Venezuela
La
nouvelle politique de l'aide politique au Venezuela
Tom Barry
Le Président Hugo Chavez
11
octobre 2007
Cinq ans après
la tentative de coup d’Etat contre le président Hugo Chavez,
dans laquelle étaient impliqués des groupes financés par les
Etats-Unis, les programmes gouvernementaux d’aide politique de
ce pays continuent à se mêler des affaires politiques intérieures
du Venezuela. Nouvelle stratégie des « democracy builders »,
les bâtisseurs de démocratie, au Venezuela et dans le monde :
le soutien à la résistance non violente par des organisations de
la société civile.
Au nom de la promotion de la démocratie
et de la liberté, Washington finance actuellement, dans le cadre
de sa stratégie mondiale de promotion de la démocratie, une pléthore
d’organisations états-uniennes et vénézueliennes — dont une
au moins a soutenu publiquement le coup d’Etat d’avril 2002
qui avait brièvement renversé Chavez.
Quand il a appris la nouvelle du
coup d’État, le président de l’International Republican
Institute (IRI, l’Institut républicain international), a félicité
ceux « qui s’étaient soulevés pour défendre
la démocratie », ignorant le fait que Chavez avait été
élu président par deux fois. Malgré ce soutien déclaré à un
coup d’État contre un président élu démocratiquement ainsi
qu’à la violation flagrante de l’Etat de droit par
l’opposition, l’IRI mène encore au Venezuela des programmes
de démocratisation financés par la US Agency for International
Development (USAID), l’agence des Etats-Unis pour le développement
international.
L’IRI, un institut prétendument
non partisan fondé pour distribuer l’aide états-unienne en
matière de promotion de la démocratie et dirigé par John McCain
(républicain de l’Arizona), fait partie des cinq organisations
non gouvernementales états-uniennes qui attribuent les fonds de
l’USAID à des organisations et des programmes politiques vénézuéliens.
L’USAID finance également le National Democratic Institute for
International Affairs (NDIIA, l’Institut national démocratique
pour les affaires internationales), ainsi que trois organisations
non gouvernementales : la Freedom House, Development
Alternatives Inc. et la Pan-American Development Foundation.
Les États-Unis soutiennent des
groupes de lutte pour la démocratie et de défense des droits de
l’Homme au Venezuela depuis le début des années 1990, mais les
fonds consacrés au « democracy-building » ont été
fortement revus à la hausse après l’élection de Chavez à la
présidence en 1998. L’USAID et la National Endowment for
Democracy (NED), la Fondation nationale pour la démocratie, qui
finance l’IRI et le NDIIA, ont considérablement augmenté leurs
contributions à destination d’associations d’entrepreneurs vénézuéliennes,
à la confédération officielle des travailleurs [la Confédération
des Travailleurs du Venezuela, CTV], à des organisations de défense
des droits de l’Homme et à des coalitions de partis politiques.
L’initiative
de l’USAID pour la transition
Plusieurs mois après le coup d’État
avorté de 2002 au Venezuela, le Département d’État états-unien
a créé à Caracas l’Office of Transition Initiatives (OTI), le
Bureau des initiatives de transition, en recourant aux fonds de
l’USAID. L’OTI, qui travaille indépendamment de l’ambassade
des États-Unis, poursuit deux objectifs déclarés, qu’elle définit
comme suit : d’une part, « renforcer
les institutions démocratiques et promouvoir un espace pour le
dialogue démocratique » et, d’autre part, « encourager
la participation des citoyens au processus démocratique ».
En réalité, l’USAID a mis sur
pied l’OTI dans l’intention à peine voilée de soutenir les
efforts pour évincer le président Chavez. Selon l’USAID, le
nouveau bureau « fournirait une assistance
à court terme, rapide et flexible répondant à des besoins clés
en matière de transition ».
Bien qu’elle ne définisse pas
clairement en quoi consiste la « transition » souhaitée,
l’USAID affirme que Chavez « a lentement
usurpé la machine gouvernementale et développé des structures
de gouvernance parallèles non démocratiques ». En
2001, dans la description du poste de directeur de l’OTI à
Caracas, l’USAID a déclaré que celui-ci serait notamment chargé
de « formuler une stratégie et de lancer le
programme du nouveau bureau, en tenant compte étroitement des intérêts
politiques états-uniens », ainsi que d’« élaborer
une stratégie de sortie et un plan opérationnel de retrait ».
Plutôt que de financer
directement des organisations et des partis politiques vénézuéliens,
l’OTI achemine les fonds alloués par l’USAID au travers d’ONG
états-uniennes qui, à leur tour, financent une multitude d’ONG
et de projets politiques vénézuéliens. Dans son rapport de
janvier à mars 2007, l’USAID mentionne 139 sous-subventions
attribuées à des organismes vénézuéliens actifs dans 19 des
23 états du pays.
