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Venezuela
Les stratégies «d'en haut» et
«d'en bas» du mouvement d'Hugo Chavez
Steve Ellner
Photo Risal
10 août 2007
Depuis son incontestable victoire électorale de décembre
2006, le président vénézuélien Hugo Chavez ne s’est pas
reposé sur ses lauriers. Lui et son gouvernement ont pris une série
d’initiatives et de mesures qui ont fait couler beaucoup
d’encre dans la presse, suscité de nombreuses polémiques et
indiqué d’une certaine manière le chemin qu’empruntera ces
prochaines années ladite révolution bolivarienne. Pour
comprendre cette ‘révolution’, il est parfois utile de faire
une pause dans la guerre de propagande et contre-propagande qui
marque la couverture des événements au Venezuela (comme dans le
cas du non renouvellement de la chaîne de télévision RCTV).
Comment fonctionne cette révolution ? Quelle est sa
dynamique ? Quels sont ses acteurs et actrices et les
relations entre eux ? A l’heure où le gouvernement
s’apprête à présenter à la population son projet de réforme
constitutionnelle et que le ‘chavisme’ s’organise en un seul
parti, le Parti socialiste uni du Venezuela, nous publions une
analyse d’un des meilleurs spécialistes du ‘phénomène
chaviste’. Certes, certains éléments de ce texte mériteraient
d’être actualisés puisqu’il a été écrit avant l’élection
présidentielle de décembre 2006, mais l’analyse de Steve
Ellner garde son intérêt car « il
s’agit ici d’analyser le mouvement et la présidence d’Hugo
Chávez depuis les perspectives de deux stratégies : celle
‘d’en haut’, où l’Etat et les partis politiques cherchent
à conserver le pouvoir et à servir d’instrument de changement,
et celle ‘d’en bas’, mise en oeuvre par des mouvements
sociaux et des secteurs non organisés de la population qui
promeuvent leur propre agenda de transformation. » Pour
ce faire, M. Ellner « étudie le
Mouvement Cinquième République (MVR, Movimiento Quinta Républica),
les organisations sociales chavistes et les innovations dans le
domaine de la politique économique, sociale et étrangère. »
Pour lui, « la coexistence des deux stratégies
semble parfois un acte délicat d’équilibrisme et a créé des
tensions à l’intérieur du mouvement. » Et « malgré
la radicalisation du discours et des actions », il
considère qu’ « il n’y a pas
d’indices d’un changement significatif en faveur de l’un ou
l’autre modèle dans un futur à court ou moyen terme. »
Par Steve Ellner
Une analyse de l’expérience de
la présidence d’Hugo Chávez au Venezuela est essentielle pour
comprendre les relations actuelles entre nations du Nord et du Sud
et la viabilité des formes de résistance des secondes contre la
domination des premières. Dans tout le Tiers Monde, de telles
luttes ont été menées depuis deux niveaux : « d’en
haut » et « d’en bas », autrement dit, par
l’Etat et les partis politiques qui cherchent à obtenir et
conserver le pouvoir (d’en haut) et par des mouvements sociaux
et des secteurs non organisés de la population (d’en bas).
Le premier type de confrontation
se base sur la déclaration de « souveraineté » de la
part des gouvernements. Cette approche comprend des politiques
anti-impérialistes et le renforcement d’un bloc de nations
tiers-mondistes. En général, cela conduit à une « révolution
de libération nationale » dans laquelle un gouvernement
appuyé par un parti politique institutionnalisé, un puissant
mouvement syndical et parfois un secteur commercial national
progressiste, joue un rôle interventionniste dans l’économie
et affronte des intérêts étrangers. Avant le début de la
mondialisation, dans les années 80, presque tous ceux qui
soutenaient un changement politique de grande ampleur étaient en
faveur d’une stratégie étatiste en ces termes. Cependant,
depuis lors, des analystes de la mondialisation de tout le spectre
politique ont soutenu et soutiennent qu’une ligne d’action réellement
indépendante de la part des Etats du Tiers Monde est vouée à
l’échec.
Un deuxième champ de résistance
implique des groupes et des mouvements connectés horizontalement,
démocratiques à l’interne et structurés de manière moins
rigide que les partis politiques et l’Etat. Les auteurs « post-modernistes »
qui soutiennent la primauté de ces mouvements sociaux pour réaliser
le changement social, écartent, car non-viable selon eux, la déclaration
énergique d’indépendance de la part des gouvernements, en
raison des restrictions mondiales et du danger d’isolement
international. Aussi estiment-ils que les stratégies étatistes
sont hiérarchiques par nature et que leur potentiel est limité
par conséquent pour produire un changement significatif et
transcendantal (Hardt, 2002:114-115 ; Laclau, 1985). Les défenseurs
du second point de vue, celui du mouvement « d’en bas »,
considèrent que les mouvements sociaux autonomes et le grand
nombre de personnes dont la vie quotidienne entre en conflit avec
la logique du système établi (ce qui dans un ouvrage a été
appelé « la multitude »), sont plus transformateurs
que les partis politiques, indépendamment de leurs orientations
idéologiques (Evers, 1985 ; Hardt et Negri, 2004) [1].
Des éléments importants des deux
paradigmes semblent applicables au cas vénézuélien. Non
seulement Chávez s’est déclaré « anti-impérialiste »,
mais sa défense de la souveraineté nationale a en plus déterminé
en grande partie sa politique extérieure. Dans ce sens, son
gouvernement a fait des pas importants pour diversifier ses liens
économiques et a formulé des positions indépendantes conséquentes.
En outre, un des objectifs du parti politique de Chávez, le MVR,
est de renforcer le gouvernement sur le plan institutionnel face
à l’intense conflit qui éclate inévitablement comme résultat
de l’exécution de politiques anti-impérialistes.
Le paradigme « d’en bas »
semble aussi s’appliquer au phénomène chaviste. En premier
lieu, le discours de Chávez, renforçant les capacités des
classes populaires et attaquant férocement les bureaucrates, est
compatible avec le point de vue « d’en bas ». En
second lieu, le développement de coopératives et de petites
entreprises à très grande échelle tend vers un modèle économique
décentralisé, opposé aux structures centralisées des grandes
entreprises. De plus, l’émergence d’une confédération
syndicale de gauche, l’Union Nationale des Travailleurs (UNT),
avec des dirigeants importants qui se voient eux-mêmes comme étant
une avant-garde du mouvement chaviste, implique de l’autonomie
vis-à-vis de l’Etat et du parti : une autre caractéristique
de la stratégie « d’en bas ».
Une tendance finale qui favorise
le point de vue « d’en bas » est le ressentiment
exprimé par nombre de chavistes – dont certains appartiennent
à des organisations et mouvements sociaux – contre le MVR et
les autres partis politiques alliés dans la coalition au pouvoir.
Depuis le début de sa campagne présidentielle en 1997-1998,
Chavez a tenu un discours anti-partis (comme l’a fait également
son principal adversaire, Henrique Salas Römer). Depuis lors, les
activités d’un bloc de sympathisants de Chavez qui
n’appartiennent à aucun parti ont autonomisé ses membres. De
sorte que les chavistes non militants [d’un parti politique] ont
eu un rôle crucial et éclipsé le MVR lorsqu’ils sont
descendus dans les rues et ont exigé le retour de Chávez à la
présidence, lors du coup d’Etat d’avril 2002.
En plus de cela, ils ont créé
des structures indépendantes du MVR qui ont dirigé la campagne
contre le départ du président lors du référendum révocatoire
d’août 2004. Au-delà de ces deux stratégies, il se peut
qu’un troisième modèle soit en train de naître. Dans
l’effort pour renforcer l’exécutif comme principal gardien de
la souveraineté nationale (la stratégie étatiste) et pour
promouvoir la démocratie participative (la stratégie « d’en
bas »), il est possible que les partis politiques et
d’autres organisations intermédiaires en soient ressortis
affaiblis. En résultat de quoi, une relation
caudillo-masses entre Chávez et les classes populaires est
peut-être en train d’émerger. Dans l’étude qui suit, nous
nous occuperons des implications de « l’expérience Chavez ».
