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Général
Alain Pellegrini : « Il n’est pas difficile de savoir
qui soutient le Fatah al-Islam et les attaques contre la Finul »
Nidal Hamad*
Alain Pellegrini - Photo Réseau Voltaire 13
juillet 2007 Un an, jour pour
jour, après l’offensive israélienne contre le Liban et à la
veille de la réunion à La Celle Saint-Cloud du forum
interlibanais, nous publions la version française de
l’entretien accordé au magazine Al-Intikad
par l’ancien commandant de la Finul, le général Alain
Pellegrini. Cependant, alors que pour des raisons politiques évidentes,
notre confrère libanais a été contraint d’ôter des noms
propres, nous publions la version intégrale, non expurgée.
Le général de division Alain
Pellegrini fut directeur de la division Afrique et Moyen-Orient de
la Direction du renseignement militaire à Paris, puis conseiller
Afrique-Moyen-Orient du chef d’état-major des armées (CEMA)
français. De janvier 2004 à janvier 2007, il fut le commandant
de la Force Intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL). Il répond
aux questions de Nidal Hamade.
Comment voyez-vous
l’avenir du Liban ?
Alain
Pellegrini : Je ne suis pas optimiste en ce qui
concerne la situation dans les années qui viennent au
Moyen-Orient en général et au Liban en particulier. Je ne vois
pas d’indice montrant une avancée dans le traitement des
dossiers politiques. Au contraire, l’entêtement prend le dessus
dans la vie politique locale.
Un an après la
fin de la guerre au Sud du Liban, comment évaluez-vous le travail
accompli par les forces de la Finul ?
Alain
Pellegrini : Les forces de la Finul ont réussi leur
mission qui consiste à veiller sur la sécurité, la stabilité
et le cessez-le-feu à la frontière libano-israelienne. Elles
continuent à préserver la souveraineté du Liban grâce à leur
collaboration avec l’armée libanaise qui a pu se redéployer
dans la région après une longue absence.
Pourtant les
violations israéliennes de la zone aérienne libanaise continuent
sans que la Finul ne réagisse ?
Alain
Pellegrini : La Finul ne peut pas mettre fin aux
violations aériennes israéliennes car elles n’a pas d’armes
anti-aériennes équivalentes à celles que détient l’armée de
l’air israélienne. L’armement de la Finul n’est pas assez
puissant pour atteindre les avions israéliens à haute altitude.
Les meilleurs missiles sont ceux de la force française, les modèles
MISTRAL dont la portée ne dépasse pas 1 500 mètres.
Donc, l’histoire
des missiles français qui ont été lancés contre les avions
israéliens n’est pas crédible ?
Alain
Pellegrini : Non, pas du tout, cette histoire est
vraie. Cet incident a eu lieu lorsque les avions israéliens ont
survolé, à basse altitude, la force française. L’objectif était
de tirer des missiles permettant de protéger la force française
qui se sentait menacée. Le but n’était pas d’arrêter les
violations aériennes du territoire libanais car cela n’est pas
possible. Mais la Finul veille à empêcher les violations
terrestres de la Ligne bleue [1]
, et nous avons toujours donné l’ordre de faire face à toute
violation terrestre israélienne.
Prévoyez-vous une
nouvelle offensive israélienne contre le Liban ?
Alain
Pellegrini : Je ne crois pas, au moins à court
terme, pour deux raisons :
la
présence des forces de la Finul complique le déclenchement
d’une nouvelle guerre.
les
problèmes dont souffre l’armée israélienne depuis la guerre
de juillet dernier.
Selon vous, qui a
perdu la guerre de juillet 2006 ?
Alain
Pellegrini : Je ne sais pas. Mais ladite guerre a
laissé des dégâts considérables au Liban. Quant à ses retombés
en Israël, cette offensive a provoqué une crise au sein de
l’armée. Une crise qui ne sera pas sûrement résolue à court
terme.
Vous dites qu’Israël
a perdu la guerre ?
Alain
Pellegrini : Non, je ne dis pas cela. Mais Israël
n’avait pas d’objectif politique déterminé dans cette
guerre. D’autant que même son objectif militaire n’était pas
clair.
