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Qui a tué Arafat ?
Uri Avnery

 

Puisque maintenant toutes les digues ont été brisées, je suis prêt à dire ce que j’ai à l’esprit : dès le premier moment, j’étais sûr qu’Arafat avait été empoisonné.

Avant-hier, la une du Haaretz portait en gros titre : « Les docteurs ont dit : Arafat est mort du sida ou empoisonné. » Sida apparaissait en premier.

Pendant des dizaines d’années, les médias israéliens ont mené, sous l’inspiration du gouvernement, une campagne contre le dirigeant palestinien (à la seule exception de Haolam Hazeh, le magazine d’informations que j’ai dirigé). Des millions de mots de haine et de diabolisation ont été répandus sur lui, plus que sur toute autre personne de sa génération. Si quelqu’un pensait que cela se terminerait après sa mort, il se trompait. Cet article, signé d’Avi Isasharof et Amos Harel, est la suite directe de cette campagne de diffamation.

Le mot clé est, bien sûr, « sida ». Tout au long du long article, il n’y a pas la moindre trace de preuve pour cette allégation. Des reporters citent « des sources de l’establishment sécuritaire israélien ». Ils citent également des médecins israéliens « qui l’ont entendu dire par des médecins français » - une méthode originale pour un diagnostic médical. Un professeur israélien respecté a même trouvé une preuve concluante : il n’a jamais été écrit qu’Arafat avait subi des tests sur le sida. Certes, une équipe médicale tunisienne a fait des tests sur lui à Ramallah et leurs résultats étaient négatifs, mais qui croirait des Arabes ?

Haaretz sait bien sûr comment se protéger. Quelque part dans l’article, très loin du titre à sensation, on trouve ces neuf mots : « la probabilité qu’Arafat avait le sida est faible. » Donc Haaretz est peinard. En langage militaire, « its ass is covered » [il a assuré ses arrières]. Par comparaison, le New-York Times, qui a publié un article similaire le même jour, a traité l’allégation sur le sida avec mépris.

Il y a une preuve très simple que l’allégation est fausse : s’il y avait même le plus petit semblant d’élément, l’énorme appareil de propagande du gouvernement israélien et l’establishment juif dans le monde l’auraient crié sur les toits, au lieu d’attendre dix mois. Mais en fait il n’y a aucune preuve quelconque. Plus encore, les rédacteurs eux-mêmes de l’article disent que les symptômes d’Arafat sont totalement incompatibles avec ceux du sida.

Alors, de quoi est-il mort ?

Depuis que j’ai pris part aux tumultueuses funérailles à Ramallah, je me suis abstenu de donner mon opinion sur la cause de sa mort. Je ne suis pas médecin et mes dizaines d’années comme directeur d’un magazine d’investigation m’ont enseigné de ne pas avancer des allégations que je ne serais pas capable de prouver devant la justice.

Mais, puisque maintenant toutes les digues ont été brisées, je suis prêt à dire ce que j’ai à l’esprit : dès le premier moment, j’étais sûr qu’Arafat avait été empoisonné.

La plupart des médecins interviewés par Haaretz disent que les symptômes témoignent dans le sens de l’empoisonnement et, en fait, sont incompatibles avec toute autre cause. Le rapport des médecins français qui ont soigné Arafat pendant les deux dernières semaines de sa vie dit qu’aucune cause connue de sa mort n’a été découverte. Il est vrai que les tests n’ont détecté aucune trace de poison dans son corps - mais les tests n’ont été faits que pour les poisons habituels. Ce n’est un secret pour personne que de nombreux services d’espionnage dans le monde ont développé des poisons qui ne peuvent pas du tout être détectés ou dont les traces disparaissent dans un très court laps de temps.

Il y a quelques années, des agents israéliens ont empoissonné le chef du Hamas, Khaled Mash’al avec une légère piqûre, dans une des principales rues d’Amman. Il n’a eu la vie sauve que parce que le roi Hussein a exigé qu’Israël fournisse immédiatement l’antidote. (Comme réparation supplémentaire, Benyamin Netanyahou a accepté de libérer un autre chef du Hamas, Cheikh Ahmed Yassine, qui a été assassiné quelques années après son retour à Gaza, par des moyens plus conventionnels - un missile aéroporté.)

En l’absence de symptômes de toute maladie connue, et puisque l’empoisonnement a été clairement évoqué, il est hautement probable que Yasser Arafat a été vraiment empoisonné pendant un dîner quatre heures avant que les premiers symptômes apparaissent.