Nous tenterons d’apporter quelques éclaircissements sur
l’influence que peut avoir le gouvernement chaviste sur le reste
du continent, notamment en ce qui concerne certaines politiques et
approches qui pourraient être adoptés par d’autres
gouvernements. Pour ce faire, nous commencerons par définir le
modèle politique et économique en développement. La discussion
sur les principales caractéristiques du chavisme a aussi comme
objectif de déterminer lequel des deux points de vue formulés
antérieurement est le plus applicable dans le cas du Venezuela,
et si les deux sont complémentaires et conciliables, ou une
source de tensions et de contradictions internes. Pour commencer,
nous présenterons une vue panoramique des trois étapes de la présidence
de Chávez. Puis nous examinerons le MVR, les organisations
sociales chavistes et les innovations dans le domaine de l’économie
et de la politique extérieure, en vue d’élucider la
signification du phénomène Chávez dans le contexte des deux
formes mentionnées d’appréhender le changement en Amérique
latine.
Les trois étapes
de la présidence de Chávez
La première campagne présidentielle
de Chávez, en 1997-1998, mit l’accent sur les réformes
politiques par-dessus tout, et donna le ton de la première étape,
modérée, de sa présidence en 1999 et 2000. L’étendard
principal de sa campagne était la proposition d’une assemblée
constituante, tandis qu’étaient assouplies des demandes socioéconomiques
plus à gauche, telles que la reformulation des termes de paiement
de la dette extérieure. En 1999, la politique vénézuélienne se
centra sur l’élection de l’assemblée constituante, l’élaboration
d’une nouvelle constitution et son approbation par un référendum
national qui se tint en décembre de cette même année. Parallèlement,
le gouvernement de Chávez prit une orientation économique modérée,
avec le choix de Maritza Izaguirre comme ministre des Finances,
qui avait occupé ce poste durant le gouvernement néolibéral précédent
de Rafael Caldera. Ensuite, Chávez nomma le député du MVR
Alejandro Armas, lié à des intérêts financiers, pour présider
une sous-commission présidentielle sur la sécurité sociale, qui
proposerait la privatisation du système de pensions. Durant cette
période, les chavistes adoptèrent le concept de « démocratie
participative », qui prévoyait la participation directe de
la population dans la prise de décisions, comme un antidote au
pouvoir excessif des élites politiques et partisanes. En
proclamant la démocratie participative, la Constitution de 1999
spécifia clairement l’obligation de l’Etat de « faciliter »
la participation citoyenne dans la prise de décisions (article
62).
Elle mit également fin au financement public des partis
politiques et obligea ceux-ci à réaliser des élections internes
pour le choix des candidats des listes électorales et pour leurs
organes de direction (article 67). La démocratie participative
trouva son illustration dans le rôle que jouèrent les mouvements
sociaux en présentant 642 propositions à l’Assemblée
constituante, dont plus de la moitié furent intégrées dans la
nouvelle Constitution (García-Guadilla, 2003:239-242).
Les plus avides défenseurs de la
démocratie participative arguaient en faveur du remplacement de
la démocratie représentative et des partis politiques par la
participation populaire directe (ce que l’on pourrait appeler démocratie
radicale). Le style de démocratie que défendait la Commission de
participation citoyenne de l’Assemblée constituante était
compatible avec l’orientation du mouvement « d’en bas »
exposé dans des ouvrages théoriques. L’attaque de nombreux
partisans de Chávez contre tous les partis politiques du pays et
la « classe politique » (qui fait référence aux
dirigeants des partis en général), se prêtait à la démocratie
radicale, favorable à mettre les partis en marge du système
politique. Durant la présidence de Chávez, des éléments de la
version radicale de la démocratie participative, qui est ce qui
représente le mieux la stratégie « d’en bas », se
sont avérés inopérants. L’épitomé de la démocratie
radicale fut la réalisation d’assemblées de citoyens dont les
décisions avaient un caractère inaliénable, tel que l’établit
l’article 70 de la Constitution. Durant ces années-là,
organiser des « assemblées constituantes » dans le
mouvement syndical, les universités et l’industrie pétrolière
devint le mot d’ordre chaviste, mais l’idée ne se matérialisa
pas. Début 2001, par exemple, quand des conseils d’ouvriers élus
en assemblées de bases tentèrent d’expulser des syndicats
anti-chavistes de leurs bâtiments qu’ils avaient pris, ils
furent critiqués par les leaders syndicaux chavistes pour leur
spontanéité excessive et leur manque de discipline (Ellner,
2003:221).
Une application encore plus problématique
du principe de la démocratie radicale fut l’article 350 de la
Constitution, qui garantit aux Vénézuéliens le droit de ne pas
reconnaître « tout régime, toute législation
ou toute autorité contraire aux valeurs, principes et garanties démocratiques
ou portant atteinte aux droits humains ». Quand, début
2002, l’opposition remit en cause la légitimité du
gouvernement de Chávez, elle invoqua cet article pour justifier
la désobéissance civile et mena des actions pour faire tomber le
gouvernement.
La deuxième étape de la présidence
de Chávez commença en novembre 2001, avec la promulgation d’un
ensemble de 49 lois spéciales destinées à renverser les
tendances néolibérales des années 90. Ces lois furent le signe
d’une radicalisation du gouvernement de Chávez et du début de
la deuxième étape, l’étape anti-néolibérale. Une nouvelle Loi
des hydrocarbures établit la propriété majoritaire de l’Etat
sur toutes les compagnies pétrolières mixtes, dans le but de
freiner le programme néolibéral de l’ « Ouverture pétrolière »
de l’administration Caldera. Une autre loi maintint le contrôle
de l’Etat sur la sécurité sociale, écartant ainsi les
tentatives de privatisation du système entreprises tant par le
gouvernement de Caldera que par la commission dirigée par
Alejandro Armas. Une troisième loi, la Loi des
terres, était destinée à soumettre au parcellement les
terres sous-utilisées. L’approbation des 49 lois en 2001 réfuta
l’argument selon lequel Chávez était un néolibéral déguisé
en révolutionnaire (v. Parker, 2005:40-43). Sa survie politique
discrédita le mythe promu par le Consensus de Washington selon
lequel à l’ère de la mondialisation tout prise de distance par
rapport au modèle macroéconomique était vouée à l’échec.
La signification de ce changement s’est vue magnifiée par la
position de plus en plus hostile de Washington envers le Venezuela
sous l’administration Bush et même par l’appui de celle-ci
au coup d’Etat d’avril 2002 et à la « grève générale » [2]
de 2002-2003.
L’échec de la grève encouragea
le gouvernement de Chávez à aller au-delà du simple refus des
politiques néolibérales en cours. Commença alors une troisième
étape caractérisée par des programmes novateurs et l’émergence
de nouvelles structures, en concurrence ou en complément de
celles déjà existantes. Par exemple, les programmes des « missions »
dans le domaine de la santé et de l’éducation fonctionnaient
en dehors des ministères. De la même manière, une chaîne de
supermarchés publics appelés « Mercal » faisait
concurrence au secteur commercial privé.
Au début de cette troisième étape,
Chávez déclara son gouvernement « anti-impérialiste »
et, pour 2005, appela à la définition et à la construction du
« socialisme du XXIe siècle ». A ce moment-là, de
nombreux Vénézuéliens, en dedans et en dehors du mouvement
chaviste, critiquaient la structure rudimentaire et l’absence de
mécanismes pour assurer la mise en œuvre réussie des programmes
et l’application des politiques. Quoi qu’il en soit, un
nouveau modèle économique et social avait commencé à surgir, même
si le processus avait besoin d’être consolidé. Examiner le rôle
du parti, de l’Etat et du bloc chaviste qui ne milite pas dans
des partis est essentiel pour comprendre les nouvelles
orientations du chavisme et les nouvelles structures qui ont émergé.
