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Les Etats-Unis mettent en garde
l’Espagne sur sa politique cubaine
Vicky Short
30 juillet 2007
Les Etats-Unis ont mis en garde l’Espagne sur sa
politique à l’égard de Cuba au moment où les pays impérialistes
cherchent à y gagner du pouvoir et de l’influence et où des décennies
de pouvoir de Fidel Castro arrivent à leur terme.
La longue maladie de Castro, le dirigeant de la révolution
cubaine et le président depuis février 1959, l’a forcé il y a
un an à déléguer ses pouvoirs présidentiels à son frère Raúl
(76 ans). La femme de Raúl, Vilma Espín Guillois, une camarade
et une combattante rebelle contre la dictature de Batista,
soutenue par les Etats-Unis, avait joué pendant des décennies le
rôle de première dame de la révolution cubaine. En tant
qu’une des femmes politiquement les plus puissantes de Cuba elle
est décédée le mois dernier.
L’Espagne a été le fer de lance au sein de
l’Union européenne (EU) pour améliorer les relations avec l’Amérique
latine, notamment Cuba. L’Europe entrevoit l’occasion de
rompre le contrôle serré exercé par les Etats-Unis sur l’économie
et les affaires étrangères cubaines, de protéger ses considérables
investissements dans l’industrie du tourisme et du nickel de
l’île et d’exploiter les ressources pétrolières
nouvellement découvertes en mer.
Pour ce faire, l’Espagne est considérée être
le membre de l’UE le mieux placé en raison de ses liens
historiques et de sa langue et culture communes. L’Espagne avait
maintenu, tout au long des années de boycott américain, des
relations commerciales avec le pays et ce même durant la période
fasciste du régime de Franco. Ces derniers temps, Cuba a remplacé
le Venezuela pour devenir le troisième client des exportations
espagnoles en Amérique latine, après le Mexique et le Brésil.
Les exportations vers Cuba ont fait un bond de près de 16 pour
cent en 2003 et ont continué à augmenter tandis que les
importations de l’Espagne en provenance de Cuba ont augmenté de
4,5 pour cent. A la fin des années 1990, l’Espagne était
devenu le deuxième pays pour ce qui est des relations
d’investissements directs en Amérique latine, avec sept de ses
entreprises classées parmi les premières en détenant des actifs
de l’ordre de 300 milliards de dollars.
Le ministre des Affaires étrangères espagnol,
Miguel Ángel Moratinos, fut le premier des ministres des Affaires
étrangère depuis 2003 à s’être rendu à Cuba en avril
dernier. Cette année là, parlant de violation des droits de
l’homme suite à la condamnation à la prison au terme de procès
sommaires de 75 dissidents soutenus par les Etats-Unis, Washington
avait lancé une campagne internationale dans le but d’isoler
Cuba. Moratinos a rencontré Raúl Castro, le vice-président
Carlos Lage, le ministre des Affaires étrangères Felipe Pérez
Roque et d’autres responsables. Sa visite fut interprétée
comme étant le prélude aux décisions prises par les Nations
unies en vue d’une réaffirmation de sa condamnation des
sanctions américaines à l’encontre de Cuba tandis qu’en juin
le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a voté un
paquet de réformes rayant de la liste noire Cuba et supprimant
les mandats des rapporteurs spéciaux chargés de Cuba et de Biélorussie.
Durant cette visite, l’Espagne et Cuba se sont
mis d’accord pour relancer des programmes de coopération bilatérale
et pour avoir des consultations régulières prévoyant des
discussions sur les questions de droits humains.
L’UE a tenté d’imposer une position commune
sur Cuba en affirmant vouloir recourir aux relations commerciales
et à l’interdépendance économique comme moyen de promouvoir
les « principes libéraux » du pays. Elle a adopté
une politique officielle de « dialogue constructif »
et s’est opposée à l’embargo américain en disant qu’il
vise les investissements et le commerce des nations communautaires
avec le régime de Castro. Plus récemment, l’UE a fait savoir
qu’elle invitera une délégation cubaine à Bruxelles pour
« discuter de la démocratie, des droits de l’homme et de
garanties constitutionnelles pour le peuple de l’île. »
Moratinos a déclaré, « La position
espagnole s’est imposée, ceci signifie le dialogue. Le pari
d’aller à Cuba a rapporté gros. Tous les Européens suivent la
même ligne et la stratégie espagnole. » Il a salué le
fait que la déclaration de l’UE ne mentionne pas les sanctions
européennes. D’autres réunions avec le gouvernement de la
Havanne sont prévues en septembre.
