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Un mot de quatre lettres

Uri Avnery

 


" La logique voudrait donc qu’un parti qui promet la paix grimpe au sommet de la popularité. Pourtant, merveille des merveilles, aucun parti important ne revendique cette couronne pour lui-même. Plus que cela, aucun parti important ne prononce même le mot paix..." 

En anglais, un “mot de quatre lettres” est un juron impoli. C’est une façon vulgaire de parler d’un acte ou d’un organe sexuel, et une personne bien éduquée ne l’utilisera pas. Maintenant, il semble que dans la langue hébraïque, aussi, il y ait un mot de quatre lettres qu’une personne comme il faut ne prononcera pas, surtout pendant une campagne électorale. Une personne (politiquement) correcte l’évitera à tout prix. Ce mot est PAIX (qui s’écrit en hébreu en quatre lettres).

Cette semaine, la propagande électorale s’est déplacée de la rue vers la radio et la télévision. La loi israélienne accorde à chaque liste de candidats un minimum de temps de parole libre (10 minutes à la télévision), pour les partis qui étaient représentés à la Knesset sortante, un temps de parole proportionnel à leur représentativité. Aucune autre émission de radio ou de télévision n’y est autorisée. De ce fait, la propagande électorale se trouve retirée des mains des politiciens au profit de « spécialistes », de communicateurs, de rédacteurs, de « stratèges » de toutes sortes. Ce sont des groupes cyniques. Comme les avocats, la plupart des présentateurs sont des mercenaires. Ils peuvent servir un parti de gauche aujourd’hui et vendre leurs services à un parti de droite demain. Leurs opinions personnelles ne comptent pas, les affaires sont les affaires. Quand un expert en communication projette une campagne électorale, son but n’est pas d’expliquer le programme du parti pour lequel il travaille, mais d’attirer les électeurs. C’est plus un jongleur de cirque qu’un prêcheur.

La propagande dans une élection est comparable à une robe : elle doit mettre en valeur celle qui la porte et cacher ce qui ne serait pas très attrayant. Avec une différence pourtant dans le fait que le spécialiste en communication peut y ajouter des membres qui n’existent pas et en couper qui existent, selon les besoins. L’une des hantises du communicateur, c’est que les candidats en rajoutent, Dieu m’en garde ! et exposent leurs idées personnelles, gâchant l’émission. Comme un expert en communication me le disait : « Vendre un politicien, c’est comme ventre de la pâte dentifrice, avec une différence importante - la pâte dentifrice ne parle pas ! ». Ainsi, la propagande électorale ne donne pas beaucoup d’informations sur les objectifs véritables des dirigeants et de leurs partis. On peut supposer à l’avance que la plus grande partie de ce que présentent ces émissions est falsifiée. Si une entreprise commerciale distribuait des publicités aussi mensongères sur la bourse des valeurs, elle serait inculpée. Pensez-vous que cette méthode de propagande électorale soit sans intérêt ? Au contraire, elle nous en apprend beaucoup. Si elle ne reflète pas l’opinion des partis, elle reflète l’opinion publique. Plus précisément : l’opinion publique vue par ces spécialistes qui suivent les sondages quotidiens, écoutent les panels et d’autres. Sur le fond, il est intéressant d’examiner ces émissions.

Dans l’une des ses enquêtes, Sherlock Holmes observait que la clé se trouvait dans un curieux incident avec un chien dans la nuit. « Mais le chien n’a rien fait pendant la nuit ! » s’exclame son assistant. « C’est ça qui est curieux ! » répondit Sherlock.

Le fait curieuxt dans la campagne des élections en cours, c’est un mot, qui n’apparaît nulle part : le mot « paix ». Un étranger ne peut pas comprendre cette absence. Après tout, Israël est dans un état perpétuel de guerre. Les émissions d’informations elles-mêmes sont pleines de défilés effrayants du Hamas. La peur de l’attentat suicide est plus grande en Israël que toute autre peur. La logique voudrait donc qu’un parti qui promet la paix grimpe au sommet de la popularité. Pourtant, merveille des merveilles, aucun parti important ne revendique cette couronne pour lui-même. Plus que cela, aucun parti important ne prononce même le mot paix lors des émissions.

Kadima parle d’Espoir, Espoir, Espoir - sans dire quel genre d’espoir, l’espoir de quoi ? Il dit « pourrait », parle même d’une « chance pour un changement politique ». La paix ? Niet. Le chef-d’œuvre de Kadima est un clip télé qui s’approprie toute l’équipe : Herzl, Ben-Gurion, Begin, Sharon et Rabin. Il montre Herzl annonçant l’idée sioniste, Ben-Gurion créant l’Etat d’Israël, Begin faisant la paix avec l’Egypte, Sharon traversant le Canal de Suez pendant la guerre du Yom-Kippur, et Rabin faisant la paix avec... le roi Hussein. Le roi Hussein ? attendez une minute. Rabin n’a-t-il pas signé un accord avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et serré la main d’Arafat ? N’était-ce pas le fait culminant de sa vie ? N’a-t-il pas reçu le prix Nobel de la Paix pour cela ? La paix avec Hussein n’était-elle pas un après-coup, car Hussein était déjà un allié, même non officiel, d’Israël depuis plus de 40 ans ? Mais Kakima a décidé qu’il ne fallait pas montrer Arafat, à aucun prix. Il pourrait être accusé, Dieu m’en garde ! de rechercher la paix avec les Palestiniens !