L’OTI, qui a fourni une aide à
la démocratisation du Venezuela estimée à 30 millions de
dollars, n’est pas la seule source de soutien politique états-unien.
Le bureau se décrit lui-même comme faisant partie d’un
« programme complet d’assistance dont le
but est de renforcer les voix et les institutions démocratiques
du Venezuela », telles que la NED et d’autres
initiatives du Département d’Etat, dont des voyages « éducatifs »
offerts à certains acteurs des médias vénézuéliens. Étant
donné que l’aide économique états-unienne diminue, l’OTI
recherche des fonds locaux pour compléter ses programmes. Dans
son rapport de janvier à mars 2007, il prétend avoir récolté
3,5 millions de dollars de contributions locales durant le premier
trimestre de l’année.
Dans l’évaluation de ses
« initiatives de transition » pour la période de
janvier à mars, l’OTI affirme : « Le
partenariat qui s’est instauré entre des ONG et des citoyens
avides de participer de manière directe à leur propre système
de gouvernance atteste le succès du programme (…),
lequel répond à un important besoin, ce qui pose les fondements
d’un avenir démocratique durable. »
Bien que les ONG financées par le
gouvernement des États-Unis insistent sur le fait qu’elles sont
indépendantes, elles coordonnent étroitement leurs programmes,
entre elles et avec des fonctionnaires états-uniens. En février
2007, le « chef d’équipe » de
l’OTI s’est rendu au Venezuela afin de participer à une
session de « planification stratégique »
avec les « cinq organisations partenaires de
mise en œuvre », comme le relate l’USAID.
L’OTI a également organisé une
rencontre avec deux douzaines d’ONG vénézuéliennes « qui
encouragent la participation des citoyens dans les espaces démocratiques ».
Dans son évaluation des opérations en cours pour la période de
janvier à mars, l’OTI écrit qu’ « étant
donné l’importance croissante accordée aux espaces démocratiques
par les partis politiques, la rencontre permettra de parler des
synergies entre la société civile et les partis politiques ».
Grâce à l’appui de l’OTI,
l’IRI et le NDIIA offrent « une assistance
technique aux partis politiques » en travaillant
directement avec eux, « afin d’améliorer
leur capacités en matière de travail de proximité avec les électeurs
et de développement institutionnel », selon les termes
de l’USAID. Les deux instituts affirment offrir leurs services
tant aux partis gouvernementaux qu’aux partis de l’opposition,
mais apparemment, seuls ces derniers profitent de l’aide prévue
pour la « construction de la démocratie ».
La Freedom House (La Maison de la
liberté) est surtout connue pour ses rapports très souvent cités
Freedom in the World (Liberté
dans le monde) et Freedom of the Press (Liberté
de la presse). Mais on ignore généralement qu’elle est
l’un des principaux bénéficiaires des subventions allouées
par le gouvernement états-unien, qu’elle reçoit de manière
directe par l’USAID ou par l’intermédiaire du NED.
La Freedom House, dont les opérations
à l’étranger sont financées presque exclusivement par des
subventions gouvernementales, déclare qu’elle travaille
« directement avec des réformateurs démocratiques,
sur le front, dans leur propre pays », en Asie centrale,
en Europe centrale, en Europe de l’Est, au Proche-Orient, en Amérique
latine, dans les pays de l’ex-Union Soviétique et dans les
Balkans. Elle considère que ses activités à l’étranger
« ont l’effet d’un catalyseur pour la
liberté, en renforçant la société civile, en favorisant un
gouvernement ouvert, en défendant les droits de l’Homme et en
favorisant la libre circulation des informations ».
Avec les fonds qu’elle reçoit
de l’USAID, la Freedom House sponsorise un programme « Human
Rights Defenders » (« défenseurs des droits de l’Homme »),
dont elle dit qu’il « facilite
l’interaction entre la société civile vénézuélienne et
celle des autres pays d’Amérique latine, dans le but de les
aider à améliorer la communication sur les droits de l’Homme
au niveau national, et d’étendre la protection de ces droits ».
Elle indique en outre que « le but à plus
long terme est d’épauler des groupes qui lutteront pour
sauvegarder et améliorer le fonctionnement des institutions démocratiques
au Venezuela ».
Pour sa part, le Pan-American
Development Fund (Fonds panaméricain de développement) a versé
début 2007 de l’argent à des ONG vénézuéliennes afin
qu’elles « fournissent de l’information
sur les activités suivantes : le processus de réforme
constitutionnelle, la discrimination en fonction de
l’affiliation politique et la persécution des activistes des
droits de l’Homme ». Development Alternatives Inc.,
pour sa part, s’attache à « promouvoir la
formation sur la gouvernance et les valeurs démocratiques, à
augmenter la participation des citoyens au niveau local et à
favoriser la participation d’ONG à des événements
internationaux ».
