Alors, où est le cessez-le-feu ? Le Hamas et
le Djihad islamique vont-ils torpiller le retrait de Gaza ? Où
en est Mahmoud Abbas ?
En général, on déclare un cessez-le-feu dans un
de ces trois cas :
quand une des parties arrive à soumettre l’autre ;
quand une troisième partie l’impose aux deux belligérants ;
quand les deux parties sont fatiguées.
Dans notre cas, aucun des deux côtés n’a réussi
à vaincre l’autre. L’armée israélienne n’a pas hissé le
drapeau blanc, ni les Palestiniens.
Le cessez-le-feu n’a pas été imposé de
l’extérieur. Les Américains ont bien exercé une faible
pression et les Egyptiens ont également essayé de faire sentir
leur présence. Mais il n’y a pas eu de véritable pression extérieure.
Ce qui s’est passé, c’est que les deux
parties sont fatiguées. Le combat est arrivé à un point d’arrêt,
une sorte d’impasse, et cette situation aurait pu continuer
longtemps, n’apportant rien de bon à personne. Les Palestiniens
ont beaucoup souffert, mais leur souffrance ne les a pas conduits
à capituler. L’armée israélienne n’a pas trouvé de réponse
aux obus de mortier et aux fusées Qassam qui continuaient
d’angoisser les habitants des villes israéliennes voisines mais
cela ne suffit pas pour une victoire militaire. La fatigue a
conduit au cessez-le-feu.
Mais ce cessez-le-feu était fragile dès le début.
D’abord, parce qu’il n’était pas mutuel, accepté
officiellement par les deux parties. On ne l’a même jamais
appelé « cessez-le-feu », pour ne pas dire « armistice »
(hudna en arabe). On l’a appelé « calme »
(tahidiya en arabe). L’Autorité nationale
palestinienne est parvenue à un accord avec les factions armées
palestiniennes pour qu’elles cessent le feu, et Sharon a fait
savoir, par le biais d’intermédiaires, qu’en retour il
s’abstiendrait de tirer.
C’est une base bien pauvre pour un
cessez-le-feu. L’accord tacite ne définissait pas exactement ce
que chaque côté allait cesser de faire. Etant donné que chaque
partie se réserve le droit de « répondre » si
l’autre côté fait quelque chose qui, à son avis, contrevient
au cessez-le-feu, et qu’il n’y a pas d’arbitre ni de mécanisme
d’arbitrage, la situation peut dégénérer à tout moment.
Dans la bande de Gaza, l’armée israélienne
n’a pas vraiment arrêté les « assassinats ciblés »
ni les incursions, mais en Cisjordanie elle a intensifié sa
campagne agressive contre les Palestiniens. Le mur, qui signifie
misère et pauvreté pour des dizaines de milliers de familles
palestiniennes et qui saisit les terres de dizaines de villages,
se construit à un rythme accéléré. A Jérusalem, le mur, qui
blesse à vif la population palestinienne, est sur le point d’être
achevé. Les forces de sécurité ouvrent le feu sur les
Palestiniens (et les militants pacifistes israéliens) qui
manifestent contre le mur, en en tuant quelques-uns et en en
blessant d’autres, avec de nombreuses arrestations.
En même temps, l’armée israélienne est en
action dans toute la Cisjordanie. Des unités de l’armée
lancent des incursions jour et nuit, mènent des recherches, arrêtent
ou tuent des personnes « recherchées ».
Est-ce une violation du cessez-le feu ? Pas
du tout, affirment les gens de Sharon. Selon eux, le cessez-le-feu
ne s’applique qu’à la bande de Gaza. Les Palestiniens, de
leur côté, voient en cela une nouvelle tentative pour séparer
la Cisjordanie de la bande de Gaza, inhérente au « plan de
désengagement » de Sharon. Ils s’y opposent, bien sûr,
de toute leur force. Et d’ailleurs l’accord d’Oslo, qui a été
signé et reconnu par la communauté internationale, établit
explicitement que la Cisjordanie et la bande de Gaza constituent
une seule et même entité territoriale.
Alors qui viole le cessez-le-feu ? Puisque
l’« accord tacite » n’est pas écrit et n’entre
pas dans les détails, on ne peut pas répondre à cette question.
Chaque partie prétend que l’autre est celui qui viole et
qu’elle ne fait que riposter.
Alors, où en sont le Hamas et le Djihad islamique ?
Ils veulent, évidemment, présenter le retrait d’Israël de la
bande de Gaza et l’évacuation des colonies comme leur victoire,
de la même façon que le retrait d’Israël du Liban a été la
victoire du Hezbollah. Aussi le lancement d’obus de mortiers et
de missiles Qassam s’est-il intensifié à partir du moment où
Sharon a décrété le bouclage des colonies cette semaine,
transformant le désengagement à venir en une certitude
virtuelle.
