Palestine - Solidarité

   



Le film catastrophe d’Arik
Uri Avnery
 

Il aurait été très facile de mettre fin à toutes les émeutes cette semaine. Pourquoi les émeutiers n’ont-ils pas été neutralisés partout ? On ne peut arriver qu’à une seule conclusion : Ariel Sharon ne le voulait pas. Au contraire, son intérêt est que les écrans de télévision en Israël et dans le monde entier montrent les scènes de violents affrontements.

Le monde entier a vu l’horreur à la télévision : un garçon palestinien étendu sur le sol, inconscient. Un soldat israélien penché sur lui, ne sachant que faire. Un colon arrivé par derrière jette une pierre à la tête du Palestinien blessé. Un autre colon lâche une grosse pierre directement sur lui. Un médecin barbu, colon lui aussi, s’approche du garçon blessé, hésite et repart sans s’occuper de lui, poursuivi par un chœur de garçons et de filles colons : « Laisse-le mourir ! Laisse-le mourir ! »

Auparavant, les colons avaient occupé une maison palestinienne au bord de la mer dans la bande de Gaza et y avaient établi un « avant-poste ». C’était un bel immeuble neuf de trois étages que les propriétaires n’occupaient pas encore. Sur le mur extérieur, un énorme slogan était peint : « Mohammed est un porc ! » en parlant du Prophète.

Une bataille de pierres s’en était suivie entre les occupants et les Palestiniens des maisons voisines. Quelques soldats, pris entre les deux, avaient tiré en l’air au-dessus de la tête des Palestiniens et n’avaient rien fait contre les émeutiers.

Deux jours avant, des bulldozers de l’armée avaient été envoyés pour détruire quelques structures vides, délabrées, installées il y a de nombreuses années par les Egyptiens. Un groupe de garçons et de filles d’extrême droite avaient grimpé sur les bulldozers, en avaient cassé des parties, avaient donné des coups de pied sur la tête des soldats en essayant de les faire sortir, avaient maudit et raillé les soldats qui restaient là, impuissants. (Il y a deux ans, la militante pacifiste américaine Rachel Corrie est morte écrasée par un bulldozer identique, alors qu’elle essayait de l’empêcher de détruire une maison palestinienne.)

Le saccage a atteint son paroxysme mercredi dernier, quand les colons ont de nouveau bloqué les principales artères d’Israël. Le soir précédent, un des dirigeants des émeutiers, un Shabtai Shiran, qui se présentait lui-même comme « chef d’état-major Nord » des voyous, est apparu à la télévision. Il a été interviewé en direct et très longuement comme un invité de marque, donnant des ordres pour paralyser le pays, comme s’il était un porte-parole du gouvernement. Il n’a pas été arrêté à la sortie du studio pour terrorisme, incitation à la haine et conspiration criminelle, mais au contraire il a été invité à revenir le soir suivant pour se vanter de sa « victoire ».

Le matin du blocage des routes, la police a fait une découverte sur la route n°1 (la principale artère Tel-Aviv-Jérusalem : flaques d’huile et clous destinés à crever les pneus des voitures. Sur cette route, la vitesse est limitée à 110 km/heure et de nombreux conducteurs la dépassent. Par miracle, un désastre a été évité mais tout le pays a été livré au terrorisme. La plupart des conducteurs ont remis leur voyage. Le trafic sur les routes était fluide comme un jour de Shabbat.

Pendant la journée, les colons ont bloqué les routes en de nombreux endroits. La police les a évacués à mains nues. Un canon à eau a été utilisé à un seul endroit mais la force du jet était trop faible pour déplacer un seul émeutier. Encore une fois, ça faisait bien à la TV.

Dans aucune de ces émeutes, la police ne s’est servie des moyens couramment utilisés contre les manifestants de gauche non-violents : matraques, gaz lacrymogènes, balles en caoutchouc et, dernièrement, balles de sel. D’après ma propre expérience des manifestations, je peux témoigner que personne ne reste sur place quand on envoie des grenades lacrymogènes.

Juste un souvenir : il y a cinq ans, des groupes de citoyens arabes ont essayé de bloquer quelques routes dans le nord d’Israël, en réaction spontanée au meurtre de Palestiniens au Mont du Temple. Afin de « protéger la liberté de circulation sur les routes », la police avait ouvert le feu à balles réelles, tuant treize citoyens. Mais eux, bien sûr, étaient des Arabes.

Il aurait été très facile de mettre fin à toutes les émeutes cette semaine. Dans les quelques occasions où les autorités ont décidé de faire partir les émeutiers, cela s’est passé sans problème. Par exemple, le lendemain de la tentative de lynchage du jeune Palestinien (en voie de rétablissement) la police a fait sortir les voyous de l’hôtel voisin. Les émeutiers avaient juré de se battre jusqu’à la mort. Ils ont été chassés en trente minutes sans qu’une seule personne soit blessée. Leurs courageux dirigeants avaient disparu avant le début de l’opération.

Pourquoi les émeutiers n’ont-ils pas été neutralisés partout ? On ne peut arriver qu’à une seule conclusion : Ariel Sharon ne le voulait pas. Au contraire : son intérêt est que les écrans de télévision en Israël et dans le monde entier montrent les scènes de violents affrontements. C’est ainsi qu’il instille dans la tête des spectateurs la question naturelle, qui m’a été posée par un chauffeur de taxi de Tel-Aviv et qui a été répétée par tous les journalistes qui m’ont interviewé dans la semaine : « Si l’évacuation de quelques petites colonies provoque un tel soulèvement, comment imaginer qu’on puisse déplacer les grandes colonies de Cisjordanie ? »

La même question se pose quand il s’agit du coût financier du « désengagement ». Le ministre des finances parle maintenant de « huit à dix milliards de shekels ». Cela signifie cinq millions (5.000.000) de shekels soit environ 1,1 million de dollars par famille. Presque chaque jour, la somme soutirée par les évacués augmente. Un morceau de terrain. Une nouvelle villa. Pour commencer, une « villa mobile », qui restera leur propriété. Compensation pour leurs moyens d’existence perdus. Participation au coût du déplacement ; davantage de terres pour les agriculteurs, deux ou trois fois plus grandes que la surface de celles qu’ils laissent.