Le Mouvement
Cinquième République
Des présidents populistes tels
que Juan Domingo Perón (Argentine), Lázaro Cárdenas (Mexique)
et Getúlio Vargas (Brésil), qui introduisirent des politiques
anti-impérialistes dans leurs pays respectifs dans les années 30
et 40 du XXe siècle, s’appuyèrent sur des partis politiques
pour étayer leur position face à une opposition acerbe des
forces de la réaction. Chávez a aussi reconnu l’importance de
développer un parti politique fort pour contrecarrer la capacité
de mobilisation de l’opposition. Pour ce faire, il s’est différencié
du péruvien Alberto Fujimori (avec qui il est souvent comparé),
qui en bonne partie est passé outre l’organisation partisane et
a dépendu majoritairement d’alliers commerciaux et militaires.
La faible institutionnalisation du
MVR l’a circonscrit en grande mesure à l’arène électorale.
Le parti fut créé en 1997 comme instrument pour promouvoir la
candidature présidentielle de Chávez. Il manquait par conséquent
de liens avec la société civile (López Maya, 2003:110). Après
être parvenu au pouvoir, il y eut des tentatives pour
l’institutionnaliser par le biais de divers fronts tels que le
Front Constitutionnel des Travailleurs (FCT, Frente Constitucional
de Trabajadores) et les « Cercles patriotiques », qui
étaient des cellules locales constituées d’environ neuf
membres.
Malgré tout, les dirigeants
syndicaux chavistes remplacèrent le FCT par la Force Bolivarienne
des Travailleurs (FBT), qui regroupait des travailleurs du et
d’en dehors du parti, alors que les Cercles patriotiques furent
pour la plupart abandonnés en faveur des « Cercles
bolivariens », qui n’avaient pas non plus de lien
particulier avec le MVR. Les leaders chavistes défendirent cette
position de créer des fronts élargis en dehors du MVR en se
basant sur l’idée qu’ils garantissaient l’autonomie du
mouvement social et que cela empêchait le contrôle par le parti.
Les expériences du MVR en matière
d’élections internes pour élire les autorités et les
candidats du parti – tel que l’exige l’article 67 de la
Constitution- ont connu des résultats mitigés. L’élection la
plus importante s’est tenue en avril 2003 pour élire le comité
exécutif national du parti : le Commandement Tactique
National (Comando Táctico Nacional). A cette occasion, la grande
majorité des mille délégués présents à la Convention
nationale, élus lors d’élections internes, appartenait à
l’aile gauche du parti menée par le parlementaire William Lara [3],
bien que les membres de celle-ci aient accusé la tendance opposée
(menée par le militaire à la retraite Luis Alfonso Dávila)
d’avoir commis une fraude électorale généralisée. Malgré la
supériorité de Lara en nombre de délégués, son effort pour
remporter le contrôle du parti échoua lorsque Chávez pria
instamment la Convention d’élire l’ex-militaire Francisco
Ameliach comme Directeur général du parti. Cela dit, depuis
lors, Lara a fait de l’ombre à Ameliach à la tête du MVR.
Le résultat de la convention de
2003 a mis en relief deux obstacles majeurs pour la démocratisation
du MVR. Tout d’abord, Chávez a le dernier mot dans toutes les décisions,
une prérogative acceptée unanimement par les membres du parti.
Ensuite, il privilégie les militaires en les nommant à des
postes importants, poursuivant sa stratégie d’« alliance
civico-militaire ». Ces facteurs interfèrent avec la démocratie
du parti ainsi qu’avec la consolidation de tendances internes
qui faciliteraient le débat idéologique dont le MVR a tant
besoin. Le courant militaire du mouvement chaviste comprend
plusieurs gouverneurs, et c’est l’ex-vice-président de la République
et actuel gouverneur de l’Etat de Miranda, Diosdado Cabello,
allié d’Ameliach, qui en est à la tête. Les membres de
l’aile « gauche » du MVR, qui s’identifient à
Lara, affirment que, à peu d’exceptions près (telles que le
Commandant en chef des Forces armées, Raúl Baduel [4],
et l’ex-président de l’Institut national des terres, Eliécer
Otaiza), les leaders militaires chavistes résistent à une plus
grande radicalisation et, dans certains cas, ont fait montre
d’un enthousiasme modéré pour les programmes sociaux. Le
traitement spécial réservé aux militaires obéit à un impératif
politique : renforcer la tendance pro Chávez au sein des
Forces armées, et ce faisant, prévenir une possible stratégie
d’opposition de promotion d’affrontements et de désordres
comme moyen d’inciter les militaires à faire un coup d’Etat.
Lara, Nicolas Maduro (ex-président de l’Assemblée nationale et
actuel ministre des Affaires étrangères de la République) et
d’autres leaders du MVR ont exprimé leur soutien à la
transformation du parti, afin d’établir des liens allant au-delà
de l’arène électorale (Lara, 2005:14-15). Ces dirigeants
[voyaient] le Congrès idéologique annoncé par Chávez, et qui
[devait] se tenir après les élections présidentielles de décembre
2006, comme une opportunité idéale pour relancer le MVR [5]
et surmonter son manque de clarté idéologique. Le courant de
gauche avait bon espoir que la série d’expulsions du MVR et la
décision simultanée de ne pas permettre à certains
parlementaires de postuler à nouveau pour les élections [législatives]
de décembre 2005 faisaient partie d’une stratégie de « purge »
de dirigeants à la conduite éthique douteuse. Ils traitèrent
les présumés opportunistes du MVR de « vampires »,
associant la corruption à la tendance « droitière »
du parti qui empêchait une plus grande radicalisation. Cependant,
l’aile gauche sentit que pour des raisons stratégiques le parti
devait remettre à plus tard la guerre totale contre la
corruption. En outre, les leaders du MVR étaient réticents à
ouvrir le parti au débat idéologique, pour éviter des divisions
qui pourraient l’empêcher de répondre aux défis qu’il
devait affronter. Son argument central au moment où ce texte était
écrit est le même qui a toujours prévalu dans l’histoire du
parti.
Depuis sa fondation, le MVR a
toujours fait face à des situations d’ « urgence »
en raison de la série d’élections de 1999 et 2000, suivies du
soulèvement promu par l’opposition. L’objectif annoncé par
Chávez d’obtenir 10 millions de votes lors des élections présidentielles
de 2006 - les élections parlementaires de 2005 devant lui servir
de tremplin - menaçait de ramener l’attention à l’arène électorale.
Des dirigeants du MVR indiquent
que ces défis pressants requièrent le report des élections
primaires, de l’application de mesures exemplaires contre la
corruption et du débat idéologique ouvert. Cependant, après la
retentissante victoire de Chávez lors du référendum révocatoire
d’août 2004 et lors des élections au niveau des Etats et
municipales, trois mois plus tard, les chavistes se trouvent dans
une position confortable avec une opposition fortement discréditée
et démoralisée, ce pourquoi la « fixation » sur les
batailles électorales semble infondée.
Malgré le fait que le MVR n’ait
pas abordé les défis de la démocratie interne, la clarté idéologique
et la corruption, le parti est un pilier fondamental du
gouvernement de Chávez. L’une de ses réussites les plus
importantes a été de maintenir le contrôle de la majorité à
l’Assemblée nationale, ce qui a été essentiel pour la survie
du gouvernement. De plus, même si nombre de partisans du président
croient que le MVR tolère la corruption dans ses rangs, le parti
a remporté la majorité écrasante du vote chaviste lors des élections
municipales d’août 2005. Les dirigeants chavistes avaient
structuré leurs listes électorales de manière à permettre que
les autres organisations de la coalition gouvernementale puissent
mettre à l’épreuve leur soutien en lançant leurs propres
listes de candidats, mais aucune n’a obtenu de bons résultats.
