Côté israélien : 154 morts - 117 sont
des soldats. Trois mille neuf cent soixante dix roquettes lancées
contre nous, 37 civils tués, plus de 422 civils blessés.
Côté libanais : environ un millier de
morts civils, des milliers de blessés Un nombre inconnu de
combattants du Hezbollah tués ou blessés.
Plus d’un million de réfugiés des deux côtés.
Et qu’avons-nous obtenu pour ce prix terrible ?
« LUGUBRE, HUMBLE, découragé »,
ainsi le journaliste Yossef Werter a-t-il décrit Ehoud Olmert
quelques heures après l’entrée en vigueur du cessez-le feu.
Olmert ? Humble ? Est-ce le Olmert que
nous connaissons ? Le même Olmert qui a tapé sur la table
en criant : « Jamais plus ! » Qui a dit :
« Après la guerre, la situation sera complètement différente
d’avant ! » Qui a promis un « Nouveau
Moyen-Orient » comme résultat de la guerre ?
LES RÉSULTATS de la guerre
sont évidents.
* Les prisonniers, qui ont servi de casus belli
(prétexte) pour la guerre, n’ont pas été relâchés. Ils
reviendront seulement dans le cadre d’un échange de
prisonniers, exactement comme Hassan Nasrallah l’avait proposé
avant la guerre.
* Le Hezbollah est resté comme il était. Il
n’a pas été détruit, ni désarmé, ni même repoussé. Ses
combattants ont fait leurs preuves dans la bataille et ont même
eu des compliments de soldats israéliens. Sa structure de
commandement et de communication a continué de fonctionner
jusqu’à la fin. Sa station de télévision émet toujours.
* Hassan Nasrallah est vivant et battant. Les
tentatives répétées de le tuer ont échoué. Son prestige est
au plus haut. Partout dans le monde arabe, du Maroc à l’Irak,
des chansons ont été composées en son honneur et son portrait
orne les murs.
* L’armée libanaise sera déployée le long
de la frontière, à côté d’une importante force
internationale. C’est le seul changement matériel qui a été
obtenu.
Celle-ci ne remplacera pas le Hezbollah. Le
Hezbollah restera dans la zone, dans tous les villages et les
villes. L’armée israélienne n’a pas réussi à le déloger
d’un seul village. C’était tout simplement impossible sans
chasser définitivement la population à laquelle il appartient.
L’armée libanaise et la force internationale
ne peuvent pas et ne veulent pas se confronter au Hezbollah.
Leur présence même là-bas dépend du consentement du
Hezbollah. En pratique, une sorte de coexistence des trois
forces s’établira, chacune d’elle sachant qu’elle doit
s’accorder avec les deux autres.
Peut-être la force internationale pourra-t-elle
empêcher des incursions du Hezbollah, comme celle qui a précédé
cette guerre. Mais elle devra aussi empêcher des actions israéliennes
comme les vols de reconnaissance de notre aviation sur le Liban.
C’est pourquoi au début l’armée israélienne a été catégoriquement
contre l’introduction de cette force.
EN ISRAEL, il y a
aujourd’hui une atmosphère générale de déception et de découragement.
De la manie à la dépression. Ce n’est pas seulement que les
politiques et les généraux se lancent des accusations réciproques,
comme nous l’avions prévu, mais les gens en général font
des critiques tous azimuts. Les soldats critiquent la conduite
de la guerre, les réservistes rouspètent sur le chaos et le
manque de fournitures.
Dans tous les partis, il y a de nouveaux groupes
d’opposition et des menaces de scissions. Au Kadima. Au parti
travailliste. Il semble qu’au Meretz aussi, il y ait de la
fermentation, parce que la plupart de ses dirigeants ont soutenu
la guerre presque jusqu’au dernier moment.
En tête des critiques - surprise, surprise -
les medias. La horde entière d’interviewers et de
commentateurs, de correspondants et de « pressetitués »
- qui (à très peu d’exceptions près) ont soutenu la guerre
avec enthousiasme, qui ont trompé, dupé, falsifié, ignoré,
menti pour la patrie, qui ont étouffé toute critique et
catalogué comme traîtres tous les opposants à la guerre - se
précipite maintenant à la tête des lyncheurs. Comme c’était
prévisible, comme c’est moche. Soudain, ils se rappellent que
nous avons vu juste depuis le début de la guerre.
Cette phase est symbolisée par Dan Halutz, le
chef d’état-major. Hier seulement, il était le héros des
masses ; il était interdit d’émettre un mot contre lui.
Maintenant on le décrit comme un profiteur de guerre. Peu avant
l’envoi de ses soldats dans la bataille, il a trouvé le temps
de vendre ses actions, en prévision de la baisse du marché des
actions. (Espérons qu’un moment avant la fin il a trouvé le
temps de les racheter.)
La victoire, comme on sait, a beaucoup de pères,
et l’échec dans la guerre est orphelin.
DEPUIS LE DÉLUGE
d’accusations et de récriminations, un slogan a cours, un
slogan qui peut glacer le sang de ceux qui ont une bonne mémoire :
« Les hommes politiques n’ont pas laissé l’armée
gagner. »
Exactement comme je l’ai écrit il y a deux
semaines, nous avons devant nos propres yeux la résurrection du
vieux cri « ils ont frappé l’armée dans le dos ! »
Il en est ainsi. Finalement, deux jours avant la
fin, l’offensive terrestre a été lancée. Merci à nos héroïques
soldats, les réservistes, ce fut un succès éblouissant. Et
alors, quand nous avons été au bord d’une grande victoire,
le cessez-le-feu a pris effet.
