vous l’avez sans doute croisé. Avec les Forces libanaises
chrétiennes de M. Geagea, c’est plus difficile. Une partie de
leurs sympathisants souhaite la partition du Liban, alors que
nous au CPL (le Courant patriotique Libre, le parti Aouniste),
nous travaillons à l’unité du pays. Nous voulons vivre ensemble,
chrétiens et musulmans, dans un même Liban.
Et pourquoi ce rapprochement avec la Syrie que vous avez
longtemps combattu, et qui a tant porté préjudice à votre pays,
l’occupant durant 29 ans. Un grand nombre de vos amis et
compagnons d’armes ont été victimes de l’armée syrienne.
Les Syriens sont aujourd’hui chez eux, il faut faire la paix.
Ils n’occupent plus le pays. Ils sont nos voisins et nous avons
besoin les uns des autres. Nos économies sont liées. Ce n’est
pas avec l’Amérique ou la France mais avec les pays les plus
proches, que nous construirons d’abord le Liban. Pour prospérer,
notre pays a besoin de sécurité, d’une situation régionale
apaisée, et de relations de confiance avec les pays frontaliers.
C’est le pardon chrétien qui vous fait agir ainsi ?
Je suis chrétien, croyant. Le pardon est une démarche
intérieure, intime. Mais dans ma décision de me réconcilier avec
mes anciens adversaires, c’est la raison qui l’a emporté, une
vision pragmatique de la situation. C’est d’abord avec les
proches que la paix se construit.
La religion est omniprésente dans ce pays où cohabitent des
confessions multiples. Croyez vous qu’un Liban rongé par le
confessionnalisme est gouvernable ?
Je ne suis pas pour un système confessionnaliste, mais il faut
cesser de rendre responsable les confessions. Si le Liban a des
difficultés, c’est d’abord à cause de l’injustice sociale et de
la corruption qui y règnent. Le confessionnalisme et la religion
ne doivent pas toujours porter la responsabilité de nos maux
L’incurie, l’incompétence et la malhonnêteté des dirigeants sont
les vraies causes du mal libanais.
Pour vous les religions ne sont pas un obstacle irrémédiable
à l’unité et à la citoyenneté du Liban ?
Reportez vous à ce document exceptionnel que nous avait laissé
Jean-Paul II, lors de son voyage au Liban en mai 1997. Cette
exhortation apostolique où le pape rappelait qu’au Liban,
chrétiens et musulmans devaient partage le pouvoir, que le Liban
devait être souverain face aux puissance étrangères et que les
chrétiens libanais devaient participer activement à la vie
politique et sociale du pays en étant fiers d’être chrétiens et
arabes. Ce texte constitue encore aujourd’hui l’exemple que nous
devons suivre ; celui d’une vision spirituelle qui peut
s’appliquer à la vie politique du pays.
Pélerin
Entretien par Luc Balbont
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