Russie
Discours de Vladimir Poutine sur
le Nouvel ordre mondial
24 octobre 2014, Sotchi - Russie
Réunion du Club
International Valdaï : De nouvelles
règles ou un jeu sans règles ?
Texte original
(russe) :
http://kremlin.ru/news/46860
Traduction (anglais) :
http://eng.news.kremlin.ru/news/23137
Traduction en français :
http://www.sayed7asan.blogspot.fr
Vladimir
Poutine a pris part à la dernière séance
plénière de la XIe session du Club
International de Discussion Valdaï. Le
thème de la réunion était : L’ordre
mondial : de nouvelles règles ou un jeu
sans règles ?
Cette année, 108
experts, historiens et analystes
politiques originaires de 25 pays, dont
62 participants étrangers, ont pris part
aux travaux du Club.
La réunion
plénière a présenté une synthèse des
travaux du Club au cours des trois
journées précédentes, qui ont été
consacrées à l’analyse des facteurs
d’érosion du système actuel des
institutions et des normes du droit
international.
Discours du
Président Vladimir Poutine durant la
dernière séance plénière de la XIe
session du Club Valdaï
Retranscription :
Chers collègues,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
C’est un plaisir de
vous accueillir à la XIe réunion du Club
Valdaï.
Il a déjà été mentionné que le Club a de
nouveaux co-organisateurs cette année.
Ils comprennent des organisations non
gouvernementales russes, des groupes
d’experts et de grandes universités. Il
a également été suggéré d’élargir les
discussions à des questions qui ne sont
pas seulement liées à la Russie
elle-même, mais aussi à la politique et
à l’économie mondiales.
J’espère que ces
changements dans l’organisation et le
contenu des sessions renforceront
l’influence du Club en tant que forum de
discussion et d’experts de premier plan.
Dans le même temps, j’espère que
« l’esprit de Valdaï » sera conservé –
cette atmosphère libre et ouverte, cette
opportunité d’exprimer toutes sortes
d’opinions très différentes et franches.
Permettez-moi de
dire à cet égard que je ne vais pas vous
décevoir et que je vais parler
directement et franchement. Certains de
mes propos pourront sembler un peu trop
rudes, mais si nous ne parlons pas
directement et honnêtement de ce que
nous pensons vraiment, alors il est
absolument inutile de tenir de telles
réunions. Il serait préférable, dans ce
cas, de se contenter des rencontres
diplomatiques, où personne ne dit rien
qui ait une véritable portée et,
reprenant les paroles d’un célèbre
diplomate, où vous vous rendez compte
que les diplomates ont une langue faite
pour ne pas dire la vérité.
Nous nous
réunissons pour d’autres raisons. Nous
nous réunissons pour nous parler
franchement. Nous avons besoin d’être
directs et francs aujourd’hui, non pas
pour s’envoyer des piques, mais afin de
tenter de faire la lumière sur ce qui se
passe dans le monde, d’essayer de
comprendre pourquoi le monde est de
moins en moins sûr et de plus en plus
imprévisible, et pourquoi les risques
augmentent partout autour de nous.
Les débats
d’aujourd’hui se sont tenus sous le
thème : De nouvelles règles ou un jeu
sans règles ? Je pense que cette formule
décrit avec précision le tournant
historique que nous avons atteint
aujourd’hui et le choix auquel nous
sommes tous confrontés. Bien sûr, il n’y
a rien de nouveau dans l’idée que le
monde est en train de changer très
rapidement. Je sais que c’est quelque
chose dont vous avez parlé durant les
échanges d’aujourd’hui. Il est
certainement difficile de ne pas
remarquer les transformations
dramatiques dans la politique mondiale
et dans l’économie, dans la vie
publique, dans l’industrie,
l’information et les technologies
sociales.
Permettez-moi de vous
demander dès maintenant de me pardonner
si j’en viens à répéter ce que certains
des participants à la discussion ont
déjà dit. C’est pratiquement inévitable.
Vous avez déjà eu des discussions
détaillées, mais je vais exposer mon
point de vue. Il coïncidera avec le
point de vue des participants sur
certains points et divergera sur
d’autres.
Tandis que nous analysons la situation
d’aujourd’hui, n’oublions pas les leçons
de l’histoire. Tout d’abord, les
changements dans l’ordre mondial – et
tout ce que nous voyons aujourd’hui
constitue des événements de cette
ampleur – ont généralement été
accompagnés sinon par une guerre et des
conflits à l’échelle mondiale, du moins
par des chaînes de conflits locaux
intenses. Deuxièmement, la politique
mondiale est avant tout une question de
leadership économique, de guerre et de
paix, avec une dimension humanitaire,
incluant les droits de l’homme.
Aujourd’hui, le monde est plein de
contradictions. Nous devons être francs
en nous demandant mutuellement si nous
avons un filet de sécurité fiable et
bien en place. Malheureusement, il n’y a
aucune garantie et aucune certitude que
le système actuel de sécurité mondiale
et régionale soit en mesure de nous
protéger des bouleversements. Ce système
a été sérieusement affaibli, fragmenté
et déformé. Les organisations
internationales et régionales de
coopération politique, économique, et
culturelle traversent également des
temps difficiles.
Oui, un grand nombre des mécanismes
actuels visant à assurer l’ordre mondial
ont été créés il y a très longtemps, y
compris et surtout dans la période
suivant immédiatement la Seconde Guerre
mondiale. Permettez-moi de souligner que
la solidité du système créé à l’époque
reposait non seulement sur l’équilibre
des forces et les droits des pays
vainqueurs, mais aussi sur le fait que
les « pères fondateurs » de ce système
se respectaient mutuellement,
n’essayaient pas de mettre la pression
sur les autres, mais tentaient de
parvenir à des accords.
