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Nouvelles d'Irak
La résistance des Arabes du Golan
Gilles Munier
Gilles Munier
Jeudi 7 avril 2011
7/3/11 - Alors qu’un sondage de l’
« Institut israélien pour la Démocratie »,
affirme que 70% des Israéliens estiment que leur gouvernement ne
doit pas lancer d’initiative de paix, et que Benyamin Netanyahou
a décidé de construire 942 nouveaux logements dans un quartier
de colonisation juive de Jérusalem-Est, une cinquantaine de
personnalités israéliennes – parmi
lesquelles le fils d’Yitzhak Rabin, un ex chef du Mossad, et
deux anciens chef du Shin Beth - ont
présenté, le 6 avril 2011, une « Initiative
de paix ». Elle comprend, notamment, la
restitution du plateau du Golan à la Syrie….
Comme tous les peuples colonisés et spoliés, les Arabes du
plateau du Golan occupé par Israël - druzes (1) en majorité
- résistent. Mais, leur combat n’ayant pas pris la forme d’une
lutte armée - les conditions ne s’y prêtant apparemment
toujours pas - la presse internationale ne lui accorde pas
l’attention qu’il mérite. Cela fait plus de 40 ans que cela
dure, car dans le domaine médiatique, Damas n’a pas l’influence
dont dispose Israël en Occident.
A la différence des Palestiniens des Territoires occupés et de
la bande de Gaza, les Syriens du Golan sont en outre victimes de
manipulations ethnico-religieuses, en raison de leur
appartenance au druzisme. La stratégie « diviser pour
régner », pratiquée par toutes les troupes d’occupation,
s’est traduite à l’égard des Druzes du Golan par des mesures
inspirées de celles en vigueur en Afrique du Sud du temps de
l’Apartheid. Les spécialistes israéliens des questions raciales
leur ont accordé – et imposé - un statut particulier
qui les distingue des Arabes musulmans sunnites ou chrétiens ;
statut identique à celui en vigueur pour les Palestiniens druzes
(2) et les Tcherkesse (3) du nord d’Israël.
Ils sont considérés comme des citoyens à part –
théoriquement – entière, donc astreints au service
militaire. Le refus d’obtempérer est assimilé à de
l’intelligence avec l’ennemi - la Syrie, leur patrie -
et est passible de prison. Dans les faits, ils se sont tout de
suite rendus compte qu’ils n’avaient pas accès à tous les
emplois, que leurs terres étaient confisquées et que les aides
financières accordées aux municipalités druzes étaient nettement
moins importantes que celles dont bénéficiaient les colonies et
les villages juifs.
Métempsychose et
taqiya
La religion druze, apparue au 11ème siècle, est une
scission de l’ismaélisme fatimide (4), une branche du
chiisme se réclamant non seulement des six imams qui ont succédé
à Ali, gendre du Prophète Muhammad et 4ème calife
(5), mais également du calife al-Hakim
bi-Amr Allah qui régnait sur
un empire comprenant l’Egypte, une partie de la Syrie historique
(6)
et de l’Arabie. Disparu mystérieusement au cours d’une promenade
en 1021, il était, pour ses partisans, la
réincarnation du Mahdi (7), voire une « incarnation
divine ».
Les Druzes professent un syncrétisme religieux distinct de celui
des autres ismaéliens. Les enseignements de leurs livres sacrés
– tenus secrets - ne sont révélés qu’aux membres
de leur communauté, hommes ou femmes, ayant atteint l’âge de 40
ans (8). Ainsi, la société druze se répartit en
uqqal (initiés) et djahhal (ignorants)
qui ne participent pas aux cérémonies religieuses. Les chefs de
la communauté, choisis parmi les initiés, sont appelés
adjawib –(parfaits). Leurs décisions politiques, sans appel
jusqu’à ces dernières années, sont de plus en plus contestées
par des jeunes qui estiment que la résistance passive au
sionisme a fait son temps.
Les Druzes croient en la métempsychose et en la transmigration
des âmes (9), et s’interdisent tout prosélytisme. Ils
pratiquent la taqiya, c'est-à-dire l’art de la
dissimulation, ce qui les autorise à se comporter en fonction
des circonstances comme des musulmans ou des chrétiens, et à
« baiser la main qu’ils ne peuvent couper » quand ils sont
en danger, sans remord de conscience.
