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SolidaritéS
Entre Résistance et guerres civiles, le Liban aux avants-postes
de la grande guerre régionale
Nicolas Qualander
La
crise ouverte au Liban, depuis décembre 2006, ne peut se
comprendre qu’à partir de trois éléments: les conséquences
politiques de la guerre des trente-trois jours entre Israël et la
résistance libanaise; la structure interne du Liban – un régime
fondé sur le confessionnalisme politique –; la situation régionale
qui prévaut au Moyen-Orient et voit l’offensive impériale s’étendre
à une multitude de fronts, du Liban à la Palestine, en passant
par l’Irak, et sous peu l’Iran.
Lorsque le Hezbollah et ses alliés ont décidé de lancer un
mouvement massif de protestation contre le gouvernement de Fouad
Siniora, très proche de la France et des USA, c’était
essentiellement pour transformer et capitaliser les acquis
politiques de la guerre de juillet- août: il s’agissait de
renforcer le camp de la résistance au sein du gouvernement,
voire, par de nouvelles élections anticipées, de faire gagner
l’Etat à la résistance. La situation reste en effet alarmante
pour la résistance libanaise, dans toutes ses composantes: présence
de forces occidentales sous l’égide de la FINUL au Sud-Liban,
préparation d’Israël à une nouvelle guerre, collaboration
d’une partie de lamajorité gouvernementale
avec l’ambassade américaine, arrivée massive d’armes – légères
ou lourdes – dans les mains de nouvelles milices opposées au
Hezbollah, notamment celles du Parti socialiste progressiste
(druze), du Courant du Futur (sunnite) de Saad Hariri, et des
Forces libanaises de Samir Geagea (chrétien).
Ce sont ces dernières qui ont provoqué une série d’incidents
violents, lors de la grève générale initiée par
l’opposition, le 23 janvier, et à la sortie de l’Université
arabe de Beyrouth, le 25 janvier, causant
une dizaine de morts et une centaine de blessés. Enfin,
l’opposition n’oublie pas qu’en septembre 2007, les élections
présidentielles nemanqueront pas demettre à la tête de l’Etat
un président pro-occidental, si la majorité gouvernementale
reste au pouvoir, ce dernier étant élu par le parlement. Si la
situation ne bascule pas d’ici quelques semaines, l’opposition
libanaise pourrait se retrouver dans une situation d’isolement
international et institutionnel favorable aux positions militaires
et politiques israéliennes.
Le poids du confessionnalisme politique
La structure constitutionnelle et sociale du Liban est marquée
par le confessionnalisme politique: le gouvernement ne manque pas
de jouer sur les oppositions entre chiites et sunnites, ou sur les
divisions affectant la communauté chrétienne. C’est ainsi
qu’un conflit de type politique opposant les forces qui résistent
au plan américain de Grand Moyen- Orient à un gouvernement tourné
vers l’Occident, est toujours à deux doigts de basculer vers la
guerre civile. D’où la position cohérente du Parti communiste
libanais vis-à-vis du Hezbollah: si l’opposition se contente
d’un changement de
gouvernement sans abolir le système confessionnel, alors la
possibilité d’un conflit guerrier entre confessions aux intérêts
opposés reste possible. Le Parti communiste soutient donc
l’opposition,
mais de manière très critique, l’encourageant fermement à
adopter un programme social non confessionnel afin de renforcer le
camp de la résistance. Le conflit politique actuel reste en
effet, en
dépit des efforts de l’opposition et du Hezbollah pour fédérer
l’ensemble des confessions contre le gouvernement, un conflit
entre un bloc chiite allié à une forte majorité de chrétiens
et à une minorité
sunnite, et un autre bloc gouvernemental ralliant la quasi-totalité
des Druzes, la majorité des sunnites et une partie des chrétiens.
Force est de constater que ces logiques confessionnelles sont
aujourd’hui alimentées par la situation régionale et par les
événements en cours en Irak. L’horreur y atteint des sommets
inégalés: une véritable guerre civile se développe sous nos
yeux entre sunnites et chiites, encouragée, alimentée et amplifiée
par la politique américaine dans la région. Diviser pour régner,
tel semble désormais le maître mot d’Israël et des Etats-Unis.
Ces derniers ont favorisé l’opposition entre sunnites et
chiites en Irak en théorisant une partition en trois zones,
chiite, sunnite et kurde. En
Palestine, il ne s’agit pas d’une guerre confessionnelle, mais
d’une situation latente de guerre civile entre le Fatah et le
Hamas, le Fatah étant largement encouragé et armé par les
Etats-Unis et les puissances arabes saoudienne, égyptienne ou
jordanienne. Trois espaces moyenorientaux subissent aujourd’hui
une occupation directe, partielle ou totale, et des interventions
militaires américaines et israéliennes: le Liban, la Palestine,
l’Irak. C’est là où se déploient les logiques de partition
et de guerre civile, et ce n’est pas un hasard. Les puissances
coloniales ont toujours joué sur les réalités sociales et
historiques des sociétés occupées, découpant et remodelant les
frontières, opposant les confessions: ce qui aurait pu être une
pluralité constituante riche et féconde – l’existence de
cultures arabes multiconfessionnelles et diversifiées – s’est
ainsi transformé en un abîme de divisions et d’éclatements
sectaires. Avec les menaces actuelles des Etats-Unis sur l’Iran,
il y a désormais la promesse et la certitude d’une nouvelle
guerre: celle du Liban, en juillet et août 2006, n’a été que
le prologue d’une nouvelle phase offensive qui se jouera dans
les prochains mois, et sur plusieurs fronts: au Liban, en Iran, en
Irak, en Palestine, et dans la Péninsule arabique. Car il faut
comprendre ces guerres locales comme des pièces conjoncturelles
d’un moment plus vaste, celui d’une grande guerre régionale,
avec à la clé les dessins impériaux états-uniens. Le Liban
s’est retrouvé aux avant-postes
de ce conflit. Il l’est encore symboliquement et à double
titre, car c’est là que se déploient le mieux les stratégies
de résistance: la guerre des trente-trois jours en a été la
preuve. C’est là aussi que la possibilité reste ouverte de
voir se rouvrir et s’amplifier les spectres de la guerre civile
et confessionnelle.
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