Malgré la décision d’autoriser des listes multiples, Chávez
et d’autres leaders ont insisté sur la nécessité de maintenir
l’unité et pour que tous les dirigeants du MVR soutiennent les
listes de ce parti. Après les élections municipales, une série
de dirigeants du MVR, dont Gilmer Viloria, gouverneur de l’Etat
de Trujillo et membre fondateur du parti, furent expulsés pour
avoir soutenu une liste séparée.
En appelant à l’unité, Chávez
souligna l’importance d’éviter l’affaiblissement du MVR, même
s’il s’est montré à certaines occasions impatient et déçu
devant la conduite opportuniste et le manque de discipline de
certains de ses dirigeants. Par contraste, il loue souvent le
Parti communiste pour sa discipline et l’engagement
inconditionnel de ses membres.
La faiblesse organisationnelle du
MVR ouvre un espace pour des acteurs qui ont un rôle principal
dans l’orientation « d’en bas », qui privilégie
les mouvements sociaux autonomes et la participation directe des
bases des organisations politiques et sociales dans la prise de décision.
En effet, le fait que le MVR évite de nouer des liens formels
avec les organisations syndicales et sociales était destiné à
respecter leur autonomie, conformément à la stratégie « de
bas en haut ». Néanmoins, contrairement à cette stratégie,
les organisations sociales chavistes en général ne sont pas
parvenues à atteindre un statut autonome et ont, en outre, eu une
courte existence, comme nous le verrons dans les lignes qui
suivent.
Les
mouvements sociaux et le chavisme
Le ressentiment contre le MVR, ses
partis alliés, et les politiciens chavistes qu’expriment fréquemment
les partisans de Chávez n’est pas courant dans le cas d’un
mouvement de gauche latino-américain. Ces chavistes de base
affirment avec fierté qu’ils sont indépendants de tout parti
politique et, aussi, qu’ils n’ont pas d’ambitions
personnelles, à la différence de ceux qui font de la politique
partisane. De nombreux chavistes qui ne militent pas dans des
partis appartiennent à des organisations sociales pro Chávez
telles que les Cercles bolivariens, qui durant les premières années
de la présidence de Chávez menaient des débats sur divers
sujets politiques d’actualité, comme la nouvelle Constitution
de la nation.
Les Cercles et d’autres
organisations ont été cruciaux pour convoquer les bases
chavistes à participer à des mobilisations. Ainsi, par exemple,
grâce à des réseaux informels mis en place par des
organisations sociales et favorisés par l’utilisation de
messages de texte des téléphones portables (SMS), un grand
nombre d’habitants de quartiers populaires convergèrent vers
Miraflores [le palais présidentiel, ndlr] à Caracas et vers les
casernes militaires de tout le pays pour exiger le retour au
pouvoir de Chávez lors du coup d’Etat d’avril 2002. De manière
significative, l’information comme quoi Chavez n’avait pas démissionné
mais était retenu prisonnier, donnée par une radio communautaire
de l’organisation catholique Fe y Alegria, incita les habitants
des zones pauvres de l’ouest de Caracas à rejoindre les
manifestations. Un dirigeant d’une organisation culturelle qui,
en 2004, transforma un commissariat de police du quartier 23 de
Enero en station de radio communautaire, se souvient ainsi des
succès du 13 avril [2002] : « Les
membres du groupe étaient en contact très étroit les uns avec
les autres, et nous avons marché ensemble vers Miraflores ;
mais ce jour-là, il n’y avait pas de commandement central pour
faire avancer les choses » (entretien avec Antonio
Alvarado, Caracas, 6 octobre 2005).
Les organisations sociales
chavistes ont eu une vie courte : les Cercles bolivariens,
dont la base était avant tout dans les communautés ; la
« Clase Media en Positivo », qui rassemblait des
universitaires et autres qui vivaient dans les zones plus riches ;
et la Force Bolivarienne des Travailleurs, qui représentait des
syndicalistes, ont pratiquement disparu quand leurs membres ont
intégré d’autres organisations et ont participé à d’autres
activités au sein du mouvement chaviste. Début 2004, certains
rejoignirent les « Unités de Bataille Electorale »
(UBE), qui parcoururent les quartiers pour demander de voter
« non » au référendum [révocatoire] qui se tint en
août de cette même année. Les membres des UBE étaient
convaincus que cette structure, très souvent dirigée par des
chavistes non membres de partis, se maintiendrait dans le temps et
qu’elle servirait de contrepoids à la participation du MVR dans
la désignation de candidats pour les élections futures.
Cependant, les UBE aussi furent éphémères.
Le recrutement d’activistes
politiques par l’Etat et les opportunités que celui-ci leur
offre expliquent en grande partie la courte durée de vie des
organisations. La désertion des organisations sociales s’est
exacerbée avec les abondants revenus pétroliers dont dispose
l’Etat et la stratégie chaviste de créer des structures parallèles
dans les domaines de la santé, l’éducation et la distribution
de nourriture. Dans certains cas, plusieurs ministres, ainsi que
certains maires et gouverneurs chavistes, ont fait entrer ces
activistes dans l’administration publique, en leur octroyant des
contrats et en leur donnant un capital de départ pour monter des
coopératives. La relation entre les activistes et l’Etat a
parfois créé des tensions au sein des organisations sociales. Le
mouvement radical « Tupamaros », par exemple, qui a
surgi dans la zone ouest de Caracas dans les années 90, a perdu
un grand nombre de ses membres quand il a décidé de participer
à la politique électorale, en même temps qu’un de ses
dirigeants principaux acceptait un poste dans la police de Caracas
en 2004.
Les dissidents accusèrent les dirigeants Tupamaros de transformer
l’organisation en parti politique et de compromettre ainsi son
statut de mouvement autonome. Le mouvement pro chaviste montra des
signes d’avoir atteint un degré d’autonomie des partis
politiques et de l’Etat. Malgré ses tendances internes en
conflit, la confédération syndicale chaviste, l’Union
Nationale des Travailleurs (UNT) a formulé des propositions,
revendications et consignes qui n’ont pas été officiellement
partagées par le MVR et ses partis alliés. Par exemple, à sa
fondation, en 2003, l’UNT proposa la mise en œuvre d’un modèle
économique basé sur la production pour la consommation interne,
la reformulation de la dette extérieure, et un soutien pour la
prise des entreprises qui avaient fermé, à un moment où le
gouvernement n’avait pas encore défini sa position (Ellner,
2005b:66). Le fait que ces syndicalistes se perçoivent eux-mêmes
comme une avant-garde au sein du chavisme renforce la notion
d’autonomie du mouvement social, qui est la pierre angulaire de
la perspective « d’en bas ».
Le degré d’autonomie généralement
bas qu’ont montré les mouvements sociaux sous le gouvernement
de Chávez n’est pas atypique pour l’Amérique latine. La
perspective « d’en bas » favorise la maximisation de
l’autonomie, et cela fut pratiquement un étendard durant les
années 80, quand des auteurs influencés par le sociologue français
Alain Touraine proclamèrent que les « nouveaux mouvements
sociaux » étaient la vaque du futur. Cependant, plus récemment,
des études de gouvernements de gauche locaux et dans les Etats réalisées
au Brésil, à Lima [Pérou] durant les années 80 et dans
d’autres pays ont montré les problèmes et défis imbriqués
auxquels les mouvements sociaux doivent faire face au moment de définir
leur relation avec les partis politiques et l’Etat, même quand
ceux qui sont au pouvoir montrent leur soutien à la démocratie
participative. Par exemple, une étude de la gestion municipale de
l’homme politique de gauche, Alfonso Barrantes, à Lima, montre
comment les mouvements sociaux qui ont participé à des
programmes municipaux durent lutter contre la réduction du
financement de la part du gouvernement central, avec des
accusations de corruption qui furent exploitées par le mouvement
guérillero Sentier Lumineux pour les discréditer, l’extrême
pauvreté de leurs membres qui rendait difficile leur
participation et leur engagement et les impératifs politiques perçus
par la gauche, qui limitaient l’autonomie et les options [6].