Nationalisme arabe ou collaboration
La pratique de la taqiya s’est traduite en Palestine
par la collaboration de certaines familles druzes avec les
colons sionistes dès 1929, puis par leur participation aux
guerres israélo-arabes. A l’origine de ce choix, qui les fait
passer pour des traîtres à la cause arabe et islamique, il n’y
aurait pas seulement la protection de leur religion et de leur
mode de vie, mais le comportement de clans locaux, sunnites, qui
les dénonçaient comme de dangereux hérétiques. En 1937-39, ils
refusèrent néanmoins la proposition qui leur était faite par des
dirigeants sionistes d’être transférés dans le Golan pour
échapper à la « menace musulmane ». Aujourd’hui, ils ne
sont plus seulement enrôlés dans le Herev (Epée,
en hébreu), bataillon druze de l’armée israélienne, ou comme
interprète, mais dans les troupes de choc et dans la sécurité
(10).
Au plan politique, leurs opinions fluctuent en fonction des
courants dominants traversant la société israélienne. En 1959,
le cheikh Salih Khnayfis leur demandait de voter pour une
coalition religieuse juive du moment, puis en 1965 pour le
Herout de Menahem Begin - futur Likoud - tandis
qu’un autre Cheikh Jabr Mu’addi les incitait à choisir David Ben
Gourion et le parti travailliste Mapaï, ce que firent
50% d’entre eux. Dans les années 70, les Druzes se sont
rapprochés du parti communiste israélien Rakah qui
appuyait le Comité pour une initiative druze (Al-Mubadira)
(11), puis s’en sont éloignés lorsque le parti a décidé
d’intégrer leur comité dans sa structure. Aux élections
législatives de 2009, l’ultra-sioniste Avigdor Liberman obtint
des scores importants dans plusieurs villages druzes. L’un
d’eux, Hamad Amar, est député de Yisrael Beiteinu à la
Knesset, deux autres au Likoud et à Kadima
(12) … Dans leur cas, il ne s’agit pas de taqiya,
d’options tactiques, mais de collaboration pure et simple.
Mais, les temps changent… Les effets de la propagande
israélienne séparant les «bons arabes » (les
Druzes), des «mauvais arabes » (les résistants
palestiniens, toutes religions confondues), s’atténuent.
Toute la question est désormais de savoir jusqu’à quand la
taqiya refreinera leurs sentiments patriotiques, ou leur
colère d’être traités comme des citoyens de deuxième catégorie.
A Amman, en août 2001, Walid Joumblatt, chef des Druzes des
montagnes du Chouf, au Liban, a demandé à ceux vivant en Israël
et dans le Golan de ne plus faire leur service militaire dans
l’armée de l’Etat hébreu. Le député druze Said Nafaa, de
Galilée, qui dirigeait la délégation venue d’Israël lui a
apporté son appui. A son retour, il a créé le « Pacte des
Druzes libres », réclamé la fin de la conscription et
affirmé que les Druzes doivent être des Arabes palestiniens
comme les autres. Ceux, de plus en plus nombreux, qui ont
répondu à son appel ont été emprisonnés. En décembre 2009, Nafaa
a été accusé de « contact avec un agent étranger » pour
s’être rendu en pèlerinage – avec 280 religieux - en
Syrie. Son immunité parlementaire a été levée.
Drapeaux syriens
et portraits de
Bachar al-Assad
Dans le Golan, à quelques exceptions près, les Druzes se
comportent en nationalistes arabes, comme cela a toujours été le
cas lorsque la Syrie était en danger. Sans remonter à l’époque
des Croisades où ils participèrent à la reprise de Jérusalem aux
côtés de Salah Eddine (Saladin) (13), l’histoire du
Mashreq bruisse encore de l’épopée de Sultan al-Atrach,
chef druze qui contribua à l’accession à l’indépendance de la
Syrie en infligeant de cuisantes défaites aux troupes
d’occupation françaises dès 1925-27 (14). Sa statue
trône toujours à Majdal Shams, principale ville du Golan occupé,
où les jeunes apprennent qu’il avait appelé à la création d'une
armée arabe unifiée pour libérer la Palestine, lors de la
création d’Israël en 1948.
