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Liban
Les raisons et les objectifs du désaccord
entre les forces confessionnelles
Marie Nassif-Debs
Photo Al-Oufok
Samedi
1er septembre 2007
Aujourd’hui, le Liban est passé, tant sur le
plan politique que sur le plan économique, au centre du cercle de
feu.
Sur le plan politique, l’escalade est presque
arrivée au point de non-retour, à l’approche des présidentielles,
considérées, par l’alliance politique libanaise au pouvoir et
aussi par l’opposition traditionnelle, comme déterminantes :
la première pense que l’élection d’un nouveau président les
aidera, sans aucun doute, à mettre la main sur toutes les
instances du pouvoir et, par suite, à en finir avec la période
transitoire qui fut ouverte à la suite de l’assassinat de Rafic
Hariri, ex Président due Conseil ; quant à la seconde, elle
pense qu’elle pourra réaliser le slogan du « partenariat »
lancé en décembre 2006 et entretenu par le sit-in qui se
poursuit, depuis, au centre-ville de Beyrouth.
Par contre, sur le plan économique, il est
difficile de trouver des différences notoires entre les
loyalistes et les opposants. Personne n’y porte un intérêt
quelconque, à partir du principe très libanais : parons au
plus pressé. Et, le plus pressé est considéré par tous les
politiciens traditionnels, amis des Etats-Unis ou de la Syrie et
de l’Iran, comme étant la mainmise, partielle ou généralisée,
sur le pouvoir politique, ce qui permettra à telle ou telle
famille d’avoir des avantages et des profits qui leur ouvre
toute grande la porte leur permettant de « se reproduire »
et de pérenniser la présence de l’alliance politique ou, du
moins, le régime confessionnel. Ce régime qui, à peine ébréché,
se reconstruit rapidement grâce aux ententes internationales ou régionales
dominantes pour réapparaître sous des manteaux bicolores ou
tricolores : druze-maronite, sunnite-chrétien,
sunnite-chiite-druze ou, enfin, sunnite-druze-maronite...etc.
Le Liban est, donc, passé dans l’œil du
cyclone. A cause des présidentielles, mais aussi des liens entre
cet événement et les agendas internationaux ou régionaux liés
à la politique étasunienne dans la région, à la suite de
l’occupation de l’Irak et des réactions, politiques et économiques,
que cette occupation soulève parmi l’Alliance créée par
Washington, tant sur le plan arabe qu’européen, que dans les
milieux gouvernementaux russes et chinois.
Les interférences et les
manifestations les plus importantes
Ce passage, qualitatif, a produit différentes
ramifications que nous pouvons voir clairement dans des interférences
militaires, politiques et économiques qui ont laissé leur
empreinte sur la structure même du Liban qui avait déjà reçu
un coup très dur à la suite de l’agression israélienne de
l’été 2006. Le résultat ? Une scission verticale très
accentuée entre les loyalistes et l’opposition (les groupes
appelés « 14 mars » et « 8 mars ») qui
constituent des prolongements de la lutte qui se déroule entre
les tenants du projet étasunien « Le Nouveau Moyen Orient »
(« grand » ou « élargi ») et ceux qui défendent
un autre projet exprimé par l’alliance syro iranienne ;
mais, aussi, une scission, plus profonde encore, entre les deux
grandes confessions musulmanes, les Chiites et les Sunnites, et au
sein des Chrétiens maronites...
Les principales
manifestations de ces scissions peuvent se résumer ainsi :
Premièrement, le déclanchement d’une guerre
« terroriste » au Liban Nord, à travers le groupe dit
« Fath Al-Islam », et ce que cette guerre a dévoilé
comme plans qui se recoupent, à commencer par l’institution
d’un « Emirat islamique » dans la région nord du
pays, mais aussi le transfert du camp des réfugiés palestiniens
de Nahr Al-Bared le plus loin possible de la côte libanaise, afin
d’enlever toute difficulté pouvant s’opposer à la
construction d’une base étasunienne pour le commandement des
forces héliportées dans la région, surtout que le camp de Nahr
Al-Bared est sis à l’aéroport militaire de Qlaïaat, ce qui élargirait
la surface utilisable par la « base » prévue. Sans
oublier le facteur primordial : la présence d’un grand lac
de pétrole sous les eaux territoriales libanaises et s’étendant
des frontières nord du pays et jusqu’à la région de Batroun.
