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Je suis désolée de la mort politique de Sharon
Samah Jabr


Depuis que nous avons eu connaissance plus tôt ce mois-ci de l’attaque cérébrale qui a laissé le premier ministre israélien entre la vie et la mort et son rétablissement ainsi que son retour au pouvoir plus incertains que jamais, nous avons assisté à une véritable course politique et médiatique pour manifester de la sympathie à son égard et chanter ses louanges. 

« Laura et moi-même partageons le même souci que le peuple israélien au sujet de la santé du premier ministre Ariel Sharon, et nous prions pour son rétablissement. Le premier ministre Sharon est un homme de courage et de paix », a déclaré le président Bush.

Lors de sa visite à Beyrouth, le ministre britannique des affaires étrangères Jack Straw a complimenté Sharon - le boucher de Beyrouth - pour son courage et sa stature d’homme d’état sans faire la moindre référence à l’occupation de Beyrouth par Sharon et son armée et aux 20 000 morts qu’il a laissé derrière lui. Durant le siège de Beyrouth en 1982, l’eau, l’électricité, l’essence, la nourriture et les fournitures médicales ont été totalement supprimées pour environ 1,5 million de personnes, et il y a eu des bombardements sans interruption jour et nuit pendant plusieurs semaines. Jack Straw n’a pas plus fait mention des morts de Sabra et Chatila ni des autres milliers de victimes dont la mort a été en rapport avec cet homme.

Mais la réaction de Straw n’a pas été pire que celle du président égyptien Hosni Mubarak qui a parodié son maître en parlant de Sharon comme « d’un homme de paix », ou du président tunisien Zin el-Abdine Ben Ali parlant de son « estime et admiration » pour le leader israélien. Quant à notre président Mahmoud Abbas, il a téléphoné pour exprimer sa sympathie aux proches de Sharon, tandis qu’Abu Alalla’ et Sa’eb Ureiqat déclaraient devant la presse qu’ils priaient pour le rétablissement de Sharon. Néanmoins, la presse occidentale rapportait que « les Palestiniens prenaient un plaisir public écoeurant devant l’état de santé de Sharon », montrant des enfants Palestiniens dans les camps de réfugiés au Liban et dans la Bande de Gaza distribuant des bonbons pour fêter l’évènement. La réaction probablement non préméditée de ces enfants était bien plus sincère que la réaction des officiels palestiniens ou que tous les mythes véhiculés par l’Occident sur cet « homme de paix ».

Personnellement, je n’éprouve pas de joie devant la maladie voir la mort de Sharon, mais je comprends parfaitement que beaucoup des enfants rendus orphelins ou des femmes rendues veuves par les actes de cet homme se sentent réconfortés à l’idée que Sharon comparaîtra bientôt devant le Tout-Puissant. En fait, je suis désolée que Sharon puisse quitter ce monde sans avoir payé le prix de tous ses crimes contre l’humanité et qu’il ait échappé à toute cour de justice sérieuse. Malgré le fait qu’une poursuite judiciaire ait été récemment menée contre lui en vertu des lois universelles de la justice belge, une pression concertée des gouvernements israélien et américain a obligé la justice belge à abandonner ses poursuites.

Je suis aussi attristée par le fait qu’il ait été au pouvoir jusqu’à la fin de sa vie professionnelle et qu’il était supposé devoir être réélu en 2006 selon les enquêtes d’opinion en Israël, ce qui prouve qu’il y a peu de chose à attendre du sens moral et de l’éthique des israéliens. Certains estiment qu’un langage plus neutre, plus civilisé devrait être employé lorsqu’il est question de maladie et de mort. Pourquoi pas ... dans la mesure où ce langage ne trahit pas la mémoire des milliers de victimes tuées dans des massacresde dont Sharon est responsable, ni les millions de victimes actuelles dont les vies ont été rendues infernales en raison de sa politique. Ce qui est non civilisé, c’est le fait de ne pas accepter la vérité ; le langage dominant utilisé à cette occasion n’hésite pas à propager les mensonges de Sharon. Son passé criminel est même utilisé comme point de référence pour montrer à quel point il aurait progressé vers la paix. Ceux qui parlent de lui de façon positive en ce moment assurent la promotion de ce qui a été le projet de toute sa vie : le génocide politique des Palestiniens. Ceux qui font la promotion de Sharon ne manquent pas seulement totalement d’objectivité, mais ils font preuve d’une immense hostilité à notre égard.