L’affirmation n’est pas entièrement infondée.
Un enfant peut comprendre que Sharon ne se retirerait pas de la
bande de Gaza s’il pouvait s’y installer confortablement. Une
des raisons de la décision de Sharon de se retirer est que garder
Gaza et défendre les colonies est trop coûteux pour l’armée
et les pour finances israéliennes.
Les fanfaronnades de nos hommes politiques et de
nos généraux à propos de l’énorme succès de l’armée israélienne
dans sa lutte contre le terrorisme - comme si la réduction
drastique des attaques palestiniennes n’était pas le résultat
d’un cessez-le-feu mais un énorme succès militaire - ont
provoqué les organisations palestiniennes et les ont incitées à
vouloir prouver le contraire.
Mais la principale raison du Hamas est de nature
intérieure. L’organisation veut transformer les succès sur le
terrain en capital politique. A cette fin, elle veut prouver que
l’Autorité ne peut tout simplement pas fonctionner sans elle.
Cela mis à part, le Hamas, comme d’habitude, est entraîné
malgré lui par le Djihad islamique plus extrémiste (comme l’Irgoun,
à son époque, était entraîné par le groupe Stern). Un obus de
mortier qui tue un Israélien vise en réalité Mahmoud Abbas.
Et que fait Abbas ? Aucune direction ne peut
fonctionner quand sa politique est contrariée par des groupes armés.
Quand Mahmoud Abbas accepte les obligations internationales et que
les groupes armés les violent sur le terrain, il est clair
qu’il n’y a aucune direction palestinienne qui puisse mener
une politique cohérente. C’est dramatique pour le peuple
palestinien.
Il ne fait pas de doute que les Palestiniens ont
intérêt à rester tranquilles pendant le retrait israélien.
Malgré ce qui se passe en Cisjordanie et en dépit des défauts
du « plan de désengagement », il vaut mieux pour les
Palestiniens permettre à Sharon de démanteler les colonies et de
vaincre la contre-attaque des colons - ne serait-ce que parce que
l’évacuation de Goush Katif constitue un précédent important.
C’est vraiment Sharon lui-même qui a intérêt à ce que le
retrait soit accompagné d’un maximum de grabuge qui montrerait
combien ce retrait est difficile ; et c’est évidemment
vrai aussi pour les colons eux-mêmes.
Les actions actuelles du Hamas et du Djihad jouent
par conséquent en faveur des colons. Cela montre de nouveau
qu’il y a une sorte de coopération involontaire entre les
nationalistes fondamentalistes religieux des deux bords. Abbas
est-il assez fort pour convaincre le Hamas et le Djihad de cesser
le feu ? Une personne, au moins, espère que la réponse sera
négative : Ariel Sharon.
A partir du moment où Abbas a été démocratiquement
élu, Sharon a travaillé avec habileté et persévérance à l’éliminer.
C’est important à ses yeux parce que George Bush a commencé à
se rapprocher du nouveau dirigeant palestinien. Le renforcement
d’Abbas augmenterait la pression sur Sharon pour qu’il mette
fin à l’occupation de la Cisjordanie. Donc, pour Sharon, « Silence
is Filth » [1],
pour rappeler les paroles d’une hymne écrit il y a quelque 80
ans par Vladimir Jabotinsky, qui a fondé le prédécesseur du
parti du Likoud.
Cela explique pourquoi Sharon humilie sans cesse
Abbas en public, pourquoi il ne lui a pas permis même le plus
modeste succès politique, pourquoi ses porte-parole déclarent
sans arrêt qu’Abbas est « faible » qu’il n’est
« pas un dirigeant », qu’il est « incapable de
détruire l’infrastructure terroriste ».
Un jour, Sharon a décrit Abbas comme un « coq
déplumé ». C’est une prédiction qui se réalise. Quand
Abbas ne peut montrer aux Palestiniens aucun succès politique,
aucun soulagement de leurs conditions de vie, aucune libération
de prisonnier important, pas d’arrêt de la construction du mur
qui les étrangle, leur confiance en lui diminue d’heure en
heure.
J’espère que, malgré tout, le cessez-le-feu
tiendra. J’ai confiance dans le bon sens des Palestiniens, qui
comprendront où est leur intérêt national aujourd’hui. Je
crois qu’après le retrait de Gaza arrivera une occasion
historique pour un grand pas vers la fin de l’occupation et
l’avènement d’une paix israélo-palestinienne durable.
Mais probablement, en ce moment même, un colon,
quelque part, est en train de prier pour qu’un obus de mortier
tombe sur un jardin d’enfants israélien surpeuplé et mette fin
au retrait - parce que pour les colons aussi « Silence
is Filth ».