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Intégration
latino-américaine
Lula-Chavez : Deux tournées, deux
voies
Raúl Zibechi
Lula et Chavez - Photo Latin Reporters
29 août 2007
Durant la première semaine d’août, l’Amérique
latine a été la témoin de deux importantes tournées de présidents
aux objectifs diamétralement opposés, l’une a été réalisée
par Luiz Inacio Lula da Silva et l’autre par Hugo Chávez.
Beaucoup d’observateurs et
d’analystes préfèrent éluder le fait que deux des principales
figures du continent ont entrepris des tournées qui mettent en
avant les difficultés de l’intégration régionale. Lula a
visité cinq pays : le Mexique, le Honduras, le Nicaragua, le
Panamá et la Jamaïque, avec l’objectif de promouvoir les
agro-combustibles. Chávez a visité aux mêmes dates l’Argentine,
l’Uruguay, l’Équateur et la Bolivie, pour signer des accords
qui stimulent l’intégration.
Celle de Lula pourrait s’appeler
la « seconde tournée de l’éthanol ». La première,
souvenons-nous, a été réalisée par George W. Bush au début du
mois de mars de cette année, au cours de laquelle le président
états-unien a conclu des accords de long terme avec Lula pour
promouvoir les agro-combustibles [1].
Le président du Brésil, quant à lui, a voyagé pour appuyer
l’installation d’usines d’éthanol de canne à sucre par des
chefs d’entreprise de son pays dans les pays d’Amérique
centrale. Au Mexique, première étape de son voyage, Lula a promu
un accord entre l’entreprise publique d’hydrocarbures Pemex et
la transnationale Petrobras [2]
pour l’exploration et l’exploitation de pétrole dans les eaux
du Golfe du Mexique. L’accord est intéressant pour Petrobras
puisque l’entreprise est leader mondial dans le domaine de
l’extraction de brut en eaux profondes, une technologie que
Pemex ne possède pas.
La gauche mexicaine a réagi
vivement. Andrés Manuel Obrador, victime d’une fraude électorale
aux élections présidentielles de 2006 au bénéfice de
l’actuel président Felipe Calderón, a averti que Petrobras
peut servir de « fer de lance » pour privatiser Pemex,
un objectif largement caressé par les multinationales. « Je
le respecte beaucoup, mais le mouvement que je représente - une
opposition réelle, authentique - n’accepte pas qu’on livre la
richesse pétrolière mexicaine à des étrangers, sous aucune
modalité », a affirmé López Obrador au sujet des démarches
de Lula, selon La Jornada du 6 août. Le
leader mexicain a indiqué que Petrobras cherchera du pétrole
dans les Caraïbes et conservera, en échange, une partie des
hydrocarbures trouvés, ce qui ne comporte aucun risque pour elle
car on sait où sont les gisements. Derrière Petrobras, argumente
t-il, arriveraient les autres multinationales.
Sur les agro-combustibles, Lula a
affirmé qu’il bénéficie de l’appui du Mexique « dans
la campagne pour établir un marché mondial des combustibles plus
propres, bon marché et renouvelables. Nous avons l’opportunité
de démocratiser l’accès à de nouvelles sources d’énergie
en multipliant la création d’emplois et en diversifiant la
matrice énergétique ». Il est évident que le président
du Brésil ne prend pas en considération les arguments invoqués
ces derniers mois par Fidel Castro, parmi bien d’autres, contre
ces énergies. Au Nicaragua, Lula a offert son soutien à Daniel
Ortega pour que son pays se transforme en pionnier des
agro-combustibles dans la région. « C’est
complètement inadmissible et un crime de produire de l’éthanol
à base de maïs », lui a répondu le Nicaraguayen.
En Jamaïque, Lula a inauguré une
usine de déshydratation de l’éthanol, propriété
d’investisseurs jamaïcains et brésiliens. Au Honduras et au
Panamá, il a signé des accords pour le développement des
combustibles à partir de la canne à sucre. Le quotidien Folha
de São Paulo, le 5 août, a rappelé les raisons de fond du
Brésil pour étendre l’éthanol dans cette région. « L’intérêt
est d’utiliser l’Amérique centrale comme plateforme
d’exportation d’éthanol vers les États-Unis ; ces pays
ont des accords de libre-échange avec les États-uniens et
n’ont pas de limites pour exporter de l’éthanol ».
Le Brésil apporte la technologie et les capitaux, les Centraméricains
le travail semi-esclave dans les plantations de canne à sucre [3].
Et ainsi, la puissance émergente brésilienne parvient à ouvrir
un marché protégé auquel elle a d’énormes difficultés à
accéder. La manière de penser de Lula est transparente :
« Ensemble nous pouvons constituer une
puissance économique mondiale », a t-il dit à Felipe
Calderón, le président de droite du Mexique.
La tournée de Chávez a été très
différente. En Argentine, il a signé un accord avec Nestor
Kirchner pour l’achat de 500 millions de dollars de bons
argentins et s’est engagé à acheter une quantité similaire
dans quelques mois. Cet accord est vital puisque suite au default,
la cessation de paiements de 2001 [4],
l’Argentine n’a plus accès aux crédits internationaux. De
plus, il a signé un accord pour la construction d’une usine de
regazéification de gaz liquide vénézuélien à Bahia Blanca,
alors que l’Argentine souffre d’une sérieuse crise énergétique.