Deuxièmement, la parution du rapport du juge
international Serge Bramertz, chargé de l’enquête sur
l’assassinat de l’ex Président du conseil libanais Rafic
Hariri, et les répercussions contradictoire, mais violentes,
qu’il a soulevées dans le but d’expliquer certains de ses
paragraphes concernant la voiture piégée, une « Mitsubishi
venant des Emirats », et les exécutants, « des jeunes
ayant habité pendant les dix premières années de leur vie une région
très sèche », désertique, en somme...
Troisièmement, l’escalade de la violence
politique, à travers des discours de feu qui montraient que
certains hommes politiques, et certaines forces extérieures se
cachant derrière eux, veulent aller dans le sens d’une voie de
non-retour. Pour cela, ils avaient multiplié les propositions
anti-constitutionnelles, « expliqué » les dires de
certains chefs religieux influents. Ce qui ne peut mener qu’à
exacerber les différends confessionnels, surtout que les discours
précités étaient accompagnés, par certains, d’un retour aux
projets relevant d’une fédération (ou une confédération)
libanaise déjà tentés, il y a de cela 25 ans, ou encore au
projet de la création de deux gouvernements, au cas où les élections
présidentielles ne pourront pas avoir lieu.
Quatrièmement, la recrudescence des déclarations
sur « les armes détenues par le Hezbollah », mais
aussi sur les zones dites « de sécurité », en
liaison avec les manœuvres militaires israéliennes près des
frontières sud du Liban et du Golan occupé qui visent, selon les
déclarations des responsables israéliens, à « prévenir
une guerre possible avec la Syrie ou le Hezbollah ». Pendant
ce temps, les bombardiers israéliens ont repris leurs violations
sans que les nations Unies y trouvent à redire ; bien au
contraire : la résolution internationale sur le prolongement
de la mission de la FINUL renforcée au Liban n’a pas contenu un
petit signe dans ce sens, ce qui a poussé l’ambassadeur israélien
à New York à présenter ses remerciements aux instances
internationales « amies ».
Les présidentielles... selon
Les Etats-Unis
Tout cela se fait selon une tentative visant, de
la part de Washington, à choisir un président de la République
au Liban qui lui permettrait une mainmise complète d sur le pays ;
ce qui compenserait l’échec de sa politique et celle du
gouvernement présidé par Nouri Al-Maliki en Irak et équilibrerait,
en quelque sorte, la balance avant la parution du rapport
Petrous-Kroker et, surtout, la tenue de la « Conférence de
paix au Moyen Orient » auquel George Bush avait appelé.
Surtout que le but de cette conférence est doublement important :
D’abord, redonner un nouvel élan à la « paix »
israélienne dans la région, à travers la remise en question
(comme le demande le gouvernement d’Ehoud Olmert) de la
conception même de l’Etat palestinien à la lumière de la
division très grave entre le Hamas et Mahmoud Abbas ;
ensuite, faciliter la reconnaissance d’Israël par certains régimes
arabes dits « tempérés » (l’Arabie saoudite, les
Emirats arabes unis), et ce afin d’accélérer la normalisation
des relations entre eux et d’ouvrir toute grande la voie devant
les produits « made in Israël », comme nouveau pas
menant à la construction du Nouveau Moyen Orient et à la
liquidation définitive du conflit arabo-israélien dans le sens
contraire aux intérêts arabes dont, notamment, le retrait israélien
des territoires occupés en 1967. N’est-ce pas, là,
l’explication claire des appels d’Olmert et des responsables
israéliens à la « création d’un Etat palestinien
temporaire » ou, encore, au « transfert » des
familles palestiniennes vivant toujours dans les régions occupées
en 1948 ou, enfin, à la « transformation » démographique
d’Al-Qods ?
Ces plans rendent plus clairs les agissements de
la diplomatie étasunienne au Liban, à commencer par les déclarations
de la ministre des affaires étrangères, Condoleeza Rice, et son
conseiller David Walsh, mais aussi l’ambassadeur de Washington
à Beyrouth, Jeffry Fieltman à propos de « la nécessité »
d’élire rapidement un nouveau président de la République, même
si cela nécessite pour se réaliser la violation de la
Constitution, en passant outre le quorum demandé (le vote des
deux tiers des députés), et les dissensions qui peuvent en résulter...
