Site d'information sur le conflit israélo-palestinien

 

Palestine - Solidarité

 

Retour :  Sommaire Avnery  -  Accueil  -  Analyses  -  Ressources  -  Mises à jour



Qui est coupable ? La victime, bien sûr

Uri Avnery

 



Ceux qui ont écouté la radio samedi dernier ont entendu une nouvelle étonnante : que Muhammad Abou-Ter et Uri Avnery s’étaient barricadés ensemble dans une habitation privée à a-Ram.

Le seul fait que ces deux-là - le numéro 2 du Hamas et l’Israélien de gauche bien connu - aient été ensemble était déjà assez choquant. Mais le fait qu’ils aient investi la maison d’une famille palestinienne innocente et s’y soient barricadés, comme des criminels fuyant la police, était encore plus ahurissant.

Cette fausse information ne mériterait peut-être pas d’être mentionnée, si elle n’était typique de la façon dont les médias non seulement ont couvert cette manifestation particulière mais couvrent toutes les manifestations communes des militants de la paix israéliens et palestiniens. Plus encore, elle met en lumière la relation étroite qui existe entre les médias israéliens et le régime d’occupation. Sans cette relation, l’occupation n’aurait sans doute pas pu se poursuivre pendant 39 ans comme c’est le cas.

Il vaut donc la peine d’analyser les événements en détail.

TOUT D’ABORD, le contexte. A-Ram (c’est ainsi qu’on prononce le nom bien que sa forme écrite soit al-Ram) était un petit village au nord de Jérusalem sur la route de Ramallah. Depuis l’« unification » de Jérusalem en 1967, le village s’est beaucoup développé. La raison : alors que la population palestinienne double tous les 18 ans environ, il est quasi impossible d’obtenir un permis de construire à Jérusalem-Est. Faute d’alternative, beaucoup de Jérusalémites de l’Est arabes construisent des maisons pour leur famille qui s’accroît dans les villages environnants. A-Ram est en fait devenu une ville, mais la plupart de ses 50.000 habitants ont des cartes d’identité de Jérusalem (c’est-à-dire israéliennes) et leur vie dépend de Jérusalem. Leur travail, les services de santé et les universités s’y trouvent. Cependant, officiellement, la ville fait partie des territoires occupés.

Quand il a été décidé de construire le mur de séparation autour de Jérusalem, l’idée était de couper a-Ram de la ville. Le pire est que le Mur passe en plein milieu de la rue principale - si bien qu’il ne sépare pas les Palestiniens des Israéliens, mais surtout les Palestiniens des Palestiniens.

Pour se faire une idée, c’est comme si un mur avait été construit au milieu de Broadway, depuis la 42e rue jusqu’à Harlem. Ou au milieu des Champs-Elysées, de la Place de la Concorde à l’Arc de Triomphe. Ou à Berlin, dans le milieu de Kurfuerstendamm, depuis l’Eglise du Souvenir jusqu’à Messegelaende. Les deux parties de la ville et de ses environs seraient séparées par un mur haut de 9 mètres.

Alors que le Mur n’en était encore qu’à l’état de projet, les habitants ont organisé un certain nombre de manifestations non violentes. Les militants pacifistes israéliens y ont été invités et y sont venus. Mais pendant ce temps, le mur monstrueux est devenu réalité. Il coupe les détenteurs de cartes d’identité israéliennes de la ville où se trouvent leurs affaires et leur lieu de travail. Il coupe les élèves de leurs écoles, qui ne sont qu’à 100 mètres de l’autre côté du Mur. Sans parler des étudiants qui sont séparés de leurs universités ; les malades séparés de leurs hôpitaux ; même les morts séparés de leurs cimetières.

Maintenant le Mur est presque achevé. Il est encore en discussion à la Cour suprême, mais l’expérience montre que c’est sans espoir. On peut encore atteindre la ville en passant par un barrage de l’armée, mais même cette trouée est sur le point d’être colmatée : le Mur obturera ce point de passage également. Par ailleurs, à certains endroits, il y a encore une haute clôture au lieu de la structure en dur, en attendant la conclusion des procès devant la Cour.

Pour protester, un grand événement israélo-palestinien a été programmé. Ce devait être une marche dans la rue principale, le long du Mur (du côté palestinien, bien sûr) partant du centre de la ville jusqu’à une tribune improvisée où des discours seraient prononcés.

Trois réunions préparatoires ont arrêté les détails de la manifestation. Pour souligner le caractère non violent de l’événement, il a été décidé que les élèves séparés de leurs écoles marcheraient en tête dans leurs uniformes d’écoliers, leur cartables sur le dos, accompagnés de leurs professeurs. Un parcours de repli avait aussi été prévu pour le cas où il y aurait un danger de confrontation avec l’armée.