« Plan
de déstabilisation » — Un « programme d’actions »
pour la démocratie
En mai 2007, Eva Golinger, auteur
américano-vénézuélienne du livre Le Code
Chavez et critique réputée des programmes d’aides états-uniens
au Venezuela, a accusé la Freedom House et d’autres
organisations états-uniennes financées par leur gouvernement
d’échafauder un « plan de déstabilisation » (voir Venezuelanalysis.com,
26 mai 2007). Selon elle, l’organisation était en train de
concevoir une campagne de résistance non violente au gouvernement
Chavez.
La Freedom House collabore avec le
Center for Applied Nonviolent Action and Strategies (Canvas), basé
à Belgrade. Celui-ci a choisi le Venezuela, le Zimbabwe et l’Ukraine
comme principales cibles de ses programmes de formation. Sur son
site Web, il décrit comme suit sa vision des transitions
politiques : « Ces dernières années,
on a pu observer des résistances politiques populaires en
Birmanie, au Zimbabwe, au Venezuela et au Tibet. Bien que ces
mouvements n’aient pas eu raison des dictateurs, ils ont profondément
affaibli l’autorité de ces régimes oppresseurs, tant dans les
pays concernés que dans la communauté internationale. »
En mai 2007, lors d’un conférence
de presse à Caracas, Eva Golinger a relevé que le poing serré
figurant sur les tracts de protestation contre la « fermeture »
de RCTV (la chaîne de télévision la plus importante du pays,
accusée par le gouvernement d’avoir soutenu la tentative de
coup d’Etat) correspond au logo utilisé dans les campagnes
d’opposition en Serbie, en Géorgie et en Ukraine – c’est
aussi un symbole que l’on retrouve sur le site Internet du
Canvas.
Le financement par l’USAID et la
NED d’ONG actives au Venezuela reflète la conviction du
gouvernement états-unien que le processus démocratique est
profondément vicié et que ce type d’aide politique favorisera
une « transition » vers une gouvernance plus démocratique
– ou pour le moins vers un dirigeant plus acceptable pour
Washington. La concentration sur des ONG de l’aide à la démocratisation
traduit également la tendance actuelle à considérer la résistance
non violente des ONG comme étant l’instrument le plus efficace
pour convertir des dictatures en démocraties.
Cette nouvelle méthode visant à
instaurer des changements de régime a été promue par la NED, la
Freedom House, l’Albert Einstein Institution et le Council for a
Community of Democracies (Conseil pour une communauté des démocraties).
Ces dernières années, la Freedom House s’est fait le chantre
de l’action civile non violente comme moyen de renverser les régimes
dictatoriaux. Son étude de 2005 intitulée « How Freedom is
Won » (« Comment conquérir la liberté »)
conclut que 50 des 67 « transitions vers la
démocratie survenues au cours des 30 dernières années »
ont été en grande partie menées « par la
résistance civile au moyen de grèves, de boycotts, d’actes de
désobéissance civile et de manifestations de masse ».
Peter Ackerman, président du
conseil d’administration de la Freedom House, président
fondateur de l’International Center on Nonviolent Conflict et
co-auteur d’un ouvrage intitulé Strategic
Nonviolent Conflict, est l’un des plus fervents partisans du
financement international des ONG engagées dans l’action non
violente contre les États non démocratiques. Dans un discours
prononcé en mars 2007, il a dit de la Freedom House qu’« elle
faisait tout son possible pour améliorer le contenu et
l’extensibilité des instruments de formation » destinés
aux groupes engagés dans l’action non violente.
Mark Palmer est un autre éminent
défenseur du financement de la résistance non violente par le
gouvernement états-unien. Fonctionnaire du Département d’État,
il a joué un rôle de premier ordre dans la création de la NED
et occupe aujourd’hui la vice-présidence de la Freedom House.
Dans son témoignage du 8 juin 2006 adressé à la Commission des
relations internationales du Sénat, intitulé « Promotion
of Democracy by Nongovernmental Organizations : An Action
Agenda », il a appelé à un « renforcement
radical de [nos] combattants de la liberté se trouvant sur le
front », en clair les ONG.
Mark Palmer, acteur-clé dans la
création du Council for a Community of Democracies, regrette le
fait que les ONG états-uniennes ainsi que « leurs
financeurs gouvernementaux ou privés » n’aient pas
fait du financement des ONG étrangères engagées dans la
constitution de « mouvements nationaux »
leur objectif premier. Il préconise une augmentation plus
importante de l’aide gouvernementale apportée aux « programmes
d’ONG consacrés aux dictatures ».
