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CUBA SOLIDARITY PROJECT
Les insurgés colombiens prêts au
dialogue
Poggi Numancia
Photo CSP
9 septembre 2007
Sollicité par la sénatrice colombienne Piedad Córdoba,
le président vénézuélien Hugo Chávez vient de s’engager à
jouer un rôle de facilitateur dans la recherche de l’Échange
humanitaire de prisonniers en Colombie. Chávez entretient des
relations cordiales avec le président colombien Uribe Vélez
malgré des visions, politiques et stratégiques, diamétralement
opposées. Par principe Chávez souhaite entretenir des relations
cordiales avec tous les pays du monde, même si avec la Colombie
uribiste la diplomatie bolivarienne a dû montrer davantage de
patience, davantage de nerfs. Les provocations et les insidieuses
invitations à l’affrontement n’ont pas manqué ces dernières
années, mais Chávez considère raisonnablement que rien ne
serait pire qu’un affrontement ouvert, l’interpénétration
entre les deux pays voisins étant si forte.
Le vendredi 31 août 2007 Chávez s’est donc
rendu à Bogotá, pour converser longuement avec le président
Uribe Vélez. À l’issue de cette rencontre les deux présidents
de ce qui fut la Grande Colombie ont donné une conférence de
presse conjointe. Cette rencontre fut l’occasion pour le président
Chávez de recevoir le feu vert du président Uribe Vélez et
cette rencontre constitue dans le même temps le premier pas
concret de ce qui s’annonce comme un long pèlerinage vers la
paix colombienne pour le président Chávez. Rapidement les présidents
de la région ont manifesté leur soutien au président Chávez :
Lula, le président ex-guérillero Daniel Ortega, etc.
Chávez est lui-même un militaire qui a combattu
les guérillas vénézuéliennes dans les années 1970, avant
d’assister à la pacification. Dans le gouvernement de Chávez
il y a des ex guérilleros. Chávez a lui-même connu la prison,
à la suite du soulèvement civico-militaire de février 1992. Chávez
a lui-même été séquestré lors du coup d’État fasciste
d’avril 2002 au Venezuela. Son vécu personnel explique
certainement sa perception emplie d’humanité et de sensibilité
sur ces questions.
Cette initiative diplomatique a vite dépassé la
dimension régionale. Le mercredi 5 septembre 2007 la famille de
l’un des trois mercenaires états-uniens détenus par les
FARC-EP a visité l’ambassadeur du Venezuela à Washington
Bernardo Álvarez. Ces personnes lui ont manifesté leur
satisfaction de l’implication du président Chávez et ont fait
connaître leur souhait de rencontrer ce dernier.
Malgré la grande quantité d’articles sur le thème
colombien, certaines vérités élémentaires ne sont jamais données
à connaître au public francophone, supposé disposer de la
science infuse dès qu’il s’agit d’une information qui
pourrait peu ou prou contribuer à donner une lecture rationnelle
au comportement de la guérilla. Avec l’information dont dispose
le citoyen moyen il est fatal qu’il considère les guérilleros
des FARC-EP comme des personnes insensibles et irrationnelles. Le
conflit colombien, comme tous les conflits, se joue aussi dans la
présentation du conflit, et ce n’est pas par hasard qu’une
part importante du budget du Plan Colombie est spécifiquement
orientée aux relations publiques, aux questions d’image et de
propagande. Les FARC-EP ne peuvent hélas pas, ou quasiment pas,
accéder à l’ample dispositif culturel dominant, médiatique et
universitaire, qui diffuse nouvelles et analyses dans le monde.
Chávez et Marulanda
Chávez, qui a toujours manifesté la tristesse
que lui provoque la perpétuation de l’affrontement armé dans
le pays frère, a déclaré ces derniers jours qu’il serait très
intéressé de connaître personnellement Manuel Marulanda et
qu’il avait sur ce point reçu le feu vert du gouvernement
colombien. La parenté politique entre la Révolution bolivarienne
du Venezuela et la guérilla colombienne des FARC-Ejército del
Pueblo, armée bolivarienne luttant pour le socialisme, est un
fait assez facilement perceptible.