QUAND NOUS - environ 300 militants israéliens de plusieurs mouvements pacifistes - approchions d’a-Ram, nous avons été informés que d’importantes forces attendaient au barrage pour bloquer notre passage. Les contournant, nous avons atteint le Mur du côté « israélien ». A cet endroit il y a une haute clôture au lieu de la structure en dur. Nous l’avons franchie et de nombreux manifestants ont réussi à passer du côté « palestinien » jusqu’à a-Ram, avant que l’armée, surprise par notre tactique, ait réussi à envoyer des renforts.

Pendant ce temps, de son côté, la manifestation palestinienne avait déjà commencé exactement comme prévu : à sa tête, un groupe de scouts joueurs de tambour avec leurs drapeaux, puis les enfants des petites classes devant les autres écoliers par ordre d’âge, ensuite la manifestation principale, avec posters et drapeaux, conduite par un groupe de dirigeants de tous les partis palestiniens. Les militants israéliens se mêlaient aux Palestiniens pour montrer leur solidarité et j’ai été invité à rejoindre le groupe de tête.

C’est ainsi que je me suis trouvé marchant entre Abou-Ter, le dirigeant du Hamas devenu célèbre en Israël - et pas seulement à cause de sa flamboyante barbe rousse - et le ministre palestinien des Affaires de Jérusalem, Abou Arafeh, également membre du Hamas. Près d’eux se trouvaient les dirigeants du Fatah, du Front populaire, du Front démocratique et du Parti du peuple (ex communiste). Nous marchions bras dessus bras dessous, et il semblait que la manifestation se déroulerait pacifiquement. C’est alors que, soudain, nous avons vu que la route devant nous était bloquée par un contingent important de soldats et de policiers qui nous attendaient - des rangées de soldats lourdement armés de la tête au pied, précédés de la police montée et suivis des Humvees de l’armée (nouvelle sorte de jeeps utilisées par l’armée pour les actions - ndt).

La préoccupation première était la sécurité des enfants. Leurs enseignants les ont conduits dans une rue adjacente, et nous avons continué à marcher lentement en direction de la tribune. Rien ne pouvait être moins menaçant que la vue de cette rangée de notables marchant bras dessus bras dessous.

SUR CE qui s’est alors passé, je peux témoigner comme témoin oculaire et je suis prêt à être soumis à n’importe quel détecteur de mensonges.

Alors que nous étions à environ 50 mètres de la concentration de soldats et de chevaux dans la rue principale de a-Ram, une voix provenant d’un mégaphone a annoncé que le lieu avait été déclaré « zone militaire fermée » et que notre manifestation était illégale. Alors que nous étions debout face aux soldats, une énorme salve de gaz lacrymogènes nous est tombée dessus. Il n’y avait eu auparavant aucune provocation.

Des nuages de gaz ont jailli entre nous, devant et derrière. Avec en plus des salves de grenades assourdissantes, c’est devenu infernal ; nous nous sommes donc échappés vers les maisons avoisinantes. Je suis entré dans la plus proche et je me suis trouvé en compagnie de Abou Ter, qui m’a traité avec une grande amitié. Nos yeux étaient brûlés et larmoyants et nous ne pouvions pas beaucoup parler, mais nous avons décidé d’avoir prochainement une vraie conversation.

Quand le gaz s’est dispersé, nous sommes sortis pour rejoindre la manifestation qui se poursuivait. Des groupes de militants se reformaient sur la route, encore et encore ; les policiers et les soldats nous attaquaient sans relâche avec des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes, surgissant devant nous par vagues - c’était des soldats armés bien protégés, des Humvees et des policiers à cheval (ces derniers portant des chaussures munies d’éperons, ce qui est interdit par les lois israéliennes pour la protection des animaux).

Ce n’est qu’à ce stade - et c’est là le plus important ! - que certains enfants et jeunes du quartier ont commencé à jeter des pierres sur les policiers - des pierres qui ne pouvaient faire aucun mal puisqu’elle tombaient loin des policiers dont les canons à gaz ont une portée beaucoup plus grande. Les organisateurs de la manifestation ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour les retenir mais la colère des jeunes contre les policiers qui avaient envahi leur ville était trop forte. Au bout de deux heures de discussion avec l’officier de police supérieur, le contact a été rompu et les militants israéliens sont rentrés chez eux.