En 1981, après l’annexion du Golan, les habitants ayant refusé
dans leur majorité les cartes d’identité israéliennes qui leur
étaient imposées, entamèrent une grève de protestation. Ils
résistèrent 6 mois au blocus de leurs villages par l’armée. Tous
les ans, ils fêtent l’indépendance de la Syrie, brandissant le
drapeau national et des portraits du président Bachar al-Assad.
En 1985, à Majdal Chams, lors d’une manifestation contre
l’annexion du Golan, un jeune druze a été condamné à 6 mois de
prison pour « sédition » : il avait entonné une chanson
« anti-israélienne et pro-syrienne ». Le conseil de
sécurité de l’ONU qui a voté, en décembre 1981, la résolution
497 (15) déclarant que les lois israéliennes appliquées
dans le Golan étaient « nulles et non avenues », n’a
évidemment pas réagi. Les Druzes se rendent ensuite sur les
hauteurs surplombant la « Vallée des cris » où les
familles druzes séparées par la ligne de cessez-le-feu, couverte
de barbelés et truffée de mines, s’interpellent au mégaphone.
Les Israéliens, forts de leur impunité internationale, jouent la
montre. Il serait temps que la libération du plateau du Golan et
le retour des réfugiés soient évoqués ailleurs que dans des
réunions diplomatiques internationales sans lendemain. Demander
pour la énième fois à Israël de respecter les résolutions du
Conseil de sécurité ne mène à rien. La « communauté
internationale », si elle existe, doit l’y contraindre.
Notes:
(1)
Les Druzes s’appellent entre eux
« mouwahidoun »
(Ceux qui croient en un dieu unique).
(2)
Les Palestiniens de religion druze sont estimés à environ 100
000. Ils vivent dans des villages situés sur le Mont Carmel et
en Galilée. Le nombre des Druzes dans le Golan serait d’environ
22 000.
(3)
Les Tcherkesses, appelés aussi Circassiens, sont originaire de
Tcherkessie, Etat du Caucase conquis par les troupes tsaristes
au 19ème,
à l’époque du « Grand jeu »,
après une résistance mémorable. Ils sont musulmans sunnites et
parlent l'adyguéen.
Des centaines de milliers de Tcherkesse se sont réfugiés en
Turquie et en Syrie sous l’Empire Ottoman, notamment en
Palestine où ils ont pris, plus tard, parti pour l’Etat d’Israël
en 1948. En Jordanie, ils forment la Garde royale. Dans le
Caucase, ils vivent aujourd’hui dans les républiques d'Adyguée,
de Karatchaïévo-Tcherkessie et de Kabardino-Balkarie, au sein de
la Fédération de Russie.
(4)
Les Fatimides sont une dynastie musulmane fondée par Ubayd Allah
al-Mahdi, da’i
(missionnaire)
ismaélien originaire de la région de Sétif en Algérie, qui
disait descendre d’Ali. Ils régnèrent sur le Maghreb
(909-1048),
puis sur l’Egypte (969-1171)
où ils fondèrent la ville du Caire. Ils s’opposèrent aux Croisés
en installant une base en Palestine, à Al-Majdal
(Ashkelon,
en hébreu).
Salah Eddine (Saladin)
abolira le califat fatimide en 1171, le replaçant sous
l’autorité de Bagdad.
(5)
L’ismaélisme est une secte créée à la mort de Jaafar as-Sadiq,
sixième iman chiite à Bagdad, en 765. Ses adeptes ne
reconnaissent pour successeur que son fils Ismaël désigné pour
lui succéder, mais qui disparut mystérieusement et dont ils
affirment qu’il reviendra à la fin des temps. Ils se
différencient des chiites duodécimains qui choisirent Musâ al-Kazim,
son frère cadet, comme septième imam. Ils sont divisés en
plusieurs sectes, la plus connue aujourd’hui est celle dirigée
par l’Agha Khan. Les zaïdites, autre secte chiite présente au
Yémen, ne reconnaissent que cinq imam, le dernier étant Zayd ben
Ali, petit-fils de Hussein mort à la bataille de Kerballa. Zayd
ben Ali s’opposa aux Omeyyades. Tué dans une bataille, il fut
décapité et son corps exposé en croix à Koufa en 740.