Au Venezuela, le gouvernement central étant engagé avec la
participation populaire dans la prise de décisions, tel que l’établit
la Constitution de 1999, les mouvements sociaux chavistes étaient
apparemment dans une position avantageuse en comparaison avec
leurs homologues d’autres pays. Cependant, le fait que le MVR
n’ait pas essayé de se rapprocher d’eux – en soi une réaction
complètement opposée aux pratiques hégémoniques des partis du
passé – les a privés de liens institutionnels qui auraient
facilité leur participation dans la prise de décision.
La
transformation économique et les programmes sociaux
Durant les quatre premières années
de la présidence de Chávez, la pensée derrière la politique économique
de son gouvernement se définissait mieux en prenant en compte ce
à quoi il s’opposait, plutôt que ce qu’il défendait. De
fait, ses adversaires affirmaient qu’il était en réalité un néolibéral,
comme le prouvaient ses politiques fiscales conservatrices
(Blanco, 2002 :139).
Cela dit, le fait qu’il stoppa
les processus antérieurs de privatisation des industries du pétrole
et de l’aluminium et le système de sécurité sociale, et
qu’il résista aux pressions de l’opposition pour arriver à
un accord avec le Fonds monétaire international (Wilpert, 2003
:169), lui ont donné ses lettres de noblesse en tant qu’anti-néolibéral.
A l’instar de la situation dans laquelle se trouvèrent au début
des gouvernements de centre-gauche tels que ceux de Caldera en
1994 (Venezuela), Fernando de la Rua (Argentine) et Ricardo Lagos
(Chili), Chávez ne parvint pas à définir son anti-néolibéralisme
de manière précise, ni à différencier ses politiques de celles
de la substitution des importations qui s’appliquaient par le
passé (Ellner, 2005a :47-51).
Avec l’échec de la « grève
générale » de deux mois en février 2003, la pression sur
Chávez a baissé, rendant possible l’application de lois et la
mise en œuvre de programmes et de pratiques sociaux qui tendent
à tracer les contours d’un nouveau modèle économique. De
nombreux aspects de l’orientation de ce nouveau gouvernement,
tels que l’attention portée à la communauté et la
participation des travailleurs dans la prise de décisions, se
fondent dans le moule du paradigme « d’en bas ».
Cependant, parallèlement, les tentatives du gouvernement pour
atteindre l’autosuffisance en matière de production alimentaire
pour des raisons de sécurité nationale et ses rigides conditions
pour le capital étranger, cadrent avec le modèle étatiste
anti-impérialiste.
Les activités promues par le
gouvernement mentionnées ci-dessous, même si elles s’inspirent
de pratiques du passé, mettent en évidence de nouveaux objectifs
et centres d’attention :
1. Les
programmes des « misiones ». Le gouvernement a
instauré des programmes spéciaux en dehors des structures ministérielles
et juridiques existantes, principalement à tous les niveaux des
domaines de la santé et de l’éducation. Ces programmes font
appel à des techniques novatrices telles que l’utilisation de
cassettes vidéo et de facilitateurs au lieu d’enseignants dans
les salles de classe. De plus, 12 mille médecins cubains ont
participé au lancement de la mission « Barrio Adentro »
(« A l’intérieur du quartier »), en installant des
cabinets de consultation dans des quartiers pauvres de tout le
pays et sont aujourd’hui remplacés progressivement par du jeune
personnel vénézuélien. En 2005, le gouvernement annonça
formellement que les 1,5 million de personnes analphabètes du
pays avaient appris à lire et écrire grâce à la mission
« Robinson ».
2. Les
coopératives de travailleurs. Le ministère pour l’Economie
Populaire (MINEP) [7],
l’entreprise pétrolière publique (PDVSA) et d’autres
compagnies de l’État, plusieurs banques publiques et certaines
administrations des Etats et municipes du pays ont stimulé la création
de douzaines de milliers de coopératives, en leur offrant le
capital de départ et en organisant des sessions de formation. Le
MINEP, fondé en 2004 et à la tête duquel se trouv[ait] Elias
Jaua, ancien activiste d’une organisation politique d’extrême
gauche, dirige la plupart de ces efforts. Des facilitateurs du
MINEP – souvent des diplômés universitaires ou des techniciens
supérieurs – assistent chacun deux coopératives pour les aider
à solutionner les problèmes qui peuvent surgir et assurer le
suivi des activités. En mai 2005, 300 mille travailleurs au chômage
obtinrent un diplôme du programme de formation « Vuelvan
Caras », promu par le MINEP et beaucoup d’entre eux ont
ensuite créé des coopératives, tant dans des zones urbaines que
rurales, qui reçoivent une aide financière du ministère.
3. La
cogestion. Après la « grève générale » de
2002-2003, les présidents de deux fédérations de travailleurs
du secteur pétrolier (Rafael Rosales et Nelson Núñez) ont été
choisis pour représenter les employés dans le conseil de
directeurs de PDVSA. Bien qu’au Venezuela la représentation des
travailleurs dans les conseils de direction de compagnies
publiques remonte à un décret de 1966, à travers les ans, la
direction de la Confédération des Travailleurs du Venezuela (CTV) [8]
a presque toujours choisi des représentants sans expérience de
travail ou professionnelle dans le domaine, rendant leur rôle
minime dans la prise de décisions (Ellner, 1995 : 277). A
partir de 2005, les chavistes ont fait des efforts pour développer
des formes de cogestion plus authentiques. Cette année-là, Chávez
choisit le vétéran de gauche Carlos Lanz pour diriger la
compagnie publique d’aluminium, Alcasa, avec l’objectif exprès
de mettre en place des accords de cogestion, qui ensuite
s’appliqueraient à d’autres entreprises de l’Etat dans la région
industrielle de Guayana. Lanz annonça immédiatement qu’il
irait au-delà de la représentation symbolique des travailleurs
promue par le mouvement social-démocrate européen et que les
employés d’Alcasa et les membres de la communauté
participeraient à la préparation du budget de l’entreprise
pour l’année 2006.
4.
Occupations par des travailleurs et expropriations par l’Etat.
Durant la « grève générale » de 2002-2003, les
travailleurs prirent plusieurs grandes et moyennes entreprises,
arguant que leurs propriétaires les avaient fermées sans leur
payer les indemnisations pour cessation d’activités exigées
par la loi. Au début, le gouvernement soumit l’affaire aux
tribunaux compétents, mais, début 2005, le président Chávez
expropria l’entreprise papetière Venepal et, plus tard, la
compagnie Constructora Nacional de Válvulas et annonça qu’il
ferait de même avec toutes les autres entreprises privées qui
avaient fermé. L’UNT a eu un rôle actif en soutenant la prise
d’autres entreprises dans des circonstances similaires par les
travailleurs. La confédération mène une enquête également
auprès d’un grand nombre d’autres cas d’entreprises qui
remplissent les conditions pour l’expropriation. L’UNT insiste
pour que plusieurs entreprises (notamment des hôtels) qui ont
fait faillite et qui sont temporairement administrées par le
Fonds de garantie des dépôts et de protection bancaire (FOGADE,
Fondo de Garantía de Depósitos y Protección Bancaria), un
organisme financier publique, soient remises aux travailleurs plutôt
qu’à leurs propriétaires antérieurs. Dans d’autres cas, le
gouvernement et les employés sont parvenus à des accords avec
les propriétaires, selon lesquels l’Etat fournit une aide pour
faciliter la récupération de l’entreprise tandis que la
direction accepte des accords de cogestion.