L’essentiel est que ce système doit se
développer, et malgré ses diverses
lacunes, il doit au moins être capable
de maintenir les problèmes mondiaux
actuels dans certaines limites et de
réguler l’intensité de la concurrence
naturelle entre les nations.
Je suis convaincu que nous ne pouvions
pas prendre ce mécanisme de freins et
contrepoids que nous avons construit au
cours des dernières décennies, parfois
avec les plus grands efforts et
difficultés, et tout simplement le
détruire sans rien reconstruire à sa
place. Sinon, nous serions laissés sans
instruments autres que la force brute.
Ce que nous devions faire était de
procéder à une reconstruction
rationnelle et de l’adapter aux
nouvelles réalités du système des
relations internationales.
Mais les Etats-Unis, s’étant eux-mêmes
déclarés vainqueurs de la Guerre Froide,
n’en voyaient pas le besoin. Au lieu
d’établir un nouvel équilibre des
forces, essentiel pour maintenir l’ordre
et la stabilité, ils ont pris des
mesures qui ont jeté le système dans un
déséquilibre marqué et profond.
La Guerre Froide a pris fin, mais elle
n’a pas pris fin avec la signature d’un
traité de paix comprenant des accords
clairs et transparents sur le respect
des règles existantes ou la création
d’un nouvel ensemble de règles et de
normes. Cela a créé l’impression que les
soi-disant « vainqueurs » de la Guerre
Froide avaient décidé de forcer les
événements et de remodeler le monde afin
de satisfaire leurs propres besoins et
intérêts. Lorsque le système actuel des
relations internationales, le droit
international et les freins et
contrepoids en place faisaient obstacle
à ces objectifs, ce système été déclaré
sans valeur, obsolète et nécessitant une
démolition immédiate.
Pardonnez l’analogie, mais c’est la
façon dont les nouveaux riches se
comportent quand ils se retrouvent tout
à coup avec une grande fortune, dans ce
cas sous la forme d’un leadership et
d’une domination mondiale. Au lieu de
gérer leur patrimoine intelligemment,
pour leur propre bénéfice aussi bien
sûr, je pense qu’ils ont commis beaucoup
de folies.
Nous sommes entrés dans une période de
différentes interprétations et de
silences délibérés dans la politique
mondiale. Le droit international a
maintes fois été forcé de battre en
retraite, encore et encore, par l’assaut
impitoyable du nihilisme légal.
L’objectivité et la justice ont été
sacrifiées sur l’autel de l’opportunisme
politique. Des interprétations
arbitraires et des évaluations biaisées
ont remplacé les normes juridiques. Dans
le même temps, l’emprise complète sur
les médias de masse mondiaux ont rendu
possible, quand on le désirait, de
présenter le blanc comme noir et le noir
comme blanc.
Dans une situation où vous aviez la
domination d’un pays et de ses alliés,
ou plutôt de ses satellites, la
recherche de solutions globales s’est
souvent transformée en une tentative
d’imposer ses propres recettes
universelles. Les ambitions de ce groupe
sont devenues si grandes qu’ils ont
commencé à présenter les politiques
qu’ils concoctaient dans leurs corridors
du pouvoir comme le point de vue de
l’ensemble de la communauté
internationale. Mais ce n’est pas le
cas.
La notion même de « souveraineté
nationale » est devenue une valeur
relative pour la plupart des pays. En
essence, ce qui était proposé était
cette formule : plus la loyauté de tel
ou tel régime en place envers le seul
centre de pouvoir dans le monde est
grande, plus grande sera sa légitimité.
Nous aurons une discussion libre après
mon propos et je serai heureux de
répondre à vos questions et je tiens
également à utiliser mon droit à vous
poser des questions. Que personne
n’hésite à essayer de réfuter les
arguments que je viens d’exposer lors de
la discussion à venir.
Les mesures prises contre ceux qui
refusent de se soumettre sont bien
connues et ont été essayées et testées
de nombreuses fois. Elles comprennent
l’usage de la force, la pression
économique et la propagande, l’ingérence
dans les affaires intérieures, et les
appels à une sorte de légitimité
« supra-légale » lorsqu’ils ont besoin
de justifier une intervention illégale
dans tel ou tel conflit ou de renverser
des régimes qui dérangent. Dernièrement,
nous avons de plus en plus de preuves
que le chantage pur et simple a
également été utilisé en ce qui concerne
un certain nombre de dirigeants. Ce
n’est pas pour rien que « Big Brother »
dépense des milliards de dollars pour
tenir sous surveillance le monde entier,
y compris ses propres alliés les plus
proches.
Demandons-nous à quel point nous sommes
à l’aise avec tout cela, à quel point
nous sommes en sécurité, combien nous
sommes heureux de vivre dans ce monde, à
quel degré de justice et de rationalité
il est parvenu. Peut-être n’avons-nous
pas de véritables raisons de nous
inquiéter, de discuter et de poser des
questions embarrassantes ? Peut-être que
la position exceptionnelle des
États-Unis et la façon dont ils mènent
leur leadership est vraiment une
bénédiction pour nous tous, et que leur
ingérence dans les événements du monde
entier apporte la paix, la prospérité,
le progrès, la croissance et la
démocratie, et nous devrions peut-être
seulement nous détendre et profiter de
tout cela ?
Permettez-moi de dire que ce n’est pas
le cas, absolument pas le cas.
