http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3150777,00.html
Yediot Aharonot, 4 octobre 2005
Trad. : Gérard pour LPM
Cela peut paraître banal, mais c'est un fait : l'atout le plus précieux
d'Ariel Sharon est son manque de crédibilité. Depuis 50 ans pour
le moins, depuis l'époque où David Ben-Gourion écrivait qu'il
(Sharon) aurait pu faire un excellent officier s'il avait pris
l'habitude de dire la vérité, Sharon s'est bâti une image de
bulldozer cynique qui fait ce dont il a envie et qui ment sans un
battement de cil, à ses amis comme à ses ennemis.
Par le passé, cette image a joué négativement sur la carrière de
Sharon, car elle en faisait un personnage qui ne pourrait jamais
parvenir à occuper un poste important d'où il pourrait dicter sa
politique. Mais aujourd'hui, il me semble que si un ange venu du
ciel lui proposait de se débarrasser de cette image et d'en faire
quelqu'un de digne de confiance, le Premier ministre ferait tout
pour que cela n'arrive pas.
Le retrait de Gaza n'était pas le plan de Sharon. Il a été élu
deux fois au poste de Premier ministre, et ce n'est qu'après un an
de son deuxième mandat qu'il a sorti le plan de désengagement. Il
avait parfaitement compris qu'un retrait de cette nature
renforcerait le Hamas et affaiblirait l'Autorité palestinienne,
mais il choisit d'aller jusqu'au bout, à cause des pressions qu'il
subissait : la Feuille de route lui faisait peur, l'Initiative de
Genève et le bon accueil qu'elle avait reçu en Israël et à l'étranger
le perturbaient, et l'enquête policière autour des affaires de
corruption le concernant, tout cela ne lui laissait pas beaucoup
d'autre choix que de parier sur le désengagement, une décision qui
lui paraissait absurde deux ans plus tôt.
Une fois la décision prise, Sharon fut traité comme le cancre qui
réussit malgré ses mauvaises notes. Si tu faisais un petit effort,
lui disait-on, tu deviendrais Einstein. Le Parti travailliste, qui
ne demandait qu'un prétexte pour revenir au gouvernement, l'acclama
comme un prophète. Le président Bush, dont les performances sur la
scène internationale étaient en chute libre, sauta sur l'occasion
en y voyant son salut. L'Europe vit en Sharon un nouveau de Gaulle.
Le président [égyptien] Hosni Moubarak parvint à la conclusion
que seul Sharon pouvait le faire. Et l'Autorité palestinienne de
Mahmoud Abbas, pour qui le retrait était une gifle en pleine
figure, n'eut d'autre choix que de faire bon accueil au retrait israélien.
Qui est le "vrai" Sharon?
Vous vous rappelez Charlie Chaplin dans les Temps
Modernes, dans une scène; où il ramasse un chiffon rouge
tombé d'un camion, le lève en toute naïveté et devient un leader
socialiste? Voilà Sharon. Il a voulu se débarrasser de quelques
ennuis, gagner du temps, et utiliser le retrait de Gaza comme une
couverture pour développer la colonisation en Cisjordanie.
Pour le moment, puisque beaucoup veulent bien le considérer comme
un homme de paix après son geste limité, il a sans nul doute intérêt
à préserver ce nouveau statut, qui l'a tant surpris et flatté, à
la condition que la préservation de cette image ne lui demande pas
un prix trop élevé. Comment le faire? Il est temps de capitaliser
sur la non-confiance qu'il inspire, en tirer le maximum, en faire un
atout majeur. Il s'est engagé à ne plus faire de concessions
territoriales et à revenir dans le cadre de la Feuille de route (de
laquelle il s'est lui-même dégagé en inventant une "pré-Feuille
de route"), mais seulement si certaines conditions impossibles
à réaliser sont
réunies, comme une guerre civile palestinienne. Mais qui croira
Sharon?
Dans son parti, on dit qu'il a viré à la gauche du parti de gauche
Meretz-Yakhad. Ses proches évoquent d'autres retraits, des accords
partiels et d'autres idées encore, fruits de leur imagination.
Entre temps, Sharon occupe le terrain dans les médias, jure que
personne ne s'exprime en son nom, et insiste pour dire qu'il n'a pas
changé de politique. Ceux qui le croient continueront à se
persuader que le père de la colonisation a une autre facette, qui
le fera choisir la voie d'Ytzhak Rabin. Il n'aura pas investi en
vain pendant 50 ans.
Depuis 50 ans, Sharon essaie de nous tromper. Et maintenant, c'est
nous qui acceptons de nous tromper nous-mêmes. Le Sharon qui
repousse les rendez-vous avec Abbas et qui pose des conditions préalables
à toute décision politique, est le vrai Sharon.
Yossi Beilin est président du parti Meretz-Yakhad. Il est à
l'origine, avec Yasser Abed Rabbo, de l'Initiative de Genève.
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