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La visite de la Rice en Espagne contre
Cuba
La Démocratie se réunit avec son
auriculaire
Santiago Alba Rico
2 juin 2007
Version espagnole sous :
http://www.rebelion.org/noticia.php?id=51689
Dans ce monde il y a peu d'occasion de choisir: il
y a le mauvais, et il y a le pire.
Le mauvais, ce sont les invasions militaires, les bombes de
fragmentation, les camps de torture, les disparus, les exécutions
extrajudiciaires, la faim pérenne, la pauvreté assassine,
l'analphabétisme humiliant, la détresse des malades, la liberté
de censure des riches, la surconsommation homicide, le vol récompensé,
la souveraineté surveillée ou interdite, la destruction
avantageuse des ressources d'intérêt général.
Le pire, c'est qu'aucune de ces choses n'arrive.
Le mauvais est tellement bon, du moins par contraste, qu'il en est
devenu désirable. Certains peuples parviennent même à voter
majoritairement pour que dans leurs rues il continue d'y avoir des
mendiants, pour qu'on ferme les hôpitaux, qu'on coupe
l'alimentation d'eau à Bagdad et que la malaria se répande en
Afrique, et pour que leurs journaux demandent tout haut que les
intérêts, la cupidité, le mépris de l'autre, le mensonge et
l'injustice, tous tellement bons, se diffusent sans frontières
jusqu'au dernier recoin de la terre.
Le pire est à tel point mauvais - à tel point pire - que là où
il manque une de ces choses la Démocratie est en danger.
Le pire, naturellement, c'est Cuba.
Hier la Démocratie s'est posée pendant huit heures à Madrid et
a tiré les oreilles à un de ses auriculaires. Condolezza Rice et
le gouvernement espagnol s'étaient mis d'accord avant pour ne pas
s'occuper du mauvais ou, ce qui est la même chose, d'eux-mêmes.
Les Etats-Unis n'allait pas reprocher à l'Espagne sa Loi des
Partis, ni les mauvais traitements dans les prisons du Pays
Basque, et, naturellement, renonçaient à se réunir avec les
dissidents de Batasuna. De son coté l'Espagne considérait peu
diplomatique et généreux de faire mention des vols de la CIA, de
l'assassinat de José Couso, de la disparition du citoyen espagnol
Mustafá Setmariam Nassar dans les prisons secrètes démocratiques,
de l'anomalie de « Guantánamo » ou des crimes de guerre en
Irak. Après tout, le mauvais va bien. De ce qu'ils devaient
s'occuper c'est du pire, qui continue de résister à être
mauvais. Ainsi, les petites différences entre la Démocratie et
son Auriculaire, dont la valeur pour Cuba n'est pas à sous
estimer, ont confirmé un accord de fond très défavorable pour
l'Espagne. La Rice a déclaré que les deux gouvernements coïncidaient
au sujet de « la nécessité d'une transition » dans l'île, et
Moratinos ne l'a pas démenti. Il s'est limité à exprimer sa
confiance de que son homologue étasunienne rentrera chez elle «
un peu plus convaincue que la tactique espagnole donne des résultats
». Il est difficile de déclarer d'une manière plus forte deux
choses mauvaises: la volonté d'ingérence et l'abandon de la
souveraineté. Ou plus exactement : la volonté d'ingérence qui
devient abandon de la souveraineté.
Entre l'Espagne et Cuba il y a quelques différences notables.
L'Espagne envoie des soldats en Afghanistan, et Cuba des médecins
au Pakistan.
L'Espagne envoie des entreprises déprédatrices en Bolivie, et
Cuba y envoie des instituteurs. L'Espagne offense la souveraineté
d'autres nations, en renonçant à la sienne, et Cuba protège la
sienne, et encourage celle des autres depuis 50 ans. C'est
pourquoi l'Espagne est mauvaise, et Cuba est pire. Cuba est un des
rares pays que Condolezza Rice ne visitera jamais, ce qui veut
dire quelque chose.
La veille de se poser avec fugacité à Madrid, la secrétaire d'Etat
étasunienne a comparé la révolution cubaine avec le régime de
Franco et manifesta sa certitude qu'un « pays comme l'Espagne,
qui fut capable de se débarrasser d'un passé autoritaire et de
donner démocratie et liberté à son peuple, comprenne que les
cubains méritent la même chose ». Comme on se souviendra, les
Etats-Unis ont à peine dérangé l'Espagne de Franco et, à
partir des traités de Madrid de 1953, l'ont soutenue
politiquement et économiquement avec enthousiasme en échange de
la remise de son territoire et de ses marchés, et au détriment
de nombreux valeureux militants de gauche sacrifiés et jamais récompensés
pour leur courage.
Depuis cette date de nombreux présidents et secrétaires d'Etat
étasuniens ont visité notre pays pour renforcer ces traités
alors qu'ils envoyaient à Cuba des mercenaires, des terroristes,
des épidémies et des menaces. Cette continuité entre Franco et
Zapatero marque toute la différence de Cuba. Il est vrai que
Zapatero n'a pas été élu par Bush, mais celui-ci l'a consenti
et ce consentement étasunien - une loi invariable en Europe
depuis 1945 - encadre toutes les marges de manouvre de son
gouvernement. Il se peut que nous ayons à assumer le franquisme
espagnol comme étant un exemple de « réalisme » politique, au
moins pendant que nous continuions à vouloir le mauvais. Mais
s'il s'agit de vouloir le pire, alors il faudra reconnaître qu'il
n'y a pas de plus grand réalisme que la dignité, la résistance
et l'amour. L'Espagne continue de ruminer son éternelle
transition - de mauvais en mauvais - tandis que Cuba en a fini
avec la sienne - de mauvais à pire - le 1er janvier 1959.
Qu'un article au sujet de la rencontre entre un ministre étasunien
et un ministre espagnol doive se publier dans la section sur Cuba
en dit beaucoup sur les trois pays et la situation du monde en général.
On y parle de l'impérialisme des Etats-Unis, de la soumission de
l'Espagne et de l'importance incontournable de Cuba. Le mauvais
s'impose par la force, le pire se communique, s'irrigue et se
contamine.
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