Une opération
contre la Finul a coûté la vie à six soldats espagnols. Cela
vous a-t-il surpris et qui, selon vous, a planifié cette opération ?
Alain
Pellegrini : L’attaque a été perpétrée par des
extrémistes salafistes que nous surveillons. Nous savions
qu’ils préparaient quelque chose contre nous. Ils bougeaient
collectivement en voitures sans êtres armés. Nous avons remarqué
la menace qu’ils représentaient, et nous avons averti le
gouvernement libanais qui a procédé à l’arrestation de
certains d’entre eux.
Sont-ils Libanais ?
Alain
Pellegrini : Certains parmi eux sont Libanais et
d’autres sont étrangers.
Prévoyez-vous
d’autres opérations contre les forces de la Finul ?
Alain
Pellegrini : Oui, ce genre d’opérations reste très
probable. Nous ne pouvons pas empêcher ce genre d’opération
dans cette région. La situation sur le plan sécuritaire n’est
pas facile à contrôler.
Ce qui se passe
dans le camp de Nahr el-Bared vous a-t-il surpris ?
Alain
Pellegrini : Nous avons prévu ce genre d’incident
depuis longtemps. Nous avons même averti le gouvernement
libanais, en novembre dernier, de la présence des extrémistes
salafistes dans le camp de Nahr el-Bared. J’ai personnellement
signalé cela au gouvernement de Beyrouth avant mon départ. Je
l’ai averti de la présence de quelques groupes qui menacent la
stabilité du pays. Ils ont dit qu’ils allaient prendre ce problème
au sérieux.
À votre avis, qui
est derrière le Fatah al-Islam ? [2].
Alain
Pellegrini : Vous n’avez pas besoin de beaucoup de
réflexion pour connaître qui le soutient. Ce sont des extrémistes
sunnites actifs dans une région qui est sous le contrôle d’une
faction connue.
Qui désignez-vous
par cela ?
Alain
Pellegrini : Ceux qui financent le Jound el-Cham à
Saida sont les mêmes qui sont derrière le Fatah al-Islam dans le
camp de Nahr el-Bared.
Les Hariri ?
Alain
Pellegrini : (large sourire)
Que pensez-vous de
la politique du président Sarkozy vis-à-vis du Liban ?
Alain
Pellegrini : Une nouvelle politique est mise en œuvre
à l’Élysée, les anciennes méthodes n’ont plus cours.
Ainsi, certains acteurs politiques au Liban doivent admettre cette
nouvelle politique de la France.
La France doit être plus ferme
avec les Libanais et surtout avec ses propres alliés. Elle doit
leur demander de tenir leurs engagements, car la dernière période
a été caractérisée par le non-accomplissement des engagements,
et certains pensent qu’ils n’ont pas de compte à rendre.
Quel intérêt
voyez-vous à négocier avec la Syrie ?
Alain
Pellegrini : Vous savez bien qu’il faut négocier
avec tous les acteurs dans votre région. Cela fait partie de la
culture politique des peuples de votre région. La Syrie a son
influence, cela implique qu’il faut négocier avec Damas. Cela
ne veut pas dire qu’il faut s’incliner devant la Syrie. Le
dialogue pourra être utile pour convaincre la Syrie de collaborer
plutôt que de se placer dans une situation délicate. Le
dialogue, c’est le réalisme politique.
On évoque un
possible élargissement des missions de la Finul pour contrôler
la frontière syro-libanaise.
Alain
Pellegrini : Il n’y a aucun intérêt à
introduire la Finul dans les conflits internes libanais. Mais il
est toujours possible de discuter à propos d’une possible présence
des forces de la Finul aux frontières avec la Syrie.
Que pensez-vous de
la mission onusienne dans l’affaire de l’assassinat du président
Rafic Hariri ? [3]
Alain
Pellegrini : Le fait d’avoir désigné Detliv
Mehlis pour mener l’enquête était une grosse erreur. Il aurait
fallu designer un enquêteur qui connaisse bien la situation au
Liban et les conflits politiques libanais. Ou au moins le faire
entourer par des conseillers expérimentés, qui connaissent la
situation libanaise et ses manipulations politiques. Ainsi, le
conseiller pourra montrer à l’enquêteur comment se comporter
avec chacune des personnalités concernées.
