mardi 9 mai 2006
Personne n’est dupe, au fond,
et la question palestinienne reste depuis des décades, et pour de
nombreux gouvernements, l’objet de jeux politiciens et de
stratégies diplomatiques qui doivent plus à la gestion de la
symbolique qu’à la volonté réelle de parvenir à la paix. Les
gouvernements israéliens successifs, comme ceux de l’Occident
ou du monde arabe, temporisent, manipulent ou simplement
mentent alors que la situation se dégrade chaque jour
davantage pour le peuple palestinien. Tout se passe comme si, à
coup de campagnes d’informations - hypertrophiées jusqu’à
l’overdose de mots et de slogans du type
« processus », « accords »,
« paix », « solution », « Road Map »,
qui impliqueraient « les deux parties », « les
partenaires régionaux » ou le « quartet »
international - on avait cherché à gagner des points et du
temps sur le seul champ qui semble compter aujourd’hui : la
bataille médiatique.
Force est de constater que la
victoire du camp israélien est sans pareille sur ce dernier
plan et que cette réussite s’est doublée de nombreux succès
politiques dignes des plus redoutables stratèges militaires et
diplomatiques. Depuis les accords d’Oslo, puis les discussions
de Barcelone et jusqu’à la « Road Map » - qui
devait offrir un Etat aux Palestiniens en 2005 ! -,
l’observateur attentif ne peut que constater que derrière le
« processus de paix » s’est inscrit un autre vrai
processus qui, depuis quinze ans, n’a eu pour effet que
d’entretenir de fausses promesses à l’endroit des
Palestiniens et de laminer leur unité et leur capacité de
résistance. Quinze ans plus tard, la situation est pire que
jamais et Israël n’a strictement rien lâché de ses
prérogatives et n’a respecté aucune des résolutions majeures
de l’ONU.
Les autorités ont obtenu de
Yasser Arafat qu’il reconnaisse Israël, qu’il plie
et qu’il entre dans un interminable « processus du
paix » (alors que le gouvernement israélien s’était au
préalable chargé d’éliminer un à un ses collaborateurs trop
encombrants). A chacune des étapes, les négociateurs israéliens
ont fait en sorte de gagner du temps. L’accélération de cette
stratégie a pris des proportions phénoménales ces derniers
temps : le retrait de Gaza n’a rien coûté (bien au
contraire) au pouvoir israélien et n’était qu’une manœuvre,
comme l’a avoué le chef de Cabinet de Ariel Sharon, pour gagner
- encore ! - du temps. La politique d’installations de
colonies en Cisjordanie et autour de Jérusalem s’est amplifiée
et élargie de façon stratégique... loin des caméras. A terme,
Jérusalem sera tout simplement, et presque entièrement,
« colonisée »... loin des caméras. Le mur de
l’apartheid - dit de sécurité - continue d’être construit
alors qu’il pénètre profondément dans les territoires
palestiniens (en contradiction totale avec les termes des accords
préalablement acceptés et les résolutions de l’ONU) et rend
impossible l’édification ou la survie d’un « Etat
palestinien. »... loin des caméras. Sous les fondations de
la Mosquée al-Aqsa, les travaux continuent et
s’intensifient : lentement, mais sûrement, son existence
même est mise en péril... loin des caméras.
Du côté de Tel Aviv, il n’y
a pas, il n’y a plus de « processus de paix »,
mais toujours la même politique du
« discrètement », « par diversion »,
« lentement », « sûrement »... asphyxier
l’adversaire, l’humilier et, à terme, annihiler ses moindres
prétentions voire le faire disparaître. Loin des caméras
toujours. Sans omettre une politique régionale digne encore du
plus impressionnant génie politique. Tous les pays alentours sont
désormais en proie à une plus ou moins grande
instabilité : de l’Irak, à la Syrie et au Liban et
jusqu’à l’Iran, le pouvoir israélien est impliqué, de plus
ou moins près, dans l’évolution de la situation : ce
dernier prend parfois le rôle de simple observateur (faussement
désintéressé, conseiller amical des Américains et des
Européens), ou alors tire directement ses cartes du jeu. On
connaît la présence de conseillers militaires israéliens en
Irak, on sait leur intérêt à neutraliser le Liban (et bien sûr
la Syrie) avec le foyer de résistance du Hezbollah. Le
gouvernement israélien n’a jamais caché son espoir de limiter
le pouvoir d’action politique et/ou nucléaire de Téhéran. A
l’heure où nous écrivons ces lignes, cette politique est
redoutablement efficace. Washington suit, l’Europe se tait, les
Palestiniens se meurent.
Et puis il y a eu ces premières
élections libres, transparentes, démocratiques. Alors que dans
l’ensemble du monde arabe, un tel acquis est impensable - et
pour bien des décennies encore - voilà que cela devient possible
dans les territoires occupés palestiniens. Un miracle ! ...
une parodie. Depuis des années et des mois, le pouvoir israélien
n’a eu de cesse de vider le « pouvoir palestinien »
de toute substance d’ « autorité ». Maîtrise des
frontières, check points multipliés (avec leurs lots
d’humiliations), blocages des transferts financiers, intrusions
intempestives dans les territoires occupés, bombardements
continus, etc. Le monde se concentrait sur la corruption - ô
combien réelle et indigne du Fatah en place - sans observer que
l’ « autorité palestinienne » n’avait d’
« autorité » que le nom. Une pure manœuvre verbale,
une fois encore, où la symbolique avait pour fonction essentielle
de tromper sur le réel. Le paroxysme de ce troisième temps du
génie politique israélien est - après avoir stoppé les
pourparlers avec Arafat, puis ignoré Mahmoud Abbas et rendu
impossible la vie quotidienne des Palestiniens - d’avoir laissé
se dérouler, en présence des caméras, la tenue d’élections
« totalement démocratiques » en terres
tout-à-coup-plus-si-occupées-que-cela. A la stupéfaction
générale, dit-on (et même des premiers concernés), le Hamas
allait accéder à la direction d’une « Autorité »
qui n’avait, dans les faits, aucun pouvoir.
