Dans 16 jours, est prévu le début de l’évacuation
de 21 colonies de la bande de Gaza et de quatre du nord de la
Cisjordanie. Cela devrait durer trois semaines.
A quoi l’Etat d’Israël ressemblera-t-il le 7
septembre ? Presque personne n’en parle et même n’y
pense. La conscience collective s’y refuse comme si c’était
dans cinq décennies et pas dans seulement cinq semaines.
L’essentiel est de passer cette période du désengagement en
toute sécurité. Qui se préoccupe de ce qui se passera après ?
Mais pour peu que l’on se sente quelque peu
responsable de l’avenir d’Israël, on est bien obligé d’y réfléchir.
La situation dans cinq semaines dépendra, évidemment,
de ce qui se sera passé durant ces cinq semaines. Impossible de
le savoir. Impossible même de l’imaginer.
Il y a plusieurs possibilités largement
divergentes, avec de nombreuses variantes.
Première hypothèse :
l’opération se passe bien. Beaucoup de bruit, de cris, de
bousculades, de menaces de suicide. Sans plus.
Nous avons déjà vu ce scénario une fois, dans
les belles journées de Yamit de 1982. Les colons s’étaient
barricadés sur les toits et en avaient été descendus dans des
cages de fer. Certains d’entre eux s’étaient enfermés dans
un bunker plein d’explosifs et avaient menacé de se faire
exploser, tout cela pour ressortir plus tard, sains et saufs. Un
jeune voyou nommé Tsachi Hanegbi avait escaladé une haute tour
et s’était fait photographier comme un héro à Massada, puis
il est redescendu tranquillement et, plus tard, il est devenu
ministre. Beaucoup de fumée, aucun mort, aucun blessé. Cela peut
aussi arriver cette fois.
Cette éventualité est celle que souhaite Ariel
Sharon, qui dirigeait l’évacuation de Yamit à l’époque.
Plus il y aura de bruit, plus il sera facile pour lui de
convaincre le monde (et Condoleezza Rice) de l’impossibilité
totale d’évacuer les grandes colonies de Cisjordanie.
Deuxième hypothèse :
il y a une résistance sérieuse ; la direction des colons
perd le contrôle ; les soldats et les policiers réagissent
avec colère ; le sang coule. La majorité des Israéliens
s’unit derrière l’armée, qui est partie intégrante du
peuple et considérée par beaucoup comme le saint des saints. La
minorité devient encore plus extrémiste. Le fossé entre les
deux camps devient un abîme de haine.
Troisième hypothèse :
L’opération se grippe en plein milieu. Il est impossible de
mener à bien l’évacuation. Les soldats et les policiers sont
incapables - physiquement ou mentalement - de faire face à la résistance
résolue des colons et de contenir les masses de leurs supporters
qui se déversent dans la zone. Sharon se trouve devant le choix
d’utiliser les armes de toutes sortes - gaz lacrymogènes,
matraques, balles en caoutchouc, balles réelles - ou d’admettre
la défaite. Le gouvernement tombe.
C’est que ce souhaiterait la direction des
colons. Cette éventualité bloquerait toute chance de démanteler
même la plus petite des colonies de Cisjordanie. En pratique,
l’Etat d’Israël capitulerait devant l’Etat des colons.
Il est impossible de deviner ce qui se passera,
parce qu’un pistolet et un fou - un colon fanatisé, un assassin
solitaire comme Yigal Amir, ou un soldat furieux - suffiraient à
mettre le feu aux poudres.
Si l’opération se passe comme prévu, ce sera
un triomphe pour Sharon. Il pourra entamer la nouvelle phase de
son grand dessein.
Le plan n’est pas secret. En fait, il a été
annoncé bien fort par Sharon lui-même et son confident Dov
Weisglass. Ils l’ont fait plus d’une fois, tant en
conversation privée que dans des déclarations publiques.
Le but est d’annexer le plus possible de
territoire avec le moins possible d’Arabes. Cela veut dire
l’annexion à Israël de quelque 58% de la Cisjordanie et la création
d’enclaves autonomes pour les Palestiniens dans leurs villes et
zones rurales à haute densité de population.
Pour réaliser ce plan, Sharon a choisi les méthodes
suivantes :
a/ Eviter toute négociation :
Sharon refuse catégoriquement d’avoir de véritables négociations
avec la direction palestinienne. Il sait que de telles négociations
conduiraient inévitablement au retrait d’Israël derrière une
Ligne Verte légèrement modifiée, qui permettrait, au plus
l’annexion des blocs de colonies proches de la frontière
d’avant 1967. Les négociations doivent donc être évitées
sous n’importe quel prétexte : « Il n’y a personne
avec qui parler », « Mahmoud Abbas est un faible »,
« Nous ne parlerons pas avec lui tant qu’il ne détruira
pas l’infrastructure du terrorisme », et ainsi de suite.
b/ « Unilatéralisme » :
Après le désengagement « unilatéral » de Gaza, Israël
fixera unilatéralement ses frontières selon ses besoins « sécuritaires
et démographiques » tels que définis par lui-même.