5. Distribution
de terres. En janvier 2005, au moment de l’anniversaire de
la mort du leader paysan du XIXe siècle Ezequiel Zamora, Chávez
a annoncé l’application de l’article 307 de la Constitution
contre le latifundio, annonçant ainsi l’ouverture d’un
nouveau front. Parallèlement, le gouverneur de l’Etat de
Cojedes octroya des titres de propriété à des paysans qui
depuis un temps occupaient une terre, propriété d’une filiale
de la compagnie anglaise Vestey Group. En avril, une réforme de
la Loi des terres autorisa l’Institut
National des Terres (INTI) à réaliser des occupations tandis que
les cas étaient encore dans les tribunaux. Fin 2005, le
gouvernement avait commencé à adopter des mesures pour prendre
possession de 21 grandes propriétés terriennes, remettant
certaines des terres à des coopératives agricoles. Le
gouvernement parvint à un accord d’indemnisation avec une
fabrique agro-alimentaire propriété de la compagnie Heinz dans
l’Etat de Monagas, en même temps qu’il reprenait, dans l’Etat
de Barinas, des silos de céréales, supposés inactifs depuis
2002, propriété du puissant Groupe Polar. L’argument principal
de l’Etat pour justifier ces expropriations a été l’article
107 de la Loi des terres qui définit les
latifundios comme des propriétés terriennes ayant moins de 80%
de productivité. De plus, l’INTI a pu exhiber des preuves –
qui dans certains cas remontaient au XIXe siècle – réfutant
l’authenticité des réclamations des propriétaires de terres,
ainsi que des preuves de violation de lois écologiques. Cette
campagne est nouvelle pour le Venezuela. L’unique autre réforme
de la propriété de la terre effective dans l’histoire du pays
avait été promulguée en 1960, mais n’a pas mené à bien la
redistribution des grandes propriétés privées.
6. Délégation
d’autorité à des organisations communautaires. Le 4 février
2002, Chavez émit un décret qui autorisait les Comité des
Terres Urbaines (CTU), composés d’habitants des quartiers
urbains, à réaliser une reconnaissance de terrains, distribuer
des « titres de terres » à des résidents de longue
date et à développer des aires publiques de loisir. Plus récemment,
des commissions d’habitant des quartiers, comme par exemple les
« commissions d’eau », ont participé à la
formulation et l’exécution de projets de travaux publics dans
leurs communautés.
7. Refus
de nommer des représentants du secteur patronal à
de hauts postes gouvernementaux chargés de la formulation de la
politique économique. Depuis le début de la période démocratique
moderne, en 1958, les postes de ministre des Finances, ministre du
Développement, ministre de la Planification et président de la
Banque centrale étaient généralement réservés à des représentants
de la communauté patronale. Depuis la démission de Maritza
Izaguirre de ses fonctions de ministre des Finances à la mi-1999,
l’organisation patronale Fedecamaras n’a pas eu de représentation
à d’importants postes gouvernementaux.
Ces programmes et politiques,
entre autres, montrent combien sont erronées deux affirmations
sur la présidence de Chavez. La première, relative au fait
qu’il est un néolibéral déguisé d’anti-néolibéral et qui
a été formulée par des syndicalistes et des gens de
centre-gauche de l’opposition durant les premières années du
gouvernement ; nous l’avons abordée antérieurement. La
seconde, qui dit que le chavisme est un retour aux expériences
populistes latino-américaines des années 30 et 40. S’il est
vrai qu’il y a des points importants de ressemblance entre ces régimes
(Ellner, 2001), Chavez a établi de nouveaux objectifs et de
nouvelles orientations, qui se voient reflétées dans une
diversité de politiques et d’actions.
En premier lieu, les ambitieux
programmes sociaux et économiques de Chavez sont orientés
clairement vers la « communauté » et sont destinés
à intégrer des secteurs des quartiers pauvres à la vie
nationale. Par exemple, avec la mission « Barrio Adentro »,
les médecins travaillent dans les quartiers et avec les
organisations de ceux-ci pour promouvoir la médecine préventive.
Dans le passé, peu de médecins vénézuéliens installaient
leurs cabinets dans les quartiers. En outre, la mission « Sucre »
(éducation de niveau universitaire) et les « universités
bolivariennes » favorisent la participation étudiante dans
les programmes communautaires. Le gouvernement encourage également
la formation de coopératives dans les quartiers où résident
leurs membres. Finalement, les « comités de terres »
et les « commissions de l’eau », installés dans les
quartiers, sont des innovations à la signification particulière
étant donné qu’elles octroient l’autorité à la collectivité
pour la prise de décisions. L’offensive collective de
distribution de terres dans des secteurs pauvres contraste autant
avec les pratiques des partis populistes du passé qu’avec les
positions d’auteurs néolibéraux. Les gouvernements populistes
offraient typiquement des titres de propriété de terrains
urbains sur une base individuelle comme transaction clientéliste
à des fins électorales, alors que les néolibéraux acceptaient
l’octroi de titres de terres pour parfaire le système de propriété
privée (De Soto, 2000).
En deuxième lieu, les programmes
sociaux et économiques de Chavez vont à l’encontre de
puissants groupes économiques sous des formes que les
gouvernements réformistes et populistes se refusaient de mettre
en œuvre. Ainsi, la Loi des terres et la
politique d’expropriation d’entreprises reflètent le rejet de
Chavez de la propriété privée comme un droit absolu sans aucune
responsabilité sociale. Le respect du gouvernement pour la propriété
privée en circonstances normales, parallèlement à la récupération
de terre non productives (en accord avec la Loi
des terres) et de fabriques et d’usines industrielles qui
ont fermé, contraste avec les révolutions socialistes de toute
l’histoire moderne d’un côté, et avec les régimes
populistes radicaux, de l’autre.
De plus, l’Etat a défié
explicitement le contrôle oligopolistique dans la production et
la distribution d’aliments en venant soutenir l’activité économique
de petite échelle. Par exemple, la chaîne de supermarchés
Mercal appuyée par le gouvernement fait concurrence aux
supermarchés privés, tout comme le font les coopératives financées
par l’Etat aux autres entreprises plus grandes. Dans une autre
action qui sape des intérêts du secteur privé, le Secteur
National Intégré de l’Administration Fiscale et Douanière du
Venezuela (SENIAT, Servicio Nacional Integrado de Administracion
Tributaria y Aduanera de Venezuela), a mis en œuvre le plan
« évasion zéro, contrebande zéro » [9],
ce qui a permis de doubler les recettes fiscales en 2004 par
rapport à l’année précédente. Pour donner un exemple, le
SENIAT a fermé temporairement et mis à l’amende des établissements
de toutes tailles, dont McDonalds, General Motors, Eastman Kodak
et Hewlett-Packard. Le SENIAT, qui espère que les recettes
fiscales soulageront éventuellement la dépendance de la nation
à la rente pétrolière, a contredit l’idée qu’en Amérique
latine le système des impôts sur les revenus ne peut jamais être
mis en œuvre efficacement en raison de la résistance de la part
de puissants intérêts commerciaux (Castañeda, 2001 :32).