Un diktat unilatéral et le fait
d’imposer ses propres modèles aux autres
produisent le résultat inverse. Au lieu
de régler les conflits, cela conduit à
leur escalade ; à la place d’États
souverains et stables, nous voyons la
propagation croissante du chaos ; et à
la place de la démocratie, il y a un
soutien pour un public très douteux
allant de néo-fascistes avoués à des
islamistes radicaux.
Pourquoi soutiennent-ils de tels
individus ? Ils le font parce qu’ils
décident de les utiliser comme
instruments dans la voie de la
réalisation de leurs objectifs, mais
ensuite, ils se brûlent les doigts et
font marche arrière. Je ne cesse jamais
d’être étonné par la façon dont nos
partenaires ne cessent de marcher sur le
même râteau, comme on dit ici en Russie,
c’est-à-dire de faire les mêmes erreurs
encore et encore.
Ils ont jadis parrainé des mouvements
islamistes extrémistes pour combattre
l’Union soviétique. Ces groupes se sont
formés au combat et aguerris en
Afghanistan, et ont plus tard donné
naissance aux Talibans et à Al-Qaïda.
L’Occident les a sinon soutenus, du
moins a fermé les yeux sur cela, et, je
dirais, a fourni des informations et un
soutien politique et financier à
l’invasion de la Russie et des pays de
la région d’Asie centrale par les
terroristes internationaux (nous ne
l’avons pas oublié). C’est seulement
après que des attaques terroristes
horribles aient été commises sur le sol
américain lui-même que les États-Unis
ont pris conscience de la menace
collective du terrorisme. Permettez-moi
de vous rappeler que nous avons été le
premier pays à soutenir le peuple
américain à l’époque, le premier à
réagir comme des amis et partenaires
après la terrible tragédie du 11
Septembre.
Au cours de mes conversations avec les
dirigeants américains et européens, je
parlais toujours de la nécessité de
lutter ensemble contre le terrorisme, de
le considérer comme un défi à l’échelle
mondiale. Nous ne pouvons pas nous
résigner et accepter cette menace, nous
ne pouvons pas la couper en morceaux
séparés à l’aide du deux poids deux
mesures. Nos partenaires ont exprimé
leur accord, mais après quelques temps,
nous nous sommes retrouvés au point de
départ. Ce fut d’abord l’opération
militaire en Irak, puis en Libye, qui a
été poussée au bord du gouffre. Pourquoi
la Libye a-t-elle été réduite à cette
situation ? Aujourd’hui, c’est un pays
en danger de démantèlement et qui est
devenu un terrain d’entraînement pour
les terroristes.
Seule la détermination et la sagesse de
la direction égyptienne actuelle a sauvé
ce pays arabe clé du chaos et de
l’emprise des terroristes. En Syrie,
comme par le passé, les États-Unis et
leurs alliés ont commencé à financer et
armer directement les rebelles et leur
ont permis de remplir leurs rangs de
mercenaires provenant de divers pays.
Permettez-moi de vous demander où ces
rebelles obtiennent leur argent, leurs
armes et leurs spécialistes militaires ?
D’où tout cela vient-il ? Comment l’Etat
Islamique notoire a-t-il réussi à
devenir un groupe aussi puissant, de
fait une véritable force armée ?
Quant aux sources de financement,
aujourd’hui, l’argent ne vient plus
seulement de la drogue, dont la
production a augmenté non pas de
quelques points de pourcentage mais dans
des proportions considérables depuis que
les forces de la coalition
internationale sont intervenues en
Afghanistan. Vous êtes au courant de
cela. Les terroristes obtiennent
également de l’argent en vendant du
pétrole. Le pétrole est produit dans le
territoire contrôlé par les terroristes,
qui le vendent à des prix de dumping, le
produisent et le transportent. Mais
d’autres achètent ce pétrole, le
revendent, et font du profit, sans
penser au fait qu’ils financent ainsi
les terroristes qui pourraient venir tôt
ou tard sur leur propre sol et semer la
destruction dans leur propre pays.
Où trouvent-ils les nouvelles recrues ?
En Irak, après que Saddam Hussein ait
été renversé, les institutions de
l’État, y compris l’armée, ont été
laissés en ruines. Nous avons dit, à
l’époque, soyez très, très prudents.
Vous mettez les gens à la rue, et que
vont-ils y faire ? N’oubliez pas que
légitimement ou non, ils faisaient
partie de la direction d’une grande
puissance régionale, et en quoi est-ce
que vous les transformez maintenant ?
Quel fut le résultat ? Des dizaines de
milliers de soldats, d’officiers et
d’anciens militants du parti Baas se
sont retrouvé à la rue et ont
aujourd’hui rejoint les rangs des
rebelles. Peut-être cela explique-t-il
pourquoi l’Etat islamique s’est avéré si
efficace. En termes militaires, il agit
très efficacement et il a certains
cadres très compétents. La Russie a mis
en garde à plusieurs reprises sur les
dangers des actions militaires
unilatérales, des interventions dans les
affaires des Etats souverains, et des
flirts avec les extrémistes et les
radicaux. Nous avons insisté pour que
les groupes luttant contre le
gouvernement syrien central, surtout
l’Etat islamique, soient inscrits sur
les listes des organisations
terroristes. Mais avons-nous vu le
moindre résultat ? Nous avons lancé des
appels en vain.
Nous avons parfois l’impression que nos
collègues et amis sont constamment aux
prises avec les conséquences de leurs
propres politiques, et qu’ils dépensent
tous leurs efforts dans le traitement
des risques qu’ils ont eux-mêmes créés,
en payant un prix de plus en plus élevé.