Sur la scène internationale, la
bataille se jouait encore une fois sur le champ de la symbolique.
Voilà donc ce qui avait été le résultat d’élections
démocratiques. La victoire du pire, d’
« islamistes », de « terroristes », d’
« ennemis de la démocratie et d’Israël » qu’il
était impossible de reconnaître comme interlocuteurs et encore
moins de soutenir. Hamas gagnait les élections dans les faits et
sur leurs minuscules territoires occupés ; le gouvernement
israélien empochait la mise de leurs interprétations et de leur
gestion au niveau international. Au fond, les choses se sont
purement et simplement inversées : Hamas ne possède plus
que la symbolique du pouvoir alors que Israël est maître du jeu
et de la mise en scène. Les Etats-Unis et l’Union européenne
ont décidé de cesser leur soutien à l’ « Autorité
palestinienne » et ont, dans les faits, accepter de
transformer la cause politique palestinienne en cause désormais
« humanitaire ». Un glissement grave et dangereux...
un bel acquis, symbolique autant que concret, pour le gouvernement
israélien. Les gouvernements arabes, de veuleries en
hypocrisies - et parfois, mais plus rarement, du fait de l’
impuissance - sont atteints de la même frilosité et des
mêmes tergiversations aussi bruyantes qu’inefficaces depuis des
décennies : rien à attendre de ce côté.
La cause palestinienne est en
crise : les institutions, les ONG, les femmes et les hommes
qui depuis des années ont été sensibles à l’injustice
que subit le peuple palestinien se retrouvent coincés, en
proie à des tensions qu’ils n’avaient point connues
jusqu’alors. Les questions pleuvent et les voilà poussés dans
leurs retranchements : qui soutiennent-ils ? Comment
distinguent-ils désormais entre le peuple palestinien et son
« autorité » islamiste démocratiquement élue ?
Quelle est somme toute la finalité de leur combat ?
Avec qui, et comment, puisque le peuple souverain palestinien a
librement choisi ?
En Palestine occupée, dans le
monde arabe, en Occident, la situation est bloquée et Israël
continue sa politique des petits pas discrets et du fait accompli.
Les fonds sont gelés ou retenus, les fonctionnaires ne sont plus
payés, le chômage se répand, l’asphyxie est générale. La
société palestinienne est au bord de l’implosion et le
gouvernement israélien ne peut qu’être satisfait du
renversement de perspective qui transforme l’impératif de la
solution politique (respectant les droits légitimes des
Palestiniens) en une urgence de l’action humanitaire (destinée
à assister la population palestinienne en déroute). Les caméras
pourront revenir bientôt sans risque...
Il faut mettre un terme à cette
parodie ! Le temps est compté et l’ « Autorité
palestinienne » devrait démissionner dans les plus brefs
délais. Il est en effet urgent que cette dernière
mette collectivement un terme à son mandat et, en s’en
allant, exige du Président Mahmud Abbas et des gouvernements
occidentaux, qui affirment le soutenir, qu’ils prennent leurs
responsabilités politiques. Le peuple palestinien a des droits
qu’il faut faire respecter et il faut refuser avec fermeté et
dignité que l’on se joue de mots et que « le
processus démocratique » dans les territoires occupés ne
soit qu’un moyen d’une stratégie globale consistant à
évider la cause palestinienne de son caractère politique.
Il n’est point étonnant que les deux maîtres mots du jour
soient « combattre les terroristes » et « le
soutien humanitaire » ! La perversion est
absolue : plus de pouvoir, plus de droits, plus de
résolutions... il ne reste qu’une vague compassion
internationale au cœur de l’absence de volonté politique à
agir ! Avant que le piège de cette mascarade se referme
et finisse par étouffer et diviser le peuple palestinien, au vu
et au su de tous, il faut quitter cette mise en scène, cette
parodie d’ « Autorité » et mettre la communauté
internationale et les pouvoirs arabes en face de leurs
responsabilités, de leurs lâchetés et/ou de leurs aveuglements.
Dans la dignité.
La reconnaissance des droits des
Palestiniens, (dont les droits fondamentaux à vivre libres,
absolument autonomes et dans la dignité), est la condition de la
paix. Toutes les manipulations symboliques ou les petites
victoires stratégiques n’y changeront rien. Nos voix, du monde
entier, doivent rappeler cette évidence et parce que nous
refusons toutes les violences, nous ne devons plier devant aucun
silence imposé ou complice. L’Autorité
palestinienne actuelle ferait mieux de démissionner de suite
et la communauté internationale de se mobiliser sans attendre
pour faire pression sur Israël et lui rappeler ses obligations
politiques et les termes des résolutions internationales.
Dans les cabinets feutrés de
Tel Aviv, des décisions politiques se prennent et s’appliquent
au quotidien - loin des caméras - qui rendent impossible tout
espoir de paix. C’est nous, la communauté internationale, les
citoyens libres du monde qui, par notre silence, serons demain
responsables de cette flagrante injustice comme nous aurons notre
part dans les violences qui ne manqueront pas de s’exprimer sous
peu. On aura beau jeu d’affirmer et de répéter que le peuple
palestinien fait fausse route et qu’il choisit mal ses
représentants quand, au fond, il lui était impossible de
simplement imaginer qu’il existât la moindre route ni l’ombre
d’un choix.