Mehlis était sous l’influence
d’un groupe libanais connu. Il a été victime des manipulations
de certains membres dudit groupe, et des pressions états-uniennes.
Quant à Serge Bremmertz, c’est une personne expérimentée qui
travaille loin de toutes pressions et de politisation.
Que pensez-vous de
la prolongation de la détention des quatre officiers supérieurs
interpelés à la demande de M. Mehlis ? [4]
Alain
Pellegrini : Avant de parler de cette prolongation,
je m’interroge sur les raisons de leur détention depuis le début.
Laissez-moi vous dire quelque chose, je connais le Colonel Jamil
el-Sayed depuis longtemps, depuis que j’étais attaché
militaire à l’ambassade de France. Je vous confirme, avec toute
objectivité, que Jamil est un homme honnête et juste. C’est un
homme de parole qui ne m’a jamais surpris et qui a toujours tenu
ses paroles et ses engagements. Il est possible de sortir de cette
situation illégale en libérant les détenus sous caution. Ils
seront appelés à passer deux ou trois fois par semaine à un
centre gouvernemental déterminé pour confirmer leur présence
dans le pays. Une telle chose est courante chez nous en Europe.
Pourquoi ne les
a-t-on pas libérés ?
Alain
Pellegrini : C’est le Conseil de Sécurité de
l’ONU qui refuse, sous la pression états-unienne, de leur
accorder leur liberté.
Certains disent
que vous avez été plus proche à la position libanaise que votre
successeur à la tête de la Finul, le général Claudio Graziano ?
Alain
Pellegrini : Je pense que le général Graziano dépend
du pouvoir politique en Italie, et l’avis de celui-ci n’est
pas toujours conforme à la nature de la mission de la Finul.
L’Italie a des intérêts vitaux au Liban. C’est le premier
partenaire commercial du Liban, devançant la France qui occupe la
deuxième place. C’est ce que justifie le commandement de la
Finul par le général Graziano. Aucun responsable français
n’est intervenu dans mon travail lorsque j’étais en fonction.
Pensez-vous que
vous avez tissé des relations d’amitié dans le milieu
politique libanais ?
Alain
Pellegrini : Avant de considérer le coté
professionnel, j’ai des liens familiaux avec le Liban, la femme
de mon oncle est libanaise. Quant à mes relations avec les
acteurs libanais, elles sont très anciennes. Elles ont commencé
lorsque j’étais attaché militaire à l’ambassade de France
à Beyrouth. J’étais responsable d’une force qui a sauvé
plusieurs responsables libanais lors de la guerre civile, dont le
général Michel Aoun et Nabih Berri.
Pensez-vous
publier un livre sur votre expérience libanaise ?
Alain
Pellegrini : Oui, mais pas tout de suite, car
certains éléments que je souhaite révéler peuvent porter préjudice
à des personnalités libanaises toujours en activité.
Nidal
Hamade
Correspondant d’Al-Intikad
[1]
La Ligne bleue est la frontière provisoire tracée par l’ONU
entre Israël et le Liban. NdlR.
[2]
Voir « Le
dossier des mercenaires du Fatah al-Islam est clos »,
par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 23 juin
2007.
[3]
Voir « La
commission Mehlis discréditée », par Talaat Ramih et
« Attentat
contre Rafic Hariri : Une enquête biaisée ? »,
entretien de Jürgen Cain Kulbel avec Silvia Cattori, Réseau
Voltaire, 9 décembre 2005 et 15 septembre 2006.
[4]
Accusés de complot dans l’affaire Hariri, Moustapha Hamdane
(commandant de la Garde présidentielle), Jamil el-Sayed (ancien
commandant de la Sûreté générale), Ali al-Haj (ex-directeur
des forces de Sécurité intérieure) et Raymond Azar (commandant
des Services de renseignement militaire) sont incarcérés depuis
le 1er septembre 2005 alors même que les élèments retenus
contre eux ont été abandonnés.
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