Je peux témoigner que les dispositions sécuritaires autour du rais étaient vraiment laxistes. A chacune de mes dizaines de rencontres avec lui dans différents pays, j’ai toujours été étonné de la facilité avec laquelle un assassin potentiel aurait pu faire son travail. La protection était toujours désinvolte, surtout si on la compare à la façon dont les Premiers ministres israéliens sont protégés. Il prenait souvent ses repas en compagnie d’étrangers, il embrassait ses visiteurs. Ses associés rapportent qu’il acceptait fréquemment des bonbons de la part d’étrangers et prenait aussi des médicaments de ses visiteurs, les avalant sur-le-champ. Après avoir survécu à des dizaines de tentatives d’assassinats, et même à un accident d’avion, il était parvenu à un certain fatalisme, « tout est entre les mains d’Allah. » Je pense qu’au fond de lui il croyait vraiment qu’Allah le protégerait jusqu’à l’accomplissement de sa mission historique.

S’il a été empoisonné, par qui l’a-t-il été ?

Les premiers soupçons tombent, bien sûr, sur l’establishment sécuritaire israélien. Il est vrai qu’Ariel Sharon a déclaré à plusieurs occasions qu’il avait l’intention de le tuer. Le sujet a été abordé dans des réunions du conseil des ministres. Deux fois au cours des dernières années, mes amis et moi avons été convaincus que c’était imminent, que nous allions à la Mouqataa à Ramallah pour lui servir de « boucliers humains ». Nous étions convaincus que le meurtre d’Arafat aurait beaucoup nui à Israël. Dans une de ses interviews, Sharon a déclaré que notre présence avait empêché sa liquidation.

La vérité est que Sharon s’est abstenu de tuer Arafat principalement parce que les Américains le lui interdisaient. Ils craignaient que le meurtre soulève une énorme tempête dans le monde arabe et exacerbe le terrorisme anti-américain. Mais cette interdiction ne valait peut-être que pour un acte manifeste.

L’affaire Mash’al prouve que les services d’espionnage israéliens ont les moyens d’empoisonner des gens sans laisser aucune trace. L’empoisonnement n’a été découvert que parce que ses auteurs ont été pris en flagrant délit.

Cependant, une probabilité, aussi forte soit-elle, n’est pas une preuve. A l’époque, il n’y a eu aucune preuve qu’Arafat ait été vraiment empoisonné par les services israéliens.

Mais, sinon les Israéliens, qui donc ? Les services secrets américains en ont les capacités. Le Président Bush n’a jamais caché sa haine pour Arafat, un dirigeant obstiné qui ne s’est pas soumis à ses diktats. Il s’est empressé d’embrasser Mahmoud Abbas. Même maintenant, les émissaires américains qui se rendent à la Mouqataa s’abstiennent ostensiblement de déposer des couronnes sur la tombe du raïs.

Mais les intérêts américains non plus ne constituent pas une preuve. On peut penser à plusieurs autres suspects, même dans le monde arabe.

La mort d’Arafat a-t-elle profité à Sharon ?

Tout bien considéré, non. Tant qu’Arafat était en vie, le soutien américain à Israël était sans limites. Mais depuis sa mort, le Président Bush n’a pas caché son soutien à son successeur. La malheureuse débâcle américaine en Irak oblige Bush à rechercher des réussites ailleurs dans le « Grand Moyen-Orient ». Il présente Mahmoud Abbas comme un symbole des vents nouveaux qui soufflent sur tout le monde arabe et musulman grâce à la politique américaine. Pour convaincre l’opinion palestinienne de soutenir Abbas, Bush met la pression sur Sharon, et c’est nouveau. Peut-être Sharon regrette-t-il les bons vieux jours de l’époque Arafat, quand la vie était simple et qu’un ennemi jouait son rôle.

Mais une personne qui veut - comme Sharon le veut sûrement - briser le peuple palestinien et empêcher à tout prix l’établissement d’un Etat de Palestine viable doit tout simplement être heureux du décès d’Arafat qui avait uni l’ensemble du peuple palestinien. Il avait l’autorité morale pour imposer l’ordre, et il la mettait en pratique par l’empathie et la force, par la sagesse et la ruse, les menaces et la séduction.

Beaucoup de gens en Israël espéraient que sans lui la société palestinienne se briserait, que l’anarchie détruirait ses fondations mêmes, que les groupes armés s’entretueraient et tueraient la direction nationale. Ils sont certainement contents qu’Arafat soit mort et ils prient pour l’échec de Mahmoud Abbas.

Un jour Arafat m’a assuré qu’ensemble nous verrions la paix de notre vivant. Il a été empêché de voir ce jour. Celui qui en est la cause - quel qu’il soit - a péché non seulement contre le peuple palestinien, mais aussi contre la paix et donc contre Israël.

Article publié en hébreu et en anglais sur le site de Gush Shalom le 11 septembre 2005 - Traduit de l’anglais « Who Murdered Arafat ? » : RM/SW


Source : AFPS
http://www.france-palestine.org/article2203.html


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