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Cirepal
Boire
le thé à Marjayoun
Marjayoun - Liban - 1997
Rédaction CIREPAL (Centre d’Information
sur la Résistance en Palestine)
Février
2007
Aux
« hommes de Dieu », ces combattants tombés pour
que se relève la nation
Aux
places de la dignité, les places Riad el-Solh et des martyrs,
lieu de rassemblement de l’opposition populaire libanaise, une
affiche grand format montrant une théière et, à la place du
« thé Lipton », on a inscrit : « thé
Fatfat », du nom du célèbre ministre de l’intérieur par
intérim, au cours de la guerre israélienne contre le Liban, et
aujourd’hui, ministre de la jeunesse.
Car
c’est bien Fatfat, ministre du gouvernement Sanioura, qui a
ordonné le 10 août, aux forces de la sécurité intérieure de
la caserne de Marjeyoun, d’offrir le thé aux officiers israéliens
lors de leur entrée dans la caserne, pour éviter les violences
de l’armée de l’occupation. Il s’agit, en fait, pour une
partie de la classe libanaise au pouvoir, d’appliquer le vieil
adage désuet mais auquel elle croit toujours, avec une détermination
têtue : « plus le Liban se fait petit et se montre
faible, moins il subit la colère de son voisin », soi-dit
en termes plus clairs : si le Liban s’écrase et affirme
son allégeance à la puissance américano-sioniste, il échappe
aux foudres de l’Etat usurpateur sioniste. Les Libanais
connaissent plutôt la formule : « La force du Liban réside
dans sa faiblesse », « sagesse » malheureusement
répandue à la presque totalité du monde arabe pour cacher en réalité
l’esprit de soumission au plus puissant.
Il
est paradoxal, du moins en apparence, que cet esprit de soumission
émane d’une classe politique dans un pays dont les forces de la
résistance viennent de porter un coup terrible à l’Etat
sioniste : en effet, trente-trois jours de guerre n’ont ni
entamé la détermination et les armes de la résistance, ni
permis la mise en place d’un plan infernal à l’américaine
dans le pays.
Le
thé Fatfat a le goût de la collaboration et de l’humiliation.
Quelques heures après avoir bu le thé offert à la caserne de
Marjeyoun, les officiers de l’armée sioniste autorisent les
hommes de la sécurité intérieure libanaise à s’en aller, désarmés.
Et le 11 août, ce fut le carnage. Le convoi de ces forces qui se
dirigeait vers la Bekaa et parmi lequel se trouvaient des civils,
est bombardé par l’aviation militaire sioniste.
Si
le thé Fatfat, servi par l’officier Adnane Dawud, est
symptomatique de l’attitude des forces du 14 février (les
forces indécollables du gouvernement), ce qui s’est passé à
Qlay’a, au sud du Liban, témoigne de la « candeur »
d’une certaine population libanaise qui refuse de voir en Israël
un Etat d’usurpation et de barbarie.
Pour
se démarquer de la population de Khiam et de Bint Jbeil et même
d’une grande partie de la population de Marjeyoun, qui ont dû
subir les bombardements furieux et criminels de l’aviation
sioniste et dont les maisons ont été détruites, parce
qu’elles avaient refusé d’accueillir sagement les
envahisseurs, les habitants du village de Qlay’a ont voulu éviter
le pire. Lorsque les soldats sont entrés au village, ils les ont
accueillis, sans thé Fatfat cependant. Ce qui est certain,
c’est que plus jamais ils ne se feront prendre ainsi. « Plutôt
une maison détruite qu’une maison souillée de la sorte »
s’est exclamée plus d’une femme de retour à sa maison
confisquée pour les besoins de la guerre : les soldats
envahisseurs n’ont pas hésité à faire ce qu’ils font dans
les maisons palestiniennes en Cisjordanie : ils défèquent,
en signe de remerciements, sur les lits, les armoires et même
dans les casseroles, pour ne citer que quelques exploits de ces
« valeureux soldats de l’armée la plus morale du monde ».
