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Nouvelles d'Irak
Liban, nid
d'espions israéliens
Gilles Munier
Gilles Munier
Samedi 2 octobre 2010
* Article de Gilles Munier, paru dans
Afrique Asie – octobre 2010
L’infiltration de la société libanaise par le Mossad est aussi
vieille que la création de l’Etat d’Israël. Mais, la volonté
conjuguée des FSI
(Forces de sécurité intérieure),
des Renseignements militaires libanais et du
Hezbollah,
est entrain de changer la donne.
La réputation de Beyrouth d’être l’un des grands centres
mondiaux de l’espionnage n’est pas usurpée. Depuis 2009,
l’arrestation de près de 150 agents recrutés par les trois
services secrets israéliens a pulvérisé tous les records. Et ce
n’est pas fini, malgré les tentatives d’étouffement visant
dernièrement la branche renseignements des Forces de sécurité
libanaises (FSI) qui a démantelé plusieurs réseaux israéliens.
Lors de la création d’Israël et jusqu’à aujourd’hui dans les
cercles sionistes extrémistes, il est toujours question d’un
Israël du Nil à l’Euphrate. Mais, sait-on qu’au nord, l’Etat
juif devrait comprendre le Liban et une partie de la Syrie
jusqu’à Alep ? Pour David Ben Gourion, président-fondateur
d’Israël, politicien pragmatique, une des priorités était de
semer la discorde dans les pays arabes en excitant leurs
minorités religieuses et ethniques et, au Liban, de s’emparer
des sources du fleuve Litani. Son ami Reuven
« Shiloah »
Zoslanski, premier directeur du Mossad, avec qui il avait conçu
le concept d’ « alliés
périphériques »,
devait infiltrer les communautés maronite et druze et leur faire
miroiter la constitution d’un Etat indépendant. Pendant quatorze
ans, une espionne nommée Shulamit Cohen-Kishik, parvint, grâce à
ses talents de péripatéticienne, à gangrener une partie de
l’intelligentsia libanaise (cf. Appendice).
Le Mossad n’est pas invulnérable
Dans les années 70, le maître espion David Kimche fut l’artisan
de l’alliance israélienne avec des clans maronites qui facilita
l’invasion du Liban en 1982. Eliezer Tsafrir, chef de station du
Mossad à Beyrouth en 1983, après avoir sévi au Kurdistan irakien
lors de la présidence des frères Aref, sait ce qu’infiltrer veut
dire. Aujourd’hui en retraite, il estime qu’une opération comme
l’assassinat à Damas, le 12 février 2008, de Imad Mughniyeh,
chef de la sécurité du Hezbollah, a demandé des années de
travail minutieux impliquant des dizaines de personnes ayant
chacune un rôle précis et ignorant tout des autres intervenants.
On peut en dire autant de l’assassinat du Premier ministre Rafic
Hariri.
On s’interroge encore pour savoir qui a livré les matériels
d’écoute sophistiqués permettant aux FSI de traquer les réseaux
israéliens. Selon Georges Malbrunot, du
Figaro,
leurs succès seraient dus aux systèmes
d’interception et de localisation
français et aux logiciels américains d’exploitation de données,
fournis au général Ashraf Rifi, patron des FSI,
pour démasquer les assassins de
Hariri ! Pour Israël, tout le mal viendrait du FSB russe –
ex-KGB - qui
aurait mis à la disposition du Hezbollah des experts en
télécommunication et le matériel sensible allant avec. Le
sentiment d’invulnérabilité et la gloriole du Mossad ont fait le
reste : après l’arrestation, en avril 2009, du général retraité
Adib al-Alam, recruté en 1974, il suffisait aux FSI d’attendre
que les Israéliens, un temps silencieux, reprennent contact avec
leurs agents pour que des nids d’espions tombent un à un.