L’essentiel, pour la diplomatie étasunienne, est que le président
de la République libanaise soit « un ami » des
Etats-Unis.
Ainsi s’explique l’insistance sur le fait que
le président soit l’un des leaders du « Mouvement de 14
mars » et, même, un des ultras de ce mouvement dont
l’avant-dernière réunion à Meerab n’a pas manqué de
rappeler aux Libanais la proclamation du « Front libanais »[1],
au tout début de la dernière guerre civile en 1975, les tragédies
et les divisions confessionnelles qui en ont découlé... Sans
oublier les agressions israéliennes qui avaient accompagné tous
ces changements dont, en particulier, celle de 1982 qui devança
et prépara l’élection de Bachir Gemayel à la présidence de
la République.
Les « nombreuses
initiatives »
Nous n’allons pas nous étendre sur le rappel de
l’Histoire des guerres civiles libanaises. Nous ne voulons pas
non plus faire trop de comparaisons entre une période et une
autre, même si nous avions fait, durant la dernière guerre israélienne
contre le Liban, en juillet août 2006, un rapprochement entre
cette guerre et celle de 1982, tant sur le plan des préparatifs
que sur celui du timing, des objectifs et du rôle des Etats-Unis...
Nous nous contenterons d’emprunter ce qu’un ex conseiller de
Georges Bush père, Brent Scowcroft, vient de dire, il y a peu de
temps, dans une conférence à l’université de Georgetown :
« La situation au Moyen Orient est très précaire à tel
point qu’il suffit d’une seule erreur tactique pour aboutir au
déséquilibre du statu quo établi ».
Cet emprunt vise à pousser les responsables
internationaux à laisser aux Libanais, et à eux seuls, le soin
de chercher une solution empêchant le Liban d’aller à la dérive
d’une nouvelle guerre civile qui se profile et qui pourrait, si
elle a lieu, embraser la situation dans la région et ailleurs,
surtout avec tout ce qui se découvre, actuellement, aux yeux des
Libanais et du monde entier dans les événements de Nahr Al-Bared
comme nouveau champ de bataille entre Bush et Ben Laden...
Certains disent que le Liban se trouve,
aujourd’hui, devant deux alternatives : ou bien un
consensus, à travers les initiatives arabes et internationales (résumées
par celles du président du parlement libanais Nabih Berri, celle
d’Amro Moussa, secrétaire général de la « Ligue arabe »,
et Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères de la
France) ou ce sont l’impasse et le chaos (par la création de
deux gouvernements ou par deux élections présidentielles
anticonstitutionnelles).
Cela est vrai en partie, surtout la deuxième
alternative. Par contre, nous devrions dire que les initiatives désignées
ne constituent pas des solutions réelles ; elles peuvent,
tout au plus, retarder l’éclatement de la crise.
En effet, l’initiative de Bernard Kouchner, est
tombée à deux reprises : la première, lorsque la ministre
étasunienne Condoleeza Rice avait apposé son veto contre elle,
ce qui a poussé l’Arabie Saoudite à se rétracter. La seconde,
quand le ministre français s’est immiscé (avant et à la suite
du président Nicolas Sarkozy) dans des propositions portant une
tentative de compromis avec la Syrie, dans le cas où « elle
faciliterait » les élections présidentielles au Liban, après
un discours tout aussi étrange dans lequel il avait déclaré être
aux côtés des alliés du « Mouvement du 14 mars »
dont il adopta les slogans politiques.
Quant aux deux autres initiatives, elles ne sont
pas très claires et demandent des ratifications et des agendas
plus précis[2].
