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Loubnan ya Loubnan
La dernière crasse de Chirac aux
Libanais
Rami Zurayk *
Certes, l’agitation
chiraquienne à l’ONU de ces dernières semaines a fait
l’objet de deux articles (le
Monde, «Liban:
le dernier combat du président Chirac» et le
Figaro, «Chirac
mène son dernier combat pour le Liban»), mais
l’information n’a évidemment provoqué aucun débat public.
La France, une nouvelle fois, mène une politique extrêmement
agressive à l’encontre de la Résistance libanaise, politique
infiniment dangereuse pour le Liban et totalement alignée sur les
prétentions américaines et israéliennes au Moyen-Orient, mais
on ne doit pas en parler. Ce qui permet aux candidats à la Présidentielle
de tous affirmer, benoîtement, que la
politique libanaise de la France ne sera pas infléchie.
Je vous livre ici la traduction d’un texte publié le 21 avril
dernier par le
professeur Rami Zurayk sur le site Scoop – auteur qui tient
par ailleurs un blog
très intéressant. C’est un texte très accessible; son
grand intérêt est d’évacuer le bruit et le brouillage qui
permettent d’ordinaire de rendre inintelligibles les débats
libanais, et d’exposer ainsi un des aspects fondamentaux du
blocage politique au Liban. Le texte permet aussi de se débarrasser
de l’invocation permanente de «l’amour de Chirac pour le
Liban» qui pollue de manière insupportable les discours médiatiques
(tant en France qu’au Liban). Encore une fois, je tiens à
m’excuser d’avoir attendu plus d’une semaine pour traduire
ce texte; en ce moment je manque cruellement de temps pour
enrichir mon blog.
Nidal Le Président français
Jacques Chirac est en train d’inciter à de nouveaux
affrontements civils au Liban. Depuis des mois, son ambassadeur au
Liban, Bernard Émié, injectait des stéroïdes dans les muscles
du gouvernement soutenu par les États-Unis. Les Français
agissent de concert avec l’administration étatsunienne pour
bloquer toute possibilité de parvenir à un compromis entre le
gouvernement libanais et l’opposition. Cela, en pratique,
paralyse le pays et crée un environnement favorable à
l’agitation civile.
La semaine dernière, alors que les Libanais commémoraient le début
de la guerre de 1975 sur l’air du «Plus jamais ça», la France
soumettait au Conseil de Sécurité de l’ONU une motion aux
termes particulièrement forts. Le texte qualifiait ouvertement la
Résistance libanaise de «milice» (un terme qui est toujours réfuté
par l’État libanais) et appelait à son désarmement. Il
faisait explicitement le lien entre les aspirations nucléaires
iraniennes et la résistance à Israël. Le projet de résolution
est si extrême dans son soutien aux ambitions israéliennes que
la Chine, la Russie, l’Afrique du Sud, le Ghana, le Congo,
Panama et le Qatar, tous actuellement membres du Conseil de sécurité,
s’y opposent.
Que veut Chirac? Pas grand chose: un tribunal international mis en
place par le Conseil de sécurité de l’ONU. Le tribunal
exercera la vengeance pour le meurtre de son ami et bienfaiteur,
Rafiq Hariri, le magnat libano-séoudien qui fut Premier ministre
du Liban pendant plus d’une décennie.
Quel est le problème avec un tribunal international soutenu par
l’ONU? On a beaucoup écrit sur cet outil supra-judiciaire.
Au-delà des complexités liées aux problèmes de souveraineté
nationale et aux arguties légales, le problème principal est
l’utilisation de tribunal à des fins politiques. La perception
actuelle par l’opposition libanaise est que le tribunal ne peut
être ni neutre ni objectif (l’ONU étant subordonnée à l’Administration
étatsunienne) et que son but principal est de mettre fin à la résistance
à l’hégémonie étatsunienne (et israélienne) au
Moyen-Orient. En termes simples, une justice internationale biaisée
sera utilisée comme une arme pour accomplir ce à quoi ni la
diplomatie (la résolution 1559 appelant au désarmement de la Résistance)
ni la violence (33 jours de bombardement, de massacre et de
destruction du Liban par Israël en juillet-août 2006) ne sont
parvenus. Le désarmement de la Résistance permettra l’élimination
physique de sa direction et fera disparaître le dernier bastion
de l’opposition à la doctrine bushiste de Nouveau Moyen-Orient.