Au cours de ces événements, 12 personnes - sept Palestiniens et cinq Israéliens - ont été arrêtés. Les Israéliens ont été libérés quelques heures plus tard, les Palestiniens ont été maintenus en garde à vue, avec nos avocats pour s’occuper de leur cas.

VOILÀ CE qui s’est passé à a-Ram. A partir de là, c’est devenu une histoire de médias.

La manifestation a été largement couverte pour deux raisons principales : la violence utilisée et ma rencontre avec Abou Ter, qui lui a donné un certain piquant puisque jusqu’à maintenant il n’y avait pas eu de dialogue entre le Hamas et des Israéliens. Les informations des trois chaînes israéliennes de télévision ont largement rapporté l’événement. Cela en soi était inhabituel ; généralement, la plupart des chaînes de télévision ignorent nos manifestations ou ne leur consacrent que quelques secondes (excepté quelques rares reportages de journalistes honnêtes).

Cette fois, aussi, aucun media israélien - TV, radio ou presse écrite - n’a pris la peine d’envoyer sur place des reporters ou photographes pour suivre l’événement ; donc il n’y a eu aucun témoignage oculaire de ce qui s’est passé sur le terrain de la part d’un media israélien. Les chaînes de télévision ont montré des clips empruntés à des réseaux étrangers. Les journalistes n’ont fait que rapporter l’essentiel de ce qu’ils avaient entendu de la police et de nous.

Et voilà le résultat : tous les médias ont montré la même chose : les manifestants ont commencé la violence en lançant des pierres, deux policiers « ont été blessés et soignés sur place ». (Ce mensonge se répète à toutes nos manifestations. A se demander s’il n’y a pas deux policiers dont la seule tâche est d’être « blessés et soignés sur place » chaque fois que nous manifestons.)

Les déclarations de la police et de l’armée étaient des mensonges flagrants. Police et armée savaient très bien que notre manifestation serait non violente. Je leur fais confiance qu’ils envoient des agents à toutes nos réunions, et nous discutons de la préparation des manifestations ouvertement par téléphone et par courrier électronique. Deux annonces payantes avaient été publiées avant les événements dans Haaretz. Il est tout à fait clair que l’armée et la police avaient prévu de réprimer la manifestation par la force. Autrement, ils n’auraient pas amené des chevaux et des Humvees.

Pendant de nombreuses années, nous avons été témoins des mensonges des porte-parole officiels, et je ne doute pas que les reporters qui couvrent les territoires occupés en ont conscience. Dans certains médias, une phrase disant « les manifestants prétendent que ce sont les policiers qui ont commencé la violence » apparaît, mais dans tous les médias il est toujours dit que c’est nous qui avons commencé, que la police n’a pas le choix et qu’elle doit réagir.

C’est une tradition israélienne, qui a malheureusement été acceptée par les médias internationaux : les forces de sécurité israéliennes « réagissent » toujours à la violence de l’autre. Mais, assez curieusement, les tués et les blessés sont principalement de l’autre côté.

Le petit exemple de a-Ram illustre ce qui se passe à une grande échelle dans tout le pays : quand il s’agit de l’armée et de la police, les informations données dans tous les médias sans exception, de Maariv à Haaretz, de la chaîne 1 à la chaîne 10, ne se distinguent pas de la propagande gouvernementale (avec des exceptions honorables dans les pages « opinions » et dans les publicités payantes).

Les chances que les victimes puissant bénéficier d’une information honnête sont presque nulles. Après tout, ce sont toujours les victimes qui sont à blâmer.

Article publié en hébreu et en anglais sur le site de Gush Shalom le 21 mai 2006 - Traduit de l’anglais « Who’s Guilty ? The Victim, of Course » : RM/SW


 Source : AFPS
 http://www.france-palestine.org/article3775.html


Avertissement
Palestine - Solidarité a pour vocation la diffusion d'informations relatives aux événements du Proche Orient.
L' auteur du site travaille à la plus grande objectivité et au respect des opinions de chacun, soucieux de corriger les erreurs qui lui seraient signalées.
Les opinions exprimées dans les articles n'engagent que la responsabilité de leur auteur et/ou de leur traducteur. En aucun cas Palestine - Solidarité ne saurait être tenue responsable des propos tenus dans les analyses, témoignages et messages postés par des tierces personnes.
D'autre part, beaucoup d'informations émanant de sources externes, ou faisant lien vers des sites dont elle n'a pas la gestion, Palestine - Solidarité n'assume aucunement la responsabilité quant à l'information contenue dans ces sites.

Retour  -  Sommaire Avnery  -  Ressources  -  Débat  -  Communiques  -  Accueil