Un jour, Joha, héros de l’humour populaire
arabe, a vendu sa maison. Le prix demandé était ridiculement bas
et il ne posait qu’une condition : « Sur un des murs
il y a un clou auquel je tiens beaucoup. Je ne veux pas le vendre. »
L’acheteur a tout de suite accepté. Qu’avait-il à faire d’
un clou ?
Quelques jours plus tard, Joha est venu à la
maison et a pendu sa veste au clou. Après cela, il a apporté son
lit et a commencé à dormir à côté. « Le clou m’est
tellement cher que je ne peux supporter de dormir loin de lui »,
a-t-il expliqué. Une autre fois, il a amené sa famille pour voir
le clou et a fait une petite fête. A la fin, le nouveau propriétaire
de la maison, n’en pouvant plus, a acheté le clou à un prix
beaucoup plus élevé que celui qu’il avait payé la maison
elle-même.
Les dirigeants d’Israël ne connaissent peut-être
pas cette histoire, mais leur comportement y fait penser.
Cela a commencé par l’accord de paix avec l’Egypte.
Israël a accepté de quitter tout le Sinaï. Entre Menahem Begin
et Anouar el Sadate, des sentiments chaleureux se sont développés.
Et alors, le clou est apparu : Israël a refusé de rendre
Taba, coin de terre inutile à la frontière du golfe d’Akaba.
Les relations se sont envenimées, une série d’amères
querelles en a résulté et il a fallu avoir recours à
l’arbitrage international pour décider ce qui était clair
depuis le début : Taba appartient à l’Egypte, et il lui a
été finalement restitué. Aujourd’hui de nombreux joueurs israéliens
viennent y dépenser leur argent.
L’histoire s’est répétée au Liban.
D’abord le gouvernement a décidé de garder un très gros clou :
la « bande de sécurité », ce qui a déclenché une
guerre de guérilla longue et meurtrière. A la fin, nous avons été
contraints de partir - d’une manière qui ressemblait à une
fuite. Mais nous avons gardé un petit clou : « les
fermes Shebaa ». Cela donne au Hezbollah une raison de ne
pas désarmer et de créer des incidents à la frontière quand
bon lui semble.
Si on préfère une histoire polonaise à une
histoire arabe, on peut raconter celle de la dame qui demande à
son dentiste d’enlever toutes ses dents cariées, excepté une -
juste pour se souvenir de combien c’est douloureux.
Maintenant, nous nous sommes retirés de la bande
de Gaza. Nous avons quitté tout le territoire, déplacé tous les
colons, démoli toutes les colonies. Nous avons laissé un clou
sur le mur : les synagogues.
Celles-ci n’étaient pas, Dieu merci, des
monuments sacrés datant de l’Antiquité, de précieux vestiges.
Seulement des bâtiments, construits très récemment pour y prier
et y tenir des réunions, desquels tous les accessoires religieux
avaient été retirés. L’armée avait proposé de les détruire
en même temps que les autres maisons et c’est ce que le
gouvernement avait décidé.
Mais après que la comédie du « déracinement
des colons » eut pris fin, après que le dernier colon eut
essuyé ses larmes sur la chemise d’un policier devant les caméras
de télévision, après que le dernier officier eut embrassé un
voyou nationaliste pour obéir aux ordres, les rabbins des
colonies se sont soudain rappelé que les bâtiments des
synagogues étaient sacrés. Ils ont utilisé Dieu comme un
instrument politique, comme ils l’avaient fait auparavant avec
les bébés.
Les ministres du Likoud, qui se soucient moins de
Dieu que du comité central de leur parti, ont changé d’opinion
à la vitesse de l’éclair et ont décidé qu’il est interdit
de détruire les synagogues. Le gouvernement a changé de position
au dernier moment, sans en informer la direction palestinienne
qu’elle n’avait pas consultée. Il n’a même pas pris la
peine d’informer la Cour suprême, laquelle avait déclaré que
les synagogues pouvaient être détruites.
C’était purement et simplement un acte minable.
Il mettait les Palestiniens devant un douloureux dilemme :
soit affecter des milliers de soldats pour garder des bâtiments
vides ad vitam aeternam, soit laisser les
masses se défouler sur ces symboles haïs de l’occupation qui a
fait de leur vie un enfer.