En tout cas, ce que les colons ont investi réellement, et même dix fois cela, ne représente qu’une petite fraction de ces sommes.

Ces compensations ont été promises à ceux qui sont prêts à s’installer en Israël à une distance de quelque trente kilomètres de leur lieu de résidence actuel. Cette semaine, on leur a promis un conseil régional séparé. Non seulement ce serait le seul conseil régional créé sur des bases idéologiques, mais encore il assurerait des sinécures pour des dizaines de colons qui seraient employés par ce conseil. En Cisjordanie, des centaines de colons, dont presque tous leurs dirigeants, vivent à nos crochets d’emplois fictifs dans les conseils régionaux.

Là encore, le simple citoyen se demandera : si le déplacement de 1700 familles de colons nous coûte huit milliards de shekels, combien coûtera le déplacement de 40.000 familles des colonies de Cisjordanie ?

Les scènes de cette semaine ne sont qu’une répétition du grand film d’épouvante qui est programmé pour dans sept semaines, quand l’évacuation est censée avoir lieu.

Il a déjà été annoncé que d’énormes forces prendront part à l’action. Trois mille journalistes du monde entier assureront l’écho international. L’événement sera présenté comme une opération géante. Ariel Sharon apparaîtra comme un des grands héros de l’Histoire, Hercule et Samson réunis. Après un effort tellement immense, qui lui demandera la tâche impossible de déplacer les colonies de Cisjordanie ?

Sharon lui-même ne cache pas ses intentions. Au contraire, il les annonce haut et fort. Dans deux discours politiques cette semaine, il les a exprimées avec les mêmes mots. Mais les médias étaient si fascinés par sa dénonciation des voyous qu’ils n’ont pas prêté attention à la phrase-clé.

Sharon a dit que le retrait de Gaza est nécessaire pour que l’on puisse se concentrer sur l’effort principal : assurer la domination israélienne « en Galilée et au Néguev, dans le Grand Jérusalem, les blocs de colonies et les zones de sécurité ».

Il faut voir les huit mots sur la carte afin d’avoir une image claire de leur signification.

« Galilée et Néguev » ne sont là que pour la décoration. Ils font partie d’Israël depuis la fondation de l’Etat, et une campagne pour leur « judaïsation » s’est poursuivie pendant de nombreuses années. A peu près la moitié des citoyens de Galilée sont arabes et la situation au Néguev est la même.

L’expression « Grand Jérusalem » est utilisée pour désigner non seulement tous les quartiers arabes de l’est de la ville mais également la colonie Maale Adumim et les territoires qui se trouvent entre elle et Jérusalem même, désignés par E-1.

Les « blocs de colonies » comprennent non seulement Gush Etzion élargi, Ariel, Modi’in le haut, et les blocs de Betar et de Maale Adumim, mais aussi toutes les zones que l’on pourra appeler ainsi dans l’avenir telles que Kiryat Arba et la zone d’Hébron Sud.

Mais les mots les plus importants sont « les zones de sécurité ». Dans la terminologie de Sharon, ces zones comprennent non seulement l’ensemble de la Vallée du Jourdain et l’ « Arrière de la Montagne » (les pentes orientales de la chaîne centrale des collines palestiniennes) mais aussi les axes est-ouest et nord -sud sur lesquels il a lui même fait pousser les colonies au fil des années.

Cette phrase confirme de nouveau ce que Sharon a assez souvent dit dans le passé : qu’il a l’intention d’annexer 58% de la Cisjordanie, afin que l’Etat palestinien, sur lequel il pourrait être éventuellement d’accord, couvrira environ 10% de la Palestine d’avant 1948.

L’actuel film catastrophe d’Arik a pour but de promouvoir cet objectif, qu’il considère comme la tâche de sa vie. Les colons qui le maudissent et le menacent de mort ne font que jouer le rôle qu’il leur a assigné. Dès le tout début de sa carrière, il a été convaincu que Dieu (ou le destin) l’a choisi pour cette mission historique.

La tâche du camp de la paix israélien est de faire échouer ce plan en utilisant la dynamique de la crise pour ouvrir la route à la solution du conflit. Les colonies sont le principal obstacle à la réalisation d’un compromis entre les deux nations. Contre la volonté de Sharon, ce film d’horreur pousse l’opinion publique à se retourner contre les colons, ce qui aboutit à l’isolement de toute leur communauté. Nous devons faire en sorte que cette vague ne disparaisse pas après la fin du retrait de Gaza, mais au contraire qu’elle augmente en taille et en force jusqu’à ce qu’elle balaie toute l’infrastructure de l’occupation en Cisjordanie et à Jérusalem.

Si cela arrive, le grand film catastrophe aura finalement des résultats positifs, et pas du tout ceux escomptés par Sharon.

Article paru le 2 juillet 2005, en hébreu et en anglais, sur le site de Gush Shalom - Traduit de l’anglais « Arik’s Horror Show » : RM/SW


Source : AFPS
http://www.france-palestine.org/article1971.html


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