Il y a un contraste flagrant avec la façon dont a été traitée la mort d’Aarafat. Durant sa maladie, les moyens d’information le présentaient de façon obsessionnelle comme un obstacle devant être écarté sur le chemin de la paix. Il n’était pas question d’utiliser à son égard un langage plus civilisé et peu de journaux occidentaux se sont réellement intéressés à la nature de sa maladie restée sans diagnostic définitif. Il n’y a pas eu de souhaits de bon rétablissement venant des dirigeants autour du monde, ni d’hommage particulier après sa mort. Au contraire d’officiels Palestiniens [priant pour la santé de Sharon], les officiels israéliens n’ont pas prié pour la santé d’Arafat ni n’ont téléphoné pour faire part de leur inquiétude. Ils ont au contraire fait part de leur soulagement. Arafat, né à Jérusalem, n’a pas pu y être enterré, alors que Sharon, migrant-colonisateur d’origine russe, pourra à coup sûr y être enseveli.

La véritable histoire de Sharon ressemble aasez peu à tout ce qu’ont mentionné les médias. En août 1953 dans le camp de réfugiés d’el-Bureig au sud de Gaza, les hommes de Sharon ont lancé des grenades à travers les fenêtres des cabanes dans lesquelles dormaient les réfugiés, et lorsque ceux-ci ont voulu s’enfuire, ils ont été acceuillis par des tirs d’armes automatiques. Cinquante deux habitants du camp ont été tués dans cette opération. Deux mois plus tard, dans le village jordanien de Qibya, Sharon a ordonné à ses hommes d’entrer dans les maisons puis de les faire exploser en infligeant de lourdes pertes aux habitants. Le village a été réduit en un tas de ruines sur la tête de ses habitants ; 45 maisons ont été soufflées et 69 habitants ont été massacrés.

Lorsque Sharon était à la tête du Commandement Sud de l’armée israélienne, il ordonna que des centaines de maisons soient détruites par des bulldozers afin de tracer un axe pour que les soldats israéliens et leurs blindés puissent accéder facilement à travers les camps de réfugiés depuis Gaza jusqu’à la mer. Son armée a jeté à la rue le contenu des maisons, puis a amené ses bulldozers pour raser tout ce qui faisait obstacle pour le nouvel axe de pénétration, tabassant ou tuant quiconque osait protester. La rue est maintenant connue sous le nom de « rue des épaves ». Dans la même zone, rien qu’au mois d’août 1971, les troupes israéliennes commandées par Sharon détruisirent 2000 maisons dans la Bande de Gaza, déracinant 16 000 personnes pour la seconde fois de leur vie. Des centaines de jeunes Palestiniens ont été arrêtés et déportés en Jordanie ou au Liban. Six cents personnes appartenant à des familles de fedayins supposés, ont été exilées au Sinaï et en plus de ce chiffre 104 autres personnes ont été assassinées.

Alors qu’il était ministre de la défense en 1982, Sharon a été le responsable de l’invasion du Liban, avec le but déclaré de détruire l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), de provoquer l’exil du maximum de Palestiniens vers la Jordanie et de faire du Liban un client de l’état israélien. Les massacres dans les deux camps proches l’un de l’autre, de Sabra et Chatila se sont déroulés en 6 heures du soir le 16 septembre et 8 heures du matin le 18 septembre 1982, dans une zone sous contrôle de l’armée israélienne. Les exécutants des massacres étaient des membres de la milice phalangiste, la force armée libanaise proche alliée d’Israël et armée par les israéliens depuis le début de la guerre civile libanaise en 1975. Durant ce laps de temps de 62 heures, des milliers de réfugiés ont été assassinés. Beaucoup d’entre eux ont été torturés, violés et mutilés avant d’être abbatus. Une commission d’enquête israélienne a enquêté sur le massacre et a publié ses conclusions en février 1983 : Ariel Sharon était responsable du massacre. Il a donc été relevé de ses fonctions de ministre de la défense le 14 février 1983, bien qu’il soit alors resté ministre sans portefeuille.