« A présent, je n’ai plus qu’à brûler la maison et ce
qu’il y a avec ! » concluera une femme du village.
C’est
le Liban. Une partie de sa population encore bercée par
l’illusion que sa chère patrie ne peut être confondue avec la
Palestine ou les Palestiniens, qui se voit différente parce
qu’elle a des fils et filles qui parlent bien «français »
ou «english » et surtout que son « pays des Cèdres »
est protégé par les puissances internationales représentées
par la France et les Etats-Unis, notamment.
Un
clip de la télévision al-Manar tente d’ouvrir les yeux à tous
ceux qui ont encore des illusions sur le rôle des puissances étrangères.
Des portraits alignés sous la forme de dominos, qui tombent
l’un après l’autre : les responsables américains démissionnaires
ou démis tombent, face à terre, jusqu’au tour de Rice, puis
Bush Junior, dont les cartes oscillent avant de s’écraser. Une
phrase ensuite : « Ne comptez pas sur les perdants ».
L’attitude
de l’officier supérieur de Marjeyoun et d’une certaine
population de Qlay’a est au cœur du combat politique qui se déroule
actuellement au Liban, en Palestine et plus globalement dans le
monde arabo-musulman : quelle attitude avoir face à un Etat,
voire aux Etats terroristes et menaçants ? Courber ou
relever la tête ?
Um
Rida, de la région de Khiam, fière de son soutien enthousiaste,
entier et indéfectible à la résistance et au Sayyid (Nasrullah),
ne mâche pas ses mots lorsqu’elle aborde le sujet :
« Soit on résiste, soit on meurt d’humiliation. Il vaut
mieux mille fois perdre sa maison et ses biens, et garder la tête
haute et résister, que d’avoir une maison souillée et se
mettre à genoux devant eux. La résistance, c’est notre dignité !
Sayyid Nasrullah, c’est notre fierté ! Nous, au sud, nous
le comprenons avec notre chair ! Nous ne serons jamais
retournés dans nos villages et nos villes si les armes et les
combattants de la résistance ne sont pas là. Nous ne les voyons
pas, mais nous savons qu’ils sont là, et rien que de le savoir,
nous sommes confiants ! »
Soit
la résistance, avec toutes les destructions et sacrifices, soit
la soumission et l’humiliation.
C’est
l’enjeu autour duquel les débats ou plutôt les accusations réciproques
fusent depuis la fin de la guerre israélienne contre le Liban. Même
le terme « contre le Liban » est actuellement contesté
par certains de la classe politique dirigeante, préférant dire
« contre le Hizbullah », ayant reçu l’assurance américaine
que la guerre n’était pas dirigée contre leur cher Liban,
« pays de cèdre et de miel » que les Occidentaux
adorent par ailleurs, mais contre ces groupes « terroristes »
qui prennent en otage le pays.
Mais
y a-t-il eu victoire de la résistance ?
On
ne peut savoir comment qualifier autrement la résistance pendant
33 jours contre une armée qui a pilonné avec toutes sortes
d’armes, prohibées ou non par la communauté internationale, un
territoire de quelques milliers de Km2, une armée dont les
munitions et les nouvelles armes arrivaient directement des usines
américaines. L’armée sioniste a commis des carnages rien que
pour obliger la population du sud et de Beirut à se retourner
contre la résistance. Tous les jours, ses avions survolaient les
zones libanaises et lançaient des prospectus appelant la
population à renier Sayyid Hassan Nasrullah et le Hizbullah.
L’objectif
déclaré de la guerre lancée par l’armée sioniste était de détruire
la résistance et de récupérer ses deux soldats capturés, échec.
