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Le Liban, une nouvelle Palestine
Willy Beauvallet
En visite
familiale au Liban où réside la famille de mon épouse,
j’assiste en direct et avec douleur aux évènements actuels.
Alors que le pays compte plus de 120 morts au moment où ces
lignes sont écrites, il n’est pas sûr que les Européens aient
bien pris conscience de l’ampleur des destructions et des
meurtres qui sont commis ici depuis plusieurs jours par l’armée
israélienne. Elle fait ainsi payer à l’ensemble des habitants
le rapt de deux soldats israéliens que le Hezbollah comptait échanger
contre une partie des prisonniers arabes croupissant par milliers
dans les prisons de la « seule démocratie du Proche-Orient »
et dont aucun président, aucun premier ministre, aucun député,
en Europe ou aux Etats-Unis, ne s’est encore préoccupé. Aucun
d’eux ne s’est précipité, tout au long de ces années, pour
demander leur « libération immédiate ». Aucun d'eux
ne s'est soucié ce faisant, de désamorcer l'un des fondements de
cette crise et de rétablir un peu la balance. Faire payer aux
Libanais ce rapt et le soutien d’une large partie de la
population à la « résistance », faire payer aux
leaders politiques le fait de n’avoir pas pris le risque, depuis
le départ des Syriens, d’une nouvelle guerre civile pour désarmer
le Hezbollah, leur faire payer l’hésitation qu’ils ont
manifesté à accepter de jouer, ce faisant, ce rôle auquel on a
tenté de réduire l’Autorité Palestinienne, celui d’une
police intérieure au service des intérêts israéliens ou
occidentaux dans la région, ce sont sans doute là les raisons de
cette agression sanglante de l’armée israélienne.
Même si elle prend fin rapidement, il faudra des années
pour effacer les traces des destructions dont cette armée s’est
rendue coupable ces derniers jours. Bien que ces propos ne pèsent
pas lourd face à la désinformation qui domine en Europe dès
qu’il est question du conflit entre Israël et ses voisins, il
faut redire que l’armée israélienne est seule responsable de
cette furie destructrice que rien ne justifiait. S’il a enlevé
deux soldats, le Hezbollah n’a pas porté atteinte à leur vie
et il n’a attaqué les zones civiles israéliennes qu’en réponse
aux bombardements aussi massifs qu’incompréhensibles de
populations civiles au Liban Sud, dans les banlieues Sud de
Beyrouth, à Baalbek et presque partout ailleurs. « Inadmissible »
ou pas, cet enlèvement autorisait-il la destruction d’un pays
entier ? Oui sans doute, quand on considère que les Arabes
"ne comprennent que ça" (chercher la filiation…). Par
ailleurs et quoiqu’on vous en dise ici, je vous assure qu’il
n’y aucune commune mesure entre les roquettes tirées par le
Hezbollah et les puissantes bombes incendiaires des Israéliens
qui s’abattent nuit et jour sur les villes, les immeubles (des
bombes incendiaires pour plus de « dégâts »), les
ponts, les usines. Au demeurant, on n’a toujours pas entendu
dire que l’armée de la Honte avait réussi à neutraliser des
combattants du Hezbollah. Les civils, apparemment, suffisent. De
préférence musulmans et surtout chiites, mais personne ici
n’est à l’abri. Pas même le Premier Ministre.
Comme en Palestine au même moment, les meurtres de civils,
hommes, femmes, enfants, les meurtres délibérés de familles
entières se multiplient. Ils ont débuté bien avant que les
premiers morts ne se comptent en Israël. Parmi les dizaines de
morts et les centaines de blessés dont de très nombreux enfants,
au moins 3 familles de 7 à 9 personnes ont ainsi été décimées
dans le sud du Liban dès les premières heures de l’opération
en cours et de nouvelles informations de ce type se succèdent régulièrement
sur les TV allumées en permanence. Dans certaines régions du
Sud, les bilans ne sont pas encore connus avec précision, les
informations circulant de plus en plus difficilement entre cette région
et le reste du pays. Nous savons seulement que l’armée israélienne
y a utilisé des bombes au phosphore, que les bombardements sont
continus, que les cibles sont indifférenciées et que tout le
monde est terrorisé. Dans tout le pays, les destructions des
infrastructures civiles sont systématiques. Les routes et
autoroutes, les ponts, les aéroports, les ports mais aussi des réserves
de carburants, des stations services, des centrales électriques,
des barrages électriques, toutes ces infrastructures sont systématiquement
pulvérisées ou mises hors d’usage. Depuis deux jours, ce sont
aussi les casernes de pompiers (à Tyr où des habitants s’étaient
réfugiés), les casernes militaires (à Tripoli), les usines même
alimentaires (l’usine Liban Lait près de Baalbek a été détruite
cette nuit) qui sont prises pour cible. La présence sur les
routes d’une foule de familles, de touristes et de travailleurs
étrangers tentant de fuir le sud vers le nord, ou le Liban lui-même
vers la Syrie n’empêche pas ces routes d’être bombardées et
de nombreuses personnes y ont laissé leur vie. Après que des
tracts largués par l’aviation israélienne aient poussé les
habitants d’un village à le fuir en vue d’une prochaine
attaque, des habitants se sont dirigés vers les locaux des
Nations Unies pour obtenir protection. Après le refus des
« soldats de la paix », ces personnes sont parties sur
les routes, vers le Nord où le bombardement de leur véhicule a
tué 22 personnes et, à nouveau, décimé toute une famille.