Manuel Marulanda ne s’est pas prononcé
personnellement, mais Raúl Reyes –responsable de la Commission
Internationale des FARC-EP–, dans une interview donnée à Jorge
Enrique Botero le 4 septembre 2007 (La Jornada, Mexique), dit que
cela serait une heureuse rencontre. Dans la tradition
chevaleresque du paysannat colombien, Manuel Marulanda avait au
demeurant reçu la fascinante reine Noor de Jordanie venue du
lointain Orient arabe jusqu’au Caguán pour lui rendre visite en
juin 2001.
Dans le Document de Santa Fe IV, rendu public en
2000, on peut lire que les « négociations successives entre
le gouvernement colombien et les FARC n’ont jamais eu de
signification réelle parce qu’elles n’ont aucun véritable
agenda (…) » mais ailleurs on peut lire qu’il est
« raisonnable de supposer que quand elles parviendront au
pouvoir, si elles y parviennent, leur système de gouvernement
sera totalitaire (…) », ça va sans dire. Bref, non
seulement les FARC-EP n’ont pas d’idées mais en plus elles
ont de mauvaises idées. Ce document donne les linéaments stratégiques
du clan Bush vis-à-vis de l’Amérique latine et les
orientations pour le travail de propagande. C’est donc
naturellement cette présentation, binaire et bancale, qui est le
plus souvent reprise dans le dispositif culturel dominant. Précisons
que les FARC-EP ont un programme et une proposition politique :
c’est la Plateforme en dix points pour un Gouvernement de Réconciliation
et de Reconstruction Nationale rendue publique en 1993.
Qualifiées en octobre 2001 par Francis X. Taylor
–alors coordinateur du Bureau antiterroriste du département
d’État des États-Unis– comme « le groupe terroriste
international le plus dangereux basé dans notre hémisphère »,
les FARC-EP ont toujours manifesté leur solidarité avec Cuba
socialiste, avec le Venezuela bolivarien, aujourd’hui avec la
Bolivie émancipée, et avec la gauche latino-américaine de façon
générale. Les FARC-EP ont des relations fraternelles avec les
organisations qui partagent leurs idéaux et leurs principes,
comme le FPLP palestinien, et des relations amicales avec
l’ensemble du mouvement anti-impérialiste.
Le discrédit du gouvernement
Uribe Vélez
Chávez entre en scène à un moment bien
particulier de la vie socio-politique colombienne. Le thème de
l’Échange humanitaire est de plus en plus présent dans le débat
public, notamment de par la mobilisation des familles, mais aussi
par les prises de positions, favorables, il y a quelques mois, de
quatre ex-présidents colombiens, déjà signe d’un changement
de climat. La tendance au renforcement de la clameur citoyenne
pour la réalisation de l’Échange complique le discours
uribiste qui voudrait faire porter à la guérilla la
responsabilité de l’impasse sur cette question.
Le mois passé le professeur Gustavo Moncayo a
attiré l’attention en effectuant une grande marche à travers
le pays pour donner de l’écho à la cause des séquestrés.
Arrivé à Bogotá le professeur Moncayo a pris la parole sur la
Place Bolívar devant un public en rien sympathisant de la guérilla,
puis, lorsque le président Uribe Vélez s’est adressé au même
public il a été hué et quelques adjectifs colorés lui ont été
lancés. Un rassemblement qui en d’autres temps aurait été
l’occasion d’alimenter la propagande anti-guérilla a tourné
à la déconvenue d’Uribe Vélez et des tenants de
l’intransigeance. La distance s’est accentuée entre ceux qui
sont intéressés par la propagande et ceux qui ont des objectifs
concrets –la libération de leurs proches– et sont donc plus
pragmatiques. Le vent tourne.