Chers collègues,
Cette période de domination unipolaire a
démontré de manière convaincante que le
fait d’avoir un seul centre de pouvoir
ne rend pas les processus mondiaux plus
faciles à gérer. Au contraire, ce type
de construction instable a montré son
incapacité à lutter contre les menaces
réelles telles que les conflits
régionaux, le terrorisme, le trafic de
drogue, le fanatisme religieux, le
chauvinisme et le néo-nazisme. Dans le
même temps, il a ouvert une large voie
aux fiertés nationales exacerbées, à la
manipulation de l’opinion publique et à
la brutalisation et à l’oppression des
faibles par les forts.
Essentiellement, le monde unipolaire est
tout simplement un moyen de justifier la
dictature sur les individus et les
nations. Le monde unipolaire s’est avéré
un fardeau trop rude, trop lourd et trop
ingérable même pour son chef auto-proclamé. Des commentaires ont été
faits dans ce sens juste avant mon
intervention, et je suis entièrement
d’accord avec eux. Voilà pourquoi nous
voyons, en cette nouvelle étape de
l’histoire, des tentatives de recréer un
semblant de monde quasi-bipolaire en
tant que modèle commode pour perpétuer
le leadership américain. Peu importe qui
prend la place du centre du mal dans la
propagande américaine, peu importe qui
remplace l’ex-l’URSS en tant que
principal adversaire. Cela pourrait être
l’Iran, en tant que pays qui cherche à
acquérir la technologie nucléaire, la
Chine, en tant que plus grande économie
mondiale, ou la Russie, en tant que
superpuissance nucléaire.
Aujourd’hui, nous assistons à de
nouveaux efforts pour fragmenter le
monde, dessiner de nouvelles lignes de
clivage, réunir des coalitions qui ne
sont pas façonnées pour quelque chose
mais dirigées contre quelqu’un, qui que
ce soit, pour créer l’image d’un ennemi
comme ce fut le cas pendant les années
de Guerre Froide, et s’emparer du droit
à ce leadership, ou diktat si vous
préférez. La situation était présentée
de cette façon au cours de la Guerre
Froide. Nous savons tous cela et nous le
comprenons bien. Les Etats-Unis ont
toujours dit à leurs alliés : « Nous
avons un ennemi commun, un ennemi
terrible, le centre du mal, et nous vous
protégeons, vous nos alliés, de cet
ennemi, et nous avons donc le droit de
vous donner des ordres, de vous forcer à
sacrifier vos intérêts politiques et
économiques et à payer votre quote-part
des coûts de cette défense collective,
mais nous serons les responsables de
tout cela bien sûr. » En bref, nous
voyons aujourd’hui des tentatives, dans
un monde nouveau et changeant, de
reproduire les modèles familiers de la
gestion globale, et tout cela de manière
à garantir aux États-Unis leur situation
exceptionnelle et à récolter des
dividendes politiques et économiques.
Mais ces tentatives sont de plus en plus
déconnectées de la réalité et sont en
contradiction avec la diversité du
monde. Des mesures de ce genre créent
inévitablement des confrontations et
provoquent des contre-mesures, et ont
pour résultat l’effet inverse de ce qui
était souhaité. Nous voyons ce qui se
passe quand la politique commence
imprudemment à s’ingérer dans l’économie
et que la logique des décisions
rationnelles cède la place à la logique
de confrontation, qui ne fait que nuire
aux propres positions et intérêts
économiques des pays en question, y
compris les intérêts des entreprises
nationales.
Les projets économiques communs et les
investissements mutuels rapprochent
objectivement les pays et contribuent à
aplanir les problèmes actuels dans les
relations entre Etats. Mais aujourd’hui,
la communauté mondiale des affaires fait
face à des pressions sans précédent de
la part des gouvernements occidentaux.
De quelles affaires, de quelles
opportunités économiques ou de quel
pragmatisme peut-on encore parler
lorsque nous entendons des slogans tels
que « la patrie est en danger », « le
monde libre est menacé », et « la
démocratie est en péril » ? Et tout le
monde doit alors se mobiliser. Voilà à
quoi ressemble une vraie politique de
mobilisation.
Les sanctions sapent déjà les fondements
du commerce mondial, les règles de l’OMC
et le principe de l’inviolabilité de la
propriété privée. Ils portent un coup
dangereux au modèle libéral de la
mondialisation fondé sur les marchés, la
liberté et la concurrence, qui,
permettez-moi de le souligner, est
précisément un modèle qui a avant tout
bénéficié aux pays occidentaux. Et
maintenant, ils risquent de perdre la
confiance en tant que gouvernants de la
mondialisation. Nous devons nous
demander, pourquoi était-ce nécessaire ?
Après tout, la prospérité des États-Unis
repose en grande partie sur la confiance
des investisseurs et des détenteurs
étrangers de dollars et de valeurs
mobilières étasuniennes. Cette confiance
est clairement mise à mal et des signes
de désillusion quant aux fruits de la
mondialisation sont maintenant visibles
dans de nombreux pays.
Le précédent bien connu de Chypre et les
sanctions pour des motifs politiques
n’ont fait que renforcer la tendance à
chercher à renforcer la souveraineté
économique et financière et la volonté
des pays ou de leurs groupes régionaux
de trouver des moyens de se protéger
contre les risques de pressions
extérieures. Nous voyons déjà que de
plus en plus de pays cherchent des
moyens de devenir moins dépendants du
dollar et mettent en place des systèmes
financiers, de paiement et des monnaies
de réserve alternatifs. Je pense que nos
amis américains sont tout simplement en
train de scier la branche sur laquelle
ils sont assis. On ne peut pas mélanger
la politique et l’économie, mais c’est
ce qui se passe maintenant. J’ai
toujours pensé et je pense encore
aujourd’hui que les sanctions pour des
motifs politiques sont une erreur qui
nuira à tous, mais je suis sûr que nous
reviendrons sur ce point.
