Dans ce combat, Netanyahou ressemblait au rétiaire,
gladiateur qui ne portait qu’une tunique courte et qui
cherchait à neutraliser son adversaire avec un filet tenu dans
la main droite et, s’il réussissait, l’achevait avec le
trident qu’il tenait dans la main gauche. Sharon était comme
le Secutor, vêtu d’une armure et portant
une épée. Le premier avait l’avantage de la mobilité et de
l’agilité, l’autre se déplaçait maladroitement mais était
bien protégé.
Beaucoup ont poussé un soupir de soulagement
quand Netanyahou a été battu à la dernière minute,
contrairement aux prévisions et aux sondages. Comme Netanyahou
s’était positionné à l’extrême droite, soutenant les
colons et s’opposant à tout retrait, Sharon apparaissait
comme un homme de paix. Mais c’est, bien sûr, une illusion.
La différence entre les deux, à supposer qu’il y en ait une,
est négligeable. Si Netanyahou était Premier ministre, il se
conduirait exactement comme Sharon et dans l’opposition Sharon
se conduirait exactement comme Netanyahou.
Sharon fait aujourd’hui à la fois des déclarations
de paix et des déclarations belliqueuses, selon le public
auquel il s’adresse. Devant l’assemblée générale de l’ONU
et devant les Américains, il chante des hymnes à la paix, mais
au Likoud, il jure qu’il n’abandonnera pas un seul pouce de
terrain. Toutes ces déclarations ne valent pas une épluchure
d’ail - pour utiliser une expression hébraïque. On ne
devrait pas croire un seul mot de ce qu’il dit. Seules ses
actions comptent. Pendant tout ce temps, il construit la clôture
de séparation, agrandit les colonies, lance des provocations,
des bombes et procède à des arrestations.
Ainsi donc, rien de ce qui s’est passé au
Likoud n’aurait d’impact sur les chances de paix. Juste un
duel entre deux gladiateurs dans l’arène, beaucoup de bruit
pour rien. Mais cela n’est qu’une illusion d’optique.
En fait, la paix a remporté une grande victoire
dans l’arène du Likoud.
Cela n’a rien à voir avec la personnalité ou
les intentions de Sharon, mais tout à voir avec la substance de
la décision.
En théorie, aucune question idéologique n’était
en jeu. Les membres du comité ne votaient, officiellement, que
sur un point technique : soit organiser des primaires
anticipées le mois prochain pour le choix du président du
parti, soit attendre la date prévue, dans six mois. Gros enjeu.
Mais ce qui était réellement en cause était
de renvoyer Sharon, parce qu’il a démantelé les colonies et
s’est retiré de la bande de Gaza. Les attaques contre lui se
sont focalisées sur ce point. Ses opposants affirmaient qu’il
avait trahi les principes du Likoud, que le Likoud s’oppose à
toute cession de toute partie de la « patrie » à
« l’ennemi arabe », que l’évacuation de toute
colonie est un crime. C’est là-dessus que portait la
bataille.
La décision était donc d’importance
historique. Le Likoud est l’incarnation actuelle du Parti révisionniste,
qui a été fondé il y a quelque 80 ans avec le slogan :
« Le Jourdain a deux rives - l’une nous appartient et
l’autre aussi. » Son nom même reflète cette
affirmation. Le fondateur, Vladimir (Ze’ev) Zabotinsky,
voulait annuler la décision de 1920 du gouvernement britannique
de séparer la Transjordanie (l’actuel royaume de Jordanie) de
la Palestine. C’était la « révision » à
laquelle il aspirait.
Même si le parti, dans ses incarnations
successives, a en pratique abandonné les prétentions sur la
Transjordanie, il a toujours revendiqué « tout Eretz
Israel » entre la Méditerranée et le Jourdain. Pour
ce faire, il a promu des colonies dans tous les territoires
occupés, dénié l’existence même du peuple palestinien et
fait obstruction à toute mesure qui aurait pu conduire à la
paix.
Et aujourd’hui, lundi 26 septembre 2005, le
comité central de ce parti a voté pour un dirigeant qui a évacué
et détruit 25 colonies, qui a utilisé les forces de défense
d’Israël pour « chasser des Juifs » et qui a
officiellement abandonné une partie d’Eretz
Israel. Dorénavant, le Likoud n’est plus ce qu’il était.
Quelques personnes mettent en lumière le fait
que cette victoire n’a été acquise qu’à une très faible
majorité - 52% contre 48%. Mais cela est sans importance. Ce
qui est étonnant, c’est qu’il y ait eu des membres du comité
qui votent pour l’homme qui a fait cela.
On raconte que cette décision n’était pas idéologique
mais « jobologique ». Les membres du comité ont voté
contre leurs convictions pour que le Likoud reste au pouvoir et
que leur job au gouvernement soit préservé. Les sondages ont
montré que le Likoud perdrait les élections si Sharon était
remplacé. La tête a vaincu le cœur, l’appétit du pouvoir a
été plus fort que l’idéologie.
Si tel est le cas, la victoire est encore plus
importante. Les 3.060 membres du comité central du Likoud sont
issus de toutes les régions d’Israël. Ils viennent de toutes
les couches sociales et pas seulement des « élites ».
Ils préfigurent l’état d’esprit de l’opinion publique.
Qu’ils soient arrivés à la conclusion que la loyauté envers
les colonies et le Grand Israël leur ferait perdre les élections
a une signification d’une portée considérable.
J’ai écrit récemment que « le centre a
tenu ». Maintenant il est également clair que la droite
est restée loyale à Sharon. Ses opposants, les loyalistes du
Grand Israël, sont en état d’effondrement. Après leur déroute
au comité central, on les trouve difficilement parmi les
100.000 membres du parti. Les sondages montrent qu’une large
majorité de ceux-ci soutient maintenant Sharon. Les ministres
du Likoud et les membres de la Knesset se conduisent comme les
soldats d’une armée vaincue après le lancement du « sauve
qui peut ».
Mais ce n’est pas fini. Au contraire, nous
avons devant nous une année difficile. Sharon va tenter de tout
geler, sauf la construction de la clôture et l’extension des
colonies. Le prétexte sera la nécessité d’attendre le résultat
des élections palestiniennes, en janvier 2006, pour savoir
« avec qui nous allons traiter ». Après cela, les
élections israéliennes auront lieu, probablement en novembre
2006, et « personne ne s’attend à ce que Sharon prenne
des mesures impopulaires avant les élections ». Le Président
Bush, qui est également un animal politique, le comprendra
certainement. Le gel prolongé peut causer de nouveaux désastres.
Malgré tout, la longue marche vers la paix a
marqué un nouveau pas. Un petit pas certes, mais un pas
important.
Et cela, au sein du comité central du Likoud,
pas ailleurs. Qui l’aurait cru ?
Article publié en hébreu et en anglais le 2 octobre 2005 sur
le site de Gush Shalom - Traduit de l’anglais « The
Gladiators » : RM/SW