De plus, l’image du régime d’Uribe Vélez se
trouve gravement endommagée. Bien des choses que l’on pouvait
savoir depuis longtemps, mais qui n’étaient guère commentées
dans le cadre du dispositif culturel dominant, s’étalent
aujourd’hui sur la place publique. Le pacte qui liait le
gouvernement Uribe Vélez et les paramilitaires a été brisé à
la suite de zigzags hasardeux dans le système judiciaire. Les
paramilitaires qui devaient logiquement être blanchis se considèrent
floués, et donc parlent. Uribe Vélez est un représentant de la
néo-bourgeoisie enrichie dans le narcotrafic. Bien des proches
d’Uribe Vélez, amis politiques, membres du gouvernement, se
trouvent aujourd’hui en prison ou en fuite.
On ne peut plus cacher, quoi qu’en disent d’étranges
intellectuels de cour, que l’armée colombienne a organisé et
maintenu les escadrons de la mort paramilitaires. La nécessité
de donner des gages, y compris vis-à-vis de certains secteurs démocrates
aux États-Unis qui se prennent à gronder publiquement Uribe Vélez,
conduit à certains remaniements dans l’armée, ce qui
naturellement provoque une crise de confiance dans
l’institution.
Pourquoi la lutte armée ?
La répression de l’armée et des escadrons de
la mort paramilitaires a en effet marqué la société
colombienne. À la fin des années 1980 un génocide politique
comme on en a peu vu s’est produit en Colombie, accompagné du
silence de rigueur du dispositif culturel dominant. Un
rassemblement politique de gauche, l’Union patriotique, a été
supprimé physiquement : ses deux candidats présidentiels,
Jaime Pardo Leal et Bernardo Jaramillo, ses élus à tous les
niveaux, et des milliers de militants ont été assassinés l’un
après l’autre avec une persistance méticuleuse.
Durant les années 1990 les Forces Armées Révolutionnaires
de Colombie–Armée du Peuple, vieille guérilla paysanne commandée
par le légendaire Manuel Marulanda, ont dû absorber des
centaines de militants fuyant le génocide entre traumatisme et
fureur. Combien de jeunes garçons, aujourd’hui guérilleros
intraitables, ont vu leurs parents disparaître dans les
tourbillons de la répression ? Le massacre des dignes et
limpides militants de l’Union patriotique ne pouvait se produire
sans conséquences – ce serait mal connaître le peuple
colombien. La fraternité entre les paysans vétérans de la résistance
héroïque de Marquetalia et les militants issus du mouvement
populaire urbain a alors été revivifiée.
Voilà le facteur principal de la puissance des
FARC-EP aujourd’hui – on ne saurait cacher la lumière du
soleil avec quelque doigt que ce fût. Jorge Enrique Botero
rappelle par exemple incidemment que Raúl Reyes a travaillé chez
Nestlé et qu’il a été dirigeant communiste dans le département
du Caquetá. Autre exemple : Simón Trinidad, jeune cadre en
vue dans la banque, garçon d’origine huppée, lecteur passionné
de l’œuvre de Simón Bolívar, était devenu militant de l’Union
patriotique, avant de devoir rejoindre le maquis pour échapper au
massacre.
Une guérilla invincible
En 1996 les FARC-EP ont pris la grande base
militaire de Las Delicias dans le sud du pays, faisant alors la
bagatelle de 67 prisonniers. Ces derniers ont été libérés
l’année suivante, remis au président Samper qui avait à cette
fin accepté de démilitariser brièvement la municipalité de
Cartagena del Chairá dans le département du Caquetá.
En décembre 1997 la guérilla a pris dans le sud
du pays le Cerro de Patascoy, sommet qui s’élève à 4200 mètres
et où se trouvait l’une des plus importantes bases de
communication de l’armée. Une quarantaine de guérilleros,
soutenus par une arrière-garde de quelque 100 compañeros, ont
remporté une victoire totale sur les 34 militaires qui gardaient
la base. Les guérilleros étaient venus des régions tropicales,
où la température est toujours aux alentours de 30 degrés, pour
remporter une surprenante victoire juste avant Noël sur un sommet
où la température n’est jamais loin de 0 degrés. Les guérilleros
transis ont pu se retirer sans dommage avant que l’aviation
n’ait le temps d’intervenir.