Nous savons comment ces décisions ont
été prises et qui exerçait les
pressions. Mais permettez-moi de
souligner que la Russie ne va pas perdre
son calme, s’offenser ou venir mendier à
la porte de quiconque. La Russie est un
pays auto-suffisant. Nous allons
travailler au sein de l’environnement
économique international qui a pris
forme, développer la production et la
technologie nationales et agir de façon
plus décisive pour mener à bien notre
transformation. Les pressions de
l’extérieur, comme cela a été le cas à
plusieurs reprises par le passé, ne
feront que consolider notre société,
nous maintenir en éveil et nous amener à
nous concentrer sur nos principaux
objectifs de développement.
Bien sûr, les sanctions constituent un
obstacle. Ils essaient de nous affaiblir
par ces sanctions, d’entraver notre
développement et de nous pousser à
l’isolement politique, économique et
culturel, en d’autres termes nous forcer
à prendre du retard. Mais permettez-moi
de rappeler encore une fois que le monde
est un endroit très différent
aujourd’hui. Nous n’avons pas
l’intention de nous isoler de quiconque
ou de choisir une sorte de voie de
développement fermée, en essayant de
vivre en autarcie. Nous sommes toujours
ouverts au dialogue, y compris au sujet
de la normalisation de nos relations
économiques et politiques. Nous comptons
ici sur l’approche et la position
pragmatiques des milieux d’affaires dans
les principaux pays.
Certains disent aujourd’hui que la
Russie tournerait le dos à l’Europe – de
tels propos ont probablement été tenus
ici aussi lors des discussions – et
rechercherait de nouveaux partenaires
commerciaux, surtout en Asie.
Permettez-moi de dire que ce n’est
absolument pas le cas. Notre politique
active dans la région Asie-Pacifique n’a
pas commencé d’hier, et non en réponse
aux sanctions, mais c’est une politique
que nous suivons depuis maintenant un
bon nombre d’années. Comme beaucoup
d’autres pays, y compris les pays
occidentaux, nous avons vu que l’Asie
joue un rôle de plus en plus important
dans le monde, dans l’économie et dans
la politique, et nous ne pouvons tout
simplement pas nous permettre d’ignorer
ces développements.
Permettez-moi de dire encore une fois
que tout le monde agit ainsi, et nous
allons le faire nous aussi, d’autant
plus qu’une grande partie de notre pays
est géographiquement en Asie. Au nom de
quoi devrions-nous ne pas faire usage de
nos avantages concurrentiels dans ce
domaine ? Ce serait faire preuve d’une
vue extrêmement courte que de ne pas le
faire.
Le développement des relations
économiques avec ces pays et la
réalisation de projets d’intégration
communs créent aussi de grandes
incitations pour notre développement
national. Les tendances démographiques,
économiques et culturelles actuelles
suggèrent que la dépendance à une seule
superpuissance va objectivement
diminuer. C’est une chose que les
experts européens et américains ont
également évoqué dans leurs réunions et
travaux.
Peut-être que l’évolution de la
politique internationale sera le reflet
de l’évolution que nous constatons dans
l’économie mondiale, à savoir la
concurrence intensive pour des niches
spécifiques et des changements fréquents
de dirigeants dans des domaines précis.
Ceci est tout à fait possible.
Il ne fait aucun doute que des facteurs
humanitaires tels que l’éducation, la
science, la santé et la culture jouent
un rôle plus important dans la
concurrence mondiale. Cela a également
un impact important sur les relations
internationales, y compris parce que
cette ressource douce (soft power)
dépendra dans une large mesure des
réalisations concrètes dans le
développement du capital humain plutôt
que des trucages sophistiqués de la
propagande.
Dans le même temps, la formation d’un
soi-disant monde polycentrique (je
voudrais également attirer l’attention
sur cela, chers collègues), en soi et
d’elle-même, n’améliore pas la stabilité
; de fait, il est plus probable que ce
soit l’inverse. L’objectif d’atteindre
l’équilibre mondial est en train de
devenir un casse-tête assez difficile,
une équation à plusieurs inconnues.
Qu’est-ce que l’avenir nous réserve
donc, si nous choisissons de ne pas
respecter les règles – même si elles
peuvent être strictes et peu pratiques –
mais plutôt de vivre sans règles du tout
? Et ce scénario est tout à fait
possible ; nous ne pouvons pas
l’exclure, compte tenu des tensions dans
la situation internationale. Beaucoup de
prédictions peuvent déjà être faites, en
tenant compte des tendances actuelles,
et malheureusement, elles ne sont pas
optimistes. Si nous ne créons pas un
système clair d’engagements et d’accords
mutuels, si nous ne construisons pas les
mécanismes de gestion et de résolution
des situations de crise, les symptômes
de l’anarchie mondiale vont
inévitablement s’accroître.
Aujourd’hui, nous voyons déjà une forte
augmentation de la probabilité de tout
un ensemble de conflits violents avec la
participation directe ou indirecte des
plus grandes puissances mondiales. Et
les facteurs de risque comprennent non
seulement les conflits multinationaux
traditionnels, mais aussi l’instabilité
interne dans différents États, surtout
quand on parle de nations situées aux
intersections des intérêts géopolitiques
des grandes puissances, ou à la
frontière de continents civilisationnels,
culturels, historiques et économiques.