Il existe une opposition à l’encontre de cette
stratégie au sein de l’UE. L’Italie et l’Allemagne se sont
jointes à l’Espagne pour jouer un rôle pionnier dans la
recherche du dialogue, mais la Pologne et la République tchèque,
anciens Etats staliniens proches de Washington, favorisent une
ligne dure à l’encontre de Cuba.
Les Etats-Unis ont toujours considéré l’Amérique
latine comme leur arrière-cour et se sont opposés à toute
intervention de la part de leurs rivaux. Depuis le début de la
prise de pouvoir de Castro et de ses guérillas en 1959,
Washington a cherché à renverser le régime en cherchant à
l’isoler internationalement et en allant jusqu’à soutenir
différentes aventures menées par des soi-disant dissidents (la
plupart d’entre eux étant les héritiers de gangsters expulsés
de Cuba par la révolution cubaine).
Devant l’état de santé en déclin de Castro,
les Etats-Unis voient l’occasion de concrétiser leurs
aspirations de longue date d’un changement de régime. Comme on
pouvait s’y attendre, ils ont encouragé des groupes dissidents
pour qu’ils organisent une sorte de putsch afin d’installer un
gouvernement fantoche pro américain. Afin de faciliter le
processus, les Etats-Unis ont maintenu et intensifié leurs
blocus.
En octobre 2003, le gouvernement Bush a instauré
une Commission d’Assistance à un Cuba libre coprésidée par la
secrétaire d’Etat Condoleezza Rice et le secrétaire au
Commerce, Carlos Gutierrez. L’on dit que ses recommandations
classifiées comprennent des projets d’opérations secrètes de
la CIA et du Pengagon, si ce n’est carrément une intervention
militaire américaine. En juillet 2005, le vétéran activiste républicain
Caleb McCarry, fut nommé à un nouveau poste, de coordinateur
pour la transition à Cuba, afin d’aider à « accélérer
la destitution » du régime castriste.
Selon le site internet de la Commission, celle-ci
fut reconduite en décembre 2005 par Rice qui a envoyé un
« important message au peuple de Cuba, à la dictature
actuelle et aux amis et alliés démocratiques : après 46
ans de cruelle dictature, le temps du changement est à présent
venu pour Cuba. »
Le mois dernier, Rice avait effectué une visite
des plus brèves en Espagne, la première visite effectuée par un
dirigeant américain de haut rang depuis que le gouvernement du
Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de José Luis Zapatero était
venu au pouvoir il y a trois ans, en mars 2004, et a retiré les
troupes espagnoles d’Irak. L’ancien gouvernement du parti
conservateur, le Parti populaire (PP) dirigé par José María
Aznar, avait été l’un des principaux alliés de Bush, quand le
secrétaire d’Etat de l’époque, Colin Powell se rendait régulièrement
dans le pays.
Etant donné ses liens historiques avec Cuba, l’Espagne
d’Aznar fut considérée comme étant un partenaire
potentiellement utile dans le processus de changement de régime
et des appels allant dans ce sens furent faits, notamment par
l’ambassadeur américain d’Espagne et d’Andorre, Eduardo
Aguirre, lui-même originaire de Cuba.
Durant la période qui a précédé la visite de
Rice, les responsables du gouvernement espagnol et les médias se
sont évertués pour présenter son arrivée comme étant la
preuve qu’en fin de compte les Etats-Unis souhaitaient mettre
fin à leur « gel de trois ans des relations diplomatiques »
avec le gouvernement espagnol. Cela aura été l’occasion de
prise de photos montrant le retour à des relations normales entre
les deux pays. Des sujets tels les restitutions extraordinaires et
l’assassinat du cameraman José Couso en Irak par des troupes américaines
(profitant de la visite de Rice, plusieurs pétitions avaient été
déposées pour l’interpeller au sujet de ce meurtre) furent
enlevés de l’ordre du jour. Le ministre espagnol pour les
Affaires ibéro-américaines, Trinidad Jiminez, qui s’était
rendu à Washington avant le déplacement de Rice pour faire en
sorte qu’il se passe sans heurts, a déclaré à son retour que
les Etats-Unis et l’Espagne « travaillaient main dans la
main » en laissant entendre que Cuba ne figurerait bientôt
plus à l’ordre du jour.
Cependant, Rice a fait comprendre que le but de sa
visite n’était pas le rétablissement de relations amicales.
