Nouvelles d'Irak
Irak de la colère: le trouble jeu de Moqtada al-Sadr
Gilles Munier
Gilles Munier
Samedi 5 mars 2011
Le 5 janvier dernier, Moqtada al-Sadr a débarqué de l’avion d’Ali
Akbar Salehi, ministre iranien des Affaires étrangères, venu en
Irak pour effectuer sa première visite officielle.
Le Sayyed (1)
n’avait pas remis les pieds à Bagdad depuis 2008, installé à Qom
pour parfaire son éducation religieuse et devenir
ayatollah.
A Nadjaf, le 8 janvier, dans un discours public, il a rappelé au
Premier ministre Nouri al-Maliki – élu grâce aux voix des 39
députés sadristes - qu’il a les «moyens
politiques » de le renverser. Il l’a prévenu qu’il
n’acceptera pas la présence de troupes américaines après la fin
2011, date fixée par le pacte de sécurité américano-irakien
(SOFA). Parallèlement, il a enjoint ses partisans à résister,
« par tous les moyens », à l’occupation. Les activités
de l’Armée du Mahdi étant officiellement gelées depuis
août 2008, il dispose d’un autre bras armé, plus expérimenté et
plus discipliné: la Brigade du Jour Promis, que les
Etats-Unis soupçonnent d’attaquer leurs bases.
Le 10 janvier, par l’intermédiaire du député sadriste
Bahaa al-Aaraji, Moqtada a demandé
au Parlement et au gouvernement d’allouer à chaque citoyen
irakien un pourcentage des revenues pétroliers, un terrain et
des facilités pour y construire une maison, afin, notamment
de relancer le secteur agricole, en pleine déliquescence depuis
2003 (2). Sur le
marché, les produits importés de Turquie ou… d’Israël –
étiquetés Made in Jordan
- sont moins chers que ceux d’origine irakienne.
Campagne de diffamation, chantage
La réaction de Nouri al-Maliki –
et des Etats-Unis
- ne s’est pas faite attendre. Un envoyé du Premier
ministre irakien a remis à Moqtada un message l’informant que le
gouvernement ne se portait pas garant de sa sécurité, et que le
mandat d’arrêt délivré contre lui en 2004, l’accusant d’avoir
fait assassiner l’ayatollah
Abdul Majid
al-Khoï (3)
à Nadjaf, était
toujours exécutoire. Il risquait d’être arrêté, à la demande
express d’Haydar, fils de ce dernier, résidant à Londres. Des « documents compromettants »
auraient également été remis à Moqtada pour l’inciter à plus de
modération, voire à déguerpir. Il s’agirait de photos données
par la CIA à Maliki, trouvées, comme par hasard, dans les
archives des services secrets de Saddam Hussein.
Les menaces de mort proférées à son encontre étaient plus
sérieuses
(4).
Depuis plusieurs semaines, les sites Internet de
Asaib Ahl al-Haq
-
La Ligue des Vertueux
- organisation terroriste pro-iranienne soi-disant rentrée dans
le rang
(5),
se répandaient en insultes, calomnies et menaces contre Moqtada
al-Sadr.
Asaib Ahl al-Haq
avait même diffusé une déclaration rendant son meurtre
« licite »
pour tout musulman. Relation de cause à effet ? Le 18 janvier, à
l’étonnement de ses proches, le
Sayyed
repartit en Iran sans crier gare, pour, selon des proches,
« poursuivre ses études religieuses ».
Mise en cause du confessionnalisme
L’apparition inattendue dans les rues de Bagdad et des
principales villes d’Irak de milliers de manifestants -
dans la foulée des révolutions tunisiennes et égyptiennes
- réclamant des conditions de vie meilleures, allait changer la
donne. Dans un premier temps, le Grand ayatollah Ali al-Sistani
et Moqtada al-Sadr leur apportèrent leur soutien. Mais, quand il
devint évident que la plupart des contestataires mettait en
cause le système confessionnel, et que le fragile équilibre
parlementaire soutenant Nouri al-Maliki risquait de s’effondrer,
la nomenklatura chiite –
Moqtada compris
- changea de camp. Le 23 février, le
Sayyed,
apparemment rentré en grâce, revint à Nadjaf pour adjurer les
Irakiens de ne plus manifester. Assurant toujours soutenir leurs
revendications, il proposait un referendum sur les services
publics
(6)
et leur demandait de donner six mois de répit au gouvernement
pour faire la preuve de ses capacités.
Moqtada aurait mieux fait de se taire, et de choisir son camp
une fois pour toutes. Ses changements de position à 360°
finissent par dérouter ses partisans les plus indulgents. Les
journées de la colère irakienne se succèdent et prennent de
l’ampleur. Celle du 25 février fut sanglante
(7).
La répression qui a suivi aussi, mais elle n’a pas dissuadé des
milliers de manifestants, le 4 mars, de conspuer de nouveau
leurs dirigeants
« incapables et corrompus »
au cri, notamment, de
« Le pétrole pour le peuple, pas pour les voleurs ».
Les murs de béton posés sur le pont Al-Joumhouriya pour empêcher
la vague de colère d’atteindre la Zone verte ne tiendront pas
toujours.
Sources :
(1)
Titre donné aux descendants du Prophète Muhammad.
(2)
Shiite Leader,
Muqtada al-Sadr, demands govt. to
allocate oil share for each Iraqi citizen
http://en.aswataliraq.info/Default1.aspx?page=article_page&id=140447&l=1
(3)
L’ayatollah
Abdul Majid
al-Khoï, considéré comme un agent
britannique, a été assassiné le 10 avril 2003 à Nadjaf. Le juge
enquêtant sur cette affaire est Raed al-Juhi, porte-parole du
tribunal spécial ayant jugé le Président Saddam Hussein.
(4)
Al-Sadr fled to
Iran due to assassination fears,
par
Ma'ad Fayad
(Ashark Al-Awsat
– 26/1/11)
http://www.aawsat.com/english/news.asp?section=1&id=23926
(5)
Asaib Ahl al-Haq (AAH, pour les Américains),
du nom de l’armée qui devrait accompagner l’Imam al-Mahdi à sa
réapparition lors du Jugement dernier, est issue d’une scission
de l’Armée
du Mahdi.
Elle est dirigée par Qais
Khazali, adepte du Grand ayatollah Mahmoud
Hashemi Shahroudi et un des principaux suspects du meurtre de
l’ayatollah Al-Khoï.
Asaib Ahl
al-Haq est étroitement liée à
la Brigade al-Qods
des Gardiens de la révolution
islamique iranienne. Plusieurs
de ses membres - dont Qais
Khazali, arrêté à Bassora en 2007
-, emprisonnés par les forces d’occupation américaines, ont été
libérés sur intervention de Nouri al-Maliki en échange de la
libération d’un otage britannique et de la promesse de
« soutenir le processus politique ».
(6)Iraqi
Shiite Leader Muqtada al-Sadr
returns, and announces referendum on public services
http://jafrianews.com/2011/02/26/iraqi-shiite-leader-muqtada-al-sadr-returns-and-announces-referendum-on-public-services/
(7)
Journées de la colère en Irak : le sang coule
http://0z.fr/fDKEy
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 6 mars 2011 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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