L’Ukraine, qui j’en suis sûr a été
longuement évoquée et dont nous
parlerons encore, est l’un des exemples
de ces sortes de conflits qui affectent
l’équilibre international des
puissances, et je pense que ce ne sera
certainement pas le dernier. De là émane
la prochaine menace réelle de détruire
le système actuel d’accords de contrôle
des armements. Et ce processus dangereux
a été initié par les Etats-Unis
d’Amérique quand ils se sont
unilatéralement retirés du Traité sur
les missiles anti-balistiques (ABM) en
2002, puis se sont lancés dans la
création de leur système global de
défense antimissile et poursuivent
aujourd’hui activement ce processus.
Chers collègues et amis,
Je tiens à souligner que nous ne
sommes pas à l’origine de tout cela. Une
fois de plus, nous glissons vers des
temps où, au lieu de l’équilibre des
intérêts et des garanties mutuelles, ce
sera la peur et l’équilibre de la
destruction mutuelle qui empêcheront les
nations de se livrer à un conflit
direct. En l’absence d’instruments
juridiques et politiques, les armes
deviennent encore une fois le point
focal de l’ordre du jour mondial ; elles
sont utilisées n’importe où et n’importe
comment, sans la moindre sanction du
Conseil de sécurité de l’ONU. Et si le
Conseil de sécurité refuse de rendre de
tels arrêts, alors on le condamne
immédiatement comme un instrument
dépassé et inefficace.
De nombreux États ne voient pas d’autres
moyens d’assurer leur souveraineté qu’en
obtenant leurs propres bombes. Cela est
extrêmement dangereux. Nous insistons
sur la nécessité de poursuivre les
négociations ; nous ne sommes pas
seulement en faveur de pourparlers, mais
nous insistons sur la nécessité de
poursuivre les pourparlers de réduction
des arsenaux nucléaires. Moins nous
aurons d’armes nucléaires dans le monde,
mieux ce sera. Et nous sommes prêts à
mener les discussions les plus sérieuses
et les plus concrètes sur le désarmement
nucléaire – mais seulement des
discussions sérieuses sans aucun deux
poids, deux mesures.
Qu’est-ce que je veux dire par là ?
Aujourd’hui, de nombreux types d’armes
de haute précision sont déjà
assimilables à des armes de destruction
massive en termes de capacité, et en cas
de renonciation complète aux armes
nucléaires ou de réduction radicale du
potentiel nucléaire, les nations qui
sont des leaders dans la création et la
production de systèmes de haute
précision auront un net avantage
militaire. La parité stratégique sera
perturbée, ce qui est susceptible
d’entraîner de la déstabilisation. Le
recours à une soi-disant première frappe
préventive globale peut devenir tentant.
En bref, les risques ne diminuent pas,
mais s’intensifient.
La prochaine menace évidente est
l’escalade plus avant de conflits
ethniques, religieux et sociaux. De tels
conflits sont dangereux non seulement en
tant que tels, mais aussi parce qu’ils
créent des zones d’anarchie, d’absence
total de lois et de chaos autour d’eux,
des lieux qui sont commodes pour les
terroristes et les criminels, et où la
piraterie, le trafic d’êtres humains et
le trafic de drogue sont florissants.
D’ailleurs, nos collègues ont alors
essayé de contrôler plus ou moins ces
processus, d’exploiter les conflits
régionaux et de concevoir des «
révolutions colorées » en fonction de
leurs intérêts, mais le génie s’est
échappé de la lampe. Il semble que les
pères de la théorie du chaos contrôlé
eux-mêmes ne sachent plus quoi en faire
; il y a confusion dans leurs rangs.
Nous suivons de près les discussions à
la fois au sein de l’élite dirigeante et
de la communauté des experts. Il suffit
de regarder les gros titres de la presse
occidentale de l’année dernière. Les
mêmes personnes sont appelées des
combattants pour la démocratie, puis des
islamistes ; d’abord, ils parlent de
révolutions puis ils parlent d’émeutes
et de soulèvements. Le résultat est
évident : la propagation du chaos
mondial.
Chers collègues,
Compte tenu de la situation mondiale,
il est temps de commencer à se mettre
d’accord sur des choses fondamentales.
Ceci est d’une importance et d’une
nécessité extrêmes ; cela vaudrait
beaucoup mieux que de se retirer dans
nos propres retranchements. Plus nous
faisons face à des problèmes communs,
plus nous nous trouvons dans le même
bateau, pour ainsi dire. Et la manière
sensée de trouver une issue réside dans
la coopération entre les nations, les
sociétés, dans le fait de trouver des
réponses collectives aux défis
croissants, et dans la gestion commune
des risques. Certes, certains de nos
partenaires, pour des raisons bien à
eux, ne se remémorent cela que lorsque
c’est dans leurs intérêts.
L’expérience pratique montre que les
réponses communes aux défis ne sont pas
toujours une panacée, et il faut que
nous comprenions cela. En outre, dans la
plupart des cas, elles sont difficiles à
atteindre : il n’est pas facile de
surmonter les différences dans les
intérêts nationaux et la subjectivité de
différentes approches, en particulier
lorsqu’il s’agit de pays ayant des
traditions culturelles et historiques
différentes. Mais néanmoins, nous avons
des exemples où, ayant des objectifs
communs et agissant sur la base des
mêmes critères, nous avons obtenu
collectivement un réel succès.
Permettez-moi de vous rappeler la
résolution du problème des armes
chimiques en Syrie, et le dialogue de
fond conséquent sur le programme
nucléaire iranien, ainsi que notre
travail sur les questions
nord-coréennes, qui ont aussi connu des
résultats positifs. Pourquoi ne
pouvons-nous pas utiliser cette
expérience à l’avenir pour relever les
défis locaux et mondiaux ?