En ce qui concerne Sharon, cet exercice a été un
énorme succès : le monde a vu la « foule
palestinienne déchaînée » brûlant des « lieux de
prière », dans une sorte de Nuit de cristal préfabriquée made
in Israël. Le Président Bush a condamné « l’incendie
des synagogues », le Président d’Israël Moshe Katsav a
été révolté par la « désacralisation des lieux saints
juifs », les Israéliens ont été encore renforcés dans
leur idée que les Arabes sont des barbares infrahumains, ce qui
prouve une nouvelle fois que nous n’avons personne avec qui
discuter.
Ce n’est pas le seul clou que le Joha israélien
a laissé dans le mur.
Un autre clou a été la démolition du point de
passage frontalier de Rafah. Elle s’est faite par surprise, sans
discussion préalable avec les Palestiniens. Etant donné que le
gouvernement israélien prétend que l’occupation est terminée
et qu’il est relevé de sa responsabilité pour le million et
demi d’habitants qui s’y trouvent, cela signifie que nous
avons fermé une frontière entre deux territoires étrangers :
la bande de Gaza et l’Egypte.
Ce qui s’était passé à Rafah n’est pas
unique mais ressemble aux événements après la chute du mur de
Berlin qui avait coupé les deux parties de la ville l’une de
l’autre exactement comme le mur qu’Israël a bâti à Rafah.
Des parents qui ne s’étaient pas vus pendant des décennies
sont accourus et se sont embrassés et des foules se sont précipitées
de l’autre côté pour voir, acheter à bas prix et donner libre
cours à leurs émotions. Mais ici, encore une fois, Israël a
gagné : les Egyptiens ont fait la preuve de leur inefficacité,
les autorités palestiniennes montré qu’on ne peut se fier à
elles, et les masses confirmé qu’elles sont sauvages et
indisciplinées. Or, si les Egyptiens étaient intervenus
violemment, ils seraient apparus comme les ennemis du peuple
palestinien. Si les policiers palestiniens avaient tiré sur leur
propre peuple, ils auraient perdu toute autorité morale. Il est
clair qu’aucun mur de fer israélien ne peut couper Gaza du Sinaï.
Le problème ne peut être réglé qu’à travers des accords
raisonnables.
Et il y a d’autres clous : le port de Gaza,
dont Israël essaie d’empêcher la construction, et la remise en
état de l’aéroport de Gaza, à laquelle Israël essaie de
faire obstruction. Tout ceci pour empêcher le « trafic
d’armes dans la bande de Gaza » - un prétexte transparent
pour laisser la bande coupée du monde et continuer l’occupation
sous d’autres formes.
Maintenant que le désengagement est, semble-t-il,
terminé, on peut émettre un jugement sans équivoque :
toute l’opération a été incroyablement stupide.
Elle l’était parce qu’unilatérale. Elle ne
rendait aucune coopération possible, sauf au niveau le plus bas
d’un cessez-le feu pendant le retrait. Le retrait aurait pu être
utilisé pour construire des passerelles psychologiques et
politiques entre les deux peuples. Il aurait pu convaincre la
population de Gaza qu’il vaut la peine maintenant de vivre en
paix avec nous. Cela aurait isolé les organisations radicales,
aidé la direction palestinienne et augmenté la sécurité des
villes et villages israéliens voisins de la bande de Gaza.
Si toute l’opération avait été menée dès le
début dans l’esprit d’un dialogue entre égaux, des accords
contraignants auraient pu être conclus concernant le passage
entre la bande de Gaza et l’Egypte, la supervision
internationale pour empêcher le transfert illicite d’armes, le
statut des synagogues, les liaisons maritimes et aériennes, etc.
Mais Sharon ne voulait pas d’un dialogue avec les Palestiniens
qui aurait pu devenir, Dieu nous en garde, le précédent pour un
dialogue sur l’avenir de la Cisjordanie.
Au lieu de cela, tout a été fait dans une
atmosphère de méfiance et d’hostilité. Officiers et hommes
politiques israéliens - sans exception - ont continué de se
conduire et de parler comme des gouverneurs militaires, utilisant
le langage de la menace et de l’arrogance. Leur conduite a prouvé
que l’occupation n’est pas réellement finie à Gaza et encore
moins en Cisjordanie.
Le Joha palestinien est un malin. Le Joha israélien
n’est que grossier.
Article publié le 17 septembre 2005, en hébreu et en anglais,
sur le site de Gush Shalom - Traduit de l’anglais « Joha’s
Nail » : RM/SW