Amir Peretz du Parti travailliste aurait pu être tenté de parler de la paix, si ces conseillers ne l’avaient pas fait taire à temps. Il se sent beaucoup plus sûr de lui à parler des enfants qui ont faim et des vieux sans retraite.

Le Likoud, naturellement, ne parle pas de paix. Binyamin Netanyahu est le meilleur pour effrayer les gens. A cette fin, il est allé au rebut récupérer quelques généraux usés pour qu’ils certifient que le Hamas et l’Autorité palestinienne représentent une menace existentielle pour Israël, autant qu’une affreuse bombe iranienne. Seul, le Grand Bibi sait comment traiter avec eux. La paix ? Ne me faites pas rigoler !

Plus amusant est le Meretz, le parti dirigé par Yossi Beilin, à l’origine de l’Initiative de Genève. Sa principale émission montre des hommes et des femmes glissant des bouts de papier dans les fentes du Mur, en exprimant leurs souhaits les plus ardents. Il y a une femme qui désire un diplôme universitaire, un homme qui veut se marier avec un autre homme, un grand-père qui rêve d’avoir l’argent pour acheter un cadeau à son petit-fils, une chrétienne qui aimerait bien être reconnue comme juive, une mère qui désire envoyer son fils au jardin d’enfants, une femme qui attend son divorce. Et quelle est cette chose à laquelle personne n’aspire, ne rêve, n’espère, selon les spécialistes de la propagande au Meretz ? Vous l’avez devinée : c’est encore le mot de quatre lettres.

Que révèlent tous ces discours sur l’opinion publique israélienne en 2006 ? Ils montrent que l’énorme majorité des Israéliens juifs ne croient pas dans la paix. La paix est considérée comme un rêve, quelque chose qui n’a rien à voir avec la réalité. Un parti qui parle de la paix se marque lui-même comme à côté de la réalité. Pire, il peut être suspecté « d’aimer les Arabes ». Quoi de plus catastrophique ?

En quoi les Israéliens croient-ils donc ? Ils veulent un Etat juif, avec une majorité juive aussi grande que possible. C’est une affaire entendue avec tous les partis juifs. Ils croient dans une fixation unilatérale des frontières définitives d’Israël, sans parler avec ces Palestiniens. Les Palestiniens, comme tout le monde le sait, viennent juste d’élire le Hamas et veulent nous jeter à la mer. Quelles frontières ? Ehud Olmert révèle petit à petit ce qu’il a à l’esprit. Sa carte ne surprendra pas les lecteurs de ces colonnes. Son Grand Israël inclue tous les territoires pris entre la Ligne verte et le Mur de séparation ; et en plus, la Vallée du Jourdain ; le Grand Jérusalem, avec la colonie Ma’aleh Adumim et les territoires entre elle et la ville (mais abandonnant des quartiers arabes densément peuplés) : les blocs de colonies d’Ariel, Alfei-Menasheh, Modi’in Illit et de Gush Etzion ; et les « secteurs de sécurité spéciale ». Olmert fait attention à ne pas dessiner une véritable carte, pour qu’il n’y ait rien de définitif dans les limites des blocs de colonies. Mais il vise certainement à annexer plus de la moitié de la Cisjordanie.

Pour Netanyahu, c’est évidemment une trahison éhontée, une capitulation honteuse devant les Arabes. Lors de ses émissions, il dénonce les frontières d’Olmert comme étant des « frontières qui poussent au terrorisme ». Le Likoud, lui, trace véritablement une carte, où le Mur se déplace vers le centre de la Cisjordanie.

Le Parti travailliste et Meretz sont d’accord sur le principe de l’annexion des blocs de colonies, mais ils ne publient pas de cartes. Ils évoquent sans conviction quelques permutations imprécises de territoires. Rien d’extraordinaire, étant donné qu’ils rêvent, presque au grand jour, de rejoindre la coalition d’Olmert lequel sera probablement confirmé au pouvoir par les élections. La carte de la coalition est plus importante que la carte des annexions.

Et la paix ? Chuuuuut...

 

Uri Avnery

Diffusée par : Gush Shalom otherisr@actcom.co.il le 12 mars 2006
Traduction : JPP


 Source : CCIPPP
 http://www.protection-palestine.org/article.php3?id_article=2335


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