Quelle pourrait être la base juridique,
politique, et économique pour un nouvel
ordre mondial qui permettrait la
stabilité et la sécurité, tout en
encourageant une saine concurrence, et
en ne permettant pas la formation de
nouveaux monopoles qui entravent le
développement ? Il est peu probable que
quiconque puisse proposer dès à présent
des solutions absolument exhaustives et
prêtes à l’emploi. Nous aurons besoin de
beaucoup de travail et de la
participation d’un large éventail de
gouvernements, d’entreprises mondiales,
de la société civile, et de
plates-formes d’experts telles que
celle-ci.
Cependant, il est évident que les succès
et les résultats réels ne sont possibles
que si les participants clés des
affaires internationales peuvent se
mettre d’accord sur l’harmonisation des
intérêts de base, sur le fait de
s’imposer des limites raisonnables, et
de donner l’exemple d’un leadership
positif et responsable. Nous devons
identifier clairement où se terminent
les actions unilatérales et nous avons
besoin de mettre en œuvre des mécanismes
multilatéraux. Et dans le cadre de
l’amélioration de l’efficacité du droit
international, nous devons résoudre le
dilemme entre les actions de la
communauté internationale visant à
assurer la sécurité et les droits de
l’homme, et le principe de la
souveraineté nationale et de la
non-ingérence dans les affaires
intérieures d’un État, quel qu’il soit.
Ces collisions mêmes conduisent de plus
en plus à une interférence extérieure
arbitraire dans des processus internes
complexes, et encore et encore, ils
provoquent des conflits dangereux entre
les principaux acteurs mondiaux. La
question de la préservation de la
souveraineté devient presque primordiale
dans le maintien et le renforcement de
la stabilité mondiale.
De toute évidence, discuter des critères
de l’utilisation de la force extérieure
est extrêmement difficile. Il est
pratiquement impossible de la séparer
des intérêts des nations particulières.
Cependant, il est beaucoup plus
dangereux de rester dans une situation
où il n’y a pas d’accords qui soient
clairs pour tout le monde, et où des
conditions claires pour l’ingérence
nécessaire et légale ne sont pas fixées.
J’ajouterais que les relations
internationales doivent être basées sur
le droit international, qui lui-même
doit reposer sur des principes moraux
tels que la justice, l’égalité et la
vérité. Peut-être le plus important
est-il le respect de ses partenaires et
de leurs intérêts. C’est une formule
évidente, mais le fait de la respecter,
tout simplement, pourrait changer
radicalement la situation mondiale.
Je suis certain qu’avec une volonté
réelle, nous pouvons restaurer
l’efficacité du système international et
des institutions régionales. Nous
n’avons même pas besoin de reconstruire
quelque chose de nouveau, à partir de
zéro ; ce n’est pas une « terre vierge
», d’autant plus que les institutions
créées après la Seconde Guerre mondiale
sont relativement universelles et
peuvent être dotées d’un contenu moderne
et adéquat pour gérer la situation
actuelle.
Cela est vrai quant à l’amélioration du
travail de l’ONU, dont le rôle central
est irremplaçable, ainsi que celui de
l’OSCE, qui, durant 40 ans, a démontré
qu’elle était un mécanisme nécessaire
pour assurer la sécurité et la
coopération dans la région
euro-atlantique. Je dois dire que même
aujourd’hui, en essayant de résoudre la
crise dans le sud-est de l’Ukraine,
l’OSCE joue un rôle très positif.
À la lumière des changements
fondamentaux dans l’environnement
international, l’augmentation des
désordres incontrôlables et des diverses
menaces, nous avons besoin d’un nouveau
consensus mondial des forces
responsables. Il ne s’agit pas de
conclure certaines transactions locales
ou un partage des zones d’influence dans
l’esprit de la diplomatie classique, ni
d’assurer la domination globale et
complète de quiconque. Je pense que nous
avons besoin d’une nouvelle version de
l’interdépendance. Nous ne devrions pas
avoir peur de cela. Au contraire, c’est
un bon instrument pour harmoniser les
positions.
Ceci est particulièrement pertinent
étant donné le renforcement et la
croissance de certaines régions de la
planète, processus qui nécessite
objectivement l’institutionnalisation de
ces nouveaux pôles, par la création de
puissantes organisations régionales et
l’élaboration de règles pour leur
interaction. La coopération entre ces
centres contribuerait sérieusement à la
stabilité de la sécurité, de la
politique et de l’économie mondiales.
Mais afin d’établir un tel dialogue,
nous devons partir du postulat selon
lequel tous les centres régionaux et
projets d’intégration qui se forment
autour d’eux doivent avoir les mêmes
droits au développement, afin qu’ils
puissent se compléter mutuellement et
que personne ne puisse artificiellement
les forcer à entrer en conflit ou en
opposition. De telles actions
destructrices briseraient les liens
entre les Etats, et les Etats eux-mêmes
seraient soumis à des difficultés
extrêmes, voire même à une destruction
totale.
Je voudrais vous rappeler les événements
de l’année dernière. Nous avions prévenu
nos partenaires américains et européens
que les décisions hâtives prises en
coulisses, par exemple, sur
l’association de l’Ukraine avec l’UE,
étaient emplies de risques graves pour
l’économie. Nous n’avons pas même évoqué
les problèmes politiques ; nous n’avons
parlé que de l’économie, en disant que
de telles mesures, mises en place sans
arrangements préalables, nuiraient aux
intérêts de nombreux autres pays, dont
la Russie – en tant que principal
partenaire commercial de l’Ukraine –, et
qu’un large débat sur ces questions
était nécessaire. D’ailleurs, à cet
égard, je vous rappelle que par exemple,
les négociations sur l’adhésion de la
Russie à l’OMC ont duré 19 ans. Ce fut
un travail très difficile, et un certain
consensus a finalement été atteint.