Sharon a toujours été un avocat zélé de l’expansion coliniale israélienne en Cisjordanie. Comme ministre de l’agriculture, Sharon est à l’origine de nombreuses colonies en Cisjordanie, colonies qui sont maintenant un obstacle majeur à n’importe quel accord de paix. Sharon a été un des plus extrémistes au Likoud, votant contre de nombreux traités de paix, dont celui avec l’Egypte [accords de Camp David], contre le retrait des troupes israéliennes du sud-Liban, et contre la participation israélienne à la conférence de Madrid. Il a voté « non » à la Knesset concernant les accords d’Oslo, et il s’est abstenu lors du vote sur le traité de paix avec la Jordanie. Il a voté contre l’accord sur Hébron en 1997 et a contesté la façon dont le retrait israélien du sud-Liban a été mené.

C’est peu de temps après qu’a eu lieu son infâme incursion sur les Lieux Saints de Jérusalem, qui a déclenché l’Intifada et après laquelle il est revenu au pouvoir comme premier ministre avec la promesse de mettre un terme à la Résistance palestinienne et de mettre les Palestiniens à genoux en l’espace de 100 jours. A cette place de premier ministre, il s’est activé à rendre impossible la vie des Palestiniens, espérant qu’ils partent en exil ou restent en cage derrière son monstrueux mur de séparation, tout en travaillant à étendre les frontières israéliennes et à voler encore plus de terre palestinienne.

L’approche de Sharon ces dernières années pour faire la paix n’est en rien différente de son approche pour faire la guerre. Il continue à annexer des terres, à détruire des habitations et à commettre des « assassinats extrajudiciaires ». Son plan pour la paix avec les Palestiniens comprend l’annexion de 48% de la Cisjordanie et de Jérusalem-est.

Les nouvelles concernant la transformation de Sharon en homme de paix et que les médias transportent de par le monde avec tant de succès en faisant référence au retrait dce Gaza et à la mise en place d’un nouveau parti dit « modéré », résonnent aux oreilles des victimes de Sharon comme un conte de fées au sujet d’un loup qui serait devenu végétarien.

La politique de Sharon consistant à impooser des « solutions » unilatérales parait méritoire à ceux qui ignorent que pour Sharon la paix n’est pas un but mais une tactique. En échange du retrait de 8000 colons de la Bande de Gaza, il s’est donné le droit de faire main basse sur la Cisjordanie. La création de son nouveau parti politique avait pour but de faire accepter plus facilement ses politiques radicales que le Likoud maintenant impopulaire.

Les israéliens ont voulu ignorer l’histoire sanglante de Sharon en ne pensant qu’à leur peur au moment du déclenchement de la seconde Intifada. Après la mort de leur dernier vieux général et après les changements politiques significatifs intervenus du côté palestinien, les israéliens connaissent un moment de faiblesse politique, de crainte et d’incertitude. Il est très probable qu’ils chercheront à se protéger de cette faiblesse sur le plan politique en tombant dans un militarisme sans merci. Les colonisateurs ont peu d’estime pour les comportements éthiques et moraux. Le fait que Sharon soit un criminel lui donnait du crédit pour les élections à venir et justifierait que l’impérialiste en chef [Georges Busch] le qualifie d’homme de guerre.

*Samah Jabr est médecin et habitante de longue date de Jérusalem

Samah jabr
Janvier 2006 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinetimes.net/
Traduction : Claude Zurbach


 Source : CCIPPP
 http://www.protection-palestine.org/article.php3?id_article=2299


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