Le financement par les Etats-Unis
d’une série d’ONG et de groupes associatifs au Venezuela, y
compris la formation et le service de consultation offerts par des
organisations telles que le Canvas et l’Albert Einstein
Institution, soulève des inquiétudes quant à l’objectif
premier, qui pourrait ne pas être véritablement l’avancée de
la liberté et des droits de l’Homme, mais plutôt la promotion
des intérêts stratégiques états-uniens.
Inclure parmi les cibles de
construction d’un mouvement national [de résistance] un Etat démocratique
tel que le Venezuela, remet en question l’indépendance et
l’intégrité des « democracy builders » aux
Etats-Unis. Eva Golinger, partisane de Chavez, a formulé le
conseil suivant à l’adresse des Vénézuéliens : « Pour
la défense de la nation, il serait judicieux de mettre un terme
aux actions menées par des groupes tels que la Freedom House et
l’International Republican Institute, qui servent de tête de
pont au Département d’État et à la CIA, et qui opèrent
ouvertement dans le pays. »
Démocratie
et intervention
Il ne fait guère de doute qu’au
Venezuela la démocratie est mise à l’épreuve. Ce pays connaît
depuis 1958 un régime démocratique relativement stable.
Toutefois, en bonne mesure cette stabilité était due à une
succession d’élections au terme desquelles les partis bien établis
de l’élite accédaient à tour de rôle au pouvoir. En brisant
ce modèle, Hugo Chavez a interrompu cette stabilité vantée tout
en rendant la politique plus inclusive. Pour la première fois,
les pauvres des campagnes et les travailleurs des villes étaient
représentés au gouvernement.
En gagnant par des majorités
impressionnantes plusieurs élections durement disputées depuis
1998, Chavez a renforcé sa légitimité en tant que démocrate.
Toutefois, les moyens qu’il a employés pour consolider ses
appuis et entrer rapidement dans le « socialisme du XXIe siècle »,
ont suscité dans les organisations de défense des droits de l’Homme
et de la liberté de la presse - dont Human Rights Watch et
Reporters Sans Frontières -, des craintes, qui se sont
largement répandues, selon lesquelles son gouvernement porte
atteinte au processus démocratique.
Les questions relatives à l’intégrité
de l’aide états-unienne destinée à la démocratisation sont
actuellement utilisées par le gouvernement du Venezuela pour
faire pression sur l’Assemblée nationale afin que celle-ci
adopte une nouvelle loi en vertu de laquelle toutes les ONG
recevant des fonds étrangers devraient être soumises à l’évaluation
et à l’approbation du gouvernement. Si cette mesure intrusive
devait être instituée, Washington en portera au moins en partie
la responsabilité, et cela constituera une part de l’héritage
antidémocratique laissé par la stratégie de démocratisation
suivie par les États-Unis.
Il est temps pour les « democratizers »
de mettre un terme à leurs opérations au Venezuela et de se
retirer. En intervenant dans ce pays par l’intermédiaire d’ONG,
Washington accrédite les affirmations de Chavez et d’autres qui
accusent le gouvernement états-unien de poursuivre une politique
dont le but est un changement de régime au Venezuela.
Une politique extérieure plus
constructive à l’égard du Venezuela devrait commencer par un
soutien à l’autodétermination du pays dans ses affaires
politiques et économiques. Les préoccupations à propos de la
situation de la démocratie, de la liberté de la presse et des
droits de l’Homme pourraient alors s’exprimer à travers les
voies diplomatiques habituelles, ce qui n’alimenterait plus les
suspicions quant à la participation des Etats-Unis et de leurs
institutions de l’ombre à une campagne de sabotage du
gouvernement vénézuélien, élu démocratiquement.
Toutefois, dans l’état actuel
des choses, Washington et sa phalange d’ONG travaillant à la
construction de la démocratie ne font pas que soulever des inquiétudes ;
elles opèrent afin d’influencer sur place la politique intérieure
du Venezuela. Les États-Unis ne toléreraient pas que des pays étrangers
et leurs agents s’immiscent dans leur processus politique. Ils
ne devraient donc pas s’accorder le droit de faire à autrui ce
qu’ils ne voudraient pas qu’on leur fasse.
En cas de reproduction de cet article,
veuillez indiquer les informations ci-dessous:
RISAL - Réseau d'information et de
solidarité avec l'Amérique latine
URL: http://risal.collectifs.net/
Source : IRC Americas Program (http://americas.irc-online.org/),
25 juillet 2007.
Traduction : Chloé Meier Woungly-Massaga, pour le RISAL (http://risal.collectifs.net).
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