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Crise
libanaise et intoxication médiatique
Mohamed Tahar Bensaada
Mercredi 13 mai 2008
Une fois de plus, les derniers développements de la crise
politico-constitutionnelle libanaise ont donné lieu à une
campagne d’intoxication médiatique des plus grossières. Le
Hezbollah serait coupable d’un « coup de force » contre les
institutions « démocratiques » de l’Etat libanais. Au-delà de
l’interprétation tendancieuse de ce qui reste un développement
déplorable d’une crise politico-constitutionnelle complexe qu’on
ne peut comprendre et résoudre sans la replacer dans un cadre
géopolitique régional en butte à des interventions étrangères,
américaine en premier lieu, les véritables enjeux stratégiques
sont occultés par les médias occidentaux.
De quoi s’agit-il en dernière analyse ? Si on prenait la peine
de reprendre le fil des évènements depuis le début, on
s’apercevrait aisément que le véritable « coup de force »
provient de cette même « majorité » gouvernementale qui crie
aujourd’hui au « coup de force » du Hezbollah !
En effet, la double décision gouvernementale de mettre fin à la
mission d’un responsable sécuritaire proche du Hezbollah en
poste à l’aéroport international de Beyrouth et la mise hors la
loi d’un réseau de télécommunications de 100 000 lignes
appartenant au même Hezbollah, outre qu’elle souffre d’un vice
de forme puisqu’elle touche à une question sécuritaire nationale
qui devrait réunir le consensus intercommunautaire, apparaît
comme une action préventive et délibérée en vue d’atteindre un
double objectif tactique d’une gravité avérée si on l’analysait
du point de la sécurité nationale libanaise : d’une part, le
limogeage du responsable proche du Hezbollah vise directement à
faire de l’aéroport de Beyrouth une plate-forme ouverte aux
agissements des services de sécurité américains (et donc
israéliens). D’autre part, la neutralisation du réseau de
télécommunications du Hezbollah vise à priver ce dernier d’une
capacité de communication autonome, déterminante en cas de
conflit avec Israël.
De la même manière qu’il a surpris les agresseurs israéliens par
sa capacité de résistance opérationnelle sur le terrain, durant
l’été 2006, le Hezbollah a, cette fois-ci, surpris ses
adversaires internes et externes, par sa capacité de réaction
rapide, montrant que la meilleure défense peut être l’attaque.
Dans le contexte présent, il s’agit plus d’une contre-attaque.
Il ne faut pas s’y tromper et il ne sert à rien dans ce cas de
se cacher derrière les arguments fallacieux du formalisme
juridique pour juger de la nature de la contre-attaque du
Hezbollah.
Ce que les médias occidentaux et certains médias arabes oublient
de rappeler, c’est que la « souveraineté » de l’Etat libanais
dont ils se servent comme un cache-sexe est avant tout mise à
mal par l’interventionnisme américain et européen dans les
affaires intérieures du Liban.
En effet, on ne peut comprendre la nature des derniers
développements de la crise libanaise sans comprendre au
préalable les enjeux véritables de la crise
politico-constitutionnelle que d’aucuns voudraient
instrumentaliser pour en faire l’anti-chambre d’une nouvelle
guerre civile. La crise libanaise n’est pas une crise ENTRE
COMMUNAUTES même s’il existe des forces politiques qui cherchent
à prendre en otage telle ou telle communauté pour en faire une
chair à canon dans un conflit contraire aux intérêts supérieurs
du Liban et de la région.
La crise libanaise est avant tout une crise politique. Dans le
système constitutionnel libanais, le fait même que des ministres
chiites et un ministre représentant la communauté chrétienne
orthodoxe quittent le gouvernement remet gravement en question
le consensus intercommunautaire indispensable dans le traitement
de toute question engageant le destin national.
Dans ces circonstances, continuer à parler de « majorité »
gouvernementale et de légitimité constitutionnelle comme le font
les médias occidentaux relève tout simplement d’une manipulation
grotesque digne des services d’action psychologique des armées
coloniales ! Le blocage politico-constitutionnel entourant
l’élection d’un président de la république ne peut s’expliquer
en dehors de ce contexte. Les Américains, et leurs alliés
israélien et européens, savent qu’au fond toute solution
constitutionnelle consensuelle risque de faire revenir le Liban
dans le camp de la résistance régionale au nouveau plan impérial
que l’oncle Sam cherche à imposer dans la région.
Or, la mise en œuvre de cette « pax americana » doit passer
nécessairement par la neutralisation de la Syrie et de l’Iran et
de leurs alliés, le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien.
Les raisons sociologiques, démographiques et politiques qui
expliquent l’équation politique libanaise sont nombreuses mais
il n’y a aucun doute que l’ouverture démocratique relative qui
caractérise ce pays depuis sa naissance y est pour beaucoup. A
cet égard, on peut légitimement émettre l’hypothèse que si dans
les autres pays arabes, une ouverture démocratique véritable
sonnerait le glas de la politique de compromission
anti-nationale dans laquelle se complaisent les régimes
compradores qui ne doivent leur survie qu’à leur soumission au
nouvel ordre international !
Le fait de rappeler ce cadre général, sans la prise en compte
duquel on ne peut comprendre les derniers développements de la
crise libanaise, ne nous interdit pas de considérer les autres
aspects qui contribuent à envenimer le conflit et qui risquent
d’être instrumentalisés par les Américains et leurs alliés.