Ce n’est donc pas complètement par hasard que
la diplomatie états-unienne a rapidement voulu rencontrer les
FARC-EP. En décembre 1998 le responsable de la Commission
Internationale des FARC-EP Raúl Reyes a rencontré au Costa Rica
Philip Chicola, responsable de la région andine au département
d’État des États-Unis. Rencontre sans lendemain, certes, mais
le régime états-unien fait preuve d’un toupet stupéfiant
quand il se permet de stigmatiser d’autres gouvernements qui
acceptent de rencontrer officiellement des représentants de la guérilla
colombienne.
Négociations et libérations
unilatérales
En 1998 le président Andrés Pastrana avait
annoncé qu’il souhaitait entrer en négociation avec les
FARC-EP. Les FARC-EP pour engager le Processus de Paix avaient réclamé
la démilitarisation de cinq municipalités rurales dans le sud du
pays. Les commentateurs du dispositif culturel dominant avaient
aussitôt jugé cette demande extravagante. Les municipalités de
San Vicente del Caguán (dans le département du Caquetá),
Vistahermosa, La Macarena, Uribe et Mesetas (ces quatre dernières
dans le département du Meta) ont néanmoins bien été démilitarisées,
soit une région d’environ 42 000 kilomètres carrés – cinq
fois la Corse. Le Processus de Paix a donc commencé en janvier
1999 dans cette région qu’on a pris l’habitude d’appeler le
Caguán.
Ce Processus de Paix entre Andrés Pastrana et les
FARC-EP avait ses ennemis, plus ou moins déclarés, au sein de
l’oligarchie colombienne. Les positions de départ étaient
assez distantes : le gouvernement souhaitait une pacification
sans concession politique ; les FARC-EP voulaient des
changements politiques substantiels, ou pour le moins des signes
clairs d’une réorientation de la politique de l’État sur des
questions aussi élémentaires que le paramilitarisme, les
richesses nationales, la répartition de la terre, etc. Malgré
les difficultés et les réticences à aborder les questions
politiques, la bonne volonté commune quant à la nécessité de
l’humanisation du conflit maintenait le contact, et
l’espoir…
En juin 2001, geste concret quant à
l’humanisation de la guerre, et porte ouverte à la réconciliation
des Colombiens, les FARC-EP ont libéré de façon unilatérale
242 militaires ou policiers. Ils étaient pour la plupart détenus
depuis les retentissantes batailles de la fin des années 1990,
c’est-à-dire depuis plusieurs années. La guérilla a cependant
gardé en détention, séquestrés selon le langage du dispositif
culturel dominant, les officiers militaires. Le fils du professeur
Moncayo, officier fait prisonnier au Cerro de Patascoy en décembre
1997, n’a donc pas été libéré. Le dirigeant des FARC-EP
Jorge Briceño (« el Mono Jojoy ») fit alors savoir
que les FARC-EP avait pris la décision de capturer des membres de
l’oligarchie, à seule fin d’infléchir se perception de la
question de l’Échange humanitaire.
En février 2002 le gouvernement Pastrana, en bout
de course, sans résultat concret, harcelé par les courants
bellicistes au sein de l’armée, mit brutalement un terme au
Processus de Paix. Aussitôt la Zone démilitarisée du Caguán
fut intensément bombardée pendant de longues heures. Les guérilleros,
vieille habitude, se sont cependant dispersés sans dommage
notable.
Quelques mois plus tard Uribe Vélez est porté au
pouvoir par les secteurs qui rejettent radicalement le Processus
de Paix et qui préconisent la victoire militaire contre les
FARC-EP.