Ce fut alors de la repousser au-delà du Litani, échec. Rien que
par l’aviation, car il maîtrise les espaces aériens de toute
la région, Israël voulait détruire et détruire, car il avait
peur d’engager ses troupes terrestres et d’affronter les
combattants du Hizb. Les quelques jours où il l’a fait, il
s’est mordu les doigts et la langue. Ses soldats, de l’élite
de ses troupes, furent décapités, ses chars furent massacrés
par des résistants animés d’une foi profonde dans la justesse
de leur cause. D’abord, ils sont chez eux et ne sont pas des
envahisseurs comme les Israéliens en face. Ensuite, ils défendent
leurs familles, leurs voisins, leur peuple et leur terre alors que
ceux d’en face appliquent des ordres américains et sont animés
par leur idéologie raciste et coloniale qu’est le sionisme. La
victoire fut avant tout une victoire de l’élément humain, l’Arabe
avec un grand a, le Musulman, avec un grand m et le Libanais avec
un grand l, avant d’être une victoire des armes du Hizbullah.
Les armes, les fameuses fusées, « plus de 12.000 »
après la guerre, comme l’a proclamé Sayyid Nasrullah, sont là
pour maintenir un équilibre « de la terreur », ce
sont ces armes qui ont empêché Israël de bombarder les villes
comme Saïda et Beirut, entre autres, et de commettre des carnages
encore plus monstrueux.
Mise
en échec du plan du conseil de sécurité de l’ONU
Sans
les combattants et les armes de la résistance, la population du
sud, qui avait fui vers le nord, ne serait pas retournée. Et ce
fut l’immense victoire du Liban contre Israël, les Etats-Unis,
la France et leurs alliés arabes et libanais. C’est avec le
retour des réfugiés vers leurs villes et villages détruits et
saccagés, meurtris par les massacres, que l’immense victoire du
Liban s’est réalisée. Car il était prévu qu’ils n’y
retournent pas. Et ce fut le plan démoniaque que les réfugiés,
spontanément ou pas, ont mis en échec, massivement.
Le
retour de la population du sud, abandonnant écoles et jardins
publics transformés en campements, le 34ème jour, à
l’heure même où l’arrêt des combats a été proclamé, fut
la vraie, la grande, l’immense victoire.
Amina,
directrice d’un centre de recherches politiques, détaille la résolution
1701. « La résolution prévoit, en phase 7, le retour des réfugiés.
Ce qui veut dire que, si les réfugiés ne s’étaient pas
massivement mis en route vers le sud, ce jour-là, ils seraient
encore là, à Beirut, dans des tentes que certains plans arabes
et internationaux, avec des alliés locaux, voulaient installer
dans certaines zones de la capitale : le champ de courses et
le terrain du complexe sportif.
Les
réfugiés devaient attendre l’arrivée de la Finul dans sa
totalité, le déminage des terrains (ce qui explique pourquoi
Israël a lancé des centaines de milliers de bombes à
fragmentation le dernier jour de sa guerre), le déploiement de
l’armée libanaise et entre autres et surtout, la signature
d’un cessez-le-feu, ce qui n’est pas à l’ordre du jour.
Donc, les réfugiés n’étaient pas prêts de rentrer, d’après
la résolution de l’ONU. Il n’y a que le premier article qui
vient d’être accompli. S’ils ne s’étaient pas mis en
route, Israël aurait obtenu, par le biais de l’ONU, ce qu’il
n’a pu obtenir par sa guerre : dépeupler le sud-Liban, et
notamment au sud du Litani et en faire une zone-tampon pour la sécurité
de l’Etat sioniste. »
« D’ailleurs »,
poursuit-elle, il faut voir comment certains responsables
politiques locaux, comment certaines organisations de l’ONU, ont
commencé à mettre en garde la population contre son retour.