Pour nous, le peuple de la gauche au Liban, nous
pensons que toute solution doit partir d’une base qui met en
valeur le rôle du peuple libanais dans la prévention de toute
rechute. Ce qui veut dire la remise en cause, rapidement, du système
électoral et de la loi électorale adoptés. Le but :
appeler à des élections anticipées au début du mois
d’octobre prochain sur la base de la proportionnelle et de la
suppression du confessionnalisme (tel que cela est prévu dans
l’Accord de Taëf, voté en 1989 et devenu, depuis 1990, partie
intégrante de la Constitution libanaise[3]. Cela aboutira, sans
aucun doute, à doter le Liban d’un parlement représentant
mieux le peuple libanais et exprimant mieux ses aspirations
profondes, tout en empêchant une nouvelle guerre civile
confessionnelle que nous avons déjà expérimentée et que le
peuple irakien expérimente aujourd’hui. Une guerre sans merci
qui ne laisse derrière elle que pagaille, mort et destruction.
Quant à l’exécution du point concernant la présidence
de la République et l’élection d’un nouveau président, elle
se fera à partir du nouveau parlement élu et sur les bases
d’un président qui pourra exprimer les deux conceptions de la
souveraineté et de l’indépendance du pays, sans oublier pour
autant l’appui à la Résistance nationale contre toute
occupation. Viendra, ensuite, la constitution d’un nouveau
gouvernement d’unité nationale. Un gouvernement mettant dans sa
priorité, et sur le même plan, la recherche de solutions adéquates
sur les deux plans politique et économique et rédigeant les nécessités
de la réforme voulue sur le plan du pouvoir politique et sur
celui de l’économie nationale. Ce qui aura le meilleur effet
sur la paix nationale, actuellement perdue.
Voilà pourquoi nous voyons dans les mouvements
populaires revendicatifs que le Parti Communiste libanais a déclanchés,
à la fin du mois d’août passé, dans presque toutes les régions
libanaises la clé qui ouvrira la porte du salut, parce que de
tels mouvements auront pour conséquences de sortir le Liban hors
du cercle de peur des projets mis au point par les émirs de la
guerre civile et les émirs des confessions, mais aussi de mieux
enraciner le peuple libanais dans sa terre où il pourra vivre son
unité retrouvée qu’il ne manqua pas d’exprimer durant
l’agression israélienne de l’été dernier.
Disons, enfin, que les initiatives dites « de
transition », à savoir l’élection d’un nouveau président
pour deux ou trois ans (comme cela s’est déjà passé en 2004
et à la suite du vote par le Conseil de sécurité de la résolution
1559 dont nous vivons les répercussions néfastes jusqu’à ce
jour) afin, dit-on, de laisser passer la tempête que soulève déjà
l’approche de la campagne présidentielle aux Etats-Unis, nous
ne savons pas si le Liban est capable de la supporter sans des
pertes radicales qui relèveront de l’unité de son peuple et de
l’intégrité de son territoire ...
Marie Nassif-Debs
Article paru, le samedi 1er septembre, dans le
bimensuel « An-Nidaa »
Notes
[1] Le « Front libanais »
fut formé sous l’égide des partis suivants : le Parti
phalangiste de Pierre Gemayel, , les Nationalistes libéraux
de Camille Chamoun, président de la République entre 1952 et
1958 et dont la présidence a connu deux événements
meurtriers (la signature de l’Alliance de Baghdad, faite par
les Etats-Unis, et la guerre civile de 1958), le Bloc national
de Raymond Eddé ainsi que de plusieurs personnalités chrétiennes,
dont le président Amine Gemayel, le président élu Bachir
Gemayel, allié d’Israël et chef des Forces libanaises qui
vinrent remplacer ce Front et qui sont présidées,
actuellement, par Samir Geagea chez qui s’est tenue la réunion
de Meerab.
[2] D’ailleurs, le même jour
de la parution de cet article dans « An-Nidaa »,
Monsieur Nabih Berri a présenté une nouvelle initiative lors
d’un meeting commémorant le jour de la disparition de l’Imam
Moussa Sadr, disparu en Libye, il y a trente ans. Dans ce
discours, il se dit prêt à retirer la revendication de
l’opposition qu’il représente concernant la formation
d’un gouvernement d’unité nationale, si les loyalistes
acceptent des élections présidentielles sur la base du
quorum des 2/3 des députés. De plus, Berri s’engage à
ouvrir une nouvelle phase de dialogue pour aboutir à une
entente sur le nom du futur président.
Cette initiative a soulevé et
soulève encore des réactions mitigées.
[3] Surtout la partie II,
articles 6 et 7, et la partie III, chapitre C...
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