Venezuela
Venezuela:
Leçons de la défaite pour la gauche
Pablo Stefanoni
Hugo Chavez
6
décembre 2007
La défaite « partielle,
microscopique, d’un cheveu, mais défaite tout de même »
de Hugo Chavez ne peut être lue de manière linéaire.
Paradoxalement, elle réaffirme le caractère démocratique d’un
gouvernement sous les feux de nombreuses critiques et insuffle une
bonne dose de crédibilité au système de vote électronique et
surtout au pouvoir électoral ; cette défaite légitime en
fait les neuf victoires antérieures de Chavez. En même temps,
« la menace socialiste » a créé un consensus
inhabituel autour de la Constitution de 1999, à laquelle
l’opposition s’était opposée. Enfin, cette défaite
affaiblit la droite dure et putschiste et renforce une nouvelle
opposition ouverte au dialogue. Il ne faut toutefois pas éluder
la question du revers électoral en disant que Chavez a perdu mais
n’a pas perdu, d’autant plus que le président bolivarien a présenté
les choses comme un choix entre « Chavez et Bush ».
La gauche ne devrait pas passer
sous silence les énormes problèmes du régime bolivarien :
corruption, concentration du pouvoir, construction d’un parti-État-bureaucratique
(le PSUV, Parti Socialiste Uni du Venezuela), caractère plébiscitaire
du régime (ne faut-il pas critiquer par exemple le fait qu’il
n’y ait pas eu d’Assemblée constituante et qu’il faille
voter en bloc des choses qui n’ont rien à voir entre elles ?),
constitution d’une nouvelle bourgeoisie « bolivarienne »
qui se promène sans gêne dans Caracas au volant de ses Hummers,
énorme inefficacité dans la gestion publique (un chaviste se
demande ainsi sur le site Internet Aporrea
comment il est possible qu’en neuf ans la révolution ne soit
pas arrivée à garantir la sécurité alimentaire avec la quantité
de ressources pétrolières dont elle dispose et qu’il y ait
aujourd’hui des queues « à la cubaine » pour
acheter du lait ? »)
La gauche ne devrait pas non plus
tomber dans les explications conspiratives qui poussent
aujourd’hui comme des champignons sur Internet et penser au
peuple comme un pur sujet de tout type de manipulations
diaboliques. Il ne faut pas non plus se consoler avec la « dignité »
de Chavez à assumer sa défaite. Ni penser, comme certains
compagnons de route de la révolution bolivarienne, qu’il
s’agit d’un « problème de communication ».
Il faut simplement suivre les
(auto)critiques qui sont en train de surgir de l’intérieur des
rangs bolivariens. Pourquoi 3 millions d’électeurs de Chavez de
l’élection présidentielle de décembre 2006 n’ont-ils pas
accompagné le président et se sont abstenus ou ont voté No ?
Pourquoi le total des votes pour le Si est
moindre que le nombre d’« adhérents » du nouveau
Parti socialiste uni ? Y aurait-il par hasard 3 millions de
traîtres, s’est demandé un lecteur d’Aporrea ?
La réponse ne serait-elle pas dans le fait que les gens n’ont
pas voulu voter pour un socialisme imprécis que personne,
« même pas les cadres du chavisme », ne sait en quoi
il consiste et, encore moins, en quoi il se différencie du
socialisme bureaucratique et autoritaire du vingtième siècle ?
Pourquoi ne pas penser que les gens n’ont pas voulu voter pour
ou contre Chavez et ont exprimé une opinion sur ce qui était réellement
demandé ? Peut-on obliger la population à lire, discuter et
faire passer en un ou deux mois toute une nouvelle Constitution
qui change le modèle économique, politique et même territorial
du pays ?
Le Si
n’aurait-il pas payé un prix élevé pour l’arrogance des
bureaucrates qui se vantaient que « Chavez a pas mal de
peuple » pour se préoccuper des alliés qui « sont
passés dans l’autre camp », comme le parti de
centre-gauche Podemos et qui disaient, comme quand le général
Baduel (tout un symbole de la révolution) est parti [à
l’opposition], qu’il était mieux que le « traîtres »
s’en aillent parce que cela clarifiait les choses ? La
gauche doit-elle appuyer quelqu’un qui veut rester au pouvoir
« jusqu’en 2050 » ? Ce qui s’est passé à
Cuba ne nous apprend-t-il rien ? Peut-on continuer avec la
logique – majoritaire au sein de la gauche durant la Guerre
froide – de ne pas critiquer pour ne faire faire le jeu de
l’ennemi ? Est-ce que par hasard le silence aide à penser
une transition progressiste à Cuba ou un changement de cap au
Venezuela ? N’a-t-on rien retenu de ce qui s’est passé
en URSS et en Europe orientale où le manque de débat, la
construction d’une subjectivité cynique et l’ « oubli »
de ce qu’est l’action collective ont mené à une situation
sans résistances contre la version la plus sauvage du capitalisme ?
Il est utopique de penser que dans
l’Amérique latine d’aujourd’hui, il est possible
d’imposer des socialismes d’en haut, des visions uniques de ce
qui doit être un projet d’émancipation ou des leaderships
« pour 50 ans ». Le défi, c’est comment construire
une démocratie radicale, opposée au statut quo actuel mais
pluraliste en termes d’acteurs et d’idéologies populaires.
En cas de reproduction de cet article,
veuillez indiquer les informations ci-dessous:
RISAL - Réseau
d'information et de solidarité avec l'Amérique latine
URL: http://risal.collectifs.net/
Source : Pulso (http://www.pulsobolivia.com),
Paz, 5 décembre 2007
Traduction : Frédéric Lévêque, pour le RISAL (http://risal.collectifs.net).
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