Le Liban est une nation désespérément divisée en confessions
qui défendent leurs propres intérêts. Affaiblir une confession
va automatiquement renforcer les autres. Le Hezbollah et la Résistance
représentent aujourd’hui les chiites au Liban. Éliminer leur
direction va automatiquement reléguer les chiites à leur statut
traditionnel de classe inférieure.
C’est pour cette raison que beaucoup de Libanais sont très
hostiles à un tribunal international soutenu par l’ONU. C’est
pour la même raison que beaucoup de Libanais veulent le tribunal
international. Le gouvernement libanais soutenu par les États-Unis
a envoyé un projet de résolution approuvant le tribunal
international au Conseil de sécurité. Pour devenir légale,
cette résolution doit être approuvée par le Parlement libanais
et contresignée par le Président libanais. C’est là que réside
l’impasse actuelle.
Des négociations ont eu lieu pour trouver un compromis entre la
création du tribunal international et la protection de la Résistance
libanaise contre les prétentions étatsuniennes et israéliennes,
mais elles ont été très lentes. Chirac, cependant, est pressé.
Il veut obtenir la création du tribunal avant la fin de son
mandat en mai 2007. Il a œuvré sans relâche pour faire adopter
le tribunal par une résolution spéciale du Conseil de sécurité
dans le cadre de l’Article 7 de la Charte de l’ONU. Cela
aurait pour effet de déclarer que le Liban est un non-État et de
le placer sous le contrôle de l’ONU. C’est aussi la manière
la plus sûre de déclencher une guerre civile. L’opposition a
prévenu à plusieurs reprises que forcer la création du tribunal
international par l’intermédiaire du Conseil de sécurité mènerait
au «chaos», un euphémisme désignant le déchaînement de la
violence civile. Qu’est-ce que Chirac tirera de cela? Après
tout, il s’est opposé à l’invasion et à la destruction
voulues par les États-Unis en Irak, et s’en est largement vanté.
Est-ce que finalement l’alligator aurait un cœur? Est-ce que
son ami Rafiq Hariri lui manque vraiment? Est-ce que ce deuil
insurmontable a fait de lui un vigile de la politique? C’est la
version colportée par les médias contrôlés par Hariri dans le
monde arabe, avec des informations régulières sur les liens
d’amitié entre le palais de l’Élysée et la dynastie Hariri.
En réalité, la relation Chirac-Hariri peut être appréhendée
sous un angle différent. Dès qu’il aura quitté ses fonctions
dans quelques semaines, Chirac sera poursuivi par la justice française
pour des affaires de corruption et de «financements» personnels
et politiques durant la période où il était maire de Paris.
Plusieurs de ses compagnons politiques ont déjà été condamnés
à des peines de prison.
Il est très probable que Chirac a reçu des «financements» de
la part de son ami milliardaire libano-séoudien. Il est très
probable que Chirac n’a pas déclaré cet argent. Chirac avait
besoin de fonds. Hariri avait besoin de crédibilité. Et Chirac
n’a jamais eu de scrupules à marchander la crédibilité de la
France. Il y a quelques semaines, il a remis la Légion
d’honneur à Saad Hariri, le fils de feu Rafiq Hariri. Les réalisations
de Saad sur la scène politique avant la mort de son père sont
bien connues: il a dépensé l’argent de son père entre Riyad,
Paris, Monte-Carlo et Washington. Cela vaut bien la Légion
d’honneur.
Les Hariri ont toujours besoin du Président Chirac, un allié
puissant disposant d’un siège permanent au Conseil de sécurité
de l’ONU. Chirac a sans doute toujours besoin des Hariri,
l’une des plus grosses fortunes de la planète, avec des
relations tentaculaires pour le soutenir sans ses problèmes
judiciaires. Ceci pourrait bien être la face cachée de cette
amitié.
Dans ses efforts pour relancer la guerre civile libanaise, Chirac
est soutenu par les États-Unis et la Grande-Bretagne. Ils sont
heureux de le mener sur la route qu’ils ont eux-même suivi dans
leur aventure irakienne, et lui apprendre une dernière lesson
avant qu’il ne s’en aille: ne jamais dire «je vous l’avais
bien dit» quand on est un politicien corrompu. Le Liban pourrait
bien devenir l’Irak de Chirac. * Rami Zurayk
est professeur en gestion de l’écosystème à la faculté
d’agriculture et de science de l’environnement de l’Université
américaine de Beyrouth (AUB). On peut consulter d’autres textes
de Rami Zurayk sur son blog: landandpeople.blogspot.com.
(Évidemment,) les opinions qu’il exprime dans cet article sont
personnelles et ne représentent pas le point de vue de l’AUB.
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