Deux départements pour le
Processus de Paix
Le 15 mai 2002, soit moins de trois mois après la
brutale rupture de février 2002, les FARC-EP émettent un
communiqué officiel dans lequel sont précisées les trois
conditions pour la reprise du Processus de Paix : 1) les départements
de Caquetá et Putumayo seront démilitarisés ; 2) les
personnes représentant officiellement l’État et le
gouvernement s’abstiendront d’employer les termes de « terroristes »
et de « narcoterroristes » pour parler des FARC-EP ;
et, 3) la politique gouvernementale sera clairement orientée vers
l’élimination du paramilitarisme. Ce communiqué, qui n’a été
ni remplacé ni modifié, garde toute sa validité. Le Caquetá
fait presque 89 000 kilomètres carrés et le Putumayo fait un peu
moins de 25 000 kilomètres carrés ; il s’agit donc de près
de 115 000 kilomètres carrés (un peu plus grand que la Bulgarie)
demandés pour la reprise du Processus de Paix. Ce territoire a de
plus la caractéristique particulière de se trouver sur une
longue zone frontalière au sud du pays, ce qui serait une
nouveauté dans l’histoire des Processus de Paix en Colombie.
Cette demande est bien entendu jugée extravagante par le
dispositif culturel dominant – dans les cas où le sujet ne peut
être évité, s’entende, parce que le plus courant en
l’affaire c’est la loi du silence.
Deux municipalités pour l’Échange
humanitaire
En mai 2003, soit l’année suivante, les FARC-EP
font connaître à l’opinion publique les noms des trois guérilleros
officiellement chargés de l’Échange humanitaire : Carlos
Antonio Lozada, Simón Trinidad et Domingo Biojó. El Tiempo, le
seul quotidien de dimension nationale, le 3 mai 2003, explique que
Domingo Biojó avait été chargé de la question des Négritudes
durant le Processus de Paix achevé l’année antérieure. Carlos
Antonio Lozada avait été lui responsable de la guérilla urbaine
à Bogotá et, toujours selon le quotidien unique El Tiempo, sa présence
dans ce trio de contact doit être comprise comme le « quota »
de « Jojoy », sans toutefois préciser quels quotas
représentent Domingo Biojó et Simón Trinidad.
En janvier 2004, Simón Trinidad est capturé à
Quito, en Équateur, où il réalisait des contacts propres au rôle
qui était le sien. Il est aussitôt transféré en Colombie, hors
de toute légalité, avec dans le meilleur des cas la complaisance
du gouvernement de Lucio Gutiérrez. Telle est la réponse d’Uribe
Vélez à la proposition publique faite par les FARC-EP. Cela
n’est pas pour construire la confiance.
En septembre 2004 les FARC-EP demandent la démilitarisation
de San Vicente del Caguán et de Cartagena del Chairá, deux
municipalités rurales du département du Caquetá, une zone
d’environ 31 000 kilomètres carrés pour la réalisation de
l’Échange humanitaire. L’armée oligarchique prétend que
cette demande des FARC-EP est déloyale parce que c’est dans ces
deux municipalités justement que se déroule le gros de la
confrontation dans le cadre du Plan « Patriota », étape
du Plan Colombie, étape peu originale en cela qu’elle doit être
la énième offensive finale contre les rebelles. La guérilla est
donc accusée de vouloir obtenir un avantage militaire en
effectuant un odieux chantage basé sur la sécurité des
personnes séquestrées. Le vice-président Santos, membre de la
famille propriétaire du quotidien unique El Tiempo, déclare
aussitôt qu’aucune zone démilitarisée n’est nécessaire
pour réaliser un Échange humanitaire, et que « ce qu’il
faut c’est de la volonté et nous pensons que les FARC n’en
ont pas ».
Début décembre 2004, dans un geste de bonne
volonté, signal d’une flexibilité constructive, les FARC-EP
demandent alors que soient démilitarisées les municipalités de
Pradera (403 kilomètres carrés) et Florida (395 kilomètres carrés).