En quelques jours, des années de reconstruction physique,
politique et psychologique ont volé en éclat. Alors que le pays,
d’années en années tentait difficilement de se relever de sa
guerre civile, c’est à nouveau l’image du chaos qui envahi
l’écran. Le sentiment terrible que toute cette folie
destructrice n’aura jamais de fin. Que tout sera encore et
toujours à recommencer, à reconstruire pour être à nouveau réduit
en pièce par un Etat sans honneur ni dignité, seulement préoccupé
de maintenir les sociétés voisines dans un sous développement
qui le rassure sur l’illusion de sa propre supériorité et de
sa sécurité. Après la destruction de la Cisjordanie il y a
quelques années, de Gaza aujourd’hui, la puissante armée israélienne
sème à nouveau la mort et la destruction au pays du Cèdre,
toujours sous le regard des dirigeants européens qui ne semblent
craindre qu’une chose : qu’Alain Finkelkraut ne les désigne
comme « antisémites » parce que « trop critique envers
Israël ». Alors que les autres pays du Moyen-orient
semblent sagement attendre que leur tour arrive, les dirigeants
français quant à eux abandonnent les Libanais. S’ils furent
prompts à imposer la fin du protectorat syrien au Liban, ils les
laissent aujourd’hui mourir sous les bombes israéliennes.
Que vont devenir
les nôtres ? C’est la question angoissante que tous ceux
qui ont de la famille ou des amis au Liban se posent maintenant,
en priant Dieu d’épargner leur vie et en pleurant tout ce gâchis,
toute cette dévastation aussi inutile que cruelle. Les dirigeants
israéliens promettent que leur guerre criminelle sera longue. Le
Hezbollah promet des ripostes à la hauteur des crimes commis par
les militaires israéliens. Les hôpitaux sont pleins, les médicaments
manquent, l’Etat, l’armée, les services publics semblent
paralysés et commencent déjà à être directement pris pour
cibles. Le prix des produits alimentaires a
commencé à augmenter. Certaines denrées essentielles
vont bientôt se faire rares. Les ports et les routes étant coupés
ou détruits et le blocus toujours actif, l’approvisionnement
des villes va très rapidement devenir difficile. L’essence ne
va pas tarder à manquer et avec l’essence, l’électricité
puis l’eau potable, ce qui est déjà le cas dans certaines
villes. Après le départ des travailleurs saisonniers, les
agriculteurs ne trouvent plus d’ouvriers pour cueillir les
fruits. Tous les projets de constructions sont arrêtés, les
magasins, les restaurants, les rues sont vides. Beaucoup de
personnes ont cessé de travailler. Le chômage risque maintenant
d’augmenter très rapidement. La faillite menace les nombreuses
personnes qui ont investis ces dernières années dans divers
projets commerciaux. La pauvreté grandissant et l’Etat
s’affaiblissant, on ne peut que craindre que les processus de
replis communautaires et le clientélisme sur lequel ils
s’appuient vont s’accentuer. Ce sont l’ensemble des équilibres
sociaux, politiques et économiques, déjà instables, qui sont
menacés. C'est le chaos qui, plus que jamais, menace aujourd'hui
le Liban.
Détruire pour détruire,
isoler, diviser, désespérer, semer puis entretenir la haine,
appauvrir voir affamer : tandis que les dirigeants américains et
britanniques ont fait de l’Irak un nouveau Liban, les dirigeants
israéliens font aujourd’hui du Liban une nouvelle Palestine,
avec la complicité passive sinon active des dirigeants français
et européens.
Il est 22h00, ce
16 juillet. Les murs tremblement. Aux grondements sourds des
avions répondent les explosions. Elles ont lieu a quelques kilomètres
(Chtura, Baalbek, Saad Nayel, Rayak…), mais le souffle menace de
faire exploser les vitres de la maison. Le père de ma femme
s'amuse de nos airs effrayés et ne semble pas s'inquiéter.
Depuis 30 ans, il en a vu d'autres. On se réfugie dans les coins,
loin des vitres, avec notre pour mettre notre fils de 9 mois. Hady
porte bien son nom. Il semble calme et serein. Avec un air mi-amusé
mi-étonne, il regarde les voisins d'en haut, très agites, venus
se réfugier ici. Avec sa maman, nous lui chantons des chansons et
je le fais rire pour ne pas qu'il s'inquiète. La nuit sera
longue, avec deux ou trois alertes de ce type. Sa jeune tante de
12 ans, en age de comprendre, a peur mais tente de se contenir ses
larmes. Que Dieu les protégent.
Dans quelques
jours sans doute, les services français organiseront notre
sortie. Nous mettrons notre fils a l'abri. Devrons-nous laisser sa
jeune tante seule se réfugier dans les coins de la maison avec
ses parents ? "Seulement les Européens" m'a rétorquée
la personne a l'ambassade.
Quel monde pourri.
Willy
Beauvallet
Zahlé, Liban – 17 juillet 2006
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