En troisième lieu, la politique vénézuélienne
sous Chavez s’est transformée en un jeu à somme nulle, en même
temps que le discours reflète une claire vision de classe. Jamais
auparavant dans l’histoire du pays, un chef d’Etat n’avait déclaré
qu’aider les pauvres est plus important qu’aider les autres
secteurs de la population. Les dépenses dans les domaines de la
santé et de l’éducation ont crû en pourcentage du budget
national de manière phénoménale, alors que les recettes
fiscales ont de surcroît contribué à la redistribution de la
richesse. Les classes moyennes n’ont pas échappé non plus à
ce changement de priorités. Ainsi, des associations de
professeurs et de médecins ont exprimé leur préoccupation sur
le fait que les programmes des missions, qui servent les pauvres,
aient fait baisser les standards professionnels et absorbent des
ressources aux dépens des programmes établis. Cette priorité
sociale contraste avec le discours des mouvements populistes
radicaux des années 30 et 40, qui, en grande partie, voulaient échapper
au thème du conflit de classe (Horowitz, 1999 :23) et essayèrent
de former des alliances entre le secteur des entreprises et les
travailleurs. Le modèle socio-économique qui est en train d’émerger
au Venezuela, dans lequel des structures nouvelles (telles que les
missions) coexistent avec d’autres plus anciennes, coûte cher,
et son succès dépend du maintien des prix élevés du pétrole.
A la longue, sa viabilité dépend aussi de l’éradication des
pratiques de corruption et du développement de mécanismes
efficaces pour garantir que les assignations massives de
ressources aux petites entreprises des communautés et des
travailleurs soient dûment utilisées. De fait, l’aile la plus
à gauche du mouvement chaviste voit la lutte contre la corruption
non seulement comme un impératif moral, mais aussi comme une
condition sine qua non pour l’actuelle transformation de la
nation. Par ailleurs, tant que le modèle vénézuélien dépendra
de la rente pétrolière, il aura une applicabilité limitée dans
le reste de l’Amérique latine. Ce n’est que si le Venezuela
se libère du statut d’économie « rentière »
entachée de corruption et d’inefficience que l’expérience
chaviste pourra se développer au point d’être une véritable
alternative au néolibéralisme et peut-être servir d’émulation
ailleurs sur le continent.
Conclusion
L’objectif de ce travail a été
de définir les aspects les plus significatifs du phénomène
Chavez et d’en explorer ses implications de grande ampleur pour
le Venezuela et l’Amérique latine. Pour ce faire, nous avons
examiné les politiques, stratégies et changements structurels
gouvernementaux afin de percevoir le profil général d’un
nouveau modèle politique et économique. Comme nous l’avons
exposé antérieurement, des innovations, de nouvelles activités
et actions qui représentent une claire rupture avec le passé
pointent vers un modèle nouveau. S’il est vrai que certaines
caractéristiques de ce nouveau modèle, telles que les pratiques
en lien avec la démocratie participative dans sa forme pure, se
sont avérées non-viables, de nombreux programmes et politiques
sont dans une phase expérimentale.
Le résultat final du processus et
le degré qu’il montrera de faisabilité sont d’une importance
transcendantale pour le reste de l’Amérique latine et la gauche
mondiale. Premièrement, l’anti-néolibéralisme du gouvernement
vénézuélien représente un point de référence dans tout l’hémisphère,
en plus d’aller à l’encontre de la notion selon laquelle à
l’ère de la mondialisation il n’y pas d’alternative
possible aux politiques du Consensus de Washington. Deuxièmement,
l’expérience vénézuélienne a des implications pour ce qui
est de la tentative de la gauche de penser un modèle démocratique,
humaniste et anti-capitaliste, marquée qu’elle est encore par
la disparition de l’Union soviétique. Le cas vénézuélien
sert de correctif au débat abstrait et stérile sur des nouveaux
modèles et garantit que la discussion s’attache à la recherche
de solutions réalisables basées sur des expériences concrètes.
Sous de nombreux aspects, le
chavisme ressemble à des gouvernements anti-impérialistes
latino-américains, comme ceux de Perón et Cárdenas, qui
nationalisèrent des industries de propriété étrangère et
suivirent une politique extérieure indépendante. L’orientation
anti-impérialiste a été étatiste tant qu’elle favorisait
l’interventionnisme gouvernemental dans l’économie et donnait
le rôle principal aux partis politiques. La détermination qu’a
montrée Chavez pour obtenir le pouvoir national depuis le début
de sa carrière politique, plutôt que de viser des gouvernement
d’Etats ou des gouvernements locaux (puisqu’il soutient la
perspective « d’en bas »), le réalisme de ses
actions pour se maintenir au pouvoir, et la défense de la
souveraineté nationale que mène son gouvernement, reflètent une
orientation étatiste (Ellner, 2005c :20-21). Ces priorités sont
particulièrement évidentes dans sa politique extérieure, qui
essaye de promouvoir un « monde multipolaire » comme
antidote à l’impérialisme états-unien. En accord avec sa
approche de la « real Politik », Chavez a cultivé des
relations amicales avec des gouvernements de diverses orientations
idéologiques, comme celui de la Chine, celui de la France de
Chirac et celui de l’Espagne de Rodriguez Zapatero. Au niveau
interne, sa défense du MVR montre aussi ses orientations
pragmatiques et étatistes. Malgré son attaque contre la
bureaucratie et son appel aux bases pour qu’elles fassent valoir
leurs droits avec force, Chavez défend l’unité d’en haut et
se refuse à permettre que les accusations de corruption et
d’opportunisme au sein du parti en arrivent à l’extrême
d’affaiblir les possibilités électorales du MVR [10].
Nombre des traits novateurs du phénomène
chaviste, comme les nombreux crédits octroyés aux coopératives,
l’assistance pour la cogestion et les programmes des missions,
contribuent à la participation dans la prise de décisions et aux
renforcement des capacités des ouvriers urbains, travailleurs
agricoles et habitants des quartiers et, dans ce sens, elles
correspondent à la vision « d’en bas ». La distance
entre les bases du mouvement chaviste et le parti qui gouverne,
comme le montrent les critiques acérées de celles-là contre ce
dernier, corroborent également la perspective « d’en bas »,
et n’a pas de parallèle dans des situations de transformation
radicale en Amérique latine. En outre, les mobilisations de masse
continuelles, qui ont été essentielles pour la survie politique
de Chavez, ont peu d’équivalents dans l’histoire du
continent. Certaines des mobilisations chavistes contrastent avec
les actions contrôlées d’en haut du populisme radical (Collier
y Collier, 1991 :197) et sont particulièrement en harmonie avec
le modèle « d’en bas » ; ainsi, par exemple,
les occupations d’entreprises durant la « grève générale »
de 2002-2003, furent le résultat d’initiatives des
travailleurs, alors que le gouvernement n’en est venu à définir
sa position que deux ans après, avec l’expropriation de
quelques-unes de ces entreprises.
La thèse selon laquelle depuis
1998 la politique vénézuélienne s’est caractérisée par une
relation caudillo-masses entre Chavez et ses
partisans doit être évaluée en la comparant avec les traits
caractéristiques du chavisme, comme nous l’avons vu auparavant.
La typification de Chavez en caudillo rappelle
ce qu’écrivait il y a un demi siècle Gino Germani, qui voyait
la masse des mouvements populistes comme susceptible de
manipulations démagogiques (Germani, 1978 : 153 :208). De
fait, durant les premières années du gouvernement de Chavez, les
médias ont eu recours à des stéréotypes négatifs, désignant
les chavistes des classes populaires comme des « hordes ».