Ces deux municipalités rurales, 800 kilomètres carrés en tout,
proposées pour servir de théâtre à l’Échange humanitaire,
se trouvent dans le département du Valle del Cauca dont le
gouverneur Angelino Garzón est réputé pragmatique et
constructif en la matière. Cette proposition remplace la
proposition antérieure qui portait sur San Vicente del Caguán et
Cartagena del Chairá, mais non la demande de démilitarisation
des départements de Caquetá et Putumayo pour la reprise du
Processus de Paix. La zone démilitarisée dans les municipalités
de Pradera et de Florida, dans le Valle del Cauca, serait près de
40 fois mois étendue que la zone de San Vicente del Caguán et
Cartagena del Chairá.
Le périmètre de la zone démilitarisée de
Pradera et Florida, certainement le facteur le plus important pour
la réalisation de ce genre d’opération, serait environ trois
fois inférieur à celui de la première proposition. Ce qui
importe pour les guérilleros, dans le cas d’une zone démilitarisée,
c’est de pouvoir y accéder sans s’offrir en cibles sur
plateau d’argent ; et les forces armées ne manqueraient
pas de tisser un dispositif militaire sur le périmètre de la
zone démilitarisée (dans le meilleur des cas). Alors qu’elle
ne demandait la démilitarisation que pour trois jours dans le
premier cas, la guérilla demande une période de plusieurs
semaines dans le cas de la zone de Pradera et Florida, le déplacement
des personnes retenues étant nécessairement une procédure
complexe. Cette période doit en plus permettre la dispersion des
guérilleros libérés ; certains prisonniers depuis de
longues années sont assez diminués quant aux capacités de déplacement.
Vers un dénouement ?
La guerre colombienne entre l’armée et la guérilla
a parfois été décrite comme une guerre de paysans pauvres
contre des paysans pauvres, ce qui pourrait bien expliquer
l’insensibilité et l’intransigeance de l’oligarchie
colombienne sur la question de l’Échange de prisonniers. Les
gens de la haute société colombienne savent au demeurant se
montrer pragmatiques lorsque l’un des leur vient à se trouver
dans une situation inconfortable. Ainsi, exemple parmi tant
d’autres, lorsque le frère du président César Gaviria, Juan
Carlos Gaviria, avait été séquestré par le groupe Jega en
1996, les démarches pour la négociation avaient instantanément
démarré au plus haut niveau.
Presque toutes les guerres ont donné lieu à des
échanges de prisonniers, et y compris en Colombie il existe en
effet une riche expérience de ce genre de démarche. Tout ce qui
est nécessaire c’est un minimum de volonté et la construction
de mécanismes sûrs et loyaux à même de donner confiance aux
deux protagonistes qui se trouvent par ailleurs dans une situation
de confrontation militaire. Les FARC-EP, qui détiennent moins de
cinquante personnes –la plupart sont des officiers
militaires–, demandent la libération de plusieurs centaines de
guérilleros et militants injustement emprisonnés. D’aucuns se
scandalisent de ce cas manifeste d’Échange inégal. Il est
courant dans les conflits que la disproportion des forces
militaires en présence se reflète au moment des échanges de
prisonniers, un officier israélien contre plusieurs dizaines de résistants
palestiniens ou libanais, par exemple – même s’il est au
demeurant vrai que dans le cas colombien les forces en
confrontation tendent à s’équilibrer à mesure que les années
passent.
Les FARC-EP détiennent aussi trois citoyens états-uniens,
capturés le 13 février 2003, quand leur avion est tombé dans le
département du Caquetá. Le 26 février 2003 le holding états-unien
Northrop Grumman Corporation a déclaré que ces trois personnes
capturées travaillaient pour l’entreprise California Microwave
Systems, entreprise spécialisée dans l’installation de
senseurs et de radars pour la surveillance aérienne. Cette
entreprise agit en Colombie en vertu d’un contrat qui la lie au
Département de la Défense des États-Unis, a fait savoir le
Commandement sud (SouthCom) de l’armée des États-Unis,
responsable des opérations en Colombie. Selon les informations
apportées par le quotidien The Baltimore Sun, le 27 février
2003, ni l’entreprise ni le Pentagone n’ont souhaité offrir
davantage de commentaires quant à la nature des activités de
l’entreprise en Colombie. Évidemment le dispositif culturel
dominant considère ces trois personnes comme des séquestrés
victimes de l’arbitraire et de l’inhumanité des guérilleros.