Dans sa recherche légitime à s’assurer une ceinture de sécurité
régionale contre les menaces réelles que font peser sur lui
Américains et israéliens, l’Iran n’est pas à l’abri de quelques
velléités hégémoniques que ses adversaires ont vite fait de
grossir auprès de ses voisins arabes en vue de justifier les
fabuleux contrats d’armements qui se chiffrent en dizaines de
milliards de dollars et le protectorat de fait qu’ils leur ont
imposé depuis la première guerre d’agression contre l’Irak de
1991. Par ailleurs, malgré tous les efforts de communication
déployés en vue de faire passer son message de résistance n
nationale, le Hezbollah continue à donner l’apparence d’un
mouvement avant tout chiite, lié à l’Iran et auquel on attribue,
à tort ou à raison, une volonté politique hégémonique dans
l’espace public libanais.
Mais quelle que soit la teneur de ces éléments géopolitiques, où
il est difficile parfois de faire la part des choses entre
l’intox et la réalité, l’attitude des pays arabes hostiles au
Hezbollah, à savoir l’Egypte, l’Arabie saoudite et la Jordanie,
est injustifiable. A supposer que leurs craintes vis-à-vis de
l’Iran soit justifiée, comment pourraient-ils justifier auprès
de l’opinion publique arabe et musulmane que cette crainte est
plus forte que la crainte , bien réelle celle-là, que devrait
leur inspirer la politique de RECOLONISATION que les USA sont en
train de pratiquer dans la région depuis plus d’une décennie ?
Comment pourraient-ils justifier auprès de leur opinion publique
leur soi-disant crainte du programme nucléaire au moment où
Israël ne cache pas son statut de seule puissance nucléaire dans
la région ? Si hégémonisme iranien il y a, il ne pourrait être
efficacement contrecarré que par une attitude diplomatique juste
qui passe par le soutien à l’Iran contre les menaces américaine
et israélienne qui le visent directement et par le soutien au
peuple palestinien dans son combat en vue de recouvrer sa terre
spoliée et sa dignité bafouée.
De la même façon, au Liban, les dirigeants politiques qui
prennent aujourd’hui en otages leurs communautés (chrétienne
maronite et musulmane sunnite) en cherchant à les entraîner dans
un conflit confessionnel, loin de la nature géopolitique
véritable du conflit, commettent une erreur stratégique
monumentale. En croyant se servir du parapluie européen et
américain pour venir à bout du supposé hégémonisme du Hezbollah,
la famille Hariri trahit et le Liban et la communauté sunnite.
En effet, en cherchant à faire de la communauté sunnite la chair
à canon dans un possible conflit confessionnel contraire à la
paix civile libanaise et en se rangeant de fait dans la camp
américain (et donc israélien), les dirigeants communautaires qui
prétendent défendre les intérêts de la communauté sunnite
contribuent à isoler cette communauté de son milieu géopolitique
naturel représenté par l’opinion publique arabe qui est à la
fois majoritairement sunnite et majoritairement contre la « pax
americana », contre l’arrogance israélienne et pour la
libération de la Palestine !
Moralement, il est indéfendable de comploter contre le Hezbollah
qui représente la seule force qui a libéré le sud du pays de
l’occupation israélienne, qui a résisté magnifiquement à
l’agression israélienne de l’été 2006 et qui a de fait sauvé
l’honneur arabe dans une bataille pourtant largement
disproportionnée. Mais même tactiquement, ce n’est pas en
s’alliant aux Américains que les dirigeants sunnites
arriveraient à se défaire d’une supposée hégémonie politique du
Hezbollah.
C’est dans la résistance commune aux tentatives
d’instrumentalisation du Liban dans le jeu impérial américain et
aux tentatives de rallumer le feu de la guerre civile que les
différents protagonistes de la scène libanaise trouveront la
force d’éviter le pire et de reconstruire un pacte national
digne d’une histoire qui fait la fierté de tous les Libanais !
A cet égard, l’attitude politiquement courageuse du courant
chrétien patriotique mené par le général Michel Aoun devrait
être médité par les dirigeants sunnites et druzes. On peut
émettre des réserves sérieuses et légitimes sur le rôle de la
Syrie et de l’Iran au Liban tout en faisant le choix de la
résistance, du consensus intercommunautaire et d’une alliance
stratégique mais critique avec les Etats qui s’opposent
présentement à la « pax americana ».
En gelant la double décision gouvernementale qui a provoqué la
réaction du Hezbollah et en restant sourde aux appels belliqueux
du premier ministre libanais, l’armée libanaise a fait le juste
choix, évitant ainsi une escalade préjudiciable à la paix civile
libanaise. Le Hezbollah l’a bien compris en acceptant de retirer
ses miliciens des rues de Beyrouth. Nul doute que l’armée
libanaise sera dans les prochains jours et les prochaines
semaines la cible des Américains et des Israéliens.
En montrant qu’elle est prête à toute épreuve de force visant à
la neutraliser et en continuant son mouvement de désobéissance
civile et pacifique en vue de trouver une solution consensuelle
à une crise politico-constitutionnelle qui aurait pu être réglée
depuis bien longtemps sans l’intervention américaine,
l’opposition libanaise, et le Hezbollah en particulier, mérite
le soutien de toutes les forces sociales et politiques qui
résistent aux manœuvres tentaculaires de l’empire américain dans
la région et partout dans le monde.
Publié le 13 mai 2008 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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