« N’y allez pas, c’est trop dangereux »,
disaient-ils. Mais les gens n’ont pas tenu compte. Comme s’ils
avaient compris. Tout ce qu’ils voulaient, c’était retourner,
le plus vite possible, vivre sous les décombres, tant pis, mais
vivre dans ce qui tient lieu de maison, être là-bas, et au plus
vite. Ils ont déjoué la plus vaste opération de transfert de
population légalisée par le conseil de sécurité de l’ONU,
après celle de la Palestine, en 47-48. »
« Tu
t’imagines ma mère et mon père dans des tentes, en plein
Beirut, sous l’auspice d’un organisme de l’ONU s’occupant
des réfugiés ? » demande Salma, de Bint Jbeil,
pendant une de ces soirées en plein rassemblement aux places de
la dignité. « Oui, nous avons vaincu ! C’est notre
victoire à nous tous, à tous ceux qui lèvent la tête contre
l’oppression et l’injustice : arabes, musulmans,
libanais, mais aussi peuples du monde entier. C’est ce qu’a
dit Sayyid Nasrullah, lors du festival de la victoire : ceux
qui se sentent vainqueurs sont vainqueurs et ceux qui se sentent
vaincus, sont vaincus, et nous, nous sommes les « ghalibuns »,
les vainqueurs ».
Une
victoire, assurément.
Il
sera difficile de faire dire la même chose, maintenant, à Walid
Jumblatt, un des chefs de file du 14 février, bek de la montagne,
et affilié à l’internationale socialiste. Mais il n’est pas
à sa première contradiction. Au moment de la guerre, il avait
questionné le Hizbullah, lui demandant à qui offrirait-il sa
victoire, reconnaissant par là qu’il y a eu effectivement
victoire. Mais après la guerre, les choses ont changé. Il
n’est plus question de victoire, plus question de résistance,
plus question du Hizbullah, parti de la résistance. Tout s’est
évaporé. Walid Jumblatt, qui a des admirateurs chez les
fondamentalistes laïcs français, cherche une place dans la
politique libanaise, plus importante que ne lui permet sa
confession, puisque la vie politique traditionnelle du Liban reste
enfermée dans le carcan confessionnel. Un jour, il serre la main
de Sayyid Nasrullah, déclarant que le Hizbullah n’a absolument
rien à avoir avec les assassinats et attentats commis au Liban,
un autre jour, il se fait courtiser par les services secrets
syriens qui lui offrent un palais à Damas, un jour, il parle de
victoire de la résistance, mais d’autres jours, il déclare que
le Hizbullah est impliqué dans les attentats, il menace de mort
le président syrien et déclare s’être tu pendant des dizaines
d’années sur l’assassinat de son propre père pour des
alliances politiciennes. Quel Jumblatt croire ?
C’est
la question posée par un clip, encore un, diffusé par la télévision
al-Manar, à propos de Jumblatt, qui rappelle toutes ses déclarations
et positions sur 5-6 ans. Quel Jumblatt croire ?
La
victoire de la résistance et de ses alliés est certaine. Il ne
faut pas croire que c’est uniquement la thèse du Hizbullah.
C’est aussi celle des principaux intéressés, les forces
politiques palestiniennes nationales de 48 (les analyses de dr.
Azmi Bishara en sont le meilleur exemple), mais aussi du Hamas, du
Jihad, du Front Populaire, d’une certaine frange du Fateh, qui
ont compris toute la portée stratégique de cette victoire.
C’est aussi l’analyse de toutes les forces nationales arabes
et islamiques qui refusent que cette victoire soit sacrifiée sur
l’autel des intérêts mesquins des politiciens arabes.
La
chute de Dan Halutz, le chef de l’Etat-major sioniste, a été célébrée
dans les places de la dignité, à Beirut, dans la joie, au milieu
des chants révolutionnaires et patriotiques et des ballons
multicolores. Les scènes de joie qui ont animé les places de la
dignité ont tellement irrité Shimon Pérès qu’il a demandé
aux dirigeants sionistes de faire en sorte qu’elles cessent.
Car
la chute de Halutz consacre la défaite israélienne. Mais au
niveau des régimes arabes et dans les rangs du 14 février, ce
fut le silence, un silence de mort, comme si la chute de Halutz
annonçait leur propre défaite.
Centre
d'Information sur la Résistance en
Palestine
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