Elle se conduisit en maître impérialiste en émettant des
avertissements sévères à l’encontre d’une puissance plus
faible pour qu’elle ne « s’immisce » pas dans ses
affaires. Quelques jours avant de s’envoler pour l’Espagne, le
1er juin, elle attaqua Mortinos pour avoir manqué de rencontrer
les dissidents au moment de sa visite à Cuba. Elle avait fait de
même en parlant aux journalistes lors de son voyage en Allemagne
pour participer du 6 au 8 juin au sommet du G8.
Lorsque Rice arriva finalement dans la capitale,
à Madrid, elle y passa tout juste huit heures, enfilant les réunions
individuelles les unes aux autres, avec le roi Juan Carlos,
Zapatero, Moratinos et le dirigeant du PP, Mariano Rajoy, suivies
d’une conférence de presse et d’une réception donnée pour
le personnel de l’ambassade. Il est fait état que les sujets
discutés comprenaient l’Amérique latine, le Proche-Orient,
l’Afghanistan, la Russie, le conflit du Sahara et des questions
bilatérales.
Le Washington Post a mentionné que
« le fait qu’elle n’ait pas passé la nuit en Espagne
laisse supposer que le gouvernement Bush n’a encore pas pardonné
à l’Espagne » d’avoir retiré ses troupes d’Irak, en
dépit de l’affirmation de Rice que les divergences avaient été
« surmontées ».
Moratinos et Rice ont cherché à minimiser leurs
divergences en disant avoir le même objectif d’un gouvernement
démocratique à Cuba. Toutefois, au moment où Moratinos a défendu
« l’engagement » de l’Espagne avec le gouvernement
de Cuba en suggérant que Rice verrait le mérite de cette méthode,
Rice fit les gros yeux pour dire silencieusement en se tournant
vers les journalistes américains, « Ne retenez pas votre
souffle. »
Rice a souligné qu’« une transition
majeure est en vue » à Cuba et que les puissances
occidentales avaient « l’obligation d’agir démocratiquement,
c’est-à-dire en soutenant l’opposition à Cuba, et en ne
donnant pas au régime [de la Havane] l’impression que cela va
juste être une transition d’une dictature à une autre. »
La secrétaire espagnole aux Relations
internationales, Elena Valenciano, a dit que le dialogue entre
l’UE et Cuba se poursuivrait « de la même manière que
les Etats-Unis le font avec d’autres pays non-démocratiques,
tels la Chine et l’Arabie saoudite » en insistant que les
méthodes de « blocus et d’isolation » n’étaient
pas acceptables.
Moratinos, d’un ton plus doux, a dit que la réunion
avec Rice avait été « très fructueuse » mais
qu’il existait encore « quelques désaccords » quant
à la « méthode et à la forme » de s’attaquer au
problème de Cuba. Il n’y a toujours pas eu de discussion au
sujet d’une réunion entre Bush et Zapatero, a-t-il déclaré.
Le PP a déclaré que la visite de Rice avait
montré que les relations étaient loin d’être normalisées et
que le dialogue avec les Etats-Unis continuait d’être aussi gelé
que par le passé.
Entre-temps, le gouvernement espagnol fait aller
de l’avant ses ambitions en Amérique latine. Le 14 juillet,
Zapatero s’était rendu au Mexique et avait approuvé un
« plan d’action » avec le dirigeant mexicain, Felipe
Calderón, qui conduira à un accroissement considérable des
investissements espagnols dans le pays, la plus grande part
concernant l’industrie touristique, avec ses huit millions de
travailleurs, mais aussi les banques, les télécommunications,
les services public, le pétrole et le gaz naturel. Zapatero a déclaré :
« Je tiens à offrir le soutien de mon gouvernement et de
moi-même et de faire tout ce qui est en notre pouvoir à la fois
aux entreprises espagnoles et au gouvernement mexicain pour que
les investissements se poursuivent et pour contribuer à
l’accroissement économique », en indiquant une croissance
prévue de 25 pour cent dans le tourisme à lui seul d’ici les
deux prochaines années.
L’hostilité entre l’Espagne et les Etats-Unis
au sujet de la question des troupes espagnoles à l’étranger ne
s’est toujours pas calmée, compte tenu du nombre croissant de
morts en Afghanistan et, il y a quelques jours, des six
parachutistes tués au Liban. Le journal le plus proche du PSOE, El
Pais, a dénoncé la division du travail en vigueur dans les
pays où les forces armées multinationales opèrent comme étant
« inacceptable ». Ceci contrastait avec la manière
avec laquelle les pilotes américains lâchent les bombes à une
distance sûre de milliers de mètres sans aucun risque de représailles
pour laisser ensuite les troupes au sol faire face aux conséquences.
(Article original anglais paru le 30 juillet 2007)
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