Pourquoi est-ce que je soulève cette
question ? Parce qu’en mettant en œuvre
ce projet d’association avec l’Ukraine,
nos partenaires seraient venus à nous
avec leurs biens et services par la
porte arrière, pour ainsi dire, et nous
n’avons pas donné notre accord pour
cela, personne ne nous a rien demandé à
ce sujet. Nous avons eu des discussions
sur tous les sujets liés à l’association
de l’Ukraine avec l’UE, des discussions
persistantes, mais je tiens à souligner
que notre action a été menée d’une
manière tout à fait civilisée, en
indiquant des problèmes possibles, et en
soulignant les raisonnements et
arguments évidents. Mais personne ne
voulait nous écouter et personne ne
voulait discuter. Ils nous ont
simplement dit : ce ne sont pas vos
affaires, point, fin de la discussion.
Au lieu du dialogue global mais – je le
souligne – civilisé que nous proposions,
ils en sont venus à un renversement de
gouvernement ; ils ont plongé le pays
dans le chaos, dans l’effondrement
économique et social, dans une guerre
civile avec des pertes considérables.
Pourquoi ? Quand je demande à mes
collègues pourquoi, ils n’ont plus de
réponse ; personne ne dit rien. C’est
tout. Tout le monde est désemparé,
disant que ça c’est juste passé comme
ça. Ces actions n’auraient pas dû être
encouragées – cela ne pouvait pas
fonctionner. Après tout (je me suis déjà
exprimé à ce sujet), l’ancien président
ukrainien Viktor Ianoukovitch avait tout
signé, il était d’accord avec tout.
Pourquoi ont-ils fait ça ? Dans quel but
? Est-ce là une manière civilisée de
résoudre les problèmes ? Apparemment,
ceux qui fomentent constamment de
nouvelles « révolutions colorées » se
considèrent comme de « brillants
artistes » et ne peuvent tout simplement
pas s’arrêter.
Je suis certain que le travail des
associations intégrées, la coopération
des structures régionales, doivent être
construits sur une base transparente
et claire ; le processus de formation de
l’Union économique eurasienne est un bon
exemple d’une telle transparence. Les
États qui font partie de ce projet ont
informé leurs partenaires de leurs plans
à l’avance, en précisant les paramètres
de notre association et les principes de
son travail, qui correspondent
pleinement aux règles de l’Organisation
mondiale du commerce.
J’ajouterais que nous aurions également
accueilli favorablement l’initiation
d’un dialogue concret entre l’Eurasie et
l’Union européenne. D’ailleurs, ils nous
ont presque catégoriquement refusé cela,
et il est également difficile d’en
comprendre les raisons. Qu’est-ce qu’il
y a de si effrayant à cela ?
Et bien sûr, avec un tel travail
conjoint, on pourrait penser que nous
devons nous engager dans un dialogue
(j’ai évoqué cela à de nombreuses
reprises et j’ai entendu l’accord de
plusieurs de nos partenaires
occidentaux, du moins en Europe) sur la
nécessité de créer un espace commun pour
la coopération économique et humanitaire
s’étendant depuis l’Atlantique jusqu’à
l’océan Pacifique.
Chers collègues,
La Russie a fait son choix. Nos
priorités sont d’améliorer encore nos
institutions démocratiques et notre
économie ouverte, d’accélérer notre
développement interne, en tenant compte
de toutes les tendances modernes
positives observées dans le monde, et en
consolidant notre société sur la base
des valeurs traditionnelles et du
patriotisme.
Nous avons un agenda pacifique et
positif, tourné vers l’intégration. Nous
travaillons activement avec nos
collègues de l’Union économique
eurasienne, de l’Organisation de
coopération de Shanghai, du BRICS et
avec d’autres partenaires. Ce programme
vise à renforcer les liens entre les
gouvernements, pas à les fragiliser.
Nous ne prévoyons pas de façonner des
blocs ou de participer à un échange de
coups.
Les allégations et déclarations selon
lesquelles la Russie essaie d’établir
une sorte d’empire, empiétant sur la
souveraineté de ses voisins, n’ont aucun
fondement. La Russie n’a pas besoin d’un
quelconque rôle spécial ou exclusif dans
le monde – je tiens à le souligner. Tout
en respectant les intérêts des autres,
nous voulons simplement que nos propres
intérêts soient pris en compte et que
notre position soit respectée.
Nous sommes bien conscients du fait que
le monde est entré dans une ère de
changements et de transformations
globales, dans laquelle nous avons tous
besoin d’un degré particulier de
prudence et de la capacité à éviter
toutes mesures irréfléchies. Dans les
années suivant la guerre froide, les
acteurs politiques mondiaux ont en
quelque sorte perdu ces qualités.
Maintenant, nous devons nous les
rappeler. Sinon, les espoirs d’un
développement stable et pacifique seront
une illusion dangereuse, tandis que la
crise d’aujourd’hui servira simplement
de prélude à l’effondrement de l’ordre
mondial.
Oui, bien sûr, j’ai déjà souligné que la
construction d’un ordre mondial plus
stable est une tâche difficile. Nous
parlons d’une tâche longue et difficile.
Nous avons réussi à élaborer des règles
pour l’interaction après la Seconde
Guerre mondiale, et nous avons pu
parvenir à un accord à Helsinki dans les
années 1970. Notre devoir commun est de
résoudre ce défi fondamental à cette
nouvelle étape du développement.
Je vous remercie vivement pour votre
attention.
Traduction :
http://www.sayed7asan.blogspot.fr
Contact : 7asan.saleh [at] gmail.com
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