Certains auteurs soulignent l’influence sur Chavez du théoricien
argentin Norberto Ceresole, qui glorifie la relation directe entre
un dictateur militaire nationaliste et ses partisans, en
l’absence d’organisations intermédiaires (Steger, 2002
:100-103). Cependant, ces caractérisations ne prennent pas en
compte l’attitude hautement critique de la masse chaviste envers
ses dirigeants, ni le fait que nombre d’entre eux nient être
des chavistes « inconditionnels » (Seawright y
Hawkins, 2004). Par ailleurs, les chavistes qui représentaient
une tendance militariste au sein du mouvement ont été expulsés
durant les premières années. Ceresole lui-même a été déclaré
persona non grata en 1999 à la suite de ses
attaques contre les partis politiques en général et s’est
converti par la suite en un critique acerbe de Chavez. Peu après,
une tendance au sein du chavisme, exprimée par plusieurs
camarades d’armes du coup d’Etat mené par Chavez en 1992 (à
la tête desquels se trouvait Francisco Arias Cardenas), a soutenu
que les militaires étaient plus fiables et disciplinés que les
politiciens et a abandonné les rangs du chavisme pour rejoindre
l’opposition. [11]
Les perspectives étatistes et
« d’en bas » ne sont pas contradictoires en soi,
mais elles sont souvent chargées de tension. Cette relation est
particulièrement évidente dans le domaine de la politique extérieure.
D’un côté, les succès diplomatiques du gouvernement de Chavez
sont possibles grâce à sa tolérance envers et ses relations
amicales avec des chefs d’Etat aux positions idéologiques différentes.
De l’autre côté, la rhétorique féroce de Chavez en faveur du
changement révolutionnaire et sa glorification du Che Guevara et
d’autres héros révolutionnaires ont engendré un soutien généralisé
chez les activistes de mouvements sociaux, de la gauche et de la
population en générale dans toute l’Amérique latine, en
accord avec la stratégie « d’en bas ». De nombreux
activistes de mouvement sociaux du Brésil et d’Argentine, qui
ont participé à des festivals et des forums promus par le
gouvernement au Venezuela et qui étaient au Forum social mondial
à Porto Alegre et à la manifestation anti-Zone de Libre-Echange
des Amériques (ZLEA) à Mar del Plata, où Chavez prit la parole
alors que se tenait le 4e Sommet des Amériques (en novembre
2005), sont de fervents opposants de Lula et Kirchner,
respectivement. De manière semblable, les efforts de Chavez pour
construire le MVR (vision étatiste) sont en opposition avec
l’appel à ses partisans pour qu’ils rejettent les contrôles
bureaucratiques et pour une « révolution dans la révolution »
(vision d’en bas). La survie politique de Chavez a dépendu de
son habilité à maintenir l’appui actif des militants de son
mouvement – dont bon nombre sont fortement critiques envers tous
partis politiques – sans saper le MVR et ses alliés.
Même si atteindre les deux
objectifs semble parfois un délicat acte d’équilibrisme, la
coexistence des deux visions est ce qui a défini le chavisme et
expliqué ses succès politiques. Sur le front socio-économique,
le gouvernement a mis en œuvre des politiques innovantes
compatibles avec la stratégie d’en bas, mais a aussi contredit
cette orientation avec des actions qui vont dans le sens
contraire. Ainsi, en même temps qu’il promeut des programmes de
missions et des coopératives de travailleurs (perspective d’en
bas), Chavez ouvre le dialogue avec la fédération patronale
Fedecamaras et, en octobre 2005, proposa une « alliance
stratégique » avec de grands groupes économiques du
secteur privé. Ce même mois, il envisagea la possibilité de
nationaliser la compagnie de l’acier de propriété étrangère
SIDOR [12]
(selon la vision étatiste). Pour résumer, après sept ans au
pouvoir, le chavisme a utilisé une combinaison des visions
« d’en bas » et étatiste sur le front économique
et celui de la politique extérieure, sans qu’il y ait
d’indications d’un changement significatif en faveur de l’un
ou l’autre modèle dans un futur à court ou moyen terme.
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Random House.
Wainwright, Hilary (2003). Reclaim
the State : Experiments in Popular Democracy, Londres, Verso.
Wilpert Gregory (2003). « Will
Chávez’ Project Survive ? », en G. Wilpert, ed.,
Coup against Chávez in Venezuela : The Best International
Reports of What Really Happened in April 2002, Caracas, Fundación
Venezolana para la Justicia Global.
Notes:
[1]
Cette position date des années 80, quand les analystes latino-américains
adoptèrent la notion de « nouveaux mouvements sociaux »,
développée par le sociologue français Alain Touraine (1971),
les considérant comme la plus importante source de résistance au
système établi.
[2]
[NDLR] Selon le « camp » où l’on se situe, on parle
de grève générale, de grève civique ou alors de lock-out
patronal et de sabotage pétrolier.
[3]
[NDLR] William Lara : longtemps président de l’Assemblée
nationale, il est actuellement (juillet 2007-) ministre de l’Information
et de la Communication.
[4]
[NDLR] Baduel a pris sa retraite en ce mois de juillet 2007.
[5]
[NDLR] Comme dit dans l’introduction, ce congrès idéologique
n’a jamais eu lieu car le MVR s’est officiellement dissous
pour intégrer le nouveau Parti socialiste uni du Venezuela, en
cours de formation.
[6]
Cela dit, l’auteur Gert Shönwälder met au crédit des
mouvements sociaux d’avoir supervisé des programmes de l’Etat
et, dans ce processus, d’en avoir amélioré l’efficacité et
la reddition de comptes. De plus, ils ont eu une influence dans
les partis de gauche afin que ceux-ci abandonnent
l’avant-gardisme qui a caractérisé leur conduite dans la décennie
précédente (Schönwälder, 2002:187). Tant cet auteur qu’Hilary
Wainwright (dans son livre sur les expériences des mouvements
sociaux au Brésil et ailleurs) encensent ces mouvements tout en
critiquant implicitement le paradigme anti-partis des nouveaux
mouvements sociaux (NMS). Dans ce sens, Schöwälder rejette le
concept d’autonomie absolue des mouvements sociaux et soutient
également que les identités des mouvements sur lesquels
insistent les auteurs qui défendent les NMS ne sont jamais
statiques mais sujettes à des exigences et des luttes changeantes
(ibid. pp. 19-20, 29). Wainwright soutient que la démocratie
participative doit venir en complément plutôt que remplacer la démocratie
représentative. Il se réfère aussi au nombre croissant de
partis politiques qui reconnaissent l’importance de – et
s’engagent à – ne pas manipuler les mouvements sociaux (Wainwright,
2003 : 186, 198).
[7]
[NDLR] Le MINEP est devenu depuis la rédaction de ce document le
ministère du Pouvoir populaire pour l’Économie communale.
[8]
[NDLR] Le CTV est l’ancienne confédération syndicale
majoritaire au Venezuela. Très liée à l’ancien parti social-démocrate
Action démocratique (AD) qui domina la vie politique du pays
pendant 40 ans, elle a pris une part active dans les actions de déstabilisation
du gouvernement Chavez depuis lors.
[9]
[NDLR] Lire Francisco Peregil Gregorio Vielma Mora, le nouvel
Eliot Ness vénézuélien, RISAL, 30 avril 2007 : http://risal.collectifs.net/spip.ph....
[10]
Par exemple, en septembre 2005, Chavez a défendu le licenciement
de la chaîne publique Venezolana de Televisión d’un célèbre
présentateur, Walter Martinez, qui avait durement attaqué la
corruption et l’opportunisme dans les rangs du chavisme.
[11]
[NDLR] Notons que Francisco Arias Cardenas a revenu dans le camp
“chaviste” et est actuellement ambassadeur du Venezuela à
l’ONU.
[12]
[NDLR] Sidor est l’une des principales aciéries d’Amérique
latine
RISAL - Réseau d'information et de
solidarité avec l'Amérique latine
URL: http://risal.collectifs.net/
Source : Cuardernos del Cendes (http://www.cendes-ucv.edu.ve/publicaciones_revistas.jsp),
n°62, mai-août 2006.
Traduction : ce texte, écrit d’abord en anglais, a été
traduit en espagnol par Nora López pour la revue Cuadernos del
Cendes.
Isabelle Dos Reis a traduit ce texte de l’espagnol au français
pour le RISAL (http://risal.collectifs.net).
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