D’après les déclarations de Sharon, cela inclura l’annexion
de « zones de sécurité essentielles, les grands blocs de
colonies, et le Grand Jérusalem ». Autrement dit :
toute la vallée du Jourdain et les versants orientaux de la chaîne
de montagne palestinienne centrale ; la zone de Jérusalem,
Maale Adumim et toute la zone entre les deux ; tous les blocs
de colonies et les routes qui les relient entre eux et à Israël.
c/ Application immédiate :
Ceci n’est pas un plan pour un avenir incertain mais un ordre opérationnel
dès aujourd’hui. Il est dès à présent en œuvre avec l’achèvement
de la construction du mur/barrière, la construction de nouvelles
colonies, en particulier dans les zones entre le mur et la Ligne
Verte, et la construction de nouvelles routes.
d/ Démantèlement des colonies
isolées : Les petites colonies situées dans des zones
qui ne doivent pas être annexées doivent être évacuées.
L’annonce de l’intention de les démanteler permettra à
Sharon de se présenter comme un Homme de Paix et d’obtenir
l’accord américain pour son plan. Dans ce but, tout ce qu’il
fera s’accompagnera de vagues déclarations sur l’intention de
parvenir un jour ou l’autre à un règlement permanent avec les
Palestiniens, après qu’ils auront éliminé l’« infrastructure
terroriste » et « intériorisé » les nouvelles
frontières d’Israël.
Sharon espère qu’après la fin du « désengagement »,
il réussira à parvenir à un accord avec les colons sur son
plan. Mais les chances sont minces. Ce sont précisément les
petites colonies à l’intérieur des futures enclaves
palestiniennes que Sharon envisage d’abandonner qui nourrissent
le noyau dur du mouvement des colons et qui sont le centre du
credo nationaliste messianique. Quant aux endroits comme Ophra,
Beth-El, Yitshar, Brakha, Tapuakh et leurs semblables, on ne peut
même pas imaginer leur évacuation, quoi qu’il se passe à Gush
Katif, sans effusion de sang. Le but réel de la lutte des colons
pour Gush Katif est de faire peur à l’opinion et de la
convaincre que toute autre confrontation serait encore pire.
Le plan de Sharon représente un grand danger pour
l’avenir d’Israël. Il est basé sur l’hypothèse que la
paix avec le peuple palestinien, et le monde arabe dans son
ensemble, n’est ni souhaitable ni importante, au regard de la
construction d’un grand Israël aux frontières les plus larges
possibles. Si le plan est appliqué, il conduira à la chute de
l’Autorité palestinienne ; il jettera le peuple
palestinien dans les bras des mouvements islamistes extrémistes
et déclenchera une guerre qui durera de nombreuses années.
Pour l’instant, les forces de paix israéliennes
sont mobilisées sur le désengagement de Gaza et le combat contre
les colons, entre autres en distribuant des rubans bleus. Seule
une petite partie radicale de ces forces continue à se battre
contre le mur, en expliquant son but réel à l’intérieur d’Israël
et à l’étranger et en manifestant sans cesse contre sa
construction. La plupart des forces de paix chantent les louanges
de Sharon. Mais, dès que l’opération sera terminée, le camp
de la paix en entier doit s’unir contre Sharon et son plan.
Les forces de paix doivent commencer sans délai
à se préparer - mentalement et sur le plan pratique - pour ce
moment, quand elles devront utiliser la dynamique du retrait de
Gaza pour parvenir au retrait de tous les territoires
palestiniens. En d’autres termes : transformer la lutte
contre les colonies de Gush Katif en une lutte contre toutes les
colonies qui se trouvent en travers de la voie de la paix avec les
Palestiniens.
Ce ne sera pas facile. Après l’assassinat de
Yitzhak Rabin, les colons et leurs partisans, visant à contrôler
la situation, ont commencé une campagne bien orchestrée de
« réconciliation ». Cela peut de nouveau se produire.
Ils déclareront qu’après que les colons auront été « chassés
de leurs maisons » et que les gens auront été déchirés,
l’ordre du jour doit être de rassembler pour « réparer
les dégâts ». Ils trouveront facilement des gogos de
gauche qui tomberont à nouveau dans le panneau. Le but réel
sera, bien sûr, d’empêcher le démantèlement des colonies de
Cisjordanie.
D’ailleurs, Ehud Olmert, un politicard du Likoud
et porte-bouclier de Sharon, a donné dès hier le coup d’envoi
de cette campagne. Il a déclaré que, tout de suite après le désengagement,
le pays devra se mobiliser entièrement sur deux objectifs :
réconciliation intérieure et solution des problèmes sociaux. La
paix ? Oubliée !
Alors que nous sommes occupés par un combat, il
nous est difficile de porter notre attention au suivant et de
s’y préparer. Mais nous devons le faire. Le moment de vérité
s’approche rapidement - et dans cinq courtes semaines il sera là.
Article publié en hébreu et en anglais sur le site de Gush
Shalom le 30 juillet 2005. Traduit de l’anglais « The
Moment of Truth : RM/SW