En Uruguay, il a signé un traité de sécurité énergétique
avec Tabaré Vazquez : dorénavant, les entreprises publiques
d’hydrocarbures Ancap (Uruguay) et Pdvsa (Venezuela)
travailleront à doubler la capacité de production de la
raffinerie uruguayenne et une entreprise mixte a été créée
pour extraire du brut de la ceinture de l’Orénoque (Venezuela),
considérée comme la première réserve mondiale. Avec ce traité,
l’Uruguay s’assure de l’énergie à long terme.
Cette fois-ci, Vazquez et Kirchner
sont tombés d’accord. « Quel autre
gouvernement du monde a fait une offre d’une telle ampleur et
d’un telle grandeur ? », a déclaré
l’Uruguayen. « Nous autres Argentins
devrions être et sommes reconnaissants, parce que tout ce dont
nous avons besoin a été accordé », a dit un ministre
très proche de Kirchner.
En Équateur, Chávez a souscrit
un investissement de 5 milliards de dollars avec Rafael Correa
pour la construction d’une raffinerie dans la province de Manabi,
pour produire 300 000 barils de brut par jour, dans ce qui sera la
plus importante raffinerie de la côte du Pacifique. En Bolivie,
Chávez et Evo Morales son arrivés à un accord pour créer
l’entreprise pétrolière binationale Petroandina (entre les
entreprises publiques YPFB et Pdvsa). Son premier projet sera
d’investir 600 millions de dollars dans l’exploration en
Bolivie. Avec la naissance de YPFB-Petroandina, la Bolivie
retrouve son droit d’explorer et d’exploiter ses
hydrocarbures.
Les difficultés pour que le
Venezuela entre dans le Mercosur ont été présentes dans la
tournée. Jusqu’à maintenant, les parlements d’Argentine et
d’Uruguay ont ratifié l’adhésion du pays de Chávez au bloc.
Le Paraguay et le Brésil retardent le processus. On sait que le
parlement de Brasilia ne veut pas approuver l’entrée,
puisqu’il a une majorité de centre droite, bien que le
gouvernement puisse faire valoir ses alliances. A Buenos Aires, Chávez
a déclaré dans une réunion restreinte (Página
12 du 8 août) que les heurts entre le Venezuela et le Brésil
ne sont pas dus à une « dispute de
leaderships » mais à « une
confrontation de modèles énergétiques ». Les uns
travaillent pour l’intégration sur la base du partage du pétrole
et du gaz, s’assurant ainsi l’autonomie énergétique. Les
autres se battent pour une intégration basée sur les
agro-combustibles, impulsant la même politique que l’Empire.
NOTES:
[1]
[NDLR] Lire Gustavo Dans, Marie-Hélène Sa Vilas B., Gérald
Cadet, Jorge Andrés Rave, Retour
sur la tournée du président George W. Bush en Amérique latine,
RISAL, 18 avril 2007 ; Humberto Marquez, Vers
une OPEP de l’éthanol ?, RISAL, 9
mars 2007.
[2]
[NDLR] Petrobras est souvent présentée comme l’entreprise
publique brésilienne d’hydrocarbures, ce que réfute Raul
Zibechi : « Le problème de fond est
que Petrobras n’est pas une entreprise brésilienne. Ou, plutôt,
elle a cessé de l’être dans les années 90 sous le
gouvernement de Fernando Henrique Cardoso. Aujourd’hui l’Etat
brésilien ne contrôle que 37% des actions de l’entreprise,
alors que 49% sont entre les mains d’Etats-uniens et 11% entre
les mains d’hommes de paille brésiliens. Mais dans les années
90, Petrobras s’est tournée vers la Bolivie et s’est lancée
à la conquête de réserves de pétrole dans d’autres pays
sud-américains. Elle a aussi des intérêts importants au
Nigeria. L’économiste Carlos Lessa soutient, avec raison, que
Petrobras ‘est plus soucieuse de soigner les spéculateurs
de la Bourse de New-York que d’agir comme une institution de
l’Etat national brésilien’ ».
Extrait de Raul Zibechi, Sous-impérialisme.br,
RISAL, 28 juin 2005.
[3]
[NDLR] Lire à ce sujet : Raúl Zibechi, Le
côté obscure des biocombustibles : horreur dans la « Californie
brésilienne », RISAL, 7 août 2007.
[4]
[NDLR] En 2001, le gouvernement a décidé de suspendre le
remboursement de sa dette due aux créanciers privés.
Lire Raúl Zibechi, L’Argentine
après le “default” : reconstruire l’Etat, RISAL,
10 mai 2005 ; Frédéric Lévêque, Olivier Bonfond, Argentine :
la fin de la crise ?, RISAL, 23 mai
2005.
RISAL - Réseau d'information et de
solidarité avec l'Amérique latine
URL: http://risal.collectifs.net/
Source : ALAI, América
Latina en Movimiento (http://alainet.org/),
11 août 2007.
Traduction : Gérard
Jugant et Fausto Giudice, membres de Tlaxcala (http://www.tlaxcala.es/),
le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique.
Traduction revue par l’équipe du RISAL.
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