(6)
La Syrie dite historique, appelée
Bilad al-Cham
comprenait son territoire actuel, la Palestine, le Liban, la
Jordanie, le sandjak d’Alexandrette, et une partie de la
Mésopotamie aujourd’hui turque. Elle a été dépecée par la France
et la Grande-Bretagne, comme prévu dans les accords secrets
Sykes Picot de 1916.
(7)
Le Mahdi est pour les chiites le dernier imam de leur secte. Son
retour, à la fin des temps, précèdera celui de Jésus. Pour les
ismaéliens, ce sera Ismaël, et pour les duodécimains Muhammad,
occulté en 874 à Samarra (Irak).
(8)
Les Druzes ne peuvent être initiés qu’à 40 ans, âge auquel le
Prophète Muhammad a commencé à transmettre le Coran.
(9)
Les Druzes, comme les adeptes d’autres religions au
Proche-Orient et en Inde, croient qu’après la mort l’âme va vers
un autre corps, mais qui ne peut être que druze et de la même
condition sociale. Ils croient également que l’âme se purifie à
chaque migration.
(10)
En juin 2009, lors de la visite officielle de Nicolas Sarkozy en
Israël, on a appris que des Druzes faisaient également partie
des services de protection des hautes personnalités. L’un deux,
Raed Ghanen, s’est « suicidé »
ou aurait été abattu sur un toit de l’aéroport Ben-Gourion, lors
du départ du président français. Selon
Zavtra,
quotidien russe, le Service
fédéral de sécurité de la Fédération Russe (FSB)
aurait informé le Premier ministre Poutine et le Président
Medvedev qu’il s’agissait d’une tentative d’assassinat. La
famille de Raed Ghanem refuse la thèse du suicide. On ne saura
sans doute jamais ce qui s’est passé, à savoir si le jeune Druze
s’est suicidé, a voulu assassiner Sarkozy, empêché un autre de
le faire, ou s’il s’agit d’un accident.
(11)
Les Druzes se sont rapproché du parti communiste
Rakah
grâce à Sami al-Qasim, grand poète druze qui en était membre,
plusieurs fois emprisonné en raison de son engagement politique.
(12)
Outre Hamad Amar (Yisrael
Beiteinu), 2 autres députés
druzes d’extrême droite siègent à la Knesset : Ayoub Kara
(Likoud),
Majalli Wahebi (Kadima).
(13)
Un des principaux sanctuaires religieux druze de Palestine est
la tombe de Jéthro (Nabi Shu’eib,
dans le Coran), beau-père de Moïse. Ce prophète du peuple
madianite (surnommé Abou Madian,
condensé en arabe dialectal en Boumediene)
vivait à l’est de la mer Morte, entre le Jourdain et le Sinaï.
Selon la tradition, l’emplacement de sa tombe aurait été
indiqué, en songe, à Salah Eddine
(Saladin)
par un ange. Son emplacement est situé sur le champ de bataille
de Hattin où il vainquit les Croisés de Guy de Lusignan, le 4
juillet 1187.
(14)
Sultan al-Atrach (1891-1982)
est un des acteurs de la Révolte arabe dirigée par Fayçal
d’Arabie et appuyé par l’agent britannique T.E Lawrence. Il a
mis à leur disposition des troupes et a pris part à la prise de
Bosra. Ses hommes ont été les premiers à entrer dans Damas, le
29 septembre 1918. Il a participé à tous les combats qui ont
permis à la Syrie d’accéder à l’indépendance. Sultan al-Atrach a
été décoré pour le rôle qu’il a joué par les présidents Gamal
Abdel Nasser et Hafez al-Assad.
(15)
Résolution 497 du Conseil de sécurité du 17 décembre 1981:
http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/497%281981%29
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 7 avril 2011 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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