Il n’y a pas un seul mot de vrai dans tout
cela. Cette opération, qui a été planifiée et pour laquelle
l’armée a passé des année à s’entraîner, n’a pas été
exécutée plus tôt parce qu’il était clair qu’elle ne
pouvait apporter aucun bénéfice significatif mais qu’elle
serait coûteuse en vies humaines. L’armée aurait vraiment
occupé de vastes zones, mais sans pouvoir en déloger les
combattants du Hezbollah.
La ville de Bint Jbeil, par exemple, tout près
de la frontière, a été prise par l’armée trois fois, et
les combattants du Hezbollah y sont restés jusqu’à la fin.
Si nous avions occupé 20 villes et villages comme celle-là,
les soldats et les chars auraient été exposés à 20 endroits
à des attaques meurtrières de la guérilla avec ses armes
antichars hautement efficaces.
S’il en est ainsi, pourquoi avoir finalement décidé,
au dernier moment, de lancer cette opération - bien après que
les Nations unies aient déjà appelé à la fin des hostilités ?
La réponse est horrible : c’était un cynique (pour ne
pas dire ignoble) exercice du trio perdant. Olmert, Peretz et
Halutz ont voulu créer « une image de victoire »,
comme il a été ouvertement affirmé dans les médias. Sur cet
autel, les vies de 33 soldats (dont une jeune femme) furent
sacrifiées.
L’objectif était de photographier les soldats
victorieux sur les rives du Litani. L’opération pourrait
durer seulement 48 heures, quand le cessez-le-feu entrerait en
vigueur. En dépit du fait que l’armée s’est servie d’hélicoptères
pour envoyer les troupes, le but n’a pas été atteint. En
aucun point, l’armée n’a atteint le Litani.
En comparaison : dans la première guerre
du Liban, celle de Sharon en 1982, l’armée a traversé le
Litani dans les quelques premières heures. (A ce propos, le
Litani n’est pas du tout un vrai fleuve, mais juste un petit
cours d’eau. La plus grande partie de ses eaux en sont
extraites à destination du nord. Son dernier tronçon est à
environ 25 kilomètres de la frontière ; près de Metulla,
la distance est seulement de 4 kilomètres)
Cette fois-ci, quand le cessez-le feu a pris
effet, toutes les unités sur le terrain ont atteint les
villages se trouvant sur le chemin du fleuve. Là ils se sont
transformés en canards assis, entourés de combattants du
Hezbollah, sans lignes de ravitaillement sûres. A partir de ce
moment, l’armée n’a eu qu’un but : sortir de là
aussi vite que possible, sans se préoccuper de qui pourrait
prendre sa place.
Si une commission d’enquête est mise sur pied
- comme il se doit - et qu’elle examine tous les mouvements de
cette guerre, depuis le moment où il a été décidé de la démarrer,
il faudra aussi qu’elle examine la décision de lancer la
dernière opération. La mort de 33 soldats ( dont le fils de
l’écrivain David Grossman, qui a soutenu la guerre) et le
chagrin causé à leurs familles l’exigent !
MAIS CES faits ne sont pas
encore clairs pour l’opinion publique. Le lavage de cerveaux
par les commentateurs militaires et les ex-généraux, qui a
dominé les médias à l’époque, a transformé la stupide -
je dirais presque « criminelle » - opération en
parade victorieuse enthousiaste. La décision de la direction
politique de l’arrêter est maintenant vue par beaucoup comme
l’acte de politiciens défaitistes, mous, corrompus, voire même
traîtres.
Et c’est exactement le nouveau slogan de la
droite fasciste qui relève maintenant sa tête hideuse.
Après la Première guerre mondiale, en des
circonstances semblables, la légende du « coup de
poignard dans le dos de l’armée victorieuse » est née.
Adolf Hitler s’en est servi pour arriver au pouvoir - et à la
Seconde guerre mondiale.
Aujourd’hui, avant même que le dernier soldat
tombé ait été enterré, les généraux incompétents
commencent à parler honteusement d’un « autre round »,
la prochaine guerre qui surviendra sûrement « dans un
mois ou dans un an », si Dieu le veut. Après tout, nous
ne pouvons pas rester ainsi, sur une défaite. Où est notre
orgueil ?
LES ISRAELIENS sont
maintenant en état de choc et de désarroi. Accusations -
justifiées et injustifiées - volent dans toutes les
directions, et on ne peut prévoir comment les choses vont
tourner.
Peut-être qu’à la fin, c’est la logique
qui l’emportera. La logique signifie : ce qui a été
bien démontré c’est qu’il n’y a pas de solution
militaire. Cela est vrai dans le nord. Cela est aussi vrai dans
le sud, où nous sommes confrontés à tout un peuple qui n’a
plus rien à perdre. Le succès de la guérilla libanaise
encouragera la guérilla palestinienne.
Pour que la logique gagne, nous devons être
honnêtes avec nous-mêmes : pointer les échecs,
rechercher leurs causes profondes, en tirer les conclusions
correctes.
Certaines personnes veulent empêcher cela à
tout prix. Le Président Bush déclare en vociférant que nous
avons gagné la guerre. Une glorieuse victoire sur l’Axe du
Mal. Comme sa propre victoire en Irak.
Quand une équipe de football peut choisir
l’arbitre, il n’est pas étonnant qu’elle soit déclarée
gagnante.