La gangrène
Parmi les agents arrêtés, Adib al-Alam avait créé une agence
fournissant des domestiques asiatiques qu’il débriefait après
chaque intervention ; le colonel Shahid Toumiyeh livrait des
documents militaires
« top secret » ;
le colonel Mansour Diab, directeur de l’Ecole des commandos de
marine, exfiltrait les agents et réceptionnait les matériels
envoyés par Israël ;
Philopos Hanna Sader surveillait
la maison du Président Michel Sleiman;
enfin, le général Fayez Karam, ancien responsable de la lutte
anti-terroriste et du contre-espionnage, se servait du général
Michel Aoun pour approcher la direction du Hezbollah… Leurs
interrogatoires donnent une idée des objectifs visés par
Israël : les lieux de résidence des personnalités politiques
libanaises, en particulier celui de Hassan Nasrallah, chef du
Hezbollah, dans la clandestinité depuis la guerre de 2006 ; le
repérage des sites de lancement de missiles ; les caches d’armes
de la résistance ; l’aéroport de Beyrouth ; les service des
passeports, des douanes ; les sociétés de télécommunication
Alpha et Ogero ; et, bien sûr, les camps et les bureaux
palestiniens … etc… Lors de sa vidéo-conférence du 9 août
2010, Hassan Nasrallah a désigné un certain Ghassan al-Jid,
recruté par le Mossad en 1990,
comme un des protagonistes de l’assassinat de Rafic Hariri.
L’agent israélien serait réfugié en France où on s’interroge sur
le jeu de Nicolas Sarkozy, dont les services, quand il était
ministre de l’Intérieur, ont aidé Zouheir Siddiq, faux témoin
accusant le Président Bachar al-Assad d’avoir ordonné le meurtre
de Rafic Hariri, à s’enfuir en lui remettant un faux passeport
tchèque, alors que le Liban réclamait son extradition.
Appendice :
Shula, la Mata
Hari du Proche-Orient
A Beyrouth, entre 1947 et 1961, Shulamit Cohen, dite Shula,
prostituée de luxe formée par le Mossad, a recruté de hautes
personnalités libanaises et infiltré le parti chrétien Kataeb
sans grandes difficultés. Démasquée par les services secrets
syriens, condamnée à mort pour communication de secrets d’Etat à
l’ennemi, elle a finalement été échangée contre des prisonniers
arabes, après la guerre de juin 1967. En Israël, Shula est
considérée comme une héroïne nationale.
Juive originaire d’Argentine, Shula émigra en 1937 en Palestine,
après un séjour en Irak où ses parents avaient tenté de faire
fortune. Agée d’une vingtaine d’années, elle fut recrutée par un
officier du service secret de la Haganah, le Shai, dont
elle était tombée amoureuse. Le Mossad, en voie de création, lui
apprit les ficelles du métier d’espionne, façon Mata Hari, l’art
de séduire et de manipuler, et l’envoya en Grande-Bretagne
apprendre l’anglais et les bonnes manières.
Après son arrivée à Beyrouth en 1947, son mariage fut arrangé
avec Joseph Kishik, un commerçant juif libanais, sa couverture
pour débuter ses activités. Première victime de taille : Mahmoud
Awad, plusieurs fois ministre, qu’elle recevait à son domicile.
Le nombre de ses clients augmentant, elle se servit d’un
directeur de casino pour rencontrer Camille Chamoun, président
de la République, habitué du lieu… En 1956, Shula dirigeait un
réseau de prostituées de luxe comprenant des jeunes filles
mineures, et possédait plusieurs bordels où des caméras
installées par le Mossad filmaient les ébats des clients
importants.
Point d’orgue de son ascension dans les milieux de la dolce
vita libanaise, elle ouvrit le Rambo Pub, rue Hamra, artère
centrale de Beyrouth, pour en faire le point de rencontre de ses
agents et étendre ses activités de renseignement. C’est là
qu’avec des passeurs libanais, elle organisa l’entrée en Israël
de milliers de juifs irakiens fuyant les attentats
« antisémites » perpétrés à Bagdad… par le Mossad.
Le 3 décembre 2002, Shulamit Cohen-Kishik a reçu le Prix Menahem
Begin pour avoir fourni à Israël des renseignements de grande
valeur et aidé les juifs orientaux à s’installer en Palestine.
Ses deux fils font parler d’eux : David Kishik, extrémiste mêlé
à une affaire de fabrication de faux documents de propriété
destinés à expulser des Palestiniens de leurs terres, et Yitzhak
Levanon, représentant d'Israël aux Nations unies lors de
l’opération « Plomb durci », contre Gaza et actuel
ambassadeur au Caire où il se plaint de l’attitude des autorités
envers les diplomates israéliens et la communauté juive
égyptienne.
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 2 octobre 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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