En 2002, un Français, Pierre Galipon, et deux Canadiens avaient
été détenus par les FARC-EP dans le sud de la Colombie. Vérification
faite, les trois personnes avaient été libérées le 30 juillet
2002. Le dispositif culturel dominant n’avait guère donné d’écho
à cette affaire : le Français racontait qu’il avait été
très bien traité, que leurs biens leur avaient été rendus,
etc.
L’oligarchie colombienne entravait par tous les
moyens possibles les avancées qui pouvaient se produire sur le thème
de l’Échange de prisonniers. Au début du gouvernement Uribe Vélez
toute idée de zone démilitarisée était proscrite et
l’antienne uribiste était : « En Colombie il n’y a
pas de conflit, il y a des terroristes et nous luttons contre le
terrorisme, comme le font nos amis dans le monde… » Pour
signaler son refus de l’Échange humanitaire Uribe Vélez est
allé jusqu’à déporter aux États-Unis le guérillero Simón
Trinidad, capturé à Quito en janvier 2004, et qui était l’un
des trois porte-parole désignés par la guérilla pour réaliser
les contacts nécessaires à l’Échange humanitaire.
Or le temps passe et la victoire ne vient pas. La
guérilla a aujourd’hui achevé son déploiement stratégique
sur l’ensemble du territoire colombien et il est donc très
difficile, à qui veut conserver quelque crédibilité, de parler
d’une bande de terroristes débandés. La confrontation
militaire pourrait s’éterniser encore pendant de longues années
faute d’un retour au Processus de Paix qui donnerait une issue négociée
au conflit colombien. Même s’il s’agit de deux procédures
clairement distinctes, la réalisation de l’Échange peut être
une étape vers la reprise du Processus de Paix souhaité par
tous.
Les arguments d’Uribe Vélez pour refuser l’Échange
humanitaire ont l’un après l’autre été pulvérisés par la
réalité et l’entrée en scène du président Chávez est venue
donner un souffle nouveau aux défenseurs de l’Échange. Uribe Vélez
n’a certainement pas changé de point de vue – mais le fait
est qu’il cède. Nous ne sommes plus à l’époque ou celui qui
se voyait déjà comme le Sharon des Andes allait faire enlever à
Caracas, en plein jour, un membre de la Commission Internationale
des FARC-EP. Le fait qu’Uribe Vélez soit contraint de donner
son feu vert à Chávez est aussi, au-delà de la question de l’Échange
de prisonniers, le signe que le camp progressiste prend le dessus
dans la région. Imaginons le cœur des Palestiniens quand les États-Unis
ne pourront plus s’imposer comme médiateur entre eux et Israël.
On ne peut pas dire que Jérusalem la Sainte soit en vue mais,
sans doute, on avance.
Le président Chávez, qui a souvent montré sa
patience, dispose aussi d’une qualité nécessaire ici : il
sait hiérarchiser les problèmes, délaisser ce qui n’est que
l’écume décorative de la vie et appréhender sincèrement,
concrètement, la profondeur des choses.
- - - o O o - - -
Contre-culture – Cinéma :
Il est possible de connaître un peu de la réalité
socio-politique des FARC-EP en regardant un film, objectif et réaliste,
qui raconte l’histoire d’une jeune colombienne qui entre dans
la guérilla. La guerrillera novice Isabel est accueillie par un
commandant de l’Armée du Peuple et commence à côtoyer ses
jeunes camarades. Le film (1h14, septembre 2005) est en espagnol
sous-titré en anglais. Accès direct sur le site de
l’hebdomadaire du Parti communiste vénézuélien :
www.tribuna-popular.org/index.php ?option=com_content&task=view&id=585&Itemid=38
© CSP - Diffusion autorisée et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.
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