Depuis le début des agressions
israéliennes sur le Liban, le cortège des morts innocentes
et des horreurs s’allonge, et des rumeurs sur
l’utilisation par Israël d’armes non conventionnelles
et interdites mondialement ne font qu’enfler.
Des observations faites par des
médecins qui ont examiné des corps de victimes posent plus
d’un point d’interrogation, même si leurs soupçons sur
l’utilisation d’armes chimiques notamment attendent les
résultats des biopsies. Interrogé sur cette question, le
président de l’ordre des médecins, Mario Aoun, explique
que « des prélèvements effectués sur des corps de
victimes présentant des caractéristiques ayant attiré
l’attention des médecins ont été envoyés à un
laboratoire spécialisé à Beyrouth, et nous attendons les
résultats d’ici à une semaine ».
Mais qu’est-ce qui a
éveillé les soupçons ? Le Dr Aoun parle de
caractéristiques bien particulières : « Les
corps de huit victimes, tombées à Rmeilé aux premiers
jours du conflit et ramenées à Saïda, avaient une couleur
très foncée, mais n’étaient pas brûlés pour autant.
Leurs cheveux, leurs muscles et même leurs habits étaient
intacts, ils n’avaient pas d’éclats d’obus dans le
corps, ne présentaient ni des traces d’hémorragie ni des
signes de problèmes respiratoires. Les médecins ont alors
pensé à une autre possibilité, celle de l’utilisation
probable de bombes libérant des substances
chimiques. »
Le Dr Aoun précise que les
médecins ont alors notifié le ministère de la Santé, qui
a demandé au médecin du caza de s’assurer du fait, puis
d’effectuer des biopsies sur différentes parties des
corps des victimes, avant de les confier aux spécialistes
et au service d’anthropométrie. Ce service a même
ajouté des échantillons de sol prélevés dans les
régions bombardées, en raison de soupçons sur
l’utilisation de bombes au phosphore, toujours selon lui.
« À Tyr, nous avons
même reçu des rapports de médecins qui soupçonnent
l’utilisation de bombes avec des matières paralysantes,
se basant sur des comportements de certains
blessés », ajoute-t-il.
Le Dr Bachir Cham, professeur
de chirurgie dans un hôpital à Saïda, était le médecin
qui avait examiné les huit victimes de Rmeilé. Il
considère qu’il n’est pas possible de déterminer quel
type de produit chimique serait en cause avant de connaître
les résultats des tests. « Je soupçonne qu’il ne
s’agit pas d’une matière qui passe par le système
respiratoire, mais plutôt de matières transcutanées,
dit-il.
Ces bombes ont plusieurs
caractéristiques, elles sont très précises, elles tuent
par implosion et contiendraient des substances dopantes pour
augmenter le taux de mortalité, ce qui explique que le
rapport tués/blessés soit de un sur deux, donc
particulièrement élevé. »
Omar Nachabé, docteur en
criminologie au journal al-Akhbar, est celui qui a reçu les
24 biopsies et les a envoyées au laboratoire, après avoir
obtenu la signature du procureur militaire. Il confirme les
soupçons exprimés par les autres spécialistes qui ont
conduit aux tests, mais déclare qu’il est impossible
d’affirmer quoi que ce soit tant que des résultats
concluants n’auront pas été obtenus. Le retard dans le
début des tests (sachant qu’ils ont déjà commencé),
selon lui, est dû à des considérations techniques. Les
résultats devraient être prêts dans quelques jours à une
semaine, selon les différentes personnes interrogées.
Que faire des résultats
s’ils s’avèrent positifs ? « Nous les
transmettrons au gouvernement, et c’est lui qui décidera
quoi en faire, explique le Dr Aoun. Auparavant, nous aurions
envoyé les prélèvements à des laboratoires européens
pour une confirmation. »
Les victimes
civiles
Les soupçons ne se portent pas
seulement sur la potentielle utilisation d’armes
chimiques. Dans un rapport publié il y a plus d’une
semaine, l’association Human Rights Watch dénonçait
l’utilisation de bombes à fragmentation par Israël au
Liban. Le représentant de l’association à Beyrouth,
Nadim Houry, explique que l’association a pris acte des
rumeurs qui parlent d’armes chimiques, mais que des photos
envoyées aux États-Unis ne se sont pas avérées
suffisantes pour trancher le débat.
Pour ce qui est des bombes à
fragmentation, HRW continue de dénoncer leur utilisation.
« Ces bombes ne sont pas en elles-mêmes interdites
mondialement, précise toutefois M. Houry. Mais c’est
leur largage sur des cibles civiles qui est en violation de
la convention de Genève. Ce sont des bombes qui ne
distinguent pas. Pour nous, il est important de demander une
enquête immédiate, et comme il s’agit de questions
techniques, elle pourrait être menée assez
rapidement. »
D’un autre côté,
poursuit-il, « le Liban pourrait commencer à
préparer ses dossiers ». « Ce sera compliqué,
parce que ce pays n’a pas ratifié la convention sur la
cour pénale internationale, mais cela ne veut pas dire
qu’il n’y a pas de recours possible »,
ajoute-t-il.
Armes conventionnelles ou pas,
M. Houry pense que le débat principal est ailleurs.
« Les civils sont en train de mourir, d’armes
conventionnelles ou non conventionnelles, dit-il. Notre
priorité en tant qu’organisation est de démontrer qu’Israël
ne distingue pas entre civils et militaires. Or nous voulons
encourager les deux parties à prendre des précautions pour
éviter de toucher les populations civiles. »
M. Nachabé n’est pas
loin de cet avis. « Même les armes conventionnelles
utilisées non conventionnellement sont interdites
mondialement, comme ces énormes bombes qui sont tombées
sur de simples maisons, et là, le mot
“disproportionné” utilisé par le président